Skip to main content

Full text of "Somme théologique de S. Thomas D'Aquin"

See other formats


Google 


This is a digital copy of a book that was preserved for generations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 
to make the world's books discoverable online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 
to copyright or whose legal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 


Marks, notations and other marginalia present in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journey from the 
publisher to a library and finally to you. 


Usage guidelines 
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 


public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we have taken steps to 
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying. 





We also ask that you: 


+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individual 
personal, non-commercial purposes. 





and we request that you use these files for 


+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's system: If you are conducting research on machine 
translation, optical character recognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for these purposes and may be able to help. 


+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 


+ Keep it legal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is legal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any specific use of 
any specific book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liability can be quite severe. 






About Google Book Search 


Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web 
a[nttp: //books . google. con/] 














Google 


A propos de ce livre 


Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d’être numérisé avec 
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 
ligne. 





Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 
trop souvent difficilement accessibles au public. 











Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 


du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos main: 





Consignes d'utilisation 


Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 





Nous vous demandons également de: 


+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 


+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractéres ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous étre utile. 


+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 


+ Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de méme dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut étre utilisé de quelque facon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 





À propos du service Google Recherche de Livres 


En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle gráce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse[http://books.google. con] 

















mv 


IBÉSRABRANTENNNTENTONENET CE COR 


ISRDOYEHR IFTSTIBVEV UNDE XT 


Grrr 
FROM THE LIBRARY 
or 
PROF, E. C, SMYTH, D. D. 





T — | 


SOMME 


 THEOLOGIQUE 


- — ——. —— "-- A A IL 
LI 


Eocse——À e pm me m s - Aa 
. . . 


e —Á—— On ee pus nm — drm - --. 
., -— t 


DOS HARAS? AA Je Quas m mn tue od^ cde mm S ASUS : Mg 
# 


Eau Tuncé  Ciijaesde (| 
Must idest. ob usn 


AUG 4- 1005 


—Li5TmwAPY.—]| 


Ur deeper À Mano am D. - "mar rure o 9» D 0 "em s mu] 


9038323 


604. 7 


730.6 


E SOMME 


THÉOLOGIQUE 


DE 8. THOMAS D'AQUIN 





SUPPLÉMENT 


(SUITE). 





TRAITÉ DE LA RÉSURRECTION. 


(Suite). 


QUESTION LXXXIYV. 


De l'agilité des corps des bienheureux. 


C'est la qualité que nous avons à étudier ici (1); et sur ce sujet on de- 
mande trois choses : 4° Les corps glorieux auront -ils la propriété de se 
mouvoir ? 2 Se mouvront-ils en effet? 3° Se mouvront-ils d'une mamière 
instantanée ? . 


(1) Bien que tous les hommes doivent ressusciter, les méchants comme les bons, ils ne re- 
prendront pas tous dans les mêmes conditions cette nouvelle existence. Le prophète Daniel 


SUPPLEMENTUM 


(CONTINUATIO). 





TRACTATUS DE RESURRECTIONE. 
(Continuatie). 


QUESTIO LXXXIV VEL LXXX VI. 
De agilitate corporum beatorum, in tres oriiculos divise. 


Deinde eonsiderandum est de agilitate cor-| pora gloriosa sint futura agilis. 99 Utrüm 
porum beatorum resurgentium. movebuntur. 8° Utrüm movebuntur in in- 
Circa quod queruntur tria ; 4* Utrüm cor- | stanti. 


xvi. | à 


* 
- 


g SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE 4. 


ARTIGLE I. 
Les corps glorieux devront-ils être agiles? 


Il paroît qug les corps glorieux ng sezont pas agilag. 4° Ge qui possède de 
soi l'agilité, n'e pag besoin pour se mouvoir d'un moyen de transport. Mais 
les corps glorieux, aprés la résurrection, seront portés « sur les nuées dans 
les airs au devant du Christ, » I. Theggal., IV ; ce qua le Glose attribue au 
ministére des anges. Donc les corps glorieux ne seront pas agiles. 

2» Quand un corps ne se meut qu'avec effort et avec peine, on ne peut 
pas l'appeler agile. Mais les corps glorieux seront précisément müs de 
cette maniére, puisque leur moteur, qui est l'ame, leur imprime des 
mouvements contraires à leur nature; sans cela ils se mouvroient tou- 
jours dans le méme sens. Donc ils ne seront pas agiles. 

3° Parmi les opérations animales, le sens l'emporte sur le mouvement. 
Or il n'y a dans les corps glorieux aucune propriété qui doive perfec- 
tionner le sens. Donc il ne faut leur en attribuer aucune non plus qui 
doive perfectionner le mouvement, telle que seroit l'agilitá. | 

ke La nature donne aux divers animaux des instruments diversement 


avoit dit, XII : « Ceux qui dorment dans la poussiére , se réveilleront de ce lourd sommeil, 
les uns pour la vie éternelle, les autres pour un opprobre qu'ils subiront également à Jamais. » 
Le Sauveur lui-méme proclame cette vérité , Joan., X : « Qenx qui auront fait le bien, 
ressusciteront pour entrer en possession de la vie; et ceux qui auront commis le mal, pour 
recevoir leur condamnation. » Voici enfin comment s'exprime le grand Apótre, I Corínth., XV : 
«Je vous annonce un mysière : nous cessusciterons tous, mais nous ne subirons pas tous la 
transformation glorieuse. En un instant, en un clin d'ail, au son de la dernière trompette, 
car ap effet la trompetta retentira , les morts ressusciteront incorruptibles ; mais nous seuls 
serons transformés. » 

Déjà nous voyons là qu'à la résurrection tous les hommes seront immortels. « Il n’y aura 
P«w, de. mort, » a dit saint Jean, Apoc., II. Les réprouvés a chercheront la mort, et ils ne la 
trouveront pas; ils l'imploreront avec instance , et elle fuiraloin d'eux.» Ce qui fait dire a saint 
Augustin, De Civit., XXII, & : « La première mort chasse l'ame du corps malgré elle; la se- 
copde mori la retient malgré elle dans ce même corps. » L'immortalité est donc commune à 
toga, Mais les corps deg saints posséderont de plus certaines propriétés ou qualités distinc- 
tives, C’est ce que l’auteur du supplément eût dà prouver d'abord en thèse générale, pour bien 
Suivre la méthode de saint Thomas, comme le remarque trés-bien Sylvius. Ces propriétés sont 
au nombre de quatre : l'impossibilité , la subtilité, l'agilité et la clarté. Les deux premières 
ont été déjà étudiées ; il nous reste à parler des deux autzes. | 








ARTICULUS I. cum labore et pena, potest dici agile. Sed 
. | . a. corpora gloriosa hoc modo movebuntur, cüm 
Utrüm corpora gloriosa sint futura agilia. | motor eorum, scilicet anima, moveat in con- 
. Ad primum sic proceditus. Vider quód | trarium nature eorum ; aliàs moverentur sem- 
eorpora gloriosa non sint futura agilia. lllud Reg in gnam partem. Ergo non erunt agilia. — 
enim quod de se agile est, ad motum non in-| 8. Preterea, inter omnes operationes ani- 
diget aliquo deferente. Sed corpora glorificata :3 sejsus est nobüior et prior quàm motus. 
deferentur post resurrectionem « in nubibus non assignatur corporibus gloriosis aliqua 
Obviam Christo in aera , ab angeli, » ut dicit | proprietas, qua. perfgiat ea ad sentiendum. 
Glossa , I. Thessal., IV. Érgo corpora gloriosa | Érgo nec debet eis attribui agilitas, per quam 
non erunt agilia. perficiantur ad molum. BEA 
$. Preterea, nuum corpus quod movetur| 4. Preterea, nalura dat diversis animalibus 


DE L'AGILITÉ DES CORPS DES BIENHECRAECX. ô 


disposés, selon la variété de leurs fonctions ou de leurs puissances; ; dirtsi 
elle ne donne pas les mêmes instruments à l'animal qui se traîne avec 
lenteur et à celui qui s'élance avec rapidité. Or Dieu met encore plus d'or- 
dre dans ses opérations imzaédiates que dans celles qu'il accomplit par la 
nature. Le corps glorifié ne devant.donc pas avoir des membres d'une antre 
forme ou d’une autre grandeur que eeux qu'il posséde maaimtenant, il n'aura 
pas apparemment une agilité différente de celte qu'il possède aujourd" hut. 

Mais voici comment l’Apôtre exprime le contraire I. Coréntà., XV, 43: 
, ell est semé dans l’infirmité, il se lévera dans Ia force ; » c’est-à-dire plein 
de mouvement et de vie, ajoute la Glose. Or cela ne pourroit être sans 
Fagilité. Donc les corps glorieux devront être agiles. 

La lenteur ou la torpeur semble éminemment répugner à Ia spiritua- 
lité. Or les corps glorieux seront aussi spirituels qu'ils peuvent l'étre en 
conservant leur nature, camme nous l'enseigue encore l'apótre saint 
Paul. Donc ils seront agiles. 

( CoxcLusioN. — Le corps glorifié étant entièrement soumis à l'ame bien- 
heureuse, il faut qu'il soit aussi agile qu'elle, pour étre en état de lui 
obéir parfaitement. ) 

Le corps glorifié sera complètement soumis à l’ame bienheureuse, de 
telle sorte que non-seulement il n'y aura rien en lui qui résiste à la 
volonté. de l'esprit, comme cela avoit lieu dans le corps même d'Adam, 
mais qu'il possédeencore une perfection. spéciale, émanant en lui de 
l'ame glorifiée et ayant pour objet de le rendre en eut conforme à 
une telle sujétion. Cette perfection est l’une: des propriétés des corps glo- 
rieux. L'ame est.unie au; corps comme forme e$ comme moteur. Or sous 
l'un et l'autre rapport, il faut que le corps glorifié soit parfaitement sou- 
mis à l'ame bienheureuse. Par la subtilité il est entièrement soumis à 
l'ame, en tant que celle-ci est la forme du-covps, lui communiquant son 
être spécifique ; et de mème par l'agilité il lut est rion moins soumis, en 









instrumenta dispositionis diverse secundàm.di-|| (Cowcruero. — Cm corpus gloriosum sit 
versas virtutes ipsorum : unde non ejosdem 4iu- |'omninà sabjeetam anime gloriflc:ta , corpus 
positionis instromenta dat animali tardo etre | finNosum erit agile sicut anima , ut el git ha- 
loci. Sed Deus mulió ordinatiüs.operatur quium | Bilo-ad obediendum.) 
Datura. Cüm ergo.corpus gloriosum habeat. mem-- || Respóndeo dicendum, quid corpus gloriosum 
bra ejusdem.dispositionis in figura et quantitate, |lerit omninà subjectum anima glorificatà , non 
sicul modi, videlur quèd non babeat agilitatem: |'aoltm ut nihil ineo sit quod. resistat voluntati 
aliam quàm. modo babet. ;Spiritüs (quia hoc fuit etiam in corpore Ada), 
Sed contra est, quod dicitur. I. Cor... XV :.| sed etiam ut sit in eo alf qua perfectio efflaens 
«Seminatur in inürmitate, resurget in virtute; ». | ab anima glorificata in corpus; per quam habile 
Glossa: « Id est mabile. et vivum. » Sed mo-| reddatur ad prædictan subjectionem. Qua qui- 
bilitas non polest dicere nisi agilitatem ad [dem perfectio « dos gloriticati corporis » diti- 
motum. Ergo corpora gloriosa erunt agilia.. |tur. Anime autem conjungitur cotpori non so- 
Preterea , tarditas maximà videtus spiritua- | làm ut forma, sed etiam ut motor. Et utroque 
ljtali repugnare. Sed corpora. gloriosa maximé:| modo oportet. quód corpus gloriosum anime 
erunt spiritualia, ut dicitur. L. Cor., XV. Ergo | glorificate sit summéà subjectum. Unde, sicut 
eliam agilia. per dotem gubtilitatis subjicitur ei totaliter in 


: SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE À. 


tant que l’ame est son moteur; cette propriété le rend apte à obéir sans 
efforts à tous les mouvements et à toutes les actions de l’ame. Quel- 
ques-uns ont cru trouver la cause de cette agilité dans la cinquième es- 
sence ou essence céleste, qui doit alors dominer dans les corps glorieux. 
Mais nous avons dit plus d'une fois que cela n'étoit pas admissible (1). 
C'est donc à l'ame qu'il faut faire remonter Y'agilité des corps glorieux, 
aussi bien que leur gloire elle-mème. 

Je réponds aux arguments : 1° En disant que les corps glorieux sont 
portés par les anges ou méme sur les nuées, on n'entend pas qu'ils aient 
besoin de ces mobiles étrangers; on veut seulement exprimer par là les 
hommages rendus aux corps glorieux , non-seulement par les anges, mais 
encore par toutes les créatures. | 

2» Plus l'ame exerce de puissance sur le corps, moins est laborieux le 
mouvement imprimé au corps contrairement à sa nature. De là vient que 
les hommes en qui la force motrice est plus considérable, ou dont le corps 
a été ployé par un long exercice à ohéir aux mouvements de l'esprit, 
éprouvent moins de peine à se mouvoir de la sorte. Or, aprés la résurrec- 
tion, l'ame dominera parfaitement sur le corps, soit par un effet de sa 
propre puissance, soit par les dispositions qui résulteront dans un corps 
glorieux de ce trop plein de gloire que l'ame fera rejaillir sur lui. Les 
Saints n'auront donc aucun effort à faire pour se mouvoir corporellement ; 
et c'est ainsi que nous comprenons l'agilité dont leurs corps seront doués. 

9* Ce n'est pas seulement l'aptitude du corps au mouvement local, 
c’est encore sa sensibilité et sa docilité à l'égard de toutes les opérations 
de l'ame, qui se trouveront perfectionnées par la propriété que nous étu- 
dions. 

(1) Il a été déjà fait justice de cette hypothèse, à propos du corps ressuscité de Jésus-Christ. 


Il faut même, pour compléter les thèses actuelles , revenir à celles que le docteur angélique a 
consacrées à la résurrection du Sauveur, cause exemplaire de la nôtre. 





quantum est forma corporis, dans esse speci- | animi moventis dominatur magis supra corpus, 


ficum ; ita per dotem agilitatis subjicitur ei in 
quantum est motor, ut scilicet sit expeditum 
et habile ad obediendum spiritui in omnibas 
motibus et actionibus animse. Quidam tamen 
causam istius agilitatis attribuunt quinte (id 
est celesti) essentiæ, qua tunc in corporibus 
gloriosis dominabitur. Sed de hoc frequenter 
dictum est quód non videtur conveniens. Unde 
melius est ut attribuatur anims , à qua gloria 
in corpus emanat. 

Ad primum ergo dicendum , quàd corpora 
gloriosa dicuntur ferri ab angelis, et etiam in 
nubibus, non quasi eis indigeant, sed ad reve- 
rentiam designandam, quæ corporibus gloriosis 
€t ab angelis et ab omnibus creaturis defertur. 

& secundum dicendum, quàd quautà virtus 


Bi 


tantó minor est labor in motu qui etiam fit con- 
tra naturam corporis. Unde illi in quibus virtus - 
motiva est fortior, et illi qui habent ex exer- 
cilio corpus magis habilitatum ad obediendum 
spiritui moventi, minüs laborant in motu. Et 
quia post resurrectionem anima perfecté domi- 
nabilur corpori, tum propter perfectionem pro- 
prie virtutis, tum propter habilitatem corporis 
gloriosi, ex redundantia glorie ab anima in 
ipsum, non erit aliquis labor in mota sanctorum; 
et sic dici poterunt corpora sanctorum agilia. 

Ad tertium dicendum, quód per dotem agili- 
tatis corpus gloriosum reddetur habile, non so- 
lüm ad motum localem, sed etiam ad sentien- 
dum, et ad omnes alias anima operationes exe» 
quendas. 


T7 LAGILIT»z wes CORPS DES BIENHEUREUX. 5 


&° De méme que la nature donne aux animaux les plus véloces des ins- 
truments de locomotion mieux disposés, soit par leur forme, soit par leur 
grandeur; de méme Dieu donnera aux corps des Saints des dispositions 
différentes de celles qu'ils ont ici-bas, mais simplement en leur commu- 
niquant cette propriété glorieuse que nous appelons l’agilité, et non en 
leur donnant une autre forme. 


ARTICLE II. 
Les saints useront-ils jamais de leur agilité pour se mouvoir réellement ? 


Il paroit que les saints n’useront jamais de leur agilité pour un mou- 
vement local. 1?D'aprés le Philosophe, Physic., III, « le mouvement ap- 
partient à l'étre imparfait. » Or les corps glorieux ne seront plus sujets à 
l'imperfection. Donc ni au mouvement non plus. 

2» Tout mouvement accuse l'indigence; car on ne se meut que pour ac- 
quérir une chose, arriver à uné fin. Or, dans les corps glorieux, nulle in- 
digence possible, puisqu'ils sont dans ce lieu où , selon la pensée de saint 
Augustin, «on a tout ce que l'on veut et rien de ce que l'on ne voudroit 
pas. » Donc point de mouvement dans les corps glorieux. 

3° Voici un principe posé par le Philosophe De calo, Il, 64 : « L'étre 
qui participe à la bonté divine sans aucun mouvement, y participe d'une 
manière plus elevée que celui qui a besoin de se mouvoir pour cela. » Or 
un corps glorieux doit nécessairement participer à la bonté divine d'une 
manière plus élevée qu'un autre corps quelconque. Donc, puisqu'il y a 
des corps absolument immobiles, tels que les corps célestes, à plus forte 


raison les corps glorieux doivent-ils l'étre aussi. 
&e D’après saint Augustin, « l'ame étant établie en Dieu communiquera 
au corps sa propre stabilité. » Or l’ame sera tellement établie en Dieu 





Ad quartum dicendum, quèd sicut natura 
dat velocioribus animalibus instrumenta diverse 
dispositionis in figura et quantitate, ita Deus 
dabit corporibus sanctorum aliam dispositionem 
quàm nunc habeant, non quidem in figura et 
quantitate, sed in proprietate glorie, que di- 
citur agilitas. 


ARTICULUS HI. 


Utrim sancti agilitate sud nunquam utentur, 
fta quód moveantur. 


Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
ganoti agilitate suá nunquam utentur, ita quód 
moveantur. Quia, secundèm Philosophum, Ill. 
Physic., « motus est actus imperfecti. » Sed 
in corporibus gloriosis nulla erit imperfectio, 
Ergo nec aliquis motus. 

, 9. Preterea , omnis motus fit propter indi- 


gentiam, quia omne quod movetur, movetur 
propter adeptionem alicujus finis. Sed corpora 
gloriosa non habebunt aliquam indigentiam ; 
quia, nt Augustinus dicit, «ibi erit quidquid 
voles, non erit quidquid noles. » Ergo non 
movebuntur. 

3. Preterea, secundüm Philosophum in If. 
De celo et mundo (text. 64 et 66), « illud 
quod participat divinam bonitatem sine motu, 
nobilius participat illam, quàm quod participat 
illam cum motu. » Sed corpus gloriosum nobi- 
liùs participat divinam bonitatem, quàm aliquod 
ahud corpus. Cüm ergo quadam alia corpora 
omnino sine motu remaneant, sicut corpora 
cœlestia, videtur quód multà fortiüs corpora 
humana. 

&. Praeterea, Augustinus dicit quód «anima 
stabilita in Deo stabiliet corpus suum conse- 
quenter. » Sed anima ita erit in Deo stabilita, 


6 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIY, ARTICLE 2. 


qu'elle n'en recevra plus aucune sorte de mouvement. Donc le corps à son 
tour ne recevra plus aucun mouvement de l'ame. 

6° Plus un corps a de dignité, plus doit être élevé le lieu qu'il occupe. 
De là vient que le corps du Christ, évidemment le plus noble et le plus 
digne de tous, occupe le lieu le plus éminent, comme l'indique l'Apótre 
Hebr., VII,96 : aT] a été élevé au dessus des cieux; » et la Glose ajoute : . 
« par le lieu et par la dignité. » Chaqne corps glorieux aura pour la méme 
raison une place correspondante à sa propre dignité. Or cette convenance 
du lieu est une chose qui tient à la gloire des saints. Cette gloire ne devant 
doncjamais varier ni en plus ni en moins, puisqueles Saints sont absolument 
arrivésauterme, il paraît queleurscorps ne devront jamais s'écarter du lieu 
qui leur aura été déterminé, et que dés lors ils ne pourront se mouvoir. 

Mais nous voyons le contraire, d'abord /8a., XL, 31 : «Ils courront, et ne 
ne prendront aucune peine ; ils marchberont , et n'éprouveront pas de fa- 
tigue; » puis Sap., III, 7 : «Ils seront comme des étincelles qui courent 
parmi les roseaux. » Donc il est un mouvement qu'il faut attribuer aux 
corps glorieux. 

(Conczusion. — De méme que le corps glorifié du Christ a été visible- 
ment mû, dans son ascension, par exemple ; de méme les corps des bien- 
heureux se mouvront à leur gré et par leur propre agilité. ) 

Il faut nécessairement admettre que les corps des saints seront suscep- 
tibles d'un mouvement local; car le corps du Christ s'est mà d'une ma- 
niére évidente quand il est monté aux cieux; et les corps des Saints se 
mouvront également quand ils sortiront de la terre et s'éléveront vers le 
ciel empyrée. Mais, méme aprés qu'ils seront entrés dans les cieux, il 
est probable qu'ils se mouvront encore au gré de leur propre volonté, soit 
pour glorifier la sagesse divine en manifestant en acte ce qu'elle leur a 





quód nullo modo ab eo movebitur. Ergo nec in 
. Corpore erit aliquis motus ab anima. 

5. Præterea, quantd corpus est nobilins, 
tant debetur ei locus *nobilior : unde corpus 
Christi, quod est nobilissimum, habet locum 
eminentiorem inter cætera loca, nt patet Hebr., 
VII : « Excelsior colis factus ; » Glossa : « Loco 
et dignitate (1). » Et similiter unumquodque 
corpus gloriosum habebit eadem ratione locum 
Sb! couvenientem secundüm mensuram sua 
dignitatis, Sed locus conveniehs est de perti- 
gentibus ad gloriam. Cüm ergo post resurrec- 
Honem gloria sanctorum nunquam varietur, 
neque in plus, neque in minus (quia tunc erunt 
omnino in termino ), videtur quód eorum cor- 
pora nunquam de loco sibi determinato rece- 
' dent ; et ita non movebuntur. 


Sed contra est, quod dicitur Jsai., XL : 
& Current , et non laborabunt ; ambulabunt , et 
nen deficient ; » et Sap., II[* a Tanquam scin- 
tillæ in arundineto discurrent. » Ergo erit ali- 
quis motus corporum gloriosorum. 

( ConcLusio. — Sicut corpus Christi glori- 
ficatum in ascensione motum est, ita et corpora 
gloriosa movebuntur agilitate suf, ut eis libi- 
tum fuerit.) 

Respondeo dicendum, quód corpora gloriosa 
aliquando moveri necessarium est ponere, quia 
et ipsum corpus' Christi motum est in ascen- 
sione ; et simililer corpora sanclorum, que de 
terra resurgent, ad colam empyreum ascen- 
dent. Sed etiam postquam cœlos conscende- 
riot, verisimile est quód aliquando movebuntur 
pro sus libito voluntatis, ut illud quod habent 


(1) Non sic temen in eum locum Glossa, sed sic tantüm : Et ezcelsior cœlis, id est omni 


ealesté ereaturd, quia 


ewn omnes angeli adorant. Illud autem aliud quod bic ex ea refert 


DE L'AGTLITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 7 
donné en pürsSante, soit pout contempler la ravissante beauté des di- 
verses érdátürés , &n qui reluit éminemment cette même sagesse (1). Le 
sens, en effet, n'ést en acte que par la présence de l'objet, bien que la sen- 
sibilité des corps glorieux soit incomparablement plus vive que notre sen- 
sibilité actuelle. N ne faut pas croire néanmoins que leurs mouvements 
puissent en rien nuire à leur béatitude, puisque celle-ci consiste dans la 
vision de Dieu et que cette vision leur est partout présente. C'est ce que 
saint Grégoire dit des anges, homil. in Evang., XXXIV : « Où qu'ils soient 
envoyés, ils ne sortent pas de Dieu. » | 
Je réponds düx árguüments : 1° Le mouvement local ne produit aucun 
changement dans la nature intrinséque d'une chose, il ne touche qu'à ce 
qui lui est extrinsèque. Une chose soumise à ce genre de mouvement peut 
avoir sa perfection intrinsèque, comme il est dit Physic., VIIL, 17, bien 
qu'il y ait en elle une sorte d'imperfection relativement aux divers lieux 
qu'elle peut occuper; car lorsqu'elle est réellement dans l’un , elle est sim- 
plement en puissance par rapport aux autres, n'ayant pas comme-Dieu le 
privilége de l'ubiquité. Mais une telle défectuosité ou l'absence d'un tel 
privilége n'a rien de contraire à la perfection de la gloire, pas plus que 
d’autres défectuosités de même nature, comme, par exemple, d'avoir été 
créé, d’être sorti du néant. Il faut donc admettre de semblables défauts 
dans les corps glorieux. 
2° Quand on dit qu'un êtré a besoin d'une chose, cela peut s'entendre 
(1) A quoi serviroit d'ailleurs cette propriété, si jamais elle ne devoit être réduite en acte? 
Concevroit-on méme un corps animé, vivant, uni à une ame immortelle, bienbeureuse, par- 
venue au séjour de la perfection, et qui cependant tie se mouvroit Jamais, setoit condamné à une 
immobilité absolue? Ne pourroit-on pas dire qu'en cela du moins Dieu avroit fait une chose inutile, 
puisqu'il auroit donné à l'homme une faculté dont l'homme ne feroit jamais usage ? C'est donc un 
axiome de philosophie, fréquemment invoqué parsaint Thomas; quise trouveroit démenti par tme 
semblable hypothése. N'oublions pas, enfin, le principe général d'après lequel on recóntioft que 


Jes corps glorieux doivent posséder les qualités distinctives énumérées plus haut: Ii sbtont de 
Ja sorte un plus docile instrument de l'ame ; le corps sera plus parfaitement soumis au principe 





in virtute, actu exercentes, divinam sapientiam | tus non variat aliquid eorum quæ strat intranea 
comthendabilem ostendant; et ut etiam visus | rei, sed solüm id quod est extra rem, scilicet 
eorum reficiatur pulchritudine creaturarum di- | locum. Unde illud quod movetur iota locali , 
versarum, in quibus Dei sapientia eminenter | est perfectum quantum ad ea qus sunt intra 
relcebit. Sensus enim non polest esse nisi rem, ut dicitur in VIII. PAysic. (text. 17 et 
præsentiom, quamvis magis a longinquo possint | 87), quamvis habeat imperfectionem respectu 
sentire Cdrpora gloriosa, quàm non gloriosa, ut | loci; quia dum est in uno loco, est in potentia 
guptà (qu. $, art. 4, ad 6). Néc tamen per : ad alium locum, quia non potest esse acta in 
motum aliquid deperibit eorum beatitudini, que ; pluribus locis simul ; hoc enim solius Dei est. 
consistit in visione Dei, qnam ubique presen- | Hic autem defectus non repugnat perfectioni 
tem habebatit; &icot et dé angelis dicit Grego- | glori , sicut nec defectos quód creatura est 
rius, qudd «intra Dbui currunt quocumque | ex nihilo. Et ideo manebunt defectus hujas- 
wáltanttt. » | modi in corporibus gloriosis. 

Ad primum ergo dicendum, quód lncalis mo- | Ad secundum dicendam, quód aliquis dicitur 


8. Thomas, habet potiès ad Hebr, 1, ubi Filius Dei dicitur sedens ad dezieram mojestatís 
da excelsis. Expressó quippe ibi ait quód (& éxcoltis, éd est iupef omnia lbco et dignitate. 


8 SUFPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE 2. 


de deux maniéres, d'une maniére absolue ou d'une maniére relative. 
Absolument parlant, un être a besoin d'une chose sans laquelle il ne sau- 
roit conserver son existence ou méme sa perfection. Ce n'est pas ainsi 
que les corps glorieux possédent la faculté de se mouvoir; la béatitude 
leur suffiroit sans cela. Relativement, un étre a besoin d'une chose sans 
laquelle il ne poürroit pas atteindre la fin qu'il se propose, ou l'atteindre 
aussi bien, ou l'atteindre de la méme manière. C'est ainsi que la faculté 
de se mouvoir localement est donnée aux bienheureux ; ils ne pourroient 
pas manifester en eux la puissance motrice, à moins qu'ils ne se meu- 
vent en réalité. Rien n'empéche que des besoins ainsi compris ne se trou- 
vent au sein méme de la gloire. 

3° Cet argument seroit concluant si un corps glorieux ne pouvoit sans 
ge mouvoir participer à la bonté divine, d'une manière plus parfaite que 
les corps célestes. Mais cela n'est pas. Si donc les corps glorieux se meu- 
vent, ce n'est pas pour arriver à la pleine participation de la bonté di- 
vine, puisqu'ils la possédent déjà par la gloire, c'est afin de manifester 
la puissance de lame. Les corps célestes , au contraire, ne pourroient en 
se mouvant manifester d'autre puissance que celle qu'ils ont sur les corps 
inférieurs, comme étant le principe moteur des diverses modifications 
qu'ils éprouvent. Ceci ne s'applique nullement à Yétat de la gloire; et 
voilà pourquoi ce raisonnement est sans valeur. 

4* Le mouvement local ne diminue en rien la stabilité de l'ame dans 
son union avec Dieu ;,car, comme nous l'avons dit, il ne touche qu'à ce 
qui est extrinséque. 

5° Le rapport qui existe entre le lieu assigné à chaque corps glorieux 
et la dignité de ce corps, tient à la récompense accidentelle. Mais il ne 
immatériel avec lequel il concourrs de nouvesu à ne former qu'un seul étre. Que seroit un 


instrument doué d'sdmirsbles aptitudes, mais à la condition que ces aptitudes n'auroient 
éternellement aucune application réelle? 





dupliciter indigere aliquo, scilicet simpliciter et 
secundüm quid. Simpliciter quidem indiget ali- 
quis illo sine quo non potest conservari in esse, 
vel in sua perfectione. Et sic motus in corpo- 
ribus gloriosis non erit propter aliquam indi- 
gentiam, quia ad hec omnia sufliriet eis sua 
beatitudo. Sed secundüm quid indiget aliquis 
illo sine quo non potest aliquem finem inten- 
fem habere, vel non ita benè, vel tali modo. 
Et sic motus erit in beatis propter indigentiam; 
non enim poterunt manifestare virtutem moti- 
vam in seipsis experimento , nisi moveantur. 
Hujusmodi enim indigentias nihil prohibet in 
corporibus gloriosis esse. 

Ad terium dicendum, quód ratio illa pro- 
cederet, si corpus gloriosum non posset etiam 
sine motu participare divinam bonitatem, mult) 


perfectiüs quàm corpora coelestia ; quod falsum 
est. Unde corpora gloriosa non movebuntur ad 
consequendam perfectam divine bonitatis par- 
ticipationem (hanc enim habent per gloriam), 
sed ad demonstrandam virtutem anima. Per ' 
molum autem corporum calestium non posset 
demonstrari virtus eorum , nisi quam habent 
in movendo corpora inferiora ad generationem 
et corruptionem ; quod non competit illi statui. 
Et ideo ratio non procedit. 

Ad quartum dicendum, quód localis motus 
nihil diminuit de stabilitate ab anima stabilita 
in Deo , cüm non sit secundüm aliquid intrin- 
secum rei, ut dictum est. 

Ad quintum dicendum, quód locus congruus 
unicuique glorioso corpori deputatus secundüm 
gradum sus dignitatis, pertinet ad premium 


DE L'AGILITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 9 


suit pas de là que cette récompense recoive un amoindrissement quel- 
conque, bien que le corps se trouve en dehors de ce lieu. Ce n'est pas en 
tant qu'il renferme actuellement le corps que le lieu concourt à la récom- 
pense ; il n'ajoute rien à la gloire du corps, c'est lui plutót qui en recoit 
une.certaine splendeur. Il fait uniquement partie de la récompense éter- 
nelle en ce qu'il est en rapport avec les mérites acquis; et la joie qui en 
résulte accompagne les saints alors méme qu'ils s'éloignent de ce lieu. 


ARTICLE III. 
Les saints se meuvent-ils d'une manière instantanée ? 


11 paroit que les saints se meuvent d'une manière instantanée. 1o Saint 
Augustin dit De Civit. Dei, XXII, ult. : «Le corps sera aussitôt par- 
tout où l'esprit le voudra. » Or une volition de l'esprit dans le but de se 
transporter quelque part, est un mouvement instantané. Donc le mouve- 
ment d'un corps glorieux l'est aussi. | 

% Le Philosophe, Physic. IV, 11, établit qu'il n'ya pas de mouvement 
à traverser le vide, par la raison que ce mouvement seroit instantané, le 
vide ne pouvant opposer aucune résistance à l’objet mis en mouvement 
comme le fait un espace occupé. Il n’y auroit plus dés lors aucune pro- 
portion entre le mouvement qui s’accompliroit dans le vide et celui qui 
se fait dans un milieu, puisque la proportion de vélocité entre deux mou- 
vements se fonde en partie sur les diverses résistances qu'opposent les 
milieux traversés. Or, entre deux mouvements qui s'accomplissent dans 
un temps déterminé, on peut toujours établir la proportion de vélocité, 
un temps se trouvant toujours dans une certaine proportion avec un au- 
tre temps. Mais, par voie de similitude, un milieu quelconque ne pou- 
vant opposer de résistance à un corps glorieux, pas plus que le vide n'en 
oppose à un autre corps, puisqu'un Corps glorieux passe à travers un 





accidentale. Non tamen oportet quód diminua- 
tur aliquid de premio, quandocumque est extra 
jocum illum; quia locus ille non pertinet ad 
premium secundüm quèd actu continet corpus 
locatum (cüm nihil influat in corpus gloriosum, 
860 magis :@cipiat splendorem ab eo ), sed se- 
cundüm quód est debilus pro ments : unde 
gaudium de tali loco manet etiam ei qui est 
extra locum suum. 


ARTICULUS III. 
Utrum sancti moveantur in instanti. — 


Ad tertium sic proceditur. Videtur quàd sancti 
moveantur in instanti. Augustinus enim, lib. 
XXII. De Civit. Dei (cap. ult. ), dicit quód 
« ubicumque voluerit spiritus , ibi erit et cor- 


pus. » Sed motus voluntatis, secundüm quem 
spiritus vult alicubi esse, est in instanti. Ergo 
et motus corporis erit in instanti. 

2. Praeterea, Philosophus in IV. Physic, 
(text. 74), probat quód non fit motus per va- 
cuum, quia oporteret aliquid moveri in instanti, 
quia vacuum non resistit aliquo modo mobili , 
resistit autem plenum; et sic nulla proportio 
in velocitate esset motüs qui fit in vacuo , ad 
molum qui fit in pleno, cüm proportio motuum 
in velocitate sit secundüm pioportionem resis- 
tenti quæ est in medio. Omnium autem duo: 
rum motuum qui fiunt in tempore, oportet esse 
proportiouales velocitates , quia omne tempus 
omni tempori proportionale est. Sed similiter, 
nullum spatium plenum potest resistere corport 
glorioso, quod polest esse cum alio corpore i2 


10 BUPPLÉMENT, QUESTION LxXXIV, ARTICLE 3. 
autre et occupe le intime lieu, ü'importe la manière dont cela b produit, 
il s'ensuít qué, &i le8 corps des saints se Meuvétit, ils sé ttienvent instan- 
Tánétheht. 

3° La paissätice d’une &me glorifée su?passe d’une mañièré en quelque 
borte incomparable là puissance d'uné ame non glorifiée. Or celle-ci eut 
le corps dans uh espace de tefñps. Donc celle-là lé meüut d'une rhänière 
insiantänée. . 

ko Un être qui parcourt avec la méme promptitude une petite ou une 
grande distance, se meut d'uhé maniéré instantanée. Or tel est le mou- 
vement des corps glorieux; ear, quelle que soit la distance qu'ils aient à 
parcourir, ils la parcourent dans un temps imperceptible. De là cette pa- 
role de saint Augustin : à Un corps glorieux franchit ávec la même célé- 
rité des intervalles inégaux, comrhe le fait uh rayon du soleil.» Donc un 
tel corps sé métit inistahtahément. —— 

5° Tout mouvement s’aécomplit, où dans ün espace dé temps , ou d'urie 
manière instantanée (1). Or les corps des saints après la résurtectióh tle 
se mouvront plus dans le temps; car àlots «le temps ne sera plüs,» 
Apoc., 1. Donc leuts mouvements setont des mouvements instantanés. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Dans tout mouvement local la 
même division doit tomber sür l'espate, le inouvenient lui-même Et le 
teinps, comme il ést catégóriquement démontré Physic., VI. Or l'espace 
parcoutu par un corps glotieux est assurément divisible. Donc le mouve- 
ment et le temps le sont aussi. Mais ce qui est instantarié n'est pas divi- 
sible. Dónc le mouÿemerit des cotps glorieux ne sera pas instantané. 

(1) Le dilemme posé dans cette majeure, détermine le sens qu'il faut attacher au mot in4- 
(eMahé, par lequel nous traduisons l'expression latine ín énstanti, employée par l'auteur. 
C'ent là dessus que porte la question traitée dans tet article. SiPon saísissoit mal ou vaguement 
66 sens, on seroit dans l'impossibilité de rien comprendre à la thése clle-rhéme. Dans la pen- 
sée du continuateur de saint Thomas, il y,a deux mouvements, du moins aux yeux de la rai- 
von : le mouvement qui exige pour s’accorhplir dn certain laps de témps; et celui qui s'accohn- 


pliroit sans qu'un temps quelconque lui füt nécessaire. Cela posé, la démonstration a pour but 
d'établir que le mouvement des corps glorieux est nécessairement du premier genre ; et cela, 





térvalla pari celerllatà pettingit, dt rdüius só- 


eodem loco, duüedfigüe modt Hat, sicut nec 
| lis. » Ergo corpus gloriosuri thovetur in in5- 


ViWón ari corpori. Ko, si movetur, in 


thstáwti wigvébitor. 

B. Preteféa, Virlas anima gloHfiéale quasi 
htiproportiotialfter excedit virtutéc thithæ non 
fférifiéate. Séd imita noh glorifitata iiovet 
bdrpus ib témpore. Ergó anima glotifitath mo- 
vét corpus iti instanti. 

4. Piertétéd , üriné quod tAovétdr builtitir 
a ad propinduüiti et distáns, movetér in inc 
fisati. Sed mótus cotporis glotiosi est talis; 
(uia, ad quanturieunsque distans dpatiim mo- 
véatur, in femipore impéreeplibili movetur. 
Unde Augestirs &ieit in Qitbstlon. dé rerür: 
Aectióné, dubé « corpus gloriobum wtreque ins 


tanti. 

5. Præterea, omine quod movetut, vel mové- 
tat in tempore, vel in instanti. Sed torpds glo- ' 
tiosuni post fesürrétlionerii nón movebilü if 
lempore ; quia tunc « tempus noh etit, 3 ut di- 
citur Apoc., X. Ergo motus ille erit in instanti. 

Sed contra : in motu locali spatium et motus 
et lempus simul dividanter,; wt demonetrativè 
probatur in VI. PAysic. Sed spatium quod 
lransit corps gloriosurti pér Suttin miotuii, est 
divisibile. Ergo et siófus divisibllis est, ét tem- 
pus divisibile. fnskdns ddtém non dividitür. 
Ergo et tnotds iBé iibn érit ftt institit. 


DE L’AGILITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 


11 


Une chose ne sauroit être en méme temps tout entière dans un lieu 
et en partie dans un autre, puisqu'il s'ensuivroit qu’une même chose s8 


trouveroit en deux endroits à la fois; 


ce qui répugne. Or tout objet mis en 


mouvement est en partie dans le point de départ et en partie dans le 
terme où il tend, Physic.. VI; tandis que ce qui a été mà est tout entief 
au terme d'arrivée. Il ne se peut donc pas qu'un même mouvement ss 
continue en méme temps et soit terminé. C'est là néanmoins ce qu'óh 
peut dire d'un mouvement instantané. Donc tel ne sauroit être celui des 


corps glorieux. 


(CowcLusioN. — Les corps glorieux conservant leur nature de corps et 
devant par là même occuper un lieu déterminé, se meuvent nécessaire- 
ment dans le temps; tout ce que la puissance de l'ame glorifiée peut faire, 
c’est que ce temps soit imperceptible, à force d’être court. ) 

Cette question a donné lieu à bien des opinions diverses. Les uns ont 
prétendu qu'un corps glorieux va d'un endroit à un autre sans traverse? 
le milieu qui les sépare, tout comme notre volonté et notre pensée peu- 
vent le faire. Ils concluent de là que les corps glorieux se meuvent ins- 
tantanément, comme la volonté elle-même. Mais cela ne sauroit être ad- 
mis, par la raison qu'un corps, même dans l'état de gloire, ne sauroit 
S élever à la dignité de la nature spirituelle, pas plus qu’il ne peut cesser 
d'étre corps. Quand nous disons donc que notre volonté ou notre pensée 
vont d'un point à un autre, co n'est pas qu'elles s’y transportent pdr leur 
essence méme, puisque cette essence ne peut être renfermée dans aucun 
lieu ; c'est uniquement par l'intention que l'ame va ainsi d'un lieu à un 
autre , et le mouvernent ne peut luí étre attribué que dans ce sens. 

— D'autres reconnoissent qu'un corps glorieux doit nécessairement et 


pour la raison que ces corps ne dépouilleront pas leur nature eonstitutive, bien qu'ils soient 
rendus spirituels, comme s'exprime l’Apôtre; te qui veut diro uniquement, semblables à 1a 


nature spirituelle. 





Preterea, non potest esse aliquid simul to- 
tum in uno loco et partim in alio, quia seque- 
retur quód altera pars esset in duobus locis si- 
mul, quod esse non potest. Sed omne quod 
movetur, partim est in termino à quo, et par- 
tim in termino ad quem , ut ostetisum est in 
Vl. Pfysic.; omne autem quod motum est, 
totum est in termino ad est motus. Non 
ergo potest esse qubd simul moveatur et motum 
sit Sed omnequod movetur in instanti, simul 
1novetur et molum est. Ergo motus localis cor- 

. poris gloriosi non poterit esse in instanti. 

(ConcLusio. — Corgora gloriosa cüm ma- 
neant in natura corporis, ideoque determinatum 
situm habeant, in tempore moventur; et virtus 
animae glorilicatæ tantummodd efficere potest 
ut in tempore, sed propter brevitatem imper- 
ceptibili, moveatur. ) 


Respondeo dicendum, quód circa hoc est 
multiplex opinio. Quidam enim dicunt quód, 
corpus gloriosum transit de uno loco in alium, 
sine hoc quód pertranseat medium; sicut et vo- 
luntas de uno loco transfertur ad alium sine loc 
quód pertranseat medium. Et propter hoc pe- 
test corporis gloriosi motus esse in instauli, 
Sicut eliam voluntatis. Sed hoc non potest etare 
quia corpus gloriosum nunquam perveniet ad 
nobilitatem nature spiritualis, sicut nunquam 
desinet esse corpus. Et prseterea voluntas, cüm 
dicitur moveri de uno loco in alium, non trans- 
fertur essentialiter de loco in locum, quia neue 
tro locorum illorum essentialiter continetur, 
sed dirigitur in unum locum , postquam fueraf 
directa per intentionem ad du ; et pro tanto 
dicitur moveri de loco ad locum. 

Et ideo alíi dicunt quàd corpus gloriosum 


13 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE 3. 


d’après les conditions inhérentes à la nature corporelle, traverser le mi- 
lieu qui sépare les deux points opposés de son mouvement, et que par là 
il ne peut se mouvoir que dans le temps. Mais ils veulent qu’en vertu de 
son état de gloire, qui lui communique une puissance comme infiniment 
supérieure à celle de la nature, il ait la faculté de se transporter d'un 
point à un autre sans franchir le milieu , et que de la sorte il se meu- 
ve instantanément. Mais cela implique contradiction, il est impossible 
qu’il en soit ainsi. Voici comment on peut le démontrer : Supposons un 
corps qui se meuve de À en B, représentons ce corps par Z. ll est évident 
que tant que Z demeure tout entier en A , il est sans mouvement ; et de 
méme quand il est tout entier en B, parce qu'alors le mouvement est ter- 
miné. Quand il se meut donc, il faut qu'il ne soit ni tout entier en A ni 
tout entier en B. Ou il n'est nulle part, ou bien il est alors partie en A et 
partie en B, à moins qu'il ne soit sur un point intermédiaire, le point C 
par exemple; et ce dernier point étant donné, il pourroit encore étre , ou 
bien partie en A et partie en C, ou bien partie en C et partie en B. Ce 
qu'on ne peut pas dire , c'est qu'il ne soit nulle part, puisqu'il faudroit 
dans ce cas admettre une quantité mesurable qui n'occupe aucun espace, 
C'est-à-dire une impossibilité. On ne peut pas davantage admettre que ce 
corps soit partie en A et partie en B, sans occuper d'une certaine façon l'es- 
pace, intermédiaire; car, comme nous supposons que B est un point distant 
de À, ges deux points étant dés lors séparés par un intervalle, en supposant 
que le corps Z n'occupe pas cet intervalle, il faudroit que la partie de ce 
corps qui est en B se trouvát séparée de celle qui est en A. Il reste donc 
que ce corps doit étre tout entier en C, ou bien partie en C et partie sur 
un autre point intermédiaire de C en A, le point D par exemple ; et le 
raisonnement pourroit ainsi se poursuivre indéfiniment. Z ne sauroit donc 
parvenir de A en B sans parcourir tous les points intermédiaires. Pour 
échapper à cette conséquence, il faudroit dire qu'il parvient de A en B 
sans jamais se mouvoir; ce qui implique une contradiction manifeste, 





habet de proprietate nature suæ, qua corpus 
est, quód pertrarseat medium, et ita quód mo- 
veatur in tempore; sed virtuteglorie, qua habet 
infinitatem quamdam supra virtutem nature, 
habet quód possit non pertransire medium, et 
sic in instanti moveri, Sed hoc non potest esse, 
quia implicat in se contradictionem. Quod sic 
patet: sit aliquod corpus quod moveatur de A 
in B, et corpus motum sit Z; constat qudd Z 
quamdiu est totum in A, non movetur ; simi- 
liter nec quando est totum in B, quia tunc mo- 
tum est. Ergo, si aliquando movetur, oportet 
quód neque sit totam in À, neque totum in B. 
Ergo quando movetur, vel nusquam est, vel est 
partim in A et partim in B, vel totum in alio 


loco medio, putà in C, vel partim in A et 5, 

vel partim in C et B. Sed non potest poni qud 
nusquam Sit, quia sic esset aliqua quantitas di- 
meusiva, non habens situm, quod est impossi- 
bile. Neque potest poni quód sit partim in A 
et partim in B, et non sit in medio, aliquo modo, 
quia cüm B sit locus distans ab A, sequeretur 
(medio interjacente) quàd pars Z quæ est in B, 
non esset continua parli quæ est in A. Ergo 
restat quèd vel sit totum in C, vel partim in eo, 
partim in alio loco, quod ponetur medium inter 
C et A, putà D, et sic de aliis. Ergo oportet 
quód Z non perveniat de A in B, nisi priüs sit 
in omnibus mediis , nisi dicatur quàd pervenit 
de À in B, et nunquam movetur ; quod imp..- 


DE L'AGILITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 13 


puisque le mouvement local n'est précisément antre chose que le passage 
d'un lieu à un autre. Le méme raisonnement s'applique à tout change- 
ment qui a deux termes opposés dont chacun est une chose positive. Mais 
jl n'en est plus ainsi des changements dont un terme seulement est po- 
sitif, l'autre n'étant qu'une simple privation ; car entre l'affirmation et 
la négation ou la privation il n'y a pas une distance déterminée; si bien 
que la négation, ou mieux la chose négative par rapport à telle affirma- 
tion donnée, peut se trouver plus ou moins éloignée de cette affirmation, 
et réciproquement, ce qui dépend de certaines causes qui peuvent influer 
sur la transition d'une chose à l'autre. Ainsi , quand ce qui se meut étoit 
avant de se mouvoir une chose entiérement négative, le changement s'ac- 
complit dans le sens de l'affirmation, et encore ici la réciproque est vraie. 
Dans ce cas on peut évidemment distinguer entre le changement qui s'o- 
père et le changement opéré, comme le démontre Aristote Physic., VI, 
40. Mais on ne sauroit dire cela du mouvement des anges ; le mouvement 
local n'est méme appliqué à ces esprits purs que par une sorte d'analogie. 
Tl résulte de tout cela qu'un corps ne peut en aucune facon aller d'un lieu 
à un.autre sans passer par tous les points intermédiaires. 

D'autres accordent cela ; mais ils soutiennent que les corps glorieux se 
meuvent néanmoins d'une maniére instantanée. Dans cette opinion, un 
corps glorieux occuperoit simultanément deux lieux différents, ou méme 
un plus grend nombre, c'est-à-dire les deux termes opposés et tous les 
points intermédiaires ; et c'est là ce qui ne sauroit étre. A cela ils répon- 
dent que l'instant est le méme en réalité, mais qu'il diffère aux yeux de la 
raison, ou par une abstraction de l'esprit, comme on peut le dire d'un 





cat contradictionem , quia ipsa successio loco- 
rum est motus localis. Et eadem ratio est de 
qualibet mutatione quæ habet duos contrarios 
terminos, quorum utrumque est aliquid posi- 
tivà. Secus autem est de illis mutationibus que 
babent unum terminum tantüm positivum, et 
puram privationem; quia inter affirmationem et 
negationem seu privationem , non est aliqua 
determinata distautia. Unde quod est in nega- 
tione, potest esse propinquius vel remotius ab 
afrmatione , et à converso, ratione alicujus 
quod eausat alterum eorum, vel disponit ad ea. 
Et sic éem id quod movetur est totum sub ne- 
gatione, mulatur in affrmationem , et à con- 
trario. Unde tiam in eis mutari praecedit mu- 


(1) Sic enim, Wb. VI, text. 40 ac deinceps: 


tatum esse, ut probatur in VI. PAysic. (1). 
Nec est simile de motu angeli, quia esse in loco 
æquivocè dicitur de corpore et de angelo. Et 
sic patet quod nullo modo potest esse quód ali- 
quod corpus perveniat de uno loco ad alium, 
Disi transeat omnia media. 

Et ideo alii hoc concedunt ; sed tamen dicunt 
quód corpus gloriosum movetur in instanti. 
Sed ex hoc sequitur quèd corpus gloriosum in 
eodem instanti sit in duobus locis simul vel. 
pluribus , scilicet in termino ultimo, et in om- 
nibus mediis locis; quod non potest esse. Sed. 
ad hoc dicunt quód quamvis sit idem instans 
secundüm rem, tamen differt ralione, sicut 
punctus ad quem terminantur diverse lines. 


Quod mutatur, discedit ab eo ex quo msta- 


tur, e£ relinquit iud; et aw idem est mutars et relinquere , aut relinquere sequitur 
meuleri , reliquisse ceró mutalum esse, etc. Unde concludit, text. 58, quód mulari prius est 
quém mulatum esse. Quia id porró quod mutatur, cb piraOuXAoy Philosophus appellat, nec 
habemus participium præsens verbi mu/or, ideo quaedam exemplaria Sententiarum legunt , 
Muians prius esse mulato; sed explicandum , pro eo quod mutatur et opponitur ei quod jam 
seipsa mutatum est {meraGeGrxos), non pro eo quod mutat, etc. 


1^ SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE 9. 


point où viennent aboutir plusieurs lignes. Mais une telle raison est in- 
suffisante. L'instant, en effet, distingue et mesure Ia durée d’une chose 
réeltrement existante, et ne porte pas sur une simple abstraction. Peu 
importe donc les divers rapports sous lesquels l'instant sera considéré. 
De telles abstractions ne feront pas que le méme instant puisse mesurer 
des choses qui n'existent pas simultanément ou dans un temps identique. 
On a beau considérer un point sous différents rapports, on ne fera pas 
que sous le méme point local se trouvent placées des choses qui occupent 
des situations diverses. 

Plusieurs disent donc avec plus de probabilité, que Ies corps glorieux 
se meuvent réellement dans le temps, mais dans un temps imperceptible 
tant it est court (1); et ils ajoutent qu’un corps glorieux peut parcourir 
le méme espace en moins de temps qu’un autre corps de méme nature, 
par la raison que le temps, pour si petit qu'on le suppose, est divisible à 
Finfini, comme toute autre quantité. 

Je réponds aux arguments : 19 « Quand il manque trés peu de chose, 
c’est comme gi rien ne manquoit, » Physic., IL, 56. Nons disons, par exem- 
ple, je fais telle chose à l'instant, pour donner à entendre que nous allons 
la faire dans un temps trés-court. C'est ainsi qu'il fant interpréter la pa- 
role de saint kugustin : « Partout où sera la volonté, le corps y sera aussi.» 
On pourroit encore dire qu'il n'y aura jamais dans les bienheureux une 
volonté désordonnée, et que de la sorte ils ne. voudront jamais que leur 

(1) Evidemment c'est ici le sentiment adopté par l'auteur. Il nous paroff. le seu). admissible, 
et l'esprit s’y rattache spontanément, par l'instinct méme de la droite raison et sans recou- 
zir &oette. série de raisobnemente absWwaits: par- lesquels on démontre ici que toute autre opi- 
Bion seroit insoutenable et contradictoire. Au, fond c'est la doctrine. enseijgnée par tans.les 
théologiens ; c’est la manière dont ils entendent l'agilité des corps glorieux. La propriété dont 
il s’egit, une fois admise en principe, la plupart ne supposent pas, ou ne paroissent pas sup- 
poser qu'on puisse l'entendre d'une autre manière. Dans des queslions aussi ardues et telle- 
ment placées en dehors des impressions et dps pensées de la vie présente, ils sont loin d'as- 
pirer à ce degré de précision vers lequel ont constamment tendu les aspirations et les efforts 
de l'Ecole thomistique, Ils semblent plutôt guidés par cette pensée de saint Augustin : « Quels 
devront être les mouvements de ces corps. glorieux ?! C’est ce que Je n'oseroi$ dire; parce que 
je ne saurois imaginer. 11 nous suffit de savoir que leur mouvement, aussi bien que leur repos 


et leur nature, sera tel que l'exige l'ordre le plus parfait, puisque rien de désordonné ne peut 
se concevoir dans la patrie céleste. » 





Sed hoc non sufficit, quia instans mensurat lioc | spatium pertransire quàm. aliud, qnia tempus 
qnod est in instanti secundüm rem, non secun» | quantumcumque parvum accipiatur, est in infi- 
dbm quod consideratur. Unde diversa conside- | nitum divisihile. 
ratio instantis non, facit quód ínstans.possit| Ad primum ergo dicendum, quód « illud quon 
mensurare illa quæ non sunt simul tempore ; | parum. deest, quasi nihil deesse videtur, » ut. 
sicut nec diversa consideratio puncti potest| cicitur in II. PAysic. (text. 56). Et ideo dici- 
facere quid sub uno puncto loci, contineaniur | mus,. statim fucio, quod post modicum tem- 
quæ sunt dislantia situ, pus fie, Et per hunc modun» loquitur Augus- 
EL ideo alii probabiliüs. dicunt. quàd corpue| inus, quód « ubicumque erit voluntas, ibt erit 
gloriosum. movetur in tempore, sed impercep-l:statim: corpus. » Vel. dicendunr quód volantag 
tibili propter brevitatem, et tamen quód unum [nunquam erit inordinata. in beatis. Unde nun- 
cerpus gloriosum potest in minori tempore idem | quam volent corpus suum esse alicubi in aliquo 


PE L'AGILITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 45 


corps soit à tel instant dans um point où il me sauroit être. Cela posé, an . 
peut aisément copcevoip et admettre que le corps se trouve , à tel instant 
, donné, dans le Lieu qui aura été déterminé par la volonté. 

_ @r Quelques-unssa sont élevés contre la proposition du Philosophe, ainsi 
que le Commentateur lni-même Fa fait remarquer. D’après eux , il n'est 
pas nécessaire que la proportion d'un mouvement total à un autre mou- 
vement total soit la méme que celle qui existe entre la résistance des mi- 
lieux; avec cette résistance dea milieux à traverser, il faut combiner le 
retard qui peut en résulter pour chaque genre de mouvement. Chaque 
mouvement, en effet, a plus de vitesse ou de lenteur selon que le moteur 
triemphe plus ou moins facilement du mobile (1), abstraction faite de 
toute résistanee opposée paz le milieu. C'est ce que l'on voit clairement 
dans le mouvement des corps célestes ; rien, que nous sachions, ne s'oppose 
à leur marche; et toutefois ila ne. se meuvent pas d’une manière instan- 
tanée. ils se meuvent dans un temps déterminé d’après la puissance du 
moteur sur le mobile. Il est dès lors évident qu'en supposant qu'un corps 
se meuve dans le vide, il ne s'ensuit pas qu'il se meuve d'une manière 
instantanée; seulement, dans ce.cas, on ne doit rien ajouter à la durée 
du temps que ls mouvement exige d’après le rapport entre la puissance 
du moteur et la force du mobile, vu qu'il n'existe ici aucune cause de re- 
tard. 


| Cette. réponse, somme s'en explique le Commentateur.au même endroit, 


(1) 1 faut. distinguer avec grand soin, avec une parfaite précision, le moteur du mobile, 
la canse. qt le sujet du mouxemyns, sj l'on. veut suivre jusqu'au bout Ja discussion longuement 
développée dans cette réponse. L'idée du mobile, ou de l'objet à mouvoir , étant une fois bien 
établie, la pensée d'Aristote, thème de cette discussion, n’est plus aussi difficile à saisir. La 
voici en spbstance.: Les corps. étant par eux-mêmes, n'importe l'état où l'esprit les considére, 
incapables de se mouvoir, on comprend sans peine qu'ils opposent une sorte de résistance àl'ac- 
tion du moteur; on lesconcoit dés-lors comme un premier obsjacle au mouvement qu'on veut 
leur imprimer;. et cet obstacle, on ne peuten,aucune facon le confondre avec celui qui résulta 





* esce = = 


instanti, in quo. non possit, ibi. esse. Et sie | habet determinatum tempus velocitatis et tardi- 
quodcumque instans voluntas determinabit , in | tatis ex victoria moventis supra while, etiamsi 
eo, corpus erit in. illo. loco quem voluntas deter- |'nihil resistat ex parte medii: sicut patet i& 
minavit. corporibus cœlestibus, in quibus non invenitur 
Ad secundum dicendum , quód quidam con- |'aliquid quod obstet motui ipsorum,; et tamen 
i tradixerunt ili. propositioni quam Philosophus | non moventur in instanti (1), sed in tempore 
inducit in parte illa (ut Commentator ibidem | determinato secundüm proportionem potentia 
dicit), dicentes quód non oportet esse propor- | moventis ad mobile. Et, ita patet quid etiamsi. 
tionem tolius motüs ad totum motum, secundüm | ponatur aliquid moveri in vacuo, non oportebit. 
proportionem resistentis medii ad aliud-medium | quód moveatur iu instanti , sed, qubd nihil ad- 
resistens ; sed oportet quód secundüm propor- | datur tempori quod dehelur motui ex propor- 
tonqm mediorum per qua transitur, attendatur | tioue predicta moventis ad mobile, quia motus, 
proportio retardationum qug accidunt in.moti- |'non retardatur. 
bus. ex resistentia medii. Quilibet enim. motus | Sed hsc responsio (ut Commentator ibidem 


() Id est, nan majori. tempore, moyeatur. quàm. ferat vel requirat hec proportio , cüm ex 
perle medii non sit aliquid quà | retardet vel impediat. ne mobile sequatur actum impulsum- 
que moventis, Juxta proportionem polentiæ quam super ipsum habet movens. 


46 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE 3. 


provient d'une erreur de l'imagination. On s'imagine, en effet, que le ra- 
lentissement du mouvement par la résistance du milieu, est une sorte de 
mouvement qui s'ajoute au mouvement naturel, à ce mouvement dont 
la quantité est déterminée par le rapport entre le moteur et le mobile, 
absolument eomme une ligne s'ajoute à une autre ligne. Et comme dans . 
les lignes la proportion de la ligne totale résultant de cette addition n'est 
plus celle des deux lignes ajoutées, on veut aussi qu'il n'y ait plus la 
méme proportion entre le mouvement total et celui qui résulte des ra- 
lentissements causés par la résistance du milieu. Et c'est là ce que nous 
avons appelé une erreur de l'imagination; car chaque partie du mouve- 
ment possède la méme vitesse que le mouvement total; tandis que cha- 
que partie de la ligne n'a pas évidemment la méme quantité que la ligne 
tout entiére. Ainsi donc la lenteur ou la vitesse qui viennent s'ajouter 
. au mouvement, réagissent sur chacune de ses parties; ce qui ne sauroit 
avoir lieu quand il s'agit des lignes. Il ne faut pas dire, par conséquent, 
que le ralentissement apporté à un mouvement fasse partie de ce mouve- 
ment méme, comme une ligne ajoutée à une autre fait partie de celle-ci. 

Pour bien comprendre donc la démonstration du Philosophe, continue 
toujours le Commentateur, il faut savoir que le tout doit être pris ici dans 
son ensemble ou dans son unité, c'est-à-dire qu'il faut y comprendre la 
résistance du mobile à la puissance du moteur, plus la résistance du mi- 
lieu à travers lequel le mouvement s'accomplit, et enfin une résistance 
quelconque. La quantité du mouvement total est alors calculée d'aprés la 
grandeur de la puissance motrice combinée avec la résistance du mobile, 
quelle qu'elle soit, intrinséque ou extrinséque. Au fond il ne se peut pas 
que le mobile ne résiste d'une certaine facon au moteur, puisque ce sont 
du milieu à traverser. Voilà donc le mouvement comme ralenti, et devenant par la même 
mesurable, indépendamment de la résistance du milieu. Par conséquent, les corps des saints, 


bien qu'affranchis d» cette seconde résistance , demeurent toujours soumis à la premiére ; et 
leur mouvement ne sauroit plus étre rigoureusement instantané. 





dicit) procedit ex falsa imaginatione qua quis 
imaginatur qubd tarditas quæ causatur ex re- 
sistentia medii, sit aliqua pars motüs addita 
motui naturali, qui habet quantitatem secundüm 
proportionem moventis ad mobile, sicut una 
linea additur linee; ratione cujus accidit in 
lineis quód non remaneat eadem proportio to- 
tius ad totam lineam, qua erat linearum addi- 
iarum ad invicem, ut sic etiam non sit eadem 
proportio totius motüs ad totum motum sensi- 
bilem, qui est retardationum contingentium ex 
resistentia medii. Que quidem imaginatio falsa 
est, quia quilibet pars motüs habet tantum de 
velocitate, quantum totus motus; non autem 
qualibet pars lineæ habet tantum de quantitate 
dimensiva, quantum habet tota linea. Unde 


tarditas vel velocitas addita motui, redundat in 
quamlibet partem ejus, quod de lineis non con- 
tingit. Et sic tarditas addita motui non facit 
aliam partem motüs , sicut in lineis accidebat 
quód additum est pars totius lines. 

Et ideo ad intelligendam probationem Phi- 
losophi, ut Commentator ibidem exponit, scien- 
dum est quód oportet accipere totum pro uno , 
scilicet resistentiam mobilis ad virtutem mo- 
venlem , et resistentiam medii per quod est 
motus, et cujuscumque alterius resistentis ; ita 
quód accipiatur quantitas tarditatis totius motüs 
secundüm proportionem virtutis moventis ad 
mobile resistens, quocumque modo, vel ex se, 
vel ex alio extrinseco. Oportet emm semper 
quód mobile resistat aliquo modo moventi, cüm 


DE L'AGILITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 47 


là deux contraires, le principe actif et le principe matériel. Parfois c'est 
de soi que le mobile résiste au moteur, soit qu'il possède une vertu qui 
le porte vers un mouvement contraire, ce qui a lieu dans les mouvements 
violents ou contre nature, soit qu'il occupe une place opposée à celle où 
tend le moteur, et ce dernier genre de résistance se trouve méme dans 
les corps célestes par rapport à leurs moteurs respectifs. Parfois c'est en 
vertu d'une cause étrangére, et non de soi , que le mobile résiste à la puis- 
sance du moteur, comme on le voit dans le mouvement naturel des corps 
graves et des corps légers, ces corps étant portés vers ce mouvement en 
vertu de leur propre forme. Et voici pourquoi : la forme est l'impression 
donnée par l'étre générateur, lequel est aussi le principe du mouvement 
des corps graves ou légers, Or, du cóté de la matiére, il n'existe aucune 
résistance , ni celle qui proviendroit d'une vertu poussant vers un mou- 
vement contraire, ni celle qui auroit pour cause l'opposition des lieux , la. 
matiére n'ayant un lieu déterminé qu'autant qu'elle revét certaines di- 
mensions ou qu'elle est perfectionnée par sa forme naturelle. Il suit de 
là qu'il ne peut y avoir de résistance que de la part du milieu; et cette 
résistance est inhérente à la nature méme du mouvement dont il s'agit. 
]l est des cas néanmoins ou la résistance provient et du mobile et du mi- 
lieu, c’est ce qu'on voit dans les animaux. Mais quand la résistance dans 
le mouvement ne vient que de la part du mobile, comme cela a lieu dans 
les corps célestes, la rapidité du mouvement se calcule alors sur le rap- 
port du moteur au mobile. Et dans ce cas le raisonnement du Philosophe 
n'a pas son application; car, alors méme qu'il n'y auroit pas de milieu, 
le mouvement s'accompliroit encore dans le temps. Quand il s'agit des 
mouvements dans lesquels il n'y à de résistance que celle du milieu, le 
temps se mesure d’après cette méme résistance. Dans ce cas, si l'on fait 
disparoitre le milieu, il est évident qu'il ne restera plus aucune sorte 
d'obstacle. Et de la sorte, ou bien le mouvement sera instantané, ou bien 





LÀ 


movens et motum, agens et patiens, in quantum 
hujusmodi, sint contraria. Quandoque autem 
invenitur resistere mobile moventi ex seipso, 
vel quia habet virtutem inclinantem ad contra- 
rium motum, sicut patet in motibus violentis ; 
vel saltem quia habet locum contrarium loco 
qui est in intentione moventis , cujusmodi re- 
s'stentia invenitur etiam corporum celestium 
&! suos motores. Quandoque autem mobile re- 
s:stit virtuti moventis ex alio tantüm, et non 
cx seipso, sicut patet in motu naturali gravium 
et levium, quia per ipsam formam eorum incli- 
nantur ad motum talem. Est enim forma im- 
pressio generantis, quod est motor per se gra- 
vium et levium. Ex parte autem materie non 
invenitur aliqua resistentia , neque virtutis in» 
Cjnantis ad contrarium motum, neque contrarii 


ivl 


loci, qnia locus non debetur materie nisi se. 
cundüm quód sub dimensionibus consistens 
perficitur formá naturali: unde non potest esse 
resistentia nisi ex parte medii; que quidem 
resistentia est motui eorum connaturalis. Quan- 
doque autem est resistentia ex utroque, sicut 
patet in motibus animalium. Quando ergo in 
motu non est resistentia nisi ex parte mobilis, 
Sicut accidit in corporibus celestibus, tunc 
tempus motüs mensuratur secundüm propor- 
lionem motoris ad mobile. Et in talibus non 
procedit ratio Philosophi, quia, remoto omni 
medio, adhuc manet motus eorum in tempore. 
Sed in illis motibus in quibus est resistentia ex 
parte medii tantüm, accipitur meusura tempo- 
ris secundüm impedimentum quod est ex medio 
solüm : unde, si subtrahatur omnino medium, 


48 ' SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIV, ARTICLE 3. 


3l s'accomplira dans le vide dans le méme temps qu'à travers un milieu 

En admettant, en effet, que le mouvement exige un certain temps , bien 
qu'il s’accomplisse dans le vide, ce temps pourra s'apprécier d’après son 
rapport avec celui qui mesureroit un mouvement à travers un milieu. Il 
est toujours possible d'imaginer un corps qui soit proportionnellement 
plus subtil que le milieu d’abord supposé; et si.l'on en remplit un espace 
égal, le mouvement qui s'accomplira à travers ce milieu aura lieu dans 
un temps aussi court qu'il avoit d'abord lieu dans le vide; car plus on 
ajoute à la subtilité du milieu, plus on retranche de la longueur du 
temps, par Ja raison que le milieu résiste d'autant moins qu'il est plus 
"are. Maie dans les mouvements où la résistance provient à la fois du 
Aobile et du milieu, le temps se calcule d’après cette double résis- 
tance. Par conséquent, en supposant méme que le milieu disparoisse ou 
n'oppose aucune résistance , il ne s'enguit pas que le mouvement soit 
instantané; seulement il faut alors mesurer le temps d’après la seule ré- 
sistance du mobile. Et dans ce cas, peu importe que le mouvement s'ao- 
complisse dans le vide ou à travers un milieu, pourvu «qu'on imagine ce 
milieu comme extrómement subtil; car plus est grande la subtilité qu'on 
assigne au milieu, moins il fera obstacle à la rapidité du mouvement. On 
pourra donc supposer un milieu tellement subtil que sa résistance soit 
inférieure à celle du mobile; de telle sorte qu'elle ne contribue pas à la 
lenteur du mouvement. Bien donc que les corps glorieux ne trouvent pas 
de résistance dans le milieu qu'ils parcourent, puisqu'ils peuvent occu- 
per ia méme place qu'un autre corps, il ne s'ensuit pas néanmoins que 
leur mouvement soit instantané; car un mobile corporel oppose par lui- 
même, corame occupant un espace déterminé, une résistanoe à la puis- 
sance motrice, ainsi que nous l'avons déjà dit des corps célestes. 





nullum impedimentum remanebit. Et sic, vel | vel non impediat, non sequitur quód motus sit 


movebitur in instanti, vel æquali tempore mo- 
vebitur secundüm vacuum spatium et plenum; 
quia, dato quód moveatur in tempore per va- 
cuum, illud tempus ia aliqua proportione se 
habebit ad tempus in quo movetur per plenum. 
Possibile est autem imaginari alind corpus in 
easdem proportione sublilius corpore quo spa- 
tinm plenum erat; quo si aliud spatium æquale 
impleatur, in tam parvo tempore movebitur 
per illud plenum sicut primd per vacuum, quia 
quantum additur ad subtilitatem medii, tantum 
subtrabitur de quantitate temporis, et quant 
est magis subtile, mins resistit. Sed in aliis 
motibus in quibus est resistentia ex ipso mo- 
bili et ex medio, quantitas temporis est acci- 
pienda secundüm proportionem moventis po- 
lentis ad resistentiam mobilis et mediü simul. 
Unde, dato quèd totaliter medium subtrahatur 


in instanti, sed quód tempus motüs mensuratur 
tantüm ex resistentia mobilis. Neque erii in- 
conveniens si per idem tempus movetur per 
vacuum et per plenum, aliquo subtilissimo cor- 
pore imaginato, quis determinata subtilitas 
medii quantà est major, tanto nata esl facere 
tarditatem minorem in motu. Unde polest ima- 
giuari tanta subtilitas quod erii nata facere 
minorem tardilatem quàm sit illa tarditas quam 
facil resisteutia mobilis; etsic resistentia medii 
nullam tarditatem adjiciet ad motsm. Patet 
ergo quód, quamvis medium nom resistat cor- 
poribus gloriosis, secundüm hoc quód possunt 
esse cum aliocorpore in eodem leco, nibilegi: us 
molus eorum Ron erit ia instabli , quia ipsum 
corpus mobile resistet virtuti moventi ex hoc 
ipso quód habet determinatum situm, sicut de 
corporibus cœlestibus dictam est. 


DE L'AGILITÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 49 


3e Quoique la puissance d'une ame glorifiée surpasse incomparable- 
ment celle d'une ame non glorifée, on ne peut pas dire néanmoins qu'elle 
Ja surpasse à l'infini, l’une et l'autre étant des puissances néoessaire- 
ment finies. I ne suit donc pas de là que l'ame glorifée puisse mouvoir 
le corps d'une manière instantanée. Et alors même qu'elle auroit une 
puissance simplement infinie ou illimitée, il ne s’ensuivroit pas qu'elle 
püt produire un mouvement instantané, à moins qu'elle n'absorbát en 
quelque sorte la résistance qui provient du mobile. On peut concevoir que 
la résistance opposée par le mobile à l'action du moteur et provenant de 
la propension du molle vers nn mouvement contraire, puisse être totale- 
ment absorbée par un moteur doué d’une puissante infinie; mais il ne 
sauroit en être de même de la résistance qui provient du lieu que le 
mobile occupe, différent de celui vers lequel tend le moteur; il fau- 
droit pour cela que le mobile füt dépouillé de son être même, en tant 
qu'il occupe une telle position. Le blanc, par exemple, résiste au noir en 
vertu de sa blancheur méme, et d'autant plus dés lors que sa blancheur 
est plus absolue, c'est-à-dire plus éloignée de la couleur opposée ; de mème 
un corps oppose une résistance au lieu qu'on veut lui faire occuper, par 
la raison toute seule qu'il occupe un lieu différent, et cette résistance est 
d'autant plus forte que la distance est plus grande. Or un eorps doit né- 
cessairement.exister dans un espace ou un lieu, on ne sauroit le conce- 
voir sans cela , c’est une chose inhérente à sa nature de corps, et il faudroit 
le dépouiller de cette nature pour le concevoir autrement. Un corps, tant 
qu'il demeure tel, ne peut donc en aucune façon être mà d'une ma- 
uière instantanée, pour grande que soit la puissance du moteur. Mais 
un corps glorieux conserve toujours samature:de corps. Donc il ne pourra 
jamais être mà instantanément (4). 
(1) Telle est, comme nous l'avons fait remarquer plus baut, la conclusion générale de cette 
longue thèse, la substance móme de La doctrine qui s'y traune déómontnée, :Sanf la différence 


de l'expression, et si nous mettons de côté l'appareil ecientifique, catt em fend d'enseignement 
formulé par les Péres de l'Eglise. Beoutons :saiat Jérôme .en partiauier :: :«. De même.que l'es- 





Ad tertium dicendum, quód quamvis virtus 
anime glorificate excedat iuæstimabiliter vir- 
tutem auinæ non glorificatæ, non tamen exce- 
dit ininfinitum, quia utraque ristus est finita : 
unde non sequitur quód moveat in instanti. Si 


tameh esset simpliciter mfaite wirtulis, non: 


sequeretur quód moveret in instanti, nisi supe- 
raretur toaliter resistentia que est ex parte mo- 
bilis. Quamvis autem resistentia qua mobile 
resistit moventi per contrarietatem quam habet 
ad talem molum ratione inclinationis ad con- 
trarium motum, possit à movente infinite vir- 
tutis totaliter superari, tamen resistentia quam 
fhcit ex contrarietate quam habet ad locum quem 
imtendit motor per motum, non potest totaliter 


superari, nisi auferatur ab eo esse in tali vel 
tati situ. Sicut enim album resistil nigro ra- 
tione albedinis, et tantó magis quantó albedo 
magisdistat à :1igredine, ita corpus resistit ali- 
cui loco per hoc quód habet.locum oppositum, ' 
et tant est májor resistentía quantd est dis- 
tautia major. Non.aulem potest à conpore -re- 
moveri quàd sit in.aliquo loco vel situ, ni 
auferatur ei.sua corporeitas, per quam debetur 
ài locus vel.situs. Unde quamdiu .manel in na- 
tura corporis, nullo modo potest moveri 1n in- 
stanti, quantacumque sit virtus movens. Corpus 
autem gloriosum nunquam suam corporeitatem 
amittet, Unde nunquam in instant moveri po- 
terit. 


3:90. SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXV, ARTICLE 1. 


4° Cette rapidité égale dont parle saint Augustin, veut dire seulement. 
ici que la différence est imperceptible, comme l'est également le temps 
des deux mouvements comparés. 

5° Sans doute aprés la résurrection il n’y aura plus ce temps qui est 
mesuré par le mouvement du ciel (1); mais il n'en résulte pas qu'on ne 
puisse plus distinguer les phases successives de chaque mouvement. 





QUESTION LXXXV. 


De la eiarté des corps des bienbeureux. 


Aprés avoir parlé de l'agilité de ces corps, il ne nous reste plus qu'à 
parler de leur clarté. Là-dessus on demande trois choses : 1° 1o La clarté 
est-elle une chose inhérente aux corps glorieux ? 2 Cette clarté pourra- 

-t-elle être vue par l'ail de celui qui ne sera pas dans l'état de la gloire? 
8° Un corps glorieux sera-t-il nécessairement vu par un corps non glo- 
rieux ? 
prit, quand il est tombé sous l'esclavage de la chair, mérite d'être appelé charnel, de méme 
Je corps est à bon droit nommé spirituel lorsqu'il obéit parfaitement à l'esprit. Ce n'est pas 
certes qu'il soit changé en une substance spirituelle, comme quelques-uns l'ont prétendu, sur 
cette parole de l'Apótre : C’est un corps spirituel qui se lévera; c'est qu'il obéira avec une 
promptitude et une facilité merveilleuses à la volonté de l'esprit, jusqu'à lui étre complétement 
uni par les indissolubles liens de l'immo talité bienbeureuse. 11 n'éprouvera plus rien alors de 
ses souffrances, de ses infirmités, de ses lenteurs actuelles. Il sera incomparablement supérieur, 
non-seulement à ce que nous le voyons dans la santé la plus florissante , mais encore à ce 
qu'il étoit dans l'origine, avant qu'il eût été flétri parle péché. » Super Isa. cap. XX. 


(1) Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de cette hypothèse, quand il sera traité de 
l'état du monde aprés le jugement dernier. 





Ad quartum dicendum , quód par celeritas in| Ad quintum dicendum , quód quamvis post 
cerbis Augustini est intelligenda , quantum ad | resurrectionem non erit tempus quod est nu- 
noc quód est imperceptibilis excessus unius| merus motüs cieli, tamen ent tempus consur- 
fespectu alterius, sicut et tempus totius motüs |.gens ex numero prioris et posterioris in quo- 
est unperceptibile. cumque motu. 





QUÆSTIO LXX XV VEL LXXX VII. 


De claritate corporum beatorum , in (res articulos divisa. 


Deinde considerandum est de claritate cor-|tas illa videri poterit ab oculo non glorioso, 
porum beatorum resurgentium. 8» Utrüm corpus gloriosum necessarió videbitur 
Circa quod queruntur tria: 4° Utrüm clari- | à corpore non glorioso. 
tas inerit corporibus gloriosis. 2€ Utrüm clari» 


DB LA CLARTÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 91 


ARTICLE I. 
La clarté est-elle une chose qui convienne aux corps glorieux ? 


Il paroit que la clarté n'est pas une chose qui convienne aux corps glo- 
rieux. 4° « Toutcorps lumineux estcomposéde parties diaphanes, » dit Avi- 
cenne, Natural., VI. Or les diverses parties d'un corps glorieux ne sont 
pas diaphanes, puisque la terre domine dans la composition de quelques- 
unes, comme dans les chairs et les os. Donc les corps glorieux ne possé- 
deront pas la clarté. 

2» Un corps lumineux dérobe à nos regards ce qui est placé derrière lui, 
tout comme un premier flambeau éclipse le second, une flamme nous 
empéche de voir les objets placés derriére elle. Or les corps glorieux ne 
nous cacheront pas ce qu'ils renferment; car, sur cette parole de Job, 
XXVIII : « Ni l'or nile cristal ne pourront lui étre comparés, » saint Gré- 
goire dit Moral., XVIII, 9 : a La pensée intime de chaque habitant du ciel 
sera aisément vue par les autres, à travers l'enveloppe du corps; la par- 
faite harmonie de ce corps lui-méme se montrera à tous les regards. » 
Donc les corps glorieux ne seront pas doués de clarté. 

3* La lumiére et la couleur exigent dans leur sujet des dispositions 
contraires ; car la lumiére est, selon l'expression d'Aristote , «la surface 
visible dans un corps sans contours déterminés; tandis qué la couleur 
affecte un corps qui a des limites certaines, » De Sens., cap. Ill. Or les 
corps glorieux auront une couleur, par la raison que, d’après saint Au- 
gustin De Civit. Dei, XXII, 19, «la beauté du corps consiste dans l’exacte 
proportion de ses diverses parties, mais avec cette couleur suave dont 
elles sont revétues; » et la beauté ne sauroit faire défaut aux corps glo- 
rieux. Donc ces corps ne seront pas doués de clarté. 





ARTICULUS 1. 
Utrüm corporibus gloriosis claritas conveniet. 

Ad primum sic proceditur. Videtur quód cor- 
poribus gloriosis claritas non conveniet. Quia, 
sicut dicit Avicenna in VI. Natural., « omne 
corpus luminosum constat ex partibus perviis. » 
Sed partes corporis gloriosi non erunt perviæ, 
cüm in aliquibus dominetur terra, sicut in car- 
nibus et ossibus. Ergo corpora gloriosa non 
erunt lucida. 

3. Preterea, omne corpus lucidum occultat 
illud quod est post se, sicut unum luminare post 
aliud eclipsatur; flamma etiam ignis prohibet 
videri quod est post se. Sed corpora gloriosa 
non occultabunt illud quod intra ea continetur ; 
quia , ut dicit Gregorius super illud Job, «uon 


adequabitur ei aurum vel vitrum » (cep. 27 
vel 80) : « Ibi (scilicet in cœlesti patria) unius- 
cujusque mentem ab alterius oculis membrorum 
corpulentia non abscondet; patebitque corpo- 
ralibus oculis ipsa etiam corporis harmonia (1): » 
Ergo corpora illa non erunt lucida. 

8. Preterea, lux et color contrariam dispo- 
sitionem requirunt in subjecto; quia lux es 
« extremitas perspicui in corpore non termi« 
nato, sed color in corpore terminato, » at pa 
in lib. De sensu et sensato (cap. 3). Sed cor« 
pora gloriosa erunt colorata ; quia, àt dicit Au- 
gustinus, XXII. De Civit. Dei (cap. 19), «pul- 
chritudo corporis est partium convenientia cum 
quadam coloris suavitate; » pulchritudo autem 
corporibus gloriosis deesse non poterit. Ergo 
corpora gloriosa non erunt lucida. 


(1) Sive congrua singularum partium constructio , junctura , connexio, dispositio tam inte= 
exiorior, que juxta grecum douovia, contonantia, reddi potest. 


22 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXV, ARTICLE f. 


&° Si les corps glorieux doivent posséder la clarté, il faut qu'elle brille 
également dans toutes leurs parties, comme cela est vrai de l’impassibi 
lité, de la subtilité et de l'agilité. Or c'est ce qu'on ne peut admettre ; car 
toutes les parties du corps humain ne sont pas également bien dispo- 
sées à devenir lumineuses; sous ce rapport, les yeux l’emportent óvide me 
fnent sur les mains, les esprits sur les os, les humeurs sur les chairs. 
Donc de tels corps ne doivent pas posséder la clarté. 

Mais l'Ecriture dit ainsi le contraire, Matth., XIII, #3 : aLes justes 
brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père; » et Sap., IH, 7: 
«Les justes brilleront et ils seront semblables à des étincelles cousant 
parmi les roseaux. » 

De plus, I. Corinth., XV, 43, il est dit : «Il est semé dans l'ignominie, 
il.se lévera dans la gloire.» Or c’est la clarté future des corps glorieux 
qui se trouve ainsi désignée , comme on le voit par les antécédents, puis- 
que l’Apôtre y compare Ia gloire des corps ressuscités à la clarté. des 
étoiles. Donc les corps des saints ressuscitesont dans la clarté. 

(CoxcLusiQN. — L'autorité des Ecritures nous montre d'une manière 
certaine que les corps des saints, aprés la résurrection, seront lumineux; 
et nous devons voir dans cette clarté un rejaillissement de la gloire de 
l'ame. ) | 

Que les corps des saints doivent être aprés la résurrection revêtus de 
lumiére, c'est ce dont les promesses de l'Ecriture sainte ne nous per- 
mettent pas de douter. Mais quand il s'agit de remonter à la source de 
cette clarté, les auteurs different. Les uns l'attribuent à lacinquieme 

. essence, ou bien à cette essence céleste qui devra, comme ils le dis:nt, 
dominer dans le corps humain. Pour nous, avec saint Augustin et plu- 
Sieurs autres , aprés avoir montré plusieurs fois l'absurdite de cette opi- 
nion, nous regardons cette clarté comme un rejaillissement de la gloire 
de l'ame. Nous savons, en effet, que c’est d’après le mode d’être du sujet, 





, &. Preterea, si claritas erit in corporibus 
gloriosis, oportet quód sit equalis in omnibus 
partibus corporis, sicut omnes partes erunt 
ejusdem impassibilitatis, subtilitatis et agilitatis. 
Sed hoc non est conveniens; quia una para ha- 
Det majorem dispositionem ad claritatem quàm 
glia, sicut oculi quàm manus, et spiritus quàm 
dssa, et hnaores quam caro vel nervus. Ergo 
videtur quód non debeant ila corpora esse lu- 
cida. 
Sed contra est, quod dicitur Matth., XIII : 
- € Justi fulgebunt sicut sol in regno Patris eo- 
Tun;» et Sap., Ill : « Fulgebunt justi, et 
tanquam scintillæ, etc. » 

Præterea, 1. Cor., XV, dicitur : « Seminatur 
in iguobilitate, surget in gloria ; » quod ad cta- 
ritatem pertinet, ut patet per antecedentia, ubi 


corporum resurgentium gloriam comparat clari- 
tau stellarum. Ergo corpora sauciorum. resur- 
gent lucida. 

(CoxcLusio.. — Ex Scripture authoritate 
verissimum habetur corpora sanctorum post re- 
surrectiouem lucida fore; qua claritas à gloria 
auimæ in corpus redundabit. } 

Respondeo dicendum, quód corpora Sancto- 
rum fore lucida post resurrectionem , ponere 
oportet propter autboritatem Scrpluræ , que 
hoc promittit. Sed claritatis hujas causam qui- 
dam attribuunt quintæ ( sise calesti ) essentiec, 
qua tunc dominabitur in corpore hunano. Sed 
quia hoc est absurdum , ut sæpè dictum est 
qu. 84 et 85, ideo melius est ut dicatur quàd 
elaritas illa caasabitar ex redundantia gloriæ 
animæ in corpus. Quod enim recipitur in ali- 


PE Li CLARIÉ DES CORPS DES Bi*XZIEC...U.. 33 


et non d’après celui de Pagent , qu'une chose est toujours reçue. Et voilà 
pourquoi la clarté, qui est spirituelle dans lame, devient corporelle en 
passant am corps. | suit encore de là que plus est srande 1a clarté de 
l'ame , à raison de son mérite, plus Fest aussi celle du corps, comme Île 
déclare l'Apótre , E CorintÀ., XV. De la sorte la gloire de l'ame se verra 
à travers l'enveloppe du eorps, comme à travers le verre on voit la eou- 
leur de l'objet qui s'y trouve renfermé ; c'est la similitude employée par 
saint Grégoire au sujet de cette parole de Job, XXVIII : «Ni l'or ni le cri- 
stal ne.pourront lui être comparés (1). » 

Je réponds aux avguments : 1° Avicenne parle d’un corps qui possède 
Is clarté en vertu des éléments mêmes qui le constituent; mais il n'en 
est pas ausi d’un eorps glorieux, cette propriété est en lui la récompense 
de la vertu. 

2» Saint Grégoire compare les corps glorieux, d’une part, à l'or, parc 


qu'ils sont brillants , et, de l'autre , au cristal , parce qu'ils sont translu- 
cides. Un eorps lumineux peut, en effet, n'étre pas translucide ou dia- 
phane ; et cela a lieu quand la clarté d'un corps provient de la densité 
des parties lumineuses, la densité étant un obstacle à la transparence. 
Mais la clarté des corps lumineux aura, comme nous l'avons dit, une 
tout autre cause ;. et la densité de ces corps ne les empéchera pas d’êtze 
transparents, pas plus que celle du verre ne l'en empéche. D'aprés quel- 
ques auteurs néanmoins, ce n'est pas sous ce rapport que la comparaison 
doit être établie, c’est sous un autre : comme on voit ce qui est renfermé 
dans le verre, disent-ils simplement, ainsi verra-t-on la gloire de l'ame 
renfermée dans un corps glorieux. Mais le premier sens est le meilleur, 

(1) Dieu nous a montré, dans deux circonstances principales, quelle sera cette clarté dont 
les corps des saints doivent être revétus dans la patrie céleste : la première fois, d'uoe ma- 
niére moins éclatante, dans l'ancien Testament ; la seconde fois, avec des caractères tout autre- 
ment prononcés, dans la loi nouvelle. Le visage de Moïse brilloit d'une telle clarté , après 
Pentrevue du prophète et son entretien avec le Seigneur, que a les enfants d'Israe! oe pou- 





quo, non recipitur per modum influentis, sed 
per modum recipientis. Et ideo claritas quae 
est in anima spiritualis, recipitur in corpore, 
ut corporalis. Et ideo, secundum quod anima 
erit majoris claritatis , secundèm majus meri- 
tum , da etian» erit, differentia claritatis in cor- 
pore, ut patet. pes Apostolum I. Cor., XV. Et 


. dta in corpore glorioso cognoscetur gloria ani- 


me; sicut in vitro cognoscitur color corporis 
quod centinetur in vase vitreo , ut Gregorius 
dicit super illud Job., XXVIII : «Non ad æqua- 
bitur ei anrum, vel vitrum. » 

Ad primum ergo dicendum , quód Avicenna 
loquitur de ilo corpore quoë habet ex natura 
coiponentiwm elaritatem; sic autem non ha- 
bebit corpus gloriosum, sed magis ex merito 
virtutis, 


Ad secundum dieendem, quód Gregorius 
comparat corpora gloriosa auro, propter clari- 
tatem ; et vitro, propter hoc quod transluce- 
bunt. Unde videtur dicendum quód erunt simul 
pervia et clara : quod enim aliquod clarum non 
sit pervium, contingit ex hoc quód claritas 
corporis causatur ex densitate partium lucida- 
rum , densitas antem repugnat pervietati. Sel 
tunc claritas erit ex alia causa, ut dictum est. 
Densitas autem corporis gloriosi pervietatem 
non tollit ab eis , sicut nec densitas vitri à vi= 
tro. Quidam tamen dicunt quód comparantur 
vitro, non quia sint pervia, sed propter hanc 
similitudinem, quia, sicut illud quod in vitro 
clauditur, apparet , ita anime gloria quæ cote 
pore glorioso claudetur, non latebit. Sed. pris 
mom melios est; quia magis per illud salvatur 


24 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXV, ARTICLE 2. 


comme sauvegardant mieux la dignité du corps humain, et plus conf. vme 
aux paroles de saint Grégoire. 

3 La gloire du corps, loin de détruire sa nature , la perfectionnera. 
Ainsi donc, outre la couleur que le corps doit toujours posséder par sa 
nature méme, il aura la clarté provenant de la gloire de l'ame. Nous 
voyons bien ici-bas des corps naturellement colorés , briller encore de la 
splendeur du soleil, ou par une autre cause quelconque , extrinséque ou 
intrinséque. 

ko Tout comme la clarté de la gloire rejaillit de l’ame sur le corps d'une 
manière conforme à sa propre nature, et néanmoins est reçue dans le 
corps, autrement de ce qu'elle est dans l'ame , de méme sera-t-elle modi- 
fiée en passant aux diverses parties du corps. Il ne répugne donc pas d'ad- 
mettre qu'elle doive être inégalement répartie, suivant les dispositions, 
plus eu moins conformes à sa nature, qu'elle doit nécessairement ren- 
contrer. Et cela ne sauroit s'appliquer aux autres propriétés des corps glo- 
rieux, puisqu'elles ne peuvent rencontrer dans les différentes parties de 
ce corps des dispositions différentes. 


, 


ARTICLE IE. 


La clarté d'un corps glorieux sera-t-elle visible à l'eil de celui qui n'est pas lui- 
méme dans la gloire ? 


Il paroît que la clarté d'un corps glorieux ne sera visible que pour un 
œil imprégné de la même gloire. 1° Il faut qu'il y ait proportion entre 
l'organe et son objet. Or un cil non glorifié est sans proportion avec la 


voient le regarder en face, » II. Corénth.,TII. Le divin Législateur des chrétiens, dans le mystère 
de sa transfiguration, fut tout-à-coup enveloppé d'une si éblouissante lumiére, laissa qayonner 
la beauté de son intérieur avec une telle puissance, que les témoins de sa gloire, ne pouvant 
en supporter l'éclat , tombérent la face contre terre. Or, si une chair encore passible et mor- 
telle a pu resplendir d'une si merveilleuse clarté, parmi les ténèbres de la vie présente, quelle 
n'est pas la gloire qui lui sera communiquée par l'ame bienheureuse , dans l'immortel séjour 
que Dieu lui-méme illumine à jamais de sa présence? 





v 


dignitas corporis gloriosi, et magis consonat 
dictis Gregorii. 

Ad tertium dicendum , quàd corporis gloria 
naturam non tollet, sed perficiet. Unde color 
qui debelur corpori ex natura suarum partium, 
remanebit in eo, sed superaddetur claritas ex 


gloria animae ; sicut etiam videmus corpora co- 


lorata ex natura sui, solis splendore relucere, vel 
ex aliquá aliâ causâ, extrinsec vel intrinseca. 

Ad quartum dicendum, quèd sicut glorie 
claritas redundat ab anima in corpus secundüm 
suum modum, et ibi est alio modo quàm sit in 
anima, ita in quamlibet partem corporis re- 
dundabit secundüm suum modum. Unde non 
est inconveniens qubd diverse partes habeant 


"A 


diversimodé claritatem, secundüm quód sunt 
diversimodè dispositæ ex sui natura ad ipsam. 
Nec est simile de aliis dotibus corporis , res- 
pectu quarum partes corporis non inveniuntur 
habere diversam dispositionem. 


| ARTICULUS II. 
Utrüm claritas corporis gloriosi possit videri 
à non glorioso oculo. 

Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
claritas corporis gloriosi non poterit videri à 
non glori»so oculo. Oportet enim esse propor- 
tionem visibilis ad visum. Sed oculus non glo- 
rificatus non est proportionatus ad videndam 
claritatem glori, cüm sit alterius generis quàm 


DE LA CLARTÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 25 


clarté de la gloire ; il y a là une différence générique. Donc la clarté d’un 
corps glorieux ne sauroit être aperçue d'un œil non glorifié. 

2 La clarté d'un corps glorieux sera plus grande que ne l’est mainte- 
nant celle du soleil ; car la clarté du soleil lui-même aura de beaucoup 
grandi, comme on le voit, Is., XXX , tout en demeurant toutefois bien 
inférieure à celle d'un corps glorieux ; ce qui se comprend aisément, par 
la raison que le soleil et le reste du monde n'auront revétu un plus vif 
,éclat qu'à cause de ce corps lui-même. Or un œil non glorifié ne peut 
pas fixer le disque du soleil; il est ébloui par l'abondance de ses rayons. 
Donc beaucoup moins encore pourroit-il supporter la clarté d'un corps 
glorieux. 

3° Quand l'objet visible est placé en face de notre œil, il est nécessaire- 
ment vu, à moins qu'il n'y ait quelque lésion dans cet organe. Or la clarté 
d'un corps glorieux placée en face d'un œil mortel, n'en est pas toujours 
aperçue ; car les disciples virent le corps du Seigneur après sa résurrec- 
lion, sans en voir néanmoins la clarté. Donc cette clarté ne sera pas vi- 
sible pour un cil non glorifié. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Sur cette parole, Phílíp., III : 
« Assimilé à son corps lumineux..., » la Glose dit : « Il sera assimilé à la 
clarté dont il fut revétu dans sa transfiguration. » Or cette clarté fut vue 
par les disciples, bien qu'ils ne fussent pas encore glorifiés. Donc la clarté 
d'un corps glorieux est visible méme pour un cil non glorifié. 

Les impies seront tourmentés, au jour du jugement, par la vue de la 
gloire des justes, comme on le voit par ce qui est dit, Sap., V. Or ils ne 
verroient pas pleinement cette gloire, s'il ne leur étoit pas donné de voir 
la clarté des corps glorieux. Donc ils peuvent réellement la voir (1). 


(1) Indép-ndamment de tout raisonnement, ce que nous avons dit dans la nete précédente 
concernant Moïse et Jésus-Christ, prouve ea fait que la lumière dont le corps des saints bri- 





claritas nature. Ergo corporis gloriosi claritas 
non videbitur ab oculo non glorioso. 

3. Preterea, claritas corporis gloriosi erit 
major quàm nunc sit caritas solis; quia etiam 
claritas solis erit tanc major quàm modo sit, 
ut dicitur Jsaiæ , XXX ; et mult major erit 
claritas corporis gloriosi , propter quod sol et 
totus mundus claritatem majorem accipiet. Sed 
oculus non gloriosus non potest inspicere so 


dentis necesse est videri, nisi sit lzsio aliqua 


in oculo. Sed claritas corporis gloriosi opposita 
oculis non gloricsis, DOR Decessario videtur ab 


eis; quod patet de discipulis, qui corpes Do- 
mini post resurrectionem viderunt, daritatem 
ejus non intuentes. Ergo clar.tzs ula noa erit 
visib.lis ab oculo non glorioso. 

Sed contra, quód Glossa Philipp., Yl (1), 
super illud, « configuratam corpori claritatis 
sue » dicit : e Assimilabitur claritati quam 
babaït in transfiguratione. » Sed claritas illa 
visa fa. ab oculis discipulorum noa. glonüca- 
tis. Ergo et claritas corporis glorilicati ab oculis 

Praeterea, impii videntes gloriam jattoruin, 
ex boc torquebustur ia JU». ut patet yer 
boc quód dicitar Sop., V. 84 nos vue vie 
derent gloriam ipsorum, misi claritate! Cf» 
rum inspicerebt. Ergo, etr. 


(1) Interlinesiis quidem præcisé, ut bic ia modernis exemplaribus vel impri vit (AM atto 
antem votus manescrppta : Corpori ejus azimiloium ín clerítete quee, 


26 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXV, ARTICLE 2. 


( CoNULUsi0N. — Comme la Ramière est faite de sa nature pour frapper 
la vue, et comme la vue: de son côté a pour objet essentiel de percevoir 
la lumière, nous:sommes en dvoit d'affirmer qu'un œil non glorifié peut 
naturellement voir is clarté d'un corps glorieux. ) 

Quelques-uns ont pensé que la clarté d'un corps glorieux ne pourroit 
être apereue d'un œil non glorifié, si ce n'est par miracle. Mais cela ne 
peut. pas être admis, à moins de prétendre que la clarté dont il s'agit n'est 
pas une lumière proprement dite. En effet, la lumière, par sa nature 

méme, est destinée à frapper la vue; et la vue, également par sa nature, 
doit pevcevoir la lumière. Ce rapport entre la lumière et Ta vue est celui 
qui existe entre le vrai et l'intellect, le bien et nos sentiments. S'il y avoit 
donc une vue totalement incapable de percevoir une certaine lumière, 
c'est que cette lumière du cette vue ne seroient pas en réalité les choses 
désignées par ces noms. Or c'est ce qu'on ne sauroit dire dans le cas pré- 
sent; car alors, en nous disant que les corps glorieux doivent posséder 
la lumière, on ne nous diroit rien du tout, cette parole ne porteroit 
aucun sens à notre esprit. S'il n'y avoit là qu'une analogie , les éléments 
mous manqueroient pour la comprendre. Dire à quelqu'un qui ne connoit 
d'autre chien que l'animal de ce nom vivant sur Ia terre, que le chien 
brille dans le ciel (4), c’est absolument ne lui rien dire. Nous concIuons 
de là que la clarté d'un corps glorieux doit naturellement étre vue d'un 
cil non glorifié. 

Je réponds aux arguments : 1^ La clarté de la gloire est à la vérité d'un 
autre genre que ce de la nature, quant à la cause d’où elle provient, 
lera au sein de la gloire céleste, peut évidemment être percue par un cil non glorifié. Pré- 
tendre le contraire, ce seroit s’élever par voie de conséquence contre le récit si simple et si 
formel des divines Ecritures. I1 faudroit, pour qu'il n'en füt pas ainsi , soutenir que les trois 
disciples admis à contempler sur le Thabor la gloire de leur Maftre, et le peuple d'Israel tout 
entier, ne pouvant arréter ses regards sur la rayonnante figure de son chef, se trouvérent, au 


moins pendant quelques instants, transporlés à l'état de gloire. Et c'est là une absurdité qu'il 
suffit de formuler pour la repousser et la détruire, 


(1) I est presque inutife de dire icí qu'on désigne sous ce nom une constellation ou un 
groupe d'étoiles. 





(CowcLusio. — CiÂn lux ex essentia sua | aliquis visus:qui nen posset. percipere aliquaug 
nata sit movere visum , et visus secundüm sub- | lucem omnino , vel ille visus diceretur equi. 
stantiam suam natus sit percipere lucem, ma- |.vocè, vel lux illa : qued non potest in propo- 
rit) asserendum est claritatem corporis gloriosi | sito dici ; quia sic, per hoc: quód dicuntur glo- 
naturaliter ab oculo non glorioso videri posse.) | riusa corpera futura esse lucuia , nimib nobig 

Respondeo dicendum, quód quidam dixe-|notifüicaretur; sicut eu dicit canoms esse ia 
runt quàd claritas corporis gloriesi non poterit | ccelo, nihil notificat ei qui noa noit nisi ca- 
videri ab oculo non glorioso, nisi fortè ger | sen qui est animal. Et idee dicendum est quàd 
miraculum. Sed hoc non polest esse, nisi clae | claritas cerposis gloriosi matmrakiter ab oculo 
ritas illa æquivocè diceretur; quia. lux , secun- | non glorioso. videri potest. 
düm id quod est, nata est movere visum ; & | — Ad primam ergo disendum, quód glorie ee- 
visus , secundèm id quod est, natus est perci- | ritas erit alterius g&neris quàm claritas nalura 
pere lucem ; sicat verwwe se habet ad intel- | quantum ad causam, sed non quantum ad spe- 
lectum , et bonusme ad affectum. Unde, si esset | ciem, Unde, sicut elaritas nature ratione spe- 


DE LA CLARTÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 27 
mais non quant à l'espèce. La clarté de Ia gloire est donc en rapport avec 
la vue, tout comme la clarté de la nature. 

2» Aucune action ne peut s'exercer sur un corpe glorieux ou être subie 
par lui, si ce n'est en passant par l'ame. Or la clarté la plus intense 
n'offenseroit jamais la vue en tant que cette action se rapporte à l'ame; 
sous ce rapport elle ne peut que causer un plaisir d'autant plus vif qu’elle 
est elle-méme plus grande. Mais son action naturelle ou organique peut 
aisément devenir nuisible, en portant atteinte à l'organe , qu'elle échauffe 
et dilate outre mesure, ou bien en repoussant les esprits vitaux. Voilà 
pourquoi la clarté d'un corpe glorieux, bien que supérieure à celle du so- 
leil, n'offense nullement la vue , mais lui eause plutôt une sensation 
douce et bienfaisante ; ce qui fait qu'elle est comparée à la clarté du jaspe, 
Apoc., XXI, #4. 

3° La clarté du corps glorieux provient du mérite acquis par la volonté. 
C’est pour cela qu’il dépendra de la volonté que le corps soit vu ou ne le 
soit pas. Un corps glorieux pourra donc montrer ou cacher sa clarté. 
Telle est l'opinion de Præpositivus. 


ARTICLE NL 
Un corps glorieux sera-t-il nécessairement vu par celui qui n’est pas glorifié? 


Il paroit qu'un corps glorieux sera nécessairement vu par celui qui n'est 
pas glorifié. 4° Un tel corps est lumineux. Or un corps lumineux se ma- 
nifeste lui-méme tout en manifestant les autres objets. Donc les corps 
glorieux seront nécessairement vus. 

2* Tout corps qui nous dérobe la vae des corps placés derrière lui, est 
nécessairement perqu de notre eil, par cela méme qu'il lui dérobe les 
autres corps. Or le corps glorieux cache au regard les corps placés der- 





ciei saæ est proportionata visai, ita et claritas 


, voluntati subdetur ut secundum ejus imperium 
gloriosa. 


videatur vel non videatur. Et ideo in potestate 


Ad secundum dicendum, quód sicut corpus 
gloriosum non potest pati aliquid passione nd. 
ture , sed solüm passione animu, it& ek pao- 

glorie non agit nisi actione anima. 
ias autem intensa non offendit visum , in 
quantum agit actione animæ ; sed secnndünm 
boc mag» delectat. Offendit autem. is quas- 
tum agit actione natura , calefaeiendo et dis- 
solvendo orgamum visis, et disgregando ipi - 
ritus : et ideo claritas corporis gloriosi, gra 
vis excedat claritatem solis, tamen de sui 10- 
tura non offendit visum, sed demalest, ;cogter 
quod claritas illa comparatus daritati lospdis, 
Apoc., XXL, v. 11. 


Ad tertium dicendum, quód claritas ceepons | eeraitzatae Me vum pn “mé tg s ss 
gieriosi provenit ex. mate velustutis. Es ide» ? vignidigosryers godes rt 


corporis gloriosi erit ostendere elarititem suam 
vel occultare. Et bac fuit. opinio Pra pesi. 
ARTICULES fll. 
Utrèm corpus glorioensm necessario videbétue 
à corpore nom glorioso. 

Ad tertiam sic prrcétes. Vetetar qu ‘ss 
pee Hess srtsiene nennt 3 SAME 
Bé6 q.01640. (a «ary gros erus 
ciia. Set curas lets mac ww. 5 ^» 
Erzo (ja porch. Lan AI; 

3. Prat . ans vvc)na yw imme, 
erpnro pue s CRI, do iom uns, 
pe^ LUE €$ 866. 2909 sna. dis emo EP 4, 


"^ 


Ate ee s s, 


28 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXV, ARTICLE 3. 


rière lui, par la raison qu'il est coloré. Donc il sera nécessairement vu. 

3° Les choses qui constituent le corps forment nécessairement une 
quantité; et la qualité, celle, par exemple, quirend lecorps visible, ne s’at- 
tache pas moins nécessairement à ces choses. Orla quantité ne dépendra 
pas de la volonté humaine, de telle sorte que celle-ci puisse rendre le 
corps plus petit ou plus grand. Donc la qualité n’en dépendra pas non 
plus, de telle sorte que ce corps puisse demeurer invisible. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Notre corps sera glorifié en de- 
venant conforme au corps du Christ aprés sa résurrection. Or le corps du 
Christ aprés sa résurrection n'étoit pas nécessairement vu ; il disparais- 
soit méme parfois aux yeux de ses disciples, comme cela eut lieu à Emaüs. 
Donc un corps glorieux n'est pas nécessairement vu. 

L'obéissance du corps par rapport à l'ame sera alors absolument par- 
faite. Donc le corps pourra étre visible ou invisible, au gré de l'ame. 

(CoxcLusioN. — Les corps glorieux devant être entièrement soumis à 
l'ame, il dépendra de l'ame qu'ils soient rendus visibles ou invisibles. ) 

La visibilité d'une chose dépend de son action sur l'organe de la vue. 
Mais une chose peut agir ou ne pas agir sur un étre qui lui est étranger, 
sans éprouver aucun changement en elle-méme. Ainsi donc un corps 
glorieux peut se rendre visible ou invisible sans que les propriétés qui le 
constituent dans cet état sublime, en soient altérées. Par conséquent, il 
dépendra de l'ame bienheureuse que son corps soit vu ou ne le soit pas; 
il en sera de cela comme de toute autre action corporelle, qui sera entié- 
rerment au pouvoir de l'ame. Autrement le corps glorieux ne seroit pas un 
instrument parfaitement docile à son agent principal (1). 

Je réponds aux arguments : 1* La clarté dont il s'agit ici dépend en- 


. (4) Autre chose est la possibilité, autre chose la nécessité d'être vu dans telles conditions 
déterminées. C'est une distinction qu'il importe de bien établir pour comprendre 1a différence 





pus coloratum. Ergo et de necessitate videbitur. 

8. Preterea, sicut quantitas est de his qua 
insunt corpori, ita et qualitas per quam vide- 
tur. Sed quantitas non suberit voluntati, ut 
corpus gloriosum possit esse majoris quantitatis 
vel minoris. Ergo nec qualitas per quam visi- 
bile est, ut possit non videri. 

Sed contra est, quód corpus nostrum glorifi- 


( ConcLusio. — Cüm corpus gloriosum fu- 
turum sit maximé obediens anima, ideo ia po- 
testate corporis glorificati erit ut videatur, vel 
non videatur. ) 

Respondeo dicendum, quàd visibile videtur 
secundüm quód agit in visum. Ex boc autem 
quód aliquid agit vel non agit in aliquod ex- 
trinsecum, non est aliqua mutatio in ipso. Unde, 


cabitur in conformitate corporis Christi post ' sine mutatione alicujus proprietatis que sit de 
resurrectionem. Sed corpus Christi post resur- | perfectione corporis glorificati, potesl contin- 
rectionem non necessarid videhatur, imà dispa- | gere quód videatur et non videatur. Unde in po- 
ruit ab oculis discipulorum in Emaus , ut dici- | testate anime glorificatæ erit quód corpus suum 
tur Luc., ultim (4). Ergo et corpus glorificatum | videatur vel non videatur; sicut et qualibet 
non necessario videbitur. alia actio corporis in anims polestate erit. 
Preterea, ibi erit summa obedientia corporis | Aliàs corpus gloriosum nou esset instrumen- 
ad animam. Ergo corpus poterit videri vel non | tum summó obediens principali agenti. 
videri secundüm voluntatem anims. Ad primum ergo dicendum, quèd claritas illa 


(1) Sive, ut vers. 91 babetur, evanuit; sed signiüc.ntiüs græcè dpavroç ipévero ax 'aüvay 


DE LA CLARTÉ DES CORPS DES BIENHEUREUX. 29 


tièrement du corps glorieux ; elle se montre ou se cache, au gré de la vo- 
lonté. 

2» La couleur d'un corps n'en empéche la iransparence qu'en modifiant 
entièrement la vue; car ce sens ne sauroit être ainsi modifié par deux 
couleurs à la fois, de manière à les percevoir parfaitement l’une et l’au- 
tre. Or la couleur d'un corps glorieux sera au pouvoir de l'ame aussi bien 
que sa clarté ; il dépendra de l'ame que cette couleur modifie ou ne mo- 
difie pas entièrement la vue, et, par conséquent, que ce corps glorieux 
nous dérobe ou nous laisse apercevoir celui qui est placé derriére lui. 

3° La quantité est une chose inhérente à un corps glorieux , comme à 
tout autre; cette quantité ne pourrait changer au gré de l'ame, sans qu'il 
en résultat un changement intrinsèque dans ce méme corps; et cela ré- 
pugne avec son impassibilité. On ne sauroit donc appliquer à la quantité 
ce que nous avons dit de la visibilité. Et néanmoins cette qualité consi- 
dérée en elle-méme, la qualité pour un corps d'étre visible, ne peut pas 
s’enlever au gré de l’ame, c'est uniquement l'action qui en est suspendue, 
et de la sorte le corps disparoit quand l'ame le veut (1). 
et la connexité de la thése actuelle et de celle qui la précéde. De ce qu'on peut voir un corps, 
il ne s'ensuit nullement que ce corps soit toujours visible, qu'il soit dans l'impossibilité de 
demeurer invisible. Voilà pourquoi l'auteur a pu logiquement démontrer d'abord qu'un corps 
glorieux étoit accessible aux regards d'un homme qui ne posséde pas la gloire céleste, et 
ensuite qu'il n'y avoit pas nécessité pour ce corps d'être toujours vu par un tel homme. 

(1) Qu'un corps glorieux puisse, au gré de l'ame, se dérober aux regards des hommes, tout 
en leur demeurant présent, c'est ce que le Docteur angélique avoit parfaitement prouvé 


en traitant de la résurrection de Jésus-Christ. On eut pu tout simplement ici renvoyer à cette 
thése. 


-— -c 





obediet corpori glorioso, ut possit eam osten- 
dere vel occultare. 

Ad secundum dicendüm, quàd color corporis 
non impedit pervietatem Ipsius, nisi in quan- 
ium immutat visum; quia visus non potest im- 
mutari simul duobus coloribus, ut utrumque 
perfect inspiciat. Color autem corporis glo- 
riosi erit in potestate anime, ut per ipsum 
immutet visum, vel non immutet. Et ideo erit 
in potestate ejus, ut corpus quod est post | 8e, 
Occultet vel non occultet. 


— 


Ad tertium dicendum, quód quantitas est in- 
haerens ipsi corpori glorioso, neque posset quan- 
titas immutari ad imperium anima, sine muta- 
tione intrinsecà corporis gloriosi, quæ impassi- 
bilitati ejus repugnaret. Et ideo non est simile 
de quantitate et visibilitate, quia etiam qua- 
litas illa, per quam est visibile, non potest sub- 
trahi ad imperium auimæ ; sed actio illius qua- 
litatis suspendetur, et sic occultabitur corpus 

ad imperium animæ. 


id est invisibilis vel non apparens est effectus. 1deo autem ex eorum oculis evanuit vel dis- 
paruit, «t affecium illorum ex hoc magis augeret, sicut ibi Theopbylactus commentatur, 


et in Coiona sua refert ibidem 8. Thomas. 


SUPPLÉMENT, QUESTION LXIXYI, ARTICLE 1. 


QUESTION LXXXVI. 


De L'état où se trouveront Les corps des damnés après la résurrection. 


Après avoir étudié les propriétés qui distinguent:les corps des bienheu- 
reux, parlons des conditions qui seront faites aux corps des damnés. 

Sur ce sujet on demande trois choses: 1? Leseorps des damnés ressusci- 
teront-ils avec leurs difformités? 2° Seront-ils corruptibles 1 8° Seront-ils 
impassibles ? 

ARTICLE i. | 


Les vorps des damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités ou leurs défauts? 


Il paroit que les corps des damnés ressusciteront avec leurs difformités 
ou leurs défauts. 4° Ce qui a été établi comme un châtiment du péché ne 
doit cesser qu'autant que le péché est remis. Or la mutilation , qui nous 
prive d'un ou plusieurs membres, est un châtiment dn péché; et ainsi des 
autres défectuosités corporelles. Donc les.damnés n'en seront pas à l'abri, 
eux qui n'ont pas obtenu la rémission de leurs péchés. 

2» Comme les saints ressusciteront pour la félicité suprême, les impies 
ressusciteront pour la suprême infortune. Or il ne sera rien Óté aux pre- 
miers de ce qui constitue leur perfection. Donc également il ne sera rien 
épargné aux seconds de ce qui peut les constituer dans un état d'imper- 
fection et de misère ; et c'est là une chose qui s'entend aisément des dif- 
formités. 

3» Il en est de la difformité comme de la lenteur; l'une et l'autre ren- 
trent également dans les défauts d'un corps passible. Or la lenteur sera 
le triste apanage des corps des réprouvés, puisqu'ils n'auront pas regu le 





QUESTIO LXXXVI VEL LXXX VIH. 
De conditionibus corporum damnatorum rasurgentiun , in.éres artículos divise 


Consequenter considerandum est de condi-, igint; et similiter eliam omnes alip deformi- 
tionibus corporum damnatorum resurgentium.! Itites. corporales. Ergo à damnatis, qui peccato- 
Circa quod quæruntur tria : 1» Utrüm cor- |irum remissionem non sunt consecuti, in rgsur- 


pora damnatorum cum suis deformitatibus re- 
surgent. $9 Dirüm 6orum corpora erunt oor- 
ruplibilia. Be Utiun.eraat unpaseibilia, 


ARTICULUS I. 
Utrüm corpora damnatorum cum suis defor- 
mitatibus resurgent. 

Ad primum sic proceditur. Videtur quàd cor- 
pora damnatorum cum suis deformitatibus re- 
surgent. lllud enim quod in penam peccati in- 
ductum est, desinere non debet nisi peccato 
remisso. Sed membrorum defectus qui accidunt 
per mutiletionem , in ponam peccati inducti 


rectione non removebuntur. 

2. Prelonea, sient seaurrectio esmelorum.erit 
«d ullimem felicitetem., sic et resurrectio im- 
piorum erit ad eltimem miseriam. Sed sanctis 
resurgentibus non auferetur aliquid quod ad 
eorum perfectionem pertinere possit. Ergo nec 
impiis resurgentibus aliquid auferetur quod ad 
eorum defectum vel miseriam pertineat. Hujus- 
modi autem sunt deformitates. Ergo, etc. 

8. Præterea, sicut ad defectum passibilis 
corporis pertinet deformitas, ita et tarditas. 
Sed à corporibus damnatorum resurgentium 
tarditas non removebitur; quia eorum corpora 


DE L'ÉTAT DÉS CORPS DES DAMNÉS. 31 


don d'agilité. Donc par la même raison ils ne seromt pas exempts de leurs 
difformités. 

Mais le contraire repose sur cette parole de saint Paul, I. CoríntA., 
XV, 52: « Les morts ressusciteront sans corruption. a Et voici comment 
la Glose l'explique : « Les morts, c'est-à-dire les pécheurs eux - mêmes, 
ou bien absolument tous les morts, ressusoiteront sans corruption, ce-qui 
signifie sans altération ou diminution dans leurs membres. » Donc les 
corps des damnés aprés la résurrection seront sans difformités. 

Les damnés n'auront rien en eux qui puisse empécher le sentiment de 
la douleur. Or l'infirmité empéche ce sentiment, puisqu'elle a pour effet 
d'affoiblir les sens en débilitant les organes; de méme l'absence d'un 
membre né permettroit pas à la douleur de s'attacher absolument à tout 
le corps. Donc les damnés ressusciteront sans ces sortes de défectuosités. 

(CoNcLus;oN. — Dieu, l'auteur de la nature, voulant dans la résurrec- 
tion rétablir intégralentent la nature humaine, cette nature n'aura plus 
les défectuosités provenant de sa propre foiblesse. Mais qaant aux infir- 
mités qui dans le corps humain sont la conséquence des principes naturels, 
elles se trouveront réellement dans les répronvés.) 

Les difformités ou les défectuosités du corps humain peuvent aveir une 
double cause : elles peuvent d'abord provenir de la privation de quel- 
que membre; ce qui fait qu'il s'attache une certaine honte à l'état d'un 
homme mutilé, impression qui nait d'une sorte de désaccord et de dis- 
sonnance existant désormais entre le tout et les parties. Tous les docteurs 
pensent également qu'une telle difformité n'existera pas dans le corps des 
damnés, par la raison que tous les corps. ceux des méchants comme ceux 
des bons, doivent ressusciter dans leur entier, «msi que nous l'avons dit 
plus haut. En second lieu, la difformité peut provenir de la disposition 
irréguliére des diverses parties, dans leur grandeur, leur ferme, leur 
place; car tout cela rompt encore l'harmonie entre les parties et le tout. 





non erunt agilia. Ergo eadem ratione nec de- | pareturus sit, nalli erunt ex imbecillitate na- 


formitas removebitur. 

Sed contra, 1. ad Cor., XN : « Mortui re- 
surgent incorrupti; » Glossa « Mortui, id est, 
peccatores, vel generaliter omnes mortui, re- 
Surgenl incorrupti, id est sine aliqua diminu- 
Gone membrorum. » Ergo mali resurgent sine 
delormitalibus. 

Preterea , in damnatis non erit aliquid.quod 
sensum doloris in eis impediat. Sed ægriludo 
impedit sensum doloris, in quantam per eam 
debilitanbur organa sentiendi; et similiter de- 
fectus membri impediret ne esset universalis 
dolor in corpore. Ergo sine istis defectibus 
damnati resurgent. 


tura defectus , nisi qudd illi qui ex naturalibus 
principiis in humano corpore naturaliter conse- 
quuntur, in damnis reperientug. ) 

Respondeo dicendem, qubd in corpore hu- 
mano potest esse deformilas dupliciter : uno 
modo, ex defeotu alicujus membri:; siont muti- 
latos furpes dicimus; deest enim eis debita 
proportio parium ad totam. Et de &ali defor- 
mitate nulli dubimm est quód in conporibus 
“amnatorum Bom egi; quia omnia corpora tant 
bonorum quàm malorum integra resurgent , ut 
suprà dictam est. Alio modo deformitas contin- 
gitex indebia partium dispositione, vel inde- 
bita quantitate , vel qualitate , vel situ; qua 


{Conczusaro. — Cùm Deus naturx author | etiam propostionem .debiiam partiom ad totum 


in resurrectione naturam bumanam inlegrè se- 


non palitur..Kt de telibus defermitatibus et si — 


32 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVI, ARTICLE 1. 


Sur de telles difformités ou de semblables défauts, provenant quelquefois 
de la fiévre ou d'autres maladies de méme nature, saint Augustin n'ose se 
prononcer et laisse la question indécise Enrichid., cap. 92 (1), comme 
l'a remarqué le Maitre des Sentences IV, &4. Parmi les docteurs modernes, 
il existe à cet égard deux opinions : Quelques-uns prétendent que ces 
sortes de difformités ou de défauts demeureront dans les corps des dam- 
nés; et en embrassant ce sentiment ils considérent uniquement l'état 
méme de la damnation, car l'homme étant par là livré à la supréme mi- 
sére, aucun genre d'affliction ne doit lui être épargné. Ce sentiment toute- 
fois ne nous paroit pas raisonnable. En effet, dans le rétablissement du 
corps humain par la résurrection, la pensée divine a plutót en vue 
la perfection de notre nature, que notre état antérieur. Ainsi, ceux 
qui meurent avant l’âge et sans avoir atteint leur complet développe- 
ment, ressusciteront dans la force de la jeunesse, comme il a été dit 
Quæst. LXXXIII, art. 2, et ceux qui ont eu des défauts corporels ou des 
infirmités naturelles, avec les difformités qui peuvent en provenir, seront 
dans la résurrection exempts de ces défauts ou difformités , à moins que 
le caractére spécial d'un péché n'y fasse obstacle; et de la sorte si quel- 
qu'un ressuscite avec de tels défauts ou de telles difformités , c'est un 
châtiment qu'il subira. Le mode du châtiment se mesure sur l'étendue 
de la faute. Or il peut arriver qu'un pécheur qui devra étre damné pour 
des péchés moins graves, ait en lui des difformités que n'a pas un pécheur 
qui sera damné pour de plus grands crimes. Si donc celui qui eut ici-bas 


(1) Nul doute que les élus ne ressuscitent avec un corps parfait ; car la patrie céleste, dont 
les corps eux-mêmes feront désormais partie, est le séjour dela perfection, et c'est aussi pour 
cela qu'elle est le séjour de la suprême béatitude. Mais peut-on dire la même chose du corps 
des damnés? Ceux qui auront eu sur la terre des infirmités ou des difformités repoussantes, les 
conserveront-ils encore aprés la résurrection, dans les éternels supplices? La question se pré- 
sente naturellement à l'infatigable curiosité de l'esprit humain. Saint Augustin, comme on le 
voit, n'ose la résoudre. 11 ne veut pas méme que la raison se fatigue à ce sujet dans des re- 
cherches inutiles. « A quoi bon, dit-il, vouloir connoftre quel sera l'état ou la beauté phy- 
sique des malbeureux réprouvés? qu'il nous suffise de savoir que leur damnation est certaine 
et éternelle. » Nous avouons sans détour que cette réponse , toute évasive qu'elle est, nous 
paraît au moins aussi plausible que celle du continuateur de saint Thomas. 





milibus defectibus, sicut sunt febres, et alis 
hujusmodi ægritudines, que interdum sunt de- 
formitatis causæ, Augustinus indeterminatum et 
sub dubio relinquit in Euchiridio , ut in littera 
IV. Sent., dist. 44, Magister dicit. Sed apud 
Doctores modernos est duplex super hoc opi- 
. Bio : quidam enim dicunt (quód bujasmodi de- 
formitates et defectus in corporibus damnato- 
rum remanebunt ; considerautes eorum damna- 
tionem, qua ad summam miseriam deputantur, 
cui nihil incommoditatis subtrabi debet. Sed 
hoc non videtur rationabiliter dici. In repara- 
lione enim corporis resurgentis magis atten- 
ditur nature perfectio, quàm conditio quie 


priüs fuit. Unde et qui infra perfectam etatem 
decedunt, in statura juvenilis etatis resurgent, 
ut supra dictum est qu. 83, art. 2. Unde et 
ilii qui aliquos defectus naturales in corpore 
habuerunt, vel deformitates ex eis provenien- 
tes, in resurreclione sine illis defectibus vel 
deformitatibus reparabuntur , nisi peccati me- 
ritum impediat; et ita si aliquis cum defectibus 
vel deformitatibus resurget, hoc ei erit in pae- 
nam. Modus autem pene est secundüm men- 
suram culpe. Contingit autem quód aliquis 
peccator damnandus minoribus peccatis sub- 
jectus , aliquas deformitates habeat, quas non 
habuit aliquis damnandus, peccatis gravioribus 


DE L'ÉTAT DES CORPS DES DAMNÉS. 33 


des difformités corporelles; doit ressusciter avec ces mêmes difformités, 
tandis qu’un autre destiné à un plus rigoureux supplice, est néanmoins 
exempt de ces difformités par la raison qu’il ne les eut pas ici-bas, il en 
résultera que le mode du châtiment ne répondra pas à l’étendue de la 
faute ; il sembleroit même en cela qu'un homme est puni pour les peines 
mémes qu'il a déjà souffertes dans ce monde; ce qui est vraiment absurde. 
Voilà pourquoi d'autres pensent avec plus de raison que l'Auteur de la 
nature rétablira complètement celle du corps humain dans la résurrec- 
tion; de telle sorte que Dieu éloignera de ce corps tous les défauts et toutes 
les difformités que la foiblesse de la nature corrompue ou ses déviations 
avoient pu produire en lui. Mais quant aux défauts qui dans le corps hu- 
main sont une conséquence légitime des principes universels de la na- 
ture, tels que la pesanteur, la passibilité, et les autres semblables, ils 
demeureront dans les corps des damnés ; seuls les justes en seront déli- 
vrés par le bienfait de leur résurrection glorieuse. 

Je réponds aux arguments : {° Devant un tribunal quelconque les peines 
sont infligées selon la coudition des justiciables de ce tribunal. Les peines 
' donc infligées dans cette vie temporelle pour quelques péchés, doivent 
étre elles-mémes temporelles, et ne sauroient s'étendre au delà du terme 
de cette vie. Par conséquent, bien que leurs péchés ne leur soient pas 
pardonnés, il n'est pas pour cela nécessaire que les damnés aient à subir 
les mèmes peines qu'ils ont souffertes dans la vie; la justice divine exige 
qu'ils éprouvent des chátiments tout autrement graves dans l'éternité. 

2» 1] n'y a pas de parité sous ce rapport entre les bons et les méchants, 
par la raison qu'il peut y avoir un bien parfait, mais non un mal absolu. 
La supréme félicité des saints veut donc qu'ils soient entiérement délivrés 
de tout mal; tandis que la supréme infortune des méchants n'exclut 
pas absolument tout bien; «un mal qui seroit total se détruiroit lui- 





irretitus. Unde, si ille qui in hac vita defor- 
mitates habuit, cum eis resurgat, sine quibus 
consiat quód resurget alius graviüs puniendos, 
qui eag in hac vita non habuit, modus pons 
Don responderet quantitati culpe, sed magis vi- 
deretur aliquis puniri pro penis quas in hoc 
mundo passus fuit; quod est absurdum. Et 
ideo alii rationabilius dicunt quód author qui 
Baturam condidit, in resurrectione naturam 
corporis integrè ‘reparabit. Unde quicquid de- 
fectûs vel turpitudinis ex corruptione vel de- 
bilitate nature sive principiorum naturalium 
in corpore fuit, totum in resurrectione reino- 
vehitur, sicut febris, lippitado, et similia. De- 
fectus autem qui ex naturalibus principiis in 
humano corpore naturaliter consequuntur; sicut 
ponderositas , passibilitas , et similia, in corpo- 
Tibus damnatorum erunt ; quos defectus ab elec- 


Aie 


torum corporibus gloria resurrectionis excludet. 
Ad primum ergo dicendum, quàd cùm pena 
in quolibet foro infligatur secundüm conditio- 
nem illius fori, poene qua in hac vita tempo- 
rali infligantur pro aliquo peccato, temporales 
sunt, et ultra vite terminum non se exten- 
dunt. Et ideo, quamvis peccatum non sit re- 
missum damnatis, non tamen oportet quód 
easdem ponas ibi sustineapt, quas in hoc mundo 
sunt passi; sed divina justitia requirit ut ibi 
pœnis gravioribus in eternum crucientur. 
Ad secundum dicendum, quód non est si» 
milis ratio de bonis et malis; eo quód aliquid 
potest esse puré bonum , non autem puré ma- 
lum. Unde Sanctorum ultima felicitas hoc re» 
quirit ut ab omni malo penitus sint immunes; . 
sed ultima malorum miseria non excludit omue 
bonum; quia « malum si integrum sk, cor- 


24 SUPPLÉMENT, QUESTION BXXXVI, ARTELE 2. 
même (1), » a dit le Philosophe, Effiie., IV, 14. Le supplice des damnes 
porte nécessairement sur un bien, le bien de la nature, œuvre. du Créa- 
teur; et le.Créateur, qui est la penfeckion même, rétablira oette nature 
dans sa perfection relative at spécifique. 

3° La lenteur-ou le pesanteur est un de ces défauts qui dérivent natu- 
rellement des principes constitutifs du corps. humain ; mais i1 n’en est 
pas de même d'une difformité. I1 n'y a donc pas de parité à établir. 


ARTICLE. IL. 
Les corps des dammés seront-ils incorruptibles? 


Il paroit que les corps des damnés seront sujets à la corruption. 1° Tout 
être composé d'éléments contraires doit nécessairement secorrompre. Or les 
corps des damnés seront composés d’éléments contraires, c’est-à-dire des 
mêmes éléments qui les constituent ici-bas ; car sans cela ils ne seroient ni 
numériquement ni spécifiquement les mêmes. Doncils seront corruptibles. 

2» Si les corps des damnés ne devoient pas étre corruptibles, cela auroit 
lieu en vertu de la nature, ou de la grace, ou de la gloire. Or cela ne peut - 
avoir lieu ni par leur nature, qui sera celle qu'ils possédent maintenant, 
ni par la grace ou la gloire, puisqu'ils en seront entiérement privés. Donc 
ils seront corruptibles. 

3* Il y auroit contradiction à supposer exempts de la plus grandé des 
peines ceux qui sont plongés dans Ia supréme infortune. Or la plus grande 
des peines c’est la mort, comme on le voit, Ethic., III, 14.11 ne faut denc 
pes admettre que les damnés, eux qui sont plongés dans la supréma in- 
fortune, soient à l'abri de la mort. Donc leurs corps seront corruptibles. 


Mais le contraire est ainsi formulé, Apoc., IX, 1 : « Dans ces jours les 


(1) Par la raison qu'un mal total supprimeroit la vie elle-même, le. bien fondamental, et 
rendroit par conséquent tout mal absolument impossible. 





rumpit se ipsum,» ut Philosophus dicit in 
IV. Ethic. Unde oportet quód miserie damna- 
torum substernatur bonum natura in ipsis; 
quod est opus conditoris perfecti, qui ipsam 
Daturam in perfectione sus speciei reparabil. 
Ad tertium dicendum , quód tarditas;est de 
ilis defectibus qui naturaliter consequuntur 
principia humani corporis ; non autem defor- 
TBitas : et ideo de eis non est similis ratio. 


ARTICULUS II. 
Utrum corpora damnatorum erunt incorrup- 
tibilia. 

Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
corpora damnatorum erunt corruptibilia. Omne 
enim compositum ex coutrariis, necesse est 
corrumpi. Sed corpora damuatorum erunt ex 
coutrariis composila, ex quibus eliam nunc 


Er D be 


componuntur; aliès non essent ejusdem spe- 
ciei, et per consequens nec eadem nurero. 
Ergo erunt corruptibilia. 

2. Preterea , si corpora damnatorum noa 
erunt corrupiibilia , aut boc erit. per naturam, 
aut per gratiam, aut per gloriam. Non per na- 
turam ; quia sunt futura ejusdem naturæ, cujus 
et necsunt; nec per gratiam vel gloriam, quia ta- 
libus.omnino carebunt. Ergo erunt corruptibilia.. 

8. Praterea , illis qui sunt in summa mise- 
ria, subtrahere maximam poenarum videtur in- 
conveniens. Sed maxima penarum esl mors, 
ut patet per Philosophum in lll. Ethic. Erga 
à damnatis, qui sunt in summa museria, mors 
removeri nou debet. Ergo eoruin corpora COr— 
ruptibilia erunt. 

Sed contra, qnod dicitur Apoc., IX : « In 


diebus illis quærsnt homines mortem, et non 


DE L'ÉTAT DES CORPS DES DAMNÉS. 


35 


hommes chercheront la mort, et ils ne la trouveront pas ; ils désireront 
mourir, et la mort fuira loin d'owr.» )J 
Les damnés seront frappés d'une peine éternelle dans leur ame et dans 
Jeur corps, selon cette parole, MattA., XXV , &6 : «Ceux-là iront à un 
sapphee éternel. » C'est ce qui ne pourroit avoir lieu si leurs corps étoient 
sujets à la corruption. Donc ils sont ineorruptibles. | 
” (Conciusrox. — Toute corruption étant un changement quelconque, 
eomme le principe du mouvement ne sera ni ne pourra être après la ré- 
, Surrection, il &'y aura plus rien alors par quoi les corps des damnés puis- 


sent être corrompus. ) 


Comme un mouvement ne samroit exister sans principe, on conçoit 
qu'un mobile demeure sans mouvement, et par là méme sans change- 
ment, de deux manières : ou bien, parce que le principe du mouvement 
est empêché dans son action; ou bien , parce qu'un tel principe n'existe 
même pas. Or la corruption est toujours un mouvement quelconque. 
C'est done aussi de deux manières qu'un eorps sujet à la corruption par 
les éléments dont il est composé, peut devenir incorruptible : d'abord, 
quand le principe capable d'amener fa corruption est totalement enlevé. 
Et c'est ainsi que les corps des damnés seront incorruptibles. En effet, le 
ciel étant par son mouvement local la première eause de tous les mouve- 
ments, celle qui met en jeu toutes les causes secondes , le mouvement du 
ciel venant à cesser, il n'y a plus aucun agent qui puisse par un change- 
ment quelconque faire sortir un corps de son état naturel. Après la ré- 
surrection, le mouvement du eiek aura cessé ; aucune propriété, par con- 
séquent, qui puisse alors se substituer à une propriété naturelle du corps 
humain. Or qu'est-ce que la corruption, si ce n'est le terme où vient 
aboutir un changement, tout comme la génération elle-même. Les 
corps des damnés ne seront donc plus sujets à la corruption. Et cela rentre 





invenient eam; et desiderabunt mori , e£ fu- 
giet mors ab eis. » 

Preterea, damnati punientur in anima et 
corpore pená perpetuá, Matth., XXV : « Ibunt 
in supplicium eternum. » Sed hoc esse nou 
posset, si eorum corpora corruptibilia essent. 
Ergo eorum eorpora erunt incorruptibilia. 

(Comctuno. — Cüm corruptio sit mutatio 
quedam, et motás principium post resurrec- 
tionem et deerit et impedietur; mihil erit quo 
corpora damnatorum corrumpi possint. ) 

Respondeo dicendum, qubd cüm in omni 
motu oporteat esse aliquod principium motüs, 
dupliciter motus aliquis vel mutatio à mobili 
removetur : uno modo, per hoc quod impedi- 
tur principium motás; alio modo, per hoc quod 
éeest principium motüs. Corruptio auterh mu- 
^ tatio quedam est. Unde dupliciter potest con. 


tingere ut corpus quod ex. conditione suorum 
principiorum corruptibilitatem habet, incor- 
ruptibile reddatur : uno modo, ex hoc quod 
principium ad corruptionem movens, totaliter 
tollitur. Et hoc modo corpora, damnatorum in- 
corraptibilia erunt. Cüm enim colam sit pri- 
mum alterans per motum suum localem, et alia 
omnia agentia secunda in virtute ipsius agant, 
et quasi ab ipso mota, oportet quód motu coli 
cessante nihil sit agens quod possit corpus per 
alterationem aliquam transmutare à naturali 
sua proprietate. Et ideo post resurrectionem , 
cessante motu cceli, nulla qualitas erit sufi- 
ciens ut corpus humanum alterare possit à sua 
naturali qualitate. Corruptio autem est terminus 
alterationis, sicut et generatio. Unde corpora 
damnatorum corrumpi non peterunt. Et hoc 
deservit diving justitiæ, ut perpetud viventes, 


36 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVI, ARTICLE 2. 


dans le plan de la justice divine, qui veut que leur peine sera éternelle, 
et par là méme leur vie, ccmme nous allons le voir dans l'article sui- 
vant (1). Ici-bas la divine providence veut, au contraire, que nos corps 
soient sujets à la corruption, cette corruption devenant méme un prin- 
cipe de vie. En secónd lieu, un corps peut se trouver à l'abri de la cor- 
ruption, parce que l'action du principe corrupteur sera empéchée. C'est 
ainsi que le corps d'Adam étoit incorruptible ; les éléments contraires qui 
constituent le corps humain étoient alors enchainés par la grace de l'in- 
nocence, et mis hors d'état d'amener la dissolution de ce corps. Mais bien 
plus encore seront-ils enchainés dans les corps glorieux, puisque ces corps 
doivent étre entiérement soumis à l'esprit, comme nous l'avons dit tant 
de fois. D'oà il suit que dans les corps des bienheureux , aprés la résur- 
rection générale, se trouveront réunies les deux causes d'incorruptibilité 
que nous venons d'assigner. 

Je réponds aux arguments : 1* Les éléments contraires dont les corps 
sont composés ne sont que les causes secondes de la corruption ; c'est 
le mouvement céleste qui en est le premier agent. Du moment donc où 
le mouvement du ciel existe, il faut nécessairement qu'un corps formé 
d'éléments contraires tombe en dissolution, à moins qu'une cause plus 
puissante ne vienne l'en empécher. Mais si le mouvement du ciel n'existe 
plus, les éléments contraires dont le corps est composé ne peuvent pas 
seuls en amener la corruption , en vertu méme de sa nature, ainsi que 
nous l'avons dit plus haut. Les philosophes ignoroient que le mouvement 
du ciel dût un jour cesser. Aussi tenoient-ils pour certain qu'un corps 
formé d'éléments contraires devoit nécessairement subir la corruption, 
d'aprés sa nature méme. 


(1) Voilà en définitivela véritable raison pour laquelle les corps des damnés sont incorrup- 
tibles , c'est-à-dire immortels. Et cette raison s'applique également aux corps des bienheureux. 
Dieu met les uns et les autres à l'abri de la destruction, parce qu'il a voulu rendre éternels leur 
bonheur ou leur malheur, le châtiment et la récompense. Les considérations qui précédent, 
empruntées à la physique d'Aristate, peuvent être déclarées de nulle valeur, sans que la doc- 
trine de l'Eglise en éprouve aucune atteinte. C'est ici, en effet , l'un des dogmes essentiels de 





perpetuó puniantur; quod divina justitia re- 
quint, ut inf.a dicetur art. 3 : sicut et nunc 
corruptibilitas corporum deservit divini provi- 
denti, per quam ex aliquibus corruptis alia 
generantur. Alio modo, contingit ex hoc quod 
principium corraptiouis impeditur. Et hoc modo 
corpus Ada incorruptibile fuit ; quia contrariae 
qualitates in hominis corpore existentes conti- 
nebantur per gratiam innocentiæ, ne ad disso- 
lutionem corporis agere possent; et multà plus 
continebuntur in corporibus gloriosis, qua erunt 
omnino subjecta spiritui. Et sic in corporibus 
beatorum post resurrectionem communem con- 
jungentur duo modi praedicti incorruptibilitatis. 


p C 


Ad primum ergo dicendum , quód contraria 
ex quibus corpora componuntur, sunt secunda 
principia ad corruptionem agentia; primum 
enim agens est motus celestis. Unde, suppo- 
sito motu coli, necesse est ut corpus ex con- 
trariis compositum corrumpatur; nisi sit aliqua 
causa potior impediens. Sed motu cceli remoto, 
contraria ex quibus corpus componitur, non 
suffüciunt ad corruptionem faciendam , eliam 
gecundüm naturam, ut patet ex dictis (in corp). 
Cessationem autem motüs ccelestis non cogno- 
verunt Philosophi. Uude pro infallibili habe- 
bant quüd corpus cempositum ex contrariis 
corrumpatur secundüm naturam, 


DE L'ÉTAT DES CORPS DES DAMNÉS. 91 


2o C’est en vertu de la nature que cette incorruptibilité aura lieu ; non 
qu'il doive y avoir dans les corps des damnés un principe spécial qui les 
mette à l'abri de la corruption, mais bien par l'absence de tout principe 
corrupteur, comme nous venons de l'expliquer. 

3° Absolument parlant, la mort est sans doute la plus grande des peines; 
mais cela n'empéche pas qu'elle ne püt, en certain cas, devenir le plus 
efficace des remèdes, et que dés lors l'absence de la mort ne soit un ch4- 
timent de plus. « Vivre, dit le Philosophe , Ethic., IX, 9, est une chose 
douce à tous les êtres; car tout aspire à l'existence. Il n'est pas bon 
toutefois de posséder une vie mauvaise, corrompue, ni méme une vie 
plongée dans la tristesse. » De méme donc que la vie considérée en elle- 
méme est une chose douce, tandis qu'elle ne l'est pas dans le malheur, 
de même la mort, considérée comme la privation de la vie, est pénible 
et la plus grande des peines, puisqu'elle nous ravit le plus grand de tous 
les biens, celui avec lequel tous les autres nous sont ravis; mais en tant 
qu'elle nous délivre d’une vie mauvaise et plongée dans la douleur, elle 
est le reméde de nos maux, puisqu'elle y met une fin. Voilà comment 
l'absence de la mort ajoute à nos peines; elle les rend éternelles. Et si 
l'on nous dit que la mort est une peine elle-même, à raison de ce qu'on 
éprouve quand on la subit, il est aisé de répondre que les damnés souffri- 
ront à jamais des douleurs tout autrement intolérables. Voilà pourquoi 
nous disons qu'ils subissent une mort éternelle, cenformément à cette 
parole, Psalm. XLVIII, 15 : « La mort fera d'eux sa pature. » 

Ja Religion. Les Pères et les Docteurs sont unanimes sur ce point. Saint Augustin commentant 
Ja parole de l'Evangile qui sert de fondement à cette thèse : « Ceux-là iront au supplice éter- 
pel,» ajoute tout simplement : « ce qui $'accomplira pour le corps, aussi bien que pour 
Y áme.» Saint Cyrille de Jérusalem l'enseigne d'une maaiére non moins explicite, Catech. XVIII: 


« Nous aurons tous des corps immortels; le juste, pour qu'il puisse à jamais converser avec 


les anges; le pécheur, pour qu'il brüle à jamais dans le feu de l'enfer. Et c'est justice, puis- 
que nous n'avonsrien fait sans le corps.» 





Ad secundum dicendum, quód incorruptibi- 
litas illa erit per naturam; non quód sit aliquod 
incorruptionis principium in corporibus dam- 
natorum, sed per defectum principii moventis 
ad corruptionem, ut ex dictis patet ( in corp. ) 

Ad tertium dicendum , quód quamvis mors 
sit simpliciter maxima penarum, secundüm 
quid tamen nihil prohibet mortem esse in pæ- 
Barum remedium; et per consequens, ablatio- 
mem morüis in ponaram augmentum. « Vivere 
(enim, ut dicit Philosophus IX. Ethic., cap. 9, 
vel 41), videtur omnibus delectabile esse , eo 
quod omnia esse appetunt. Non oportet autem 
(ut ibidem dicitur) accipere malam vitam, 
neque corruptam, neqne quæ est in trisliliis. » 
Sicut ergo vivere simpliciter est delectabile, 


non autem vita qua est in tristitiis: ita et 
mors quæ est privatio vite, simpliciter est pæ- 
nosa et maxima penarum, in quantum sup- 
trahit primum bonum ( scilicet esse, cum quo 
omnia alia subtrahuntur); sed in quantum pri- 
vat malam vitam et qua est in tristiliis, est in. 
remedium pœnarum, quas terminat. Et per 
consequens, mortis subtractio est in augumen- 
tum penarum, quas perpetuas facit. Si autem 
dicatur mors esse pœnalis propter corporalem 
dolorem , quem sentiunt morientes, non est 
dubium quód multà majorem dolorem damuati 
continué suslinebunt. Unde in perpetua morte 
esse dicuntur, sicut scriptum est in Psalm. 
XLVLI : « Mors depascet eos. » 


\ 98 SUPPLÉMENT, QUESTEUN:.LXXXVI, ARTICLE 3. 


ARTICLE: TL. 
Les corps des damnés sont-ils impassibles'? 


Il paroit que les corps des damnés seront impassibles. 1° Le Philosophe 
dit, Topic., VI, 3 : a Toute passion ou action subie, à mesure qu'elle croit, 
enlève toujours quelque chose de la substance. » Or, si d'un être fini on 
enlève toujours quelque chose, il faut nécessairement que cet être finisse . 
par être consumé ;» c'est encore ce que le Philosophe dit, PAysic., I, 37. 
Donc, si les corps des damnés sont passibles et souffrent en effet, ils sont par 
là méme sujets à la corruption ou à la destruction. Mais nous venons de 
voir que cela n'est pas. Ces corps ne sont donc pas non plus impassibles. 

2» a Tont agent s'assimile l'étre sur lequel son action s’exerte. » Si. 
donc les corps des damnés subissent l'action du feu , le feu finira par se 
les assimiler. Or il ne consume pas autrement les corps qu'en se les assi- 
milant par leur dissolution. Par conséquent, les corps des damnés seront 
aussi consumés de la méme manière ; et nous avons déjà dit que cela 
étoit impossible. 

3° Les animaux que l'on dit vivre dans le feu sans en être détruits, 
comme la Salamandre, ne doivent pas non plus en être tourmentés ; car 
un être animé on bien l'ame elle-même n'éprouve une douleur corporelle 
qu'autant que le corps est lésé d'une maniére ou d'une autre. Si donc les 
corps des damnés peuvent demeurer dans le feu sans en être consumés, 
comme les animaux dont nous venons de parler, et comme le suppose 
aussi saint Augustin, De Civit. Dei, XXI, 4, il paroit qu'ils n'en éprouve- 
ront jamais aucune douleur; ce qui n'auroit lieu qu'autant qu'ils se- 
roient impassibles. Donc ils le sont récllement. 





ARTICULUS IIL tientur ab igne, ignis ea sibi assimilabit. Sed 
. non consumit aliter ignis corpora, nisi in quan- 
Urin corpor dpassbilia. ^ "ni JUiWP^ Jun ea sibi assimilans resolvit. Si ergo cor 


pora demnmalorem erunt passibitia ab igne, 
Ad tertium sic proceditur. Videtur quód cor-lquandoque cemewmentur. Ei sic idem «mod - 
pora damnatorum futura sint impassibilia. Quia, | pris. 
secundüm Philosophum in VL Topic., cap. 8,( 3. Preterea animalia que in gee sine cor- 
« omnis passio magis facta abjicit à substan- | ruptione dicuntur vivere, ut de Salæmandra di- 


tia (1). » Sed « à finito, si semper aliquid 
abjiciatur, necesse est illud tandem consumi, » 
ut dicitur in I. PAysicor. (text 87). Ergo, si 
corpora damnatorum erunt passibilia et semper 
patientur, quandoque deficient et corrumpen- 
tur. Quod falsum esse ostensum est art. $. Erge 
erunt impassibilia. 

2. Preterea , « omne agens assimilat sibi 
patiens. » Si ergo corpora damnatorum pa- 


citur, ab igne nom afliguntur, animal emim 
( vel anima ) dolore corporis non aflhgiter, nisi 
corpus fliquo modo ledatur. Si ergo cerpora 


damnatorum in igne sine cerruptione remanose . 


possint, sicut e£ animalia pemdiota, ut âme 
gustinus in lib. De Civit. Des, dic (ib. XXI, 
cap. &), videlur quàód sallam affictionem ibi 
sustinebant. Qued nem esset , aisi eoram cor- 
pora impassibilia essent. Ergo, ete. 


(1) Vel juxta grecum. i£iens: vic oùaiac, dejicit à subslantis, ipsum palions, vel rem 


quee passioni subjicitur. 


DR L'ÉTAT DES CORPS DES PAMNÉS. 39 


4^ Si les «apps des dæmnés sont sujets à la douleur, ta douter qu'ils 
subissent doit l'emporter sur toutes les douleurs eorporelles d'ici-bas ; de 
même que la joie des Saints l'emporte sur teutes les joies de la vie pré- 
sente. Or La violence de la douleur fait souvent iei bas que l’ame est sé- 
parée dn oorps. ‘Donc à ples ferte raison cela aura-t-A dieu dans l'autre 
vie, et les corps par là mème tombevont-ils en dissolution, s'ils sont des- 
tinés à souffrir de semblables douleurs. Mais il est fatix. qu’ils puissent 
tomber en dissolution. Ils sont donc impassibles. 

Mais le ‘contraire se déduit de oette parole de l’Apôtre, T. Corinth., 
XV, 52 : « Pour nous, nous serons transformés :» car woiei comme la 
Glose l'entend : « Nous seuls, les jastes, nows serons transformés par 
l'immutabilité et Fimpassibikité de la gloire. » 

Le corps coopére à l'ame pour le péché tout comme pour le mérite. Or 
la coopération dm mérite fait que le corps sera réoonpetimé avec l'arme 
après la résurrection. I faut donc également que les corps des damnés 
participent mux peimes de l'ame. C'est ce qui ne pourroit avoir lieu s'ils 
étoient imypassibles. Donc ils ne le sont pas. 

(Conczusion. — Bien que la justice divine permette que les corps des 
damnés ne soient jamais consumés par le feu, ni méme altérés dans leat 
nature, ils n'en seront pas moins sujets à la douleur. ) 

La principale raisen qu'on peut donner de ce que les corps des damnés 
me seront pas consumés par de feu, c'est la justice divine; elle exige qu'ils 
soient dévoués à une peine éternelle. Or la justice divine se sert des dis- 
positions établies par la nature, soit dans le corps qui subit l’action, soit 
dans l'agent qui l'axesce ; ear, comme le mot passion implique toujours 
d'une certaine manière l'idée d'une chose reçue, la passion peut être en- 
visagée sous un double aspect, tout comme une chose peutétre reçue d'une 
double manière : d'abord, ane forme peut être recue par son sujet maté- 





&. Praeterea, si corpora damnatorum sunt 
passibilia, dolor qui ex eorum passione pro- 
. Venit , superare debet omnem presentem cor- 
porum dolorem (ut videtur) sicut et sancto- 
fum jucunditas supersbit omnem presentem 
jecunditatem. Sed propter immensitatem do- 
loris qusudeque contigit in hac vita amimam 
à corpete separari. Ergo malt fortibs, si cor- 
pera illa fuara sant passibilia, ex immensitate 
doloris , ante à corpore separabuntur ; et sic 
corpora corruümenter : quod falsum est. Ergo 
corpora illa eret impassibilia. 
Sed contra est quei dicitur, T. Cor., XV : 
« Et nos immutabimet e Glossa ::« Nos boni 
tantummodo immetsbimur glorie immutabili- 
tale et impassibilitate. » Ergo eorpora damna- 
torum non erunt impassibilia. 
Preterea, sicut corpus cooperator anime ad 
meritum, ita cooperatur €i ad peccatum. Sed 


propter cooperatienem predictam non som 
anima sed etiam corpus post resurrectionem 
præmiabitar. Ergo et simili ratione damnato- 
rum corpora punientur. Quod nou esset si im- 
passibilia forent. Ergo erunt passibilia. 

(CowcLusio. — Corpora damnatorum etii 
propter divinam justitiam ab igne nunquam 
consumentur, passibilia tamen erunt sine na- 
turalis dispositionis mutatione. ) 

Respondeo dicendum, quód principalis causa 
quare corpora damnatorum ab igne non consu- 
rentur, erit divina justitia, qua eorum corpor& 
ad poenam perpetuam sunt addicta. Sed divin 
justitie servit etiam naturalis dispositio EX 
parte corporis patientis, et ex parte agentiam; 
quia, cüm pati sit recipere quoddam, duplez 
est modus passionis, secundüm quod aliquid 
in aliquo recipi potest dupliciter : potest. enims 
aliqua forma recipi in aliquo subjecto secun- 


4 3» 


Lo . : 
SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVI, ARTICLE 3. 


omnt et selon son étre naturel; c'est ainsi que la chaleur passe du 
air. Cela détermine un mode de souffrance ou de passion, que l'on 
SOLD passion naturelle. En second lieu, une chose peut étre reque dans 
905 sujet spirituellement et d'une manière virtuelle; c'est ainsi que 
l'image de la blancheur est reçue dans l'air et dans la pupille de l'cil. 
ce mode de réception est comparé à celui dont notre ame recoit les 
images des choses. A celui-là se rapporte un second mode de passion, ap^ 
pelée passion de l'ame. Or, comme aprés la résurrection, le mouvement 
du ciel ayant cessé, aucun corps ne pourra plus être altéré dans ses qua- 
lités naturelles, ainsi que nous l'avons dit dans le précédent article, il est 
évident que la passion naturelle n'existera plus pour aucun corps. Sous 
ce rapport donc et quant à ce mode de passion, les corps des damnés seront 
impassibles, tout comme ils seront incorruptibles. Mais, aprés méme que 
le mouvement du ciel aura cessé, il y aura encore ce que nous avons ap- 
pelé la passion de l'ame; car l'air sera encore illuminé par le soleil et 
portera à notre cil les couleurs diverses et les divers aspects du monde 
renouvelé. C'est selon ce mode de passion que les corps des damnés de- 
meureront passibles. Et comme une telle passion rend le sentiment plus 
vif au lieu de l'altérer, les corps des damnés éprouveront la sensation de 
la douleur, sans qu'il y ait aucune altération dans les dispositions essen- 
tielles de leur nature. Pour les corps glorieux , bien qu'ils soient suscep- 
tibles de certaines impressions, et que la faculté de sentir soit en eux une 
Sorte de passion , on ne peut pas dire qu'ils seront réellement passibles; 
car ils ne pourront plus éprouver ni lésion ni douleur, comme le pourront 


au contraire le corps des damnés, dont nous disons pour cela qu'ils se- 
ront passibles (1). 


(1) Ne craignons pas encore ici de le reconnoftre, l'explication que l'auteur vient de don- 
per, ne fait nullement disparoftre le mystére qu'impliquentles peines éternelles de l'enfer. C'est 
à la justice divine qu'il faut recourir, non certes pour les expliquer en elles-mêmes, mais pour 
en admettre l'existence. Ces peines ne répugnent pas; c'est tout ce qu'on peut en dire au 
point de vue de la raison; et cela suffit. S'il est un dogme clairement exprimé dans les saintes 





düm esse naturale materialiter; sicut calor ab 


igne recipitur in aere materialiter. Et secundüm 
hunc modum receptionis est unus modus pas- 
sionis , qui dicitur passip nature. Alio modo 
aliquid recipitur in alio spiritualiter, per mo- 
dum intentionis cujusdam, sicut similitudo al- 
bedinis recipitur in aere et in pupilla. Et hac 
receptio ass.milatur illi receptioni qua anima 
recipit similitudines rerum. Unde, securdüm 
hunc modum receptionis est alius modu. yas- 
sionis , qui vocatur passio animæ. Quia igitai 


- post resurrectionem , motu celi cessante , non 


poterit aliquod corpus allerari à sua naturali 
qualitate, ut dictuin. est art. 2, nullum corpus 
pau polerit passione naturas. Unde quantum 


ad hunc modum passionis corpora damnatorum 
impassibilia erunt, sicut et incorruptibilia. Sed 
cessante motu coli, adhuc remanebit passio 
qua est per modum anima; quia et aer à 
sole illuminabitur, et colorum differentias de- 
feret ad visum. Unde et secundüm hunc mo- 
dum passionis corpora damnatorum passibilia 
erunt. Et quia in tali passione sensus perlicilur, 
ideo in corporibus damnatorum sensus pena 
erit sine mutatione naturalis dispositionis. Cor- 
pora veró gloriosa etgi recipien! aliquid, el 
quodammodo patientur in sentiendo, non tamen 
passibilia erunt; quía nihil recipient per mo- 
duin afflictivi vel læsivi; Sicut recipient corpora 
damnatorum , qui ob hoc passibilia dicuntur, 


DE L'ÉTAT DES CORPS DES DAMNÉS. 41 


Je réponds aux arguments : 1* Le Philosophe parle là de la passion qui 
a pour effet de modifier les dispositions naturelles de son sujet. Telle 
n’est pas la passion que nous admettons dans les-corps des damnés, 
comme il vient d'étre dit dans le corps de l’article. 

2 L'agent imprime doublement sa ressemblance dans le sujet où il 
exerce son action : une ressemblance en quelque sorte matérielle ; ainsi 
la chaleur produit la chaleur, et le feu engendre le feu. En second lieu, 
d'une manière seulement virtuelle. Et il y a encore ici une distinction 
à établir : parfois la forme se trouve dans l'agent d'une manière spiri- 
tuelle, tandis qu'elle est matériellement recue dans le sujet ; ainsila 
forme d'une maison est une chose purement spirituelle dans la pensée de 
l'architecte, et matérielle dans la maison qu'il a réellement bâtie. Parfois, 
au contraire, c'est l'agent qui posséde matériellement la forme , tandis 
qu'elle n'est que spirituellement dans le sujet ; la blancheur est matériel- 
lement sur le mur, et elle est virtuellement dans la pupille de notre œil 
et dans le milieu qui nous la transmet. C’est ici ce qui a lieu pour les 
corps des damnés, en ce qui concerne le supplice du feu. Et l’on comprend 
de la sorte que le feu se les assimile sans les consumer. 

3 D’après le Philosophe, dans son livre sur les propriétés des elé- 
ments, « aucun animal ne peut vivre dans le feu. (1)» Gallien dit éga- 


Ecritures, constamment enseigné par la tradition, formellement imposé par l'Eglise, fréquem- 
ment développé par les orateurs chrétiens, c'est que les damnés souffriront à jamais le sup- 
plice du feu. On ne sauroit le nier sans être hérétique; on ne sauroit essayer de l'affoiblir, 
comme on l'a fait à notre époque, sans faire cause commune avec les mauvaises passions et 
Jes vains préjugés du monde, sans travailler méme à la ruine de la société , aussi bien que de la 
Religion ; car ce dogme sert de fondement à l'une, tout en sanctionnant les préceptesde l'autre. 

(t) D'une manière continue et comme dans son élément propre , faudroit-il ajouter pour 
être complétement dans le vrai. Il n'est pas de substance, en effet, moins encore d'animal 
vivant, qui puisse résister à l'action prolongée du feu; et les exceptions qu'on signale ne 
tiennent qu'à des expériences incomplétes, à une erreur des sens, ou bjen à ce que le feu 
n'atteint pas un certain degré d'intensité que la pensée conçoit sans peine, alors que les faibles 
instruments de l'homme ne sauroient y parvenir. Mais telle ne seroit pas la pensée d'Aristote ; 
Youvrage cité dans cette réponse n'est pas de lui; et dans son Histoire des animauz, dont 
J'authenticité est hors de doute, il se range à l'opinion qu'il y a des animaux qui, non-seule- 





Àd primum ergo dicendum , quód Philoso- 
phus loquitur de illa passione per quam trans- 
mutatur patiens à sua naturali d'spositione. 
"Talis autem passio non erit in corporibus dam- 
natorum, ut dictum est ( in corp.) 

Ad secundum dicendum , quód similitudo 
agentis est dupliciter in patiente : uno modo, 
per modum eumdem quo est in agente; sicut 
est in omnibus agentibus univocis, ut calidum 
. facit calidum , et ignis generat ignem. Alio 
modo, per modum diversum à modo quo est 
in agente; sicut est in omnibus agentibus æ- 
quivocis : in quibus quandoque contingit quèd 
$n agente est forma spiritualiter, qua in pa- 
liente materialiter recipitur, sicu& forma que 


est in domo facta per artificem, est materialiter 
in ipsa, et in mente artiflcis est spiritualiter. 
Quandoque verb è converso est meterialiter in 
agente, et recipitur spiritualiter in patiente; 
sicut albedo materialiter est in pariete, à quo 
recipitur; spiritualiter in pupilla , et in medio 
deferente. Et similiter est in proposito; quia 
species quæ materialiter est in igne, recipitur 
spiritualiter in corporibus damnatorum. Et sic 
igois sibi assimilabit damnatorum corpora, nec 
lamen ea consumet. 

Ad tertium dicendum , quèd secundèm Phi- 
losophum in lib. De proprietatibus elemen- 
torum, «nullum animal in igne Vivere po. 
test » Galenus etiam in lib. De simplicibus 


52 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVI, ARTICLE 3. 

lement, dans son traité des médicaments simples : a M n'est pas de corps 
que le feu ne finisse par consumer; » bien qu'il y ait certuins corps qui 
peuvent quelques instants denseurer dans le feu sans en subir l'action, 
l'ébéne, par exemple. Ce que l’on dit donc de Fa Salamandre n’est pas 
entièrement vraiwembiable. Elle ne pourroit pas rester constamment dans 
le feu sans en être dévorée , comme cela a lieupourles corps des dammés. 
Mais quoique ces corps ne doiventpas être essentiellement Yésés par le feu, 
cela ne veut pas dire qu'ils n’en reçoivent les terribles impressions. L'ob- 
jet qui agit sur les sens ne les flatte on ne les tourmente pas seulement 
par manière de passion naturelle, laquelle a pour effet de fortifier ou 
d'altérer l'organe; mais il exerce encore une action virtuelle. Quand il y 
a proportion , harmonie entre l'organe et l’objet, l'impression est agréa- 
ble; et le contraire a lieu quand il y a surabondance ou défaut. Voilà 
pourquoi l'harmonie des couleurs ou celle des sons frappent délicieuse- 
ment nos organes, que le désaccord fatigue et irrite. 

&^ Si la deuleur va quelquefois jusqu’à séparer l’ame du corps, ce n'est 
pes en tant qu'elle est renfermée dans l'une des puissances de l'ame, qui 
est le vrai sujet de la douleur; c'est uniquement parce que sous l'empire 
de cette passion le oerps est altéré dans ces dispositions naturelles, tout 
comme nous voyons la colère te rendre brülant, et la crainte le glacer. 
Mais après la résurrection rien ne pourra plus altérer notre corps dans 
ses dispositions naturelles, comme cela résulte clairement de ce que nous 
avons dit. Quelque grande que doive donc être alors la douleur, elle ne 
séparer pas l'ame du corps. 
ment vivent dans le feu, mais ne peuvent même vivre hors de oct élément. Quoi qu'il en 


$0it, ce qui a lieu sur la. terre, ne préjudicie nullement à ce que ‘la fei nous enseigne de 
l'enfes, 





medicamentis, dicit quód « nullum corpus est 
quod tandem ab igne non consumatur; » quam- 
vis quandoque quadam corpora sint, quae ad 
horam in igne sine lesione permaneant , ut 
patet de &beno. Unde quod inducitur de Sala- 
maudra, non est omnino simile;.quia non pos- 
set perseverare finaliler in igne sine corrup- 
lione; sicut. corpora damnatorum in inferno. 
Neque tamen oportet quód quia corpera dan- 
natorum ab igne inferni per corruptionem ali- 
quam non lædentur, propter hoc ab igne non 
affigantur. Quia sensibile non solàm natum 
est delectare vel affligere sensum secundüm 
quod agit actione natare, confostando vel 
corrumpendo organum; sed etiam secundüm 
quod agit actione spiritual? ; quia quando 
sensibile st in delita proportiome ad eeatien- 


dum, delectat; à contrario autem , quando se 
habet in superabundantia wel defectu. Unde et 


colores medii et voces consonantes sunt delee-. ' 


tabiles, inconsonantes aulem offendunt au- 
ditum. 

. Ad quartum dioeadum, quèd dolor mon se- 
parat animam à oorpese, secundüm qued manet 
tantàm ia potenti& anims, cujus est dolmre; 
sed secundüm quod ad passiomem animm mu- 
tatur corpus à sua naturali dispositione ; s-: 
cundèm modum quo videmus quod ex ira car- 
pus calescit, et ex timore frigescit. Sed poat. 
resurrectionern corpus nen potesit transmutari 
h sua natureli dispositiose, ut'ex diclis pale. 
Unde, quantuscumque si delot, animam à 


cespore non separabák. 


DE LA CONNOISSANCE QUE NOUS AURONS AU DERNIER JUGEMENT. 43 


QUESTION LXXXVIL 


Be LA cORROÎSSARCS QUE nous aUrSRD au dernier yacemwat RCA nt Yo mérite 
et le áemerite. 


I] est naturel que nous traitions ici de ce qui doit suivre notre ré- 
surrection. Recherchons d'abord quelle est la connoissance que nous 
aurons au dernier jugement concernant 1e mérite et le démérite. Nous 
parlerons ensuite de ce jugement méme, du temps et du lieu où il doit 
être tenu ; troisièmement des juges et des justiciables; quatriémement, 
de l'appareil que doit revêtir le juge supréme; enfin, de l'état du monde : 
et des hommes après le jugement général. 

Sur le premier point on demande trois choses : 1° Chaque homme con- 
naitra-t-il au jugement tous sos péchés? 2» Chacun pourra-t-il lire tout 
ce qui sera dans la conscience d'un autre? 3° Pourra-t-on voir d'un seul 
coup d'ail tous les mérites et démérites ? 


ARTICLE L 
Chaque hommeaprèsiarésurrection connoftra-t-il tous les péchés qu'il aura commis? 


IL paroit qu'aprés la résurrection chaque homme ne connoitra pas tous 
les péchés qu'il aura commis. 1° Tous les objets de notre connoissance 
nous parviennent ou par une nouvelle impression des sens, ou par un 
Souvenir qui se dégage du trésor de notre mémoire. Or les hommes aprés 
la résurrection ne pourront pas percevoir leurs péchés par le sens, puis- 
que les péchés sont pour eux des choses passées, et que le sens atteste 
seulement les choses présentes; beaucoup de péchés se seront en outre 
effacés de la mémoire, et ne pourront dés-lors s'en dégager. Donc l'homme 


QUESTIO LXXXVII VEL LXXXIX. 


De cognétione quam habebunt resuscitati in judicio respectu meritorum ef demeritorum, 
$9 tres articwlos divisa. 


Post hac agendum est de his qui sequentur 
rTesurrect)onem. Quorum prima consideratio 
erit de cognilione quam habebunt ressuscitati 
in judicio, respectm meritorum et demerito- 
rum; secundd, de jpso judicio generali, ac 


ARTICULUS I. 


Utrüm post vesurrectionem quilibet cognoscet 
peccata qua fecit. 


Ad primum sie proceditur. Videtur quód post 


tempore et loco in quo erit ; tertió , de judi- 
cantibus et judicat; quertd, de forma in 
qua Judex veséet ad judicandum ; quintó , de 
statu mundi et resurgentiam post judicium. 
Circa primum quæruntur tria : 4o Utrüm qui- 
libet homo cegnoscet in judicio omnia peccata 
sua. 2° Utrim quilibel poterit legere omnis que 
sunt jn conscientia alterius. 8° Utrüm omnia me- 


reserrectionem nou cognescet quilibet omnia 
peccata quæ fecit. Omne enim quod cognosci- 
mes, vel de nove per sensum accipimus , vel 
de thesawro memorie educitur. Sed homines 
post resurrectionem sua peceata non poterunt 
seau percipere ; quia jam transierunt, sensus 
sutem est tantüm presentium ; multa etrem 
peccata à memoria peccantis exciderunt , Ep 


rita et demerita uno iatuitu quis videre poterit, À nen poterant de theseuro 


A4 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVII, ARTICLE 1 


à la résurrection ne connoitra pas tous les péchés qu'il avoit commis. 

2 Le Maitre des Sentences dit, IV, #3 : a Il y a comme "'» livre de la 
conscience, où chacun peut lire ses péchés. » Or on ne peut lire dans un 
livre que ce qui s'y trouve écrit. Les péchés, il est vrai, laissent certaines 
empreintes dans la conscience, comme on peut le déduire de ce que dit 
l'Apótre, Rom., II, 15; et ces empreintes ne sont autres que la coulpe et 
la peine. Mais ces deux choses sont effacées par la grace chez un grand 
nombre d'hommes. Donc il en est qui ne pourront pas lire tous leurs 
péchés dans leur propre conscience. 

3° A mesure que la cause augmente, l'effet augmente aussi. Or la cause 
. qui nous fait déplorer les péchés présents à notre mémoire, c'est la cha- 

rité ; etcomme les saints à leur résurrection posséderont une charité par- 
faite, ils déploreront leurs péchéset s'en affligeront au plus haut point, s'ils 
peuvent les rappeler à leur mémoire ; et cependant il est écrit, Apoc., 
XXI,  : « Plus de douleur, ni de gémissements, ni de larmes. » Donc les 
saints ne pourront pas se rappeler leurs péchés. 

&* Tels seront les damnés par rapport aux bonnes œuvres qu'ils ont 
faites dans la vie, tels seront les bienheureux par rapport aux péchés 
qu'ils ont pu commettre. Or il paroit que les damnés n'auront plus alors 
' connoissance de leurs bonnes œuvres; car ce seroit là un grand adoucis- 
sement à leur peine. Donc également les bienheureux n'auront plus la 
connoissance des péchés qu'ils ont commis. 

Mais saint Augustin dit ainsi lé contraire, De Civit., XX, 15: «Parun 
effet spécial de la puissance divine il arrivera que tous leurs péchés se- 
Tont rendus présents à leur mémoire. » 

Comme le jugement humain s'appuie sur le témoignage extérieur, de 








non omnium peccatorum qua fecit resurgens 
cognitionem habebit. 

9. Preterea, sicut in littera dicitur (IV. Sen- 
tent.), « libri conscientiæ quidam sunt, in 
quibus merita singulorum leguntur. » Sed in 
libris non potest aliquid legi, nisi ejus nota 
contineatur iu libro. Notæ autem quadam re- 
manent peccatorum in conscientia, ut patet 
Rom. (1), in Glossa, qui non videntur aliud 
esse quàm reatus vel macula. Cüm ergo mul- 
torum peccatorum macula et reatus à multis 
sit deletus per gratiam, videtur quód non om- 
nia peccata qua fecit, possit aliquis in sua 
conscientia legere; et sic idem quod priüs. 

8. Praeterea, « cresceute causd, crescit ef- 
fectus, » Sed causa qua facit nos dolere de 
peccatis que ad memoriam revocamus, est 
charitas. Cüm ergo in sanctis resurgentibus sit 
perfecta charitas, maximé de peccatis dole- 


bunt, si ea illis ad memoriam revocabuntur. 
Quod non potest esse; quia « fugiel ab eis 
dolor et gemitus, » Apocal., 91. Ergo propria 
peccata eis ad memoriam non revocabuntur. 

4. Preterea, sicut se habebunt resurgentes 
damnati ad bona qua aliquando fecerunt; ita 
se habebunt resurgentes beati ad peccata qua 
aliquando commiserunt. Sed resurgentes dam- 
nati, ut videlur, cognitiunem de bonis qua 
aliquando fecerunt, non habebunt; quia per 
hoc eorum poena multüm alleviaretur. Ergo 
nec beati habebunt cognitionem peccatorum 
quæ commiserunt. 

Sed contra est, quod Augustinus dicit XX. 
De Civit. Dei, qubd « quedam divina vis 
aderit, qua flet ut cuncta peccata ad memo- 
riam revocentur. » 

Præterea, sicut se babet humanum judicium 
ad testimonium exterius, ita se habet divinum 


(1) Super illud nimirum, vers. 15: Testémonium veddonte éllis conscientia, ele. 


DE LA CONNOISSANCE QUE NOUS AURONS AU DERNIER JUGEMENT. 55 


méme le jugement de Dieu s'appuiera sur le témoignage de la conscience, 
d’après cette parole, I. Reg., XVI, 7 : « L'homme voit ce qui paroit au 
dehors ; mais le Seigneur découvre le fond du cœur.» Or le jugement hu- 
main ne sauroit être parfait si des témoins ne déposoient pas sur tout ce 
qui doit en étre l'objet. Donc, comme le jugement de Dieu doit étre abso- 
lument parfait, il faut bien que la conscience dépose fidélement de tout 
ce qui doit en faire la matiére. Mais le jugement doit porter sur toutes 
nos œuvres, bonnes ou mauvaises, comme dit saint Paul, ll. Corinth., 
V, 10: a Il faut que nous soyons tous manifestés au tribunal du Christ, 
afin que chacun lui rende compte de ce qu'il a fait sur la terre, que ce 
soit le bien, que ce soit le mal. » Il est donc nécessaire que tout cela soit 
gravé dans la conscience de chacur 

(CoNcLusioN. — Comme au jour du jugement la conscience de chaque 
homme devra rendre témoignage de sa vie, nos pensées devant faire pour 
chacun de nous l'office d'accusateur ou de défenseur, et toutes nos œuvres 
d'ailleurs devant étre soumises à notre dernier jugement, il faut néces- 
sairement que chacun ait alors la connoissance de tout ce qu'il aura fait.) 

C'est l'Apótre qui l'atteste, Hom., IT, 15, « dans ce jour où Dieu nous 
jugera, chacun recevra témoignage de sa propre conscience ; il sera accusé 
ou défendu par ses propres pensées. » Or, comme il faut qu'un témoin, 
un accusateur, un défenseur, dans un jugement quelconque, aient au 
moins la connoissance de ce qui doit être l'objet de ce jugement, et comme 
en outre toutes les œuvres des hommes doivent être soumises au jugement 
dernier, 1l faut nécessairement que chacun possède alors la connoissance 
de tout ce qu'il aura fait (1). Aussi la conscience de chaque homme sera- 

(1) Que le secret des consciences doive, au dernier jour, en face du tribunal suprême, ètre 
pleinement révélé, c'est une chose qui n'est pas moins certaine que l'existence méme du Juge- 
ment universel. Ces deux vérités sont nécessairement liées l'une à l'autre, comme saint Tbo- 
mas l'a trés-bien démontré. De plus, elles reposent sur les mémes bases doctrinales , elles 


sont pour tous les chrétiens l'objet d'une croyance identique, d'un seul et méme acte de foi. 
La manifestation des consciences, également dans l'enseignement de tous les docteurs et dans 





judicium ad testimonium conscientiæ, ut patet : que conscientia testimonium vita redditura sit, 
Il. Reg., XVI : « Homo videt ea quz parent; | et cogitationes unumquemque accusaturæ auf 
Dominus autem intuetur cor. » Sed non posset , defensure sint, et omnia opera hominum in 
perfectum judicium humanum esse de aliquo, | judicium sint ventura , oportet ut quisque om- 
nisi testes de omnibus de quibus judicandum ! nium operum suorum notitiam habeat. ) 
est, testimonium deponerent. Ergo oportet, | Respondeo dicendum, quód sicut dicitur 
cüm divinum judicium sit perfectissimum, | Rom., Il, « in die illa cum judicabit Dominus. 
quód conscientia teneat omnia de quibus judi- | testimonum unicuique sua conscientia reddet 
candum est. Sed judicandum erit de omnibus | et cogitaljones erunt accusantes, et defendene 
bonis operibus et malis, Il. Cor., V : « Omnes | tes. » Et quia oportet quód testis , accusator, 
nos manifestari oportet ante tribunal Christi , | et defensor, in quolibet judicio, habeant eorum 
ut referat unusquisque propria corporis prout | notitiam qua in judicio versantur, in illo aue 
gessit, sive bonum sive malum. » Ergo oportet | tem communi judicio omnia opera hominum ia 
quód conscientia uniuscujusque retineat omnia | judicium venient, oportet quód omnium opee 
opera qua fecit, sive bona, sive mala. rum suorum quisque tunc notitiam habeat. Unde 
(Conciusio. — Cüm in die judicii sua cui- | conscientie singulorum erunt quasi quidam 


LS SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVII, ARTICLE 2, 
sol., I1, 4 : «Le suprème genre d'infortune , e'est d'avoir été heureux. » 


ARTICLE II. 
Chacun pourra-t-il lire tout ce qué sera dans la conscience des autres ? 


Il paroit que chacun ne pourra pas lire tout ce qui sera renfermé dans 
la conscience des autres. 1° La connoissance des hommes ressuscités ne 
sera ni plus claire ni plus éteudue que ne l'est maintenant celle des anges; 
tout ce que nous pouvons espérer aprés la résurrection , c'est de leur étre 
égaux, Matth., XXII. Or les anges ne peuvent pas voir dans le cœur les 
uns des autres les choses qui dépendent du libre arbitre, ce qui fait qu’ils 
ont besoin de la parole pour se les communiquer réciproquement. Donc 
les hommes ressuscités ne pourront pas découvrir les choses renfermées 
dans la conscience des autres. | 

20Une chose n’est connuequ'en elle-même, dans sa cause ou dans son effet. 
Or les mérites ou les démérites renfermés dans la conscience d’un homme, 
un autre homme ne sauroit les connoitre en eux-mêmes, puisque Dieu 
seul pénètre dans nos cœurs et en découvre les secrets; il ne sauroit non 
plus les connoitre dans leur cause , tous les hommes ne devant pas jouir 
de la vue de Dieu, seule cause extrinséque agissant sur notre volonté, de 
laquelle procèdent les mérites ou les démérites; il ne sauroit enfin les con- 
noitre dans leur effet, puisque de nombreux démérites ayant été com- 
plétement détruits par la pénitence, on n'en retrouvera plus aucun effet. 
On ne connaitra donc pas la conscience des autres. 

3* Saint Jean Chrysostome dit dans son homélie XXXI sur l'épitre aux 
Hébreux, comme le rappelle le Maitre des Sentences, IV, 17 : « Dans le 
temps présent, si vous gardez le souyenir de vos péchés, si vous les avouez 
fréquemment en présence de Dieu, si vous priez pour qu'ils vous soient 





quia maximus dolor est multa bona perdidisse : | ea quae continentur in conscientiis aliorum. 
propter quod dicit Boetius in Il. De Consolat. | 3. Preterea, omne quod cognoscitur, vel co- 
(prosá 1V ), quód « summum infortunii genus | gnoscitur in se vel in sua causa, vel in suo 
est fuisse felicem. » . leffectu. Sed merita vel demerita quæ continen- 
tor in conscientia alicujus, non poterit alius 
coguoscere in seipsis , quia solus Deus cordi 
illabitur, et secreta ejus intuetur; similiter nec 
in causa sua, quia non omnes videbunt Deum, 
qui solus potest imprimere in affectum, ex quo 


ARTICULUS D. 


Utrüm quilibet poterit legere omnia qua sunt 
in conscientia alterius. 


Ad secundum sic proceditur. Videtur qubd 
non Quilibet poterit legere omnia qua sunt in 
conscientia alterius. Resurgentium enim non 
erit limpidior cognitio quàm nunc sit angelo- 
rum; quorum equalitas resurgentibus promit- 
titur Matth., XXII. Sed angeli non possunt 
invicem in suis cordibus videre ea quæ depen- 
dent à libero arbitrio; unde indigent locu- 
tione ad ea invicem innotescenda , sive notifi- 
canda. Ergo resurgentes non poterunt inspicere 


procedunt merita vel demerita ; similiter etiam 
nec in effectu , quia multa demerita erunt quo- 
rum nullus effectus remanebit , eis totaliter per 
penitentiam abolitis. Ergo non omnia qua 
sunt in conscientia alicujus polerit quilibet 
alius cognoscere. 

8. Ptæterea, Joan. Chrysostomus dicit, ut 
dictum est (IV. Sentent., distinct. 17) : « Nunc 
si recorderis peccatorum tuorum, et frequenter 
ea in conspectu Dei pronunties, et pro eis de- 


DE LA CONNOISSANCE QUE NOUS AURONS AU DERNIER JUGEMENT. 49 


pardonnés, vous ne tarderez pas à les effacer de votre ame. Mais si vous 
les oubliez maintenant, vous vous en souviendrez alors malgré vous, ils 
seront rendus publics, ils seront manifestés à la face de vos amis, de 
vos ennemis et des saints anges. » [1 suit de là que cette manifestation | 
sera le châtiment de la négligence que l'homme met à confesser ses pé- 
chés. Donc les péchés que nous aurons confessés ne seront pas manifestés 
aux yeëx des autres hommes. 

ko C'est un soulagement pour un coupable de savoir qu'il y en a beau- 
cou» qui le sont comme lui, sa honte est moins grande. Si donc chacun 
devoit connoître les péchés des autres, chaque pécheur auroit moins à 
 Tougir des siens; ce que l'on ne sauroit admettre. Tous ne connoitront 
donc pas les péchés de tous. 

Mais sur cette parole de l'Apótre , I. Corinfh., IV : a Il illuminera les 
plus profondes ténèbres, » la Glose dit: « Les faits et les pensées, les biens 
et les maux, seront alors découverts. » 

Tous les péchés dont les élus auront pu se rendre coupables, seront 
également anéantis. Il est des saints néanmoins dont nous connoitrons 
les péchés, la Madeleine, par exemple, Pierre, David. Donc, pour la méme 
raison, les péchés des autres saints seront également connus, et beaucoup 
plus encore ceux des damnés. 

( Conczusion. — Comme il faut qu'au dernier jugement la justice di- 
vine éclate aux yeux de tous, il faut aussi que chacun voie d'une manière 
éclatante la raison de la récompense ou du chátiment, pour les autres 
aussi bien que pour soi; d’où il suit que les mérites et les démérites 
doivent être connus de tous, puisque c'est là-dessus que repose la justice 
d'une sentence. ) 

Dans cet universel et supréme jugement, il faut que la justice divine, 
maintenant cachée dans un si grand nombre de circonstances, éclate 





preceris, citiüs illa delebis. Si verb oblivisca- | « Gesta et cogitata, bona et mala , tunc aperta 


ris, tunc eorum recordaberis nolens, quando 
poblicabuntur, et in. conspectu omnium ami- 
corum et inimicorum sanctorumque angelorum 
profereniur. » Ex hoc accipitur quàd illa pu- 
blicatio pœns est negligentiæ qua homo con- 
fessionem pretermillit. Ergo illa peccata de 
quibos homo confessus est, non publicabuntur 


€. Præterea, solatium est alicui, si scit se 
habere multos socios in peccato , et minüs ve- 
‘ecundatur inde. Si ergo quilibet peccatum al- 
erius cognosceret , cujuslibet peccatoris eru- 
bescentia minueretur : quod non competit. 
Ergo non omnes omnium peccata cognos- 
cent. 

Sed contra, super illud I. Cor., IV : « fllu- 
minabit abscondita tenebrarum, » digit Glossa : 


xvi. 


erunt. » 

Praeterea, omnium bonorum peccata præte- 
rita æqualiter erunt abolita. Sed quorumdam 
sanctorum peccata sciemus , sicut Magdalena, 
et Petri, et David. Ergo pari ratione aliorum 
sonctorum peccata scientur, et multó magis 
damnatorum. 

(Conczusio. — Cùm oporteat in ultimo ju- 
dicio justitiam divinam omnibus apparere, ne- 
cesse est etiam ut cuilibet sua et aliorum præ- 
mialio vel condemnatio manifesta sit, et per 
consequens omnium merita vel demerita , ex 
quibus sententia justa an injusta sit cognos- 
ditur 


Respondeo dicendum , quàd in ultimo et in 
communi judicio oportet quàüd divina justitia 
omnibus evidenter appareat, qua nunc iu ple- 


4 


50 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXWH, ARTIOLE À. 


dans tous les étres et aux yeux de tous les étres. Or la sentence d'un juge 
qui récompense ou punit, ne sauroit être juste qu'en se basant sur les 
mérites ou les démérites. De méme donc qu'un juge et l'assesseur d'un 
juge doivent connoitre les éléments de la cause s'ils veulent porier une 
sentence équitable ; àl faudra de méme, si l'on veut que la sentence soit 
démontrée telle, que tous ceux qui la aonnoissent, sachent aussi sur quels 
éléments elle est fondée (1). Par conséquent, l& récompense ou la peine 
de chacun devant être connue de tous comme elle l'est de lai-méme, il 

- faut aussi que les mérites ou les démérites, sur lesquels la sentence est 
fondée, soient connus de la méme manière. Voilà le sentiment le plus 
probable et le plus généralement reçu, bien que le Maitre des Sentences, 

- IV, 42, embrasse une autre opinion et prétende que les péchés semis par 
la pénitence ne seront pas manäfestés au jour du jugement. Mais s'il en 
étoit ainsi, il en résuMeroit que ni la pénitence elle-méme, par laquelle : 
ces péchés ont été expiés, ne seroit pas parfaitement connue; ce qui tour- 
neroit au détriment de la gloire des saints, et par là même de la gloire de 
Dieu, puisqu'on ignoreroit de quelle miséricorde id a usé egvers plusieurs 
de ses élus. 

Je réponds aux arguments: 19 Tous les mérites qui ont précédé, ou 
bien tous les démérites, ajouteront à la gloire on à la dégradation de 
l'homme ressnscité. C'est donc par ce que l'on verra au dehors qu'on 
pourra lire dans les consciences. Ajoutons à cela que la puissance divine 
disposera tout pour rendre évidente la justice de la sentence qui aura été 
portée. 

2» Les mérites ou les démérites pourront étre manifestés, ou bien dans 


(1) Le jugement universel est surtout nécessaire pour que la providence soit pleinement 
Juatifiée ei que:sa justice éclate aux yeux de tous les hommes réunis. C'est ja pensée qui domine 
toutes les thèses successivement développées, toutes les considérations émises sur cet impor— 





risque latet. Sententia autem condemnantis 


dist. 42) (13; scilicet qubd peccata quæ sunt per 
vel premiantis justa esse non potest., nisi se- 


penitentiam delela , in judicio aliis non pate- 


cundüm merita vel demerita proferatur. Et 
ideo, sicut oportet quód Judex et assessor Ju- 
dicis merita cause cognoscant, ad hoc quód 
justam sententiam proferant, ita oportet ad hoc 
quód justa sententia appareat, quód omnibus 
sententiam cognoscentibus merita innotescant. 
Unde quia , sicut cuilibet nota erit sua præmia- 
tio et sua damnatio, ita et omnibus aliis inno- 
tescet, oportet quód, sicut quilibet sua meita 
vel deinerita reducet.ad memoriam , ila etiam 
et aliena ejus cognitioni subjuceant. Et hæc est 
probabilior et communior opinio; quamvis can- 
trarium magister in littera dicat (IV. Sent., 


(1) Ubi nimirum lit. D, seu 8 4, sic ait: Sx queritur trim 


Prodeant (enc :9 sotiliom omacem , 


tient. Sed ex hoc sequeretur quàd nec etiam 
pœnitentia de peccalis illia perfectè cognosca- 
tur. In quo multum detraheretur sanctorum 
glorie et laudi divine; qua tam mnisericorditer 
sanctos liberavit. PF. 

Ad primum ergo dicendum, quód omnia me- c 
rita praecedentia, vel demerita, facient aliquam 
quantitatem in gloria vel miseria hominis re- 
surgentis. Et ideo ex exterioribus visis pote- 
runt cuncta in conscientiis videri; et præci- 
pu? divina virtute ad hoc operaute, ut segtentia 
judicis Justa omnibus appareat. 

Ad secundum dicendum. quód menta vel 


que foserunt cleoté 


:steut mala damnandorum omuibus erus nola , non 


legi hoc in Scriptura expresoum. Unde non irrationabilier pulari poles pecaeta htc per 
ponientam (acia at deleis, sldic eliam lagi aliis, aliaæerd cunctis propalam. 


AU, 


DE LA CONNOISSANCE QUE NOUS AURONS AU DERNIER JUGEMENT. f£ 


leurs effets , comme nous venons de le dire , ou bien en eux-mémes, par 
un acte spécial de la puissance divine , la force de l'intellect créé ne pou- 
vant aller jusque-là. 

La manifestation des péchés, celle que Dieu permet pour l'ignominie 
du pécheur, est un effet des négligences commises à Yégard de la con- 
fession sacramentelle. Mais les péchés des saints pourront être révélés 
sans qu'il en résulte pour eux ni honte ni confusion ; ainsi 1a gloire de 
Marie-Madeleine ne souffre nullement de ce que ses désordres sont pu- 
bliés solennellement dans l'Ezlise. La honte a été définie, « une crainte 
du déshonneue ,» soit par le Philosophe, Efhic., IV. ult., soit par saint 
Jean Damascéne, De Orth. Fide, W, 15; et une pareille crainte ne sau- 
roit exister dans les bienheureux. La manifestation de leurs péchés, au 
contraire, aura pour effet de les couvrir de gloire à raison de la pénitence 
qu'ils en auront faite. C'est ainsi qu'un eonfesseur approuve et loue celui 
qui confesæ avec courage les plus grands forfaits. Quand on dit que les 
péchés sont effacés, ela signifie simplement que Dieu ne s'en souvient 
plus pour les pwnir. 

4° De ce qu'un pécheur verra les péchés des autres, sa propre confusion 
n'en sera nullement amoindrie; elle ne pourra que s’accroître par une 
telle vue, puisque dans la honted'autrui le pécheur verra de plus en plus 
sa propre honte. Quand il arrive qu'une semblable cause diminue le sen- 
timent de la confusion , c'est parce que ce sentiment repose sur l’appré- 
ciation des hommes; et les répulsions des hommes, aussi bien que leurs 
admirations, s'allanguissent par l'usage. Mais alors cette confusion aura 
surtout pour base l'appréciation méme de Dieu, laquelle est toujours selon 
la vérité , qu'il s'agisse du péché d'un seul ou de ceux d'un grand nombre. 


tant sujet. S'Àl est nécessaire que l'homme soit mauifesté, comme s'exprime le grand Apôtre, 
au tribunal du Christ, il ae J'est pos moins que Dies soit manifesté à l’homme, ofin que tous 
les nuages de la vie présente soient dissipés et que toutes les générations humaines redisen$ 
de concert cette grande parole du prophète : « Vous êtes juste, Seigneur, et voire jugement 
est équitable. » 





demerita poterunt aliis ostendi in suis effec- , eis ad magnam gloriam , propter penitentiam 
tibus, ut ex dictis patet , vel etiam in seipsis, | quam fecerunt; sicut et confessor approbat 
per divinam virtutem; quamvis ad hoc virtus | eum qui magna scelera fortiter confitetur. Di- 
intellectüs creati non sufficiat. cuntur aulem peccata esse deleta, quia Deus 


Ad tertium dicendum, quód publicatio pec- 
catorum ad ignominiam peccantis , est effectus 
pegligentis que committitur in omissione co8- 
fessionis; sed quàd peccata sanctorum reve- 
Jentur, non poteri eis esse in erubescentiam 
vel verecundiam ; sicnt nec Mari Magdalenæ 
est in confusiouem quèd peccata ipsius pu- 
blicè in Ecclesia recitantur, quia « verecundia 
est timor inglorialionis » ut Damascenus dicit 
( lib. I1, cap. 15, vel expressids Philosophus 
IV. Eihic. cap. ult. ), qui quidem timor in 
beatis esso non poterit. Sed talis publicatio erit 


non videt ea ad puniendum. 

Ad quartum dicendum, quód ex hoc quod 
peccator aliorum peecata inspiciet, in nullo sua 
confusio minuelur; sed magis augebitur, in 
alieno vituperio suum viluperium magis aguoa- 


cens. Quód enim ex tali causa coniusio un 


nuatur, contingit ex hoc quod verecundia res- 
picit estimstionem hominum, qua ex cousue- 
tudine redditur levior; sed tumc confusio res : 


pieiet aetimationem Dei, que es secunuüm 


ventatem de quolibet pocoalo, sive Si unius 
tantüm , sive muliorem. 


09 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVII, ARTICLE 3. 


ARTICLE IIL 


Verra-1-on d’un seul coup d'œil tous les mérites et démérites tant des autres que 
de soi? 


Tl paroit qu’on ne verra pas d’un seul coup d’œil tous les mérites et démé- 
rites tant des autres que de soi? 1° Les choses quel’on considère séparément 
ne sont pas vues d'un seul coup d’œil. Or les damnés considéreront séparé- 
ment leurs péchés, et les déploreront de la méme maniére ; et de là cette 
parole que le Sage met sur leurs lévres, Sap., VIII : « A quoi nous a servi 
notre orgueil?..... » Donc ils ne verront pas tout d'un seul coup d'cil. 

9» Le Philosophe dit, Topic., Il, 4 : « On ne sauroit penser plusieurs 
choses à la fois. »Orles mérites ou démérites, les siens ou ceux d'autrui, ne 
seront vus que par la pensée. Donc ils ne sauroient étre vus tous à la fois. 

3 L'intellect des damnés ne sera pas à la résurrection plus lucide que 
ne l'est maintenant celui des saints et des anges, sous le rapport de cette 
connoissance naturelle qui provient des espèces ou des idées innées. Or, 
par une telle connoissance , les anges ne voient pas plusieurs choses à la 
fois. Donc les damnés ne pourront pas non plus voir d'un coup d’œil tous 
les faits qui se seront accomplis sur la terre. 

Mais sur cette parole de Job, VIII : «Ils seront revétus de confusion , » 
la Glose dit : « A la vue du Souverain juge, tous les maux se présenteront 
devant les yeux de l'ame. » Orle juge sera vu tout d'un coup. Donc cha- 
cun verra de méme tous les maux qu'il a commis, et pour la méme raison 
tous ceux des autres. 

Saint Augustin , De Civit. Dei, XX, 5, repousse l'hypothèse d’un livre 
réel et matériel, qui seroit lu au jour du jugement , et dans lequel se- 
roient écrits les faits de chacun ; et la raison qu'il en donne, c’est que nul 
ne pourroit dire ni la grandeur de ce livre, ni le temps qu'il faudroit pour 





ARTICULUS IL. 


Utrüm omnia merita vel demerila, propria et 
aliena, uno intuitu ab aliquo videbuntur. 


Ad tertium sic proceditur. Videtur quód non 
omnia merita vel demerita, propria et aliena, ab 
aliquo, uno intuitu, videbuntur. Ea enim qui 
sigillatim considerantur, non videntur uno in- 
tuitu. Sed damnati sigillatim considerabunt sua 
peccata, et ea plangent ; unde dicuut Sap., V : 
«Quid nobis profuit superbia, etc. » Ergo non 
omnia videbunt uno intuitu. 

2. Preterea , Philosophus dicit in II. Topic. 
cap. 4, quàd « non contingit simul plura 1n- 
telligere. » Sed merita et demerita, propria et 
shena, non videbuntur nisi intellecta. Ergo non 
potcrunt simul omnia videri. 


8. Preterea, intellectus damnatorum non erit 
post resurrectionem limpidior, quàm nunc sit 
beatorum et angelorum, quantum ad coguilio- 
nem naturalem, qua cognoscunt res per species 
innatas. Sed tali cognitione angeli non vident 
plura simul. Ergo nec tunc damnali poterunt 
oinnia facta simul videre. 

Sed contra, super illud Job, VIII: « Induen- 
tur confusione, » dicit Glossa : « Viso Judice, 
mala omnia ante oculos mentis versabuntur. » 
Sed Judicem subit) videbunt. Ergo similiter mala 
qua commiserunt , et eàdem ratione omnia alia. 

Preterea, Augustinus, XX. De Civit. Dei 
(cap. 4), habet pro inconvenienti quód legatur 
aliquis liber materialis in judicio, in quo facta 
singulorum sunt scripta, eo quód nullus valeat 
æstimare illius libri magnitudinem , vel quanto 


DE LA CONNOISSANCE QUE NOUS ATRONS AU DERNIER JUGEMENT. 5% 


le lire (1). Mais on ne peut pas davantage estimer combien il faudroit de 
temps pour voir les mérites ou démérites, tant des autres que de soi, s'il 
falloit les parcourir successivement. Donc il faut admettre que chacun les 
voit tous d'un seul coup d'cil. 

(Conczusion. — Bien que nul ne puisse voir instantanément tous les 
mérites ou démérites , tant des autres que de soi, la puissánce divine fera 
néanmoins qu'on les voie d'une maniére trés-distincte dans un temps 
extrémement court. ) : 

Il existe à cet égard deux opinions : Que lques-uns prétendent qu'on 
verra instantanément tous les mérites et démérites, les siens et ceux des 
autres. C'est une chose qu'on peut aisément croire des bienheureux, par 
la raison qu'ils verront tout dans le Verbe; et de la sorte il ne répugne 
pas qu'ils voient plusieurs choses à la fois. Mais il n'en est plus ainsi 
des damnés , dont l'intellect ne se trouve pas élevé à la hauteur de la vi- 
sion divine. D'autres soutiennent donc que les méchants ne verront à la 
fois leur péchés et ceux des autres que d'une maniére générale, c'est-à-dire 
dans le genre et non dans l'espéce de ces mêmes péchés ; et cela suffit pour 
légitimer à leurs yeux la condamnation ou l'absolution par oà le jugement 
doit finir. fs ne verront donc pas d’un seul coup d’œil le détail de toutes 
les choses qui feront l'objet de ce jugement. Cette explication ne paroit 
pas néanmoins s'accorder entiérement avec les paroles de saint Au- 
gustin ; «ils énuméreront toutes choses, dit-il, d'un regard de la pensée.» 
Or les choses qui ne sont vues que d'une maniére générale ou dans leur 
genre, on ne les énumére pas (2). On pourroit donc adopter à cet égard 


(1) Nous avons déjà citó le passage du saint évéque d'Hyppone; et nous voyons que sa 
pensée sert de base à la doctrine qu'enseigne ici notre auteur. 

(9) Le mot énumérer, comme on l'a vu, ne se trouve pas dans saint Augustin. Mais on ne 
peut pas dire que cette expression ait l'inconvénient d'altérer ou de forcer le sens du texte, 
Philosopbiquement parlant, les choses que l'on connoft en détail, dans leur individualité propre, 


dans leurs circonstances particulières, on les énumére véritablement. C'est assez pour justifier 


la citation. 





tempore legi posset; sed similiter etiam non 
posset æstimari tempus, quantum oporteret 
ponere ad considerandum omnia merita et de- 
merita, sua et aliena, ab aliquo homine, si 
successivè diversa videat. Ergo oportet ponere 
quód omnia simul videat unusquisque. 

( Concivsio. — Etsi in instanti aliquis vi- 
sarus non sit singula merita vel demerita, tam 
sua quàm aliena, tamen brevissimo tempore, 
auxilio divinse virtetis, omnia particularia con- 
siderabit. ) 

Respondeo dicendum, qubd cirea hoc-est du- 
plex opinio : Quidam enim dicunt quàód omnia 
merita et demerita simul aliquis videbit, sua 
et aliena, ia instanti. Quod quidem de beatis 


facil credi potest; quia omnia in Verbo vide- 
bunt, et sic non est inconveniens quód simu 
plura videant. Sed de damnatis, quorum intel- 
lectus non est elevatus ut possint Deum videre, 
et in eo omnia alia, est magis difficile. Et ideo 
alii dicant quód mali simul omnia videbunt in 
genere, peccata sua et aliena ; et hoc sufücif 
ad accusationem illam quæ debet esse in judi 
cio, vel ad absolutionem. Non antem sich 
omnia simul] descendendo ad singula. Sed h 
etiam non videtur consonum dictis Augustini, 
XX. De Civit. Dei (ubi supr), qui dicit quód 
a omnia mentis intuitu enumerabunt (1). » 
Quod autem in genere cognoscitur , non enu- 
meratur. Unde potest eligi media 3 via quid 


(1) Enumerari quidem non sic expressé dicit, sed perinde est ac si dicat. 


56 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVIII, ARTICLE 1; 


(Conczusion. — De méme qu'à la création de l'Univers toutes choses 
ont procédé immédiatement de Dieu, de méme le dernier complément 
sera donné à toutes choses par un jugement universel, qui correspondra 
à cette œuvre première de la puissance divine. ) 

L création appartient à ce premier principe par lequel toutes choses 
sont amenées à l'étre, et le jugement rentre dans ce dernier terme où 
toutes choses seront conduites à leur fin. Or il faut distinguer deux grandes 
opérations divines : l’une, par laquelle il a primitivement, en.constituant 
la nature, appelé tous les êtres à l'existence, opération distincte de celle 
par laquelle il complète cette méme nature; et c'est de celle-là qu'il faut 
entendre le repos que l’Ecriture sainte attribue au Créateur, Genes., II. 
L'autre est celle par laquelle Dieu gouverne tous les étres; et de celle-ci 
ilest dit, Joan., V, 17 : «Mon Père opère encore actuellement, et j'opére 
de méme. » Il faut donc également distinguer deux jugements, mais dans 
un ordre inverse : l'un répond à l’œuvre du gouvernement des créatures; 
car une telle œuvre ne peut pas ne pas être jugée, et le jugement dont 
elle est l'objet portera sur les actions de chaque homme en particulier, 
non-seulement en ce qui le concerne lui-méme, mais en ce qui regarde 
aussi le gouvernement général des créatures. D’où il suit que la glorifi- 
cation d'un homme est différée pour le bien des autres ; et il en est de 
méme de la punition. Îl est donc nécessaire qu'il y ait un autre jugement, 
un jugement universel et final, qui corresponde, mais par opposition, à 
la premiére production des étres. Et voici comment : de méme qu'alors 
toutes les choses ont immédiatement procédé de Dieu, de méme le der- 
nier complément sera donné par Dieu à la création tout entiére, chacun 
des étres qui la composent devant alors recevoir d'une maniére définitive, 
ce qui lui est rigoureusement dû. Il suit encore de là que la justice di- 
debout en présence du tróne; et les livres furent ouverts; et il fut ouvert un autre livre , qui 


est le livre de la vie; etles morts furent jugés d’après ce qui étoit écrit dans les livres con- 
formément à leurs œuvres. » 





(CoscLusio. — Quemadmodum in prima 
rerum productione immediatè omnia processe- 
runt à Deo, ita universale judicium futurum est, 
respondens prime illi rerum productioni, quo 
dabitur ultima completio mundo.) 

Respondeo dicendum, quód sicul operatio 
pertinet ad rerum principium quo producuntur 


. dn esse, ita judicium pertinet ad terminum quo 


res ad finem suum perducentur. Distinguitur 
autem duplex Dei opeiatio : una, qua res pri- 
mitus in esse produxit, instituens naturam , et 
distinguens ea qua ad complelionem ipsius per- 
tinent ; à quo quidem opere Deus dicitur quie- 
visse, Genes., ll. Alia ejus operatio est qua 
operatur i in gubernatione creaturarum , de qua 
Joan., V : « Pater meus usque inodo operatur, 


"*. 


et ego operor. » Et ita etiam duplex ejus judi- 
cium distinguitur, ordine lamen converso : 
unum, quod respondet operi gubernalionis, qua 
sine judicio esse non potest; per quod. quidem 
judicium unusquisque singulariter pro suis ope- 
ribus judicatur, non solüm secundüm quod sibi 
competit, sed etiam secundüm quod competit 
gubernationi universi. Unde dilfertur unius prz- 
miatio pro utilitate aliorum (ut patet Heb»., 
XI), et pene unius ad profectum alterius ce- 
dunt. Unde necesse est ut sit aliud judiciuun 
universale correspondens ex adverso priug re- 
rum productioni in esse, ut videlicet sicul tunc 
omnia processerunt immediatè à Deo , ita tunc 
ultima completio mundo delur , unoquoque ac- 
cipiente finaliter quod ei debetur secundum 


DU JUGEMENT GÉNÉRAL, ETC. 51 


vine se manifestera d'une manière éclatante à ce dernier jugement; elle 
sera délivrée des ténèbres que semble actuellement faire peser sur elle, 
cette disposition providentielle qui fait servir un homme au bien det: 
autres, plus que ne sembleroient l'exiger les œuvres apparentes. Voilà 

pourquoi, enfin, ce jour verra s'accomplir l'entiére séparation des bons 

et des méchants; car désormais il n’y aura plus lieu à ce qu'ils concour- 
ront réciproquement au bien les uns des autres. C'est ce bien qui permet 
ici-bas , tant que durera l'état présent du monde sous le gouvernement 
de la providence, le mélange des justes et des pécheurs. 

Je réponds aux arguments : 1o Tout homme est une personne indivi- 
quelle, et de plus une partie du genre humain. Il est donc passible d'un 
double jugement : d’un jugement particulier ou individuel, lequel sera pro- 
noncé aprés la mort de chacun, alors que chacun sera récompensé ou puni 
selon ce qu'il aura fait sur la terre, non d'une maniére compléte néan- 
moins, puisque le corpsn’y participe pas encore, mais uniquement dansson 
ame. L'homme doit subir un second jugement, en tant qu'il fait partie 
du genre humain ; la justice humaine nous laisse entrevoir quelque chose 
de semblable quand elle prononce sur une réunion d'hommes , chacun. 
devant participer ainsi à l'effet de ce jugement. Au dernier jour, quand 
le jugement universel opérera la compléte séparation des bons et des mé- 
chants, ce jugement s'étendra nécessairement à chacun de nous. Il est 
vrai malgré cela que «Dieu ne juge pas deux fois surla méme chose; »: 
car il n'infligera pas deux peines pour le méme péché , seulement la peine 
qui n'avoit pas été complétement infligée avant le dernier jugement, le 
sera alors, les méchants étant désormais punis dans leur corps, aussi bien 
que dans leur ame. 

2» La sentence portée au jugement universel a pour objet propre la sé- 
paration des bons et des méchants, cette séparation n'ayant pas eu lieu 





seipsum. Unde et in illo judicio apparebit ma- 
mifesté divina justitia quantum ad omnia que 
Dunc ex hoc occultantur, quód iuterdum de 
uno disponitur ad utilitatem aliorum, aliter 
quàm manifesta opera exigere videantur. Unde 
eliam et tunc erit universalis separatio bono- 
rum à malis, quia ulteriüs non erit locus ut 
mali per bonos vel boni per malos proficiant ; 
propter quem profectum interim commixti in- 
veniuntur boni malis quoadusque status hujus 
vite per divinam providentiam gubernatur. 

Ad primum ergo dicendum, quód quilibet 
homo et est singularis quedam persona, et est 
pars totius generis humani. Unde et duplex ei 
judicium debetur : unum singulare, quod de eo 
flel post mortem, quando recipiet juxta ea que 
in corpore gessit, quamvis non totaliter, quia 
Don quoad corpus, sed quoad animam tantèm. 


Aliud judicium debet esse de eo secundüm quód 
est pars totius humani generis, sicut aliquis 
judicari dicitur secundüm humanam justitiam, - 
etiam quando judicium datur de communitate, 
cujus ipse est pars. Unde et tunc , quaudo flet 
universale judicium totius humani generis pet: 
universalem separalionem bonorum à malis, 
etiam quilibet per consequens judicabitur. Nec 
tamen « Deus judicabit bis in idipsum, » quia 
non duas panas pro uno peccato iuferet ; sed 
pena que ante judicium completé inflicta non 
fuerat, in ultimo judicio complebitur, postquam 
impii cruciabuntur quoad corpus et animam 
simul. | 

Ad secundum dicendum, quód propria sen- 
tentia illius generalis judicii est universalis se- 
paratio bonorum à malis, qua illud judicium 
non precedet. Sed etiam nunc quoad particu- - 


58 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVII, ARTICLE 2. 


avant ce dernier jugement. Nous pouvons même ajouter que dans le ju- 
gement particulier qui suit notre mort la sentence n'obtient pas son plein 
effet; car les justes obtiendront une plus grande récompense au juge- 
ment dernier, soit parce que leur corps participera à la gloire de l'ame, 
soit parce que le nombre des saints sera désormais complet; et de méme 
les méchants subiront une peine plus grande provenant de causes abso- 
lument analogues. Plus est grande la masse des damnés, plus nous ap- 
paroissent terribles les flammes de l'enfer. 

Je Le dernier jugement regarde plus directement Puniversalité des 
hommes, que chacun d'eux en particulier, comme nous l'avons déjà dit. 
Bien donc que chaque homme avant ce jugement soit certain de son bon- 
heur ou de son malheur éternels, il ignore ce qu'il en est de la béatitude 
ou de la damnation des autres. Et c'est là ce qui montre la nécessité 
du jugement universel (1). 


ARTICLE Il. 


Ce jugement sera-t-il instruit et prononcé au moyen de la parole extérieure 


Il paroit que ce jugement sera instruit et prononcé au moyen de la pa- 
role extérieure. 1° Saint Augustin dit, De Civit. Dei, XX, 4 : «A quel 
nombre de jours ce jugement devra-t-il s'étendre, c'est ce qu'on ne sait 
pas. » Or il n'y auroit pas d'incertitude à cet égard si les choses qui doi- 
vent avoir lieu au dernier jugement, ne devoient s'accomplir que d'une 
maniére mentale. Donc ce jugement aura lieu par le moyen de la parole 
extérieure, et non uniquement par la pensée. 


(1) La thèse qui vient d'être démontrée l'avoit été déjà par saint Thomas lui-même, III part. 
quas. LIX, art. 5. On pourroit dono, sans trop de sévérité, la regarder comme une répétition 
* peu prés inutile. La seule considération de quelque importance qu'elle fasse valoir , c'est 
'ue le jugement universel aura lieu pour opérer la séparation définitive des bons et des mé- 
bants. Mais, il faut le reconnoltre, les théologiens assignent à ce jugement des causes tout 
autrement frappantes et décisives. Elles sont toutes indiquées, avec beaucoup d'ordre et de pré- 
cision, dans la thése méme de notre saint docteur. C'est à celle-là que les orateurs sacrés 
doivent revenir, s'ij& veulent avoir sur ce sujet une série remarquable de eousidérations à dé- 





lerem sententiam uniuscujusque, non plenéj vel premium innotescet. Unde judicium uni- 
preces judicii effectus; quia etiam boni am- | versale necessarium erit. 
pliàs post judicium præmiabuntur, tum ex 
gloria corporis adjuncta, tum ex numero sance . ARTICULUS TL. 
torum completo ; et mali etiam plus torquebun- | Utrèms fudicium Jtet per locutionem voealem. 
tur ex adjuncta pena corporis et impleto in| Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
ponis numero damnatorum, quia quanto cum | judicium, illad quantum ad disceptationem et 
pluribus ardebunt, tant) magis ardebunt. sententiam, flet per locutionem vocalem. Quia, 
Ad tertium dicendum , quód universale judi- [ut Augustinus dicit, XX. De Civit. Dei (cap. 1), 
cium magis directé respicit universalitaterp | « per quot dies futurum hoc judicium tendatur, 
hominum quim singulos judicandorum, ut dic- | incertum est. » Sed non esset incertum, si illa 
tum est. Quamvis ergo cuilibet homini ante ju- | quæ in judicio dicuntur futura, tantüm men- 
dicium erit certà notitia de sua damnatione vel | taliter complerentur. Ergo judicium illud woe 
Lan * non tamen omnibus omnium damnatio | caliter fiet, et non selüm mentaliter. 


— 


DU JUGEMENT GÉNÉRAL, ETC. 59 

2» Saint Grégoire, cité par le Maitre des Sentences, IV, 47,a dit: « Ceux 
à du moins entendront les paroles du souverain Juge, qui auront gardé 
la foi en sa parole. » Or cela ne peut s'appliquer à la parole intérieure; 
car dans ce sens tous entendrost les paroles du souverain Juge, par la rai- 
son que tous, les méchants comme les bons, connoitront tous les mérites 
les uns des autres. Donc.il paroit que: ce jugement aura lien par le moyen 
de la parole extérieure. | 

3» Le Christ apparoîtra sous sa forme humaine pour venir nous juger, 
de telle sorte qu’il puisse être réellemen£ vu de tous. Done pour la méme 
raison devra-t-il parler véritablement, c'est-à-dire avec sa voix humaine; 
afin d'étre également entendu de tous. 

Mais voici comment saint Augustin enseigne le contraire, De Civit. 
Dei, XX, 44 : « Ce livre de la vie dont il est parlé dans l'Apecalypse , re- 
présente une action spéciale de la puissance divine, par laquelle chacun 
verra clairement dans sa mémoire toutes les œuvres bonnes ou mauvaises, 
qu'il aura faites dans la vie, et les pareourra toutes, avec une célérité 
merveilleuse , d'un regard de la pensée, si bien que la science alors vien- 
dra donner tort ou raison à la conscience; et de la sorte encore les indi- 
vidus et le genre humain tout entier seront jugés en méme temps. » Or, 
8i les mérites de chacun étoient discutés d'une manière orale, ils ne se- 
roïent pas tous jugés à la fois. Donc la discussion des consciences n'aura 
pas lieu d’une manière orale. 

La sentence doit être en rapport avec le témoignage. Or 1e témoignage 
rendu, à charge ou à décharge, aura lieu d'une maniére mentale; car 
l'Apótre dit. Rom., IL, 46 : « Leur conscience leur rendant témoignage 
par un conflit de pensées qui tantôt les accuse et tantôt les défend, dans 
ce jour où Dieu jugera les secrets les plus cachés des hommes. » Donc i] 


velopper. On en trouve les premiers éléments dans les Pères de l'Eglise. On peut consulter en 
particulier le traité de Tertullien sur La Résurreciion de la chair. 





9. Præteres, Gregorius dicit, et habetar ín 
litera (IV. Sent.) (4) : ellli saltem-verba Ja- 
dois audient, qui ejus fidem verbo tenuerunt. » 
Boc autem non potest intelligi de verbo inte- 
Fiori, quia sic omnes verba Judicis aedient , 
quia omaibus, et bonis et malis, nota erunt 
omnia facta alioruun. Ergo videtur quód judi- 
cinq illud vocaliter peragetur. 

3. Præteres, Christus secundèm formam ho- 
minis. judicabit, in qua corporaliter ab omnibus 
possit videri. Ergo eadem rstione videtur quód 
corporali voce loquetur, ut ab omnibus audia- 
tur 


Sed contre, Augustinus dicit, XX. De Civit. 
Dei (cap. 14, ut jam supra), quód «liber vitz, 
de quo Apocal., XX , quedam vis intelligenda 


est divina, qua flet ut cuique opera sua, vel 
bena vel mala, cuneta in memoriam revocen- 
tur, et mentis intmitn miri celentate cernantur, 
ut aceuset vel excuset scientia conscientiam, 
atque ita simul et omnes et singuli judicentar. » 
Sed si vocaliter discuterentur merita singulo- 
rum, non pesseut omnes et singuli judicari 
simul. Erge videtar quód ille discussio non 
erit vocalis. 

Preterea , sententia propertienaliter debet 
testimonio respondere. Sed testimonium et ac- 
cusatio et excusatio erit mentalis; unde Ro»., 
H: « Testimoviem redüdente itis aonsientià 
ipsorum , et inter se invicem oogitulietum ac- 
cusantium, aut etiam defendentium, ia die cüm 
judícabit Deus occulta hominum. » Ergo vide- 


(1) Ex lib. XVI Moral., cap. 95, in antiquis exemplaribus, vel 20 in arodernis. 


60 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVIIL, ARTICLE 9. 


paroit que la sentence et le jugement tout entier auront lieu d'une ma- 
niére mentale. 

(CoNcLusioN. — Si le dernier jugement devoit avoir lieu au moyen de 
la parole extérieure, il exigeroit un temps comme infini ; il est donc plus 
probable qu'il aura lieu seulement d’une manière mentale. ) 

, Sur cette question on ne sauroit rien définir de positif et de certain ; 
nous devons nous en tenir à des probabilités. Il est donc plus probable 
que ce dernier jugement sera non-seulement prononcé, mais encore ins- 
truit dans toute son étendue, tant pour l'accusation portée contre les 
méchants que pour les applaudissements décernés aux justes, d'une ma- 
niére purement mentale. Si les actions de chaque homme devoient étre 
racontées là d'une manière réelle et détaillée, il faudroit pour un tel 
examen un temps dont il seroit impossible de calculer la longueur. C'est 
ce que remarque saint Augustin, De Civit. Dei, XX , 1 : «Si le livre 
d'aprés lequel tous les hommes doivent étre jugés, comme il est dit dans 
l'Apocalypse, étoit un livre matériel, qui pourroit jamais en évaluer le 
volume ou la longueur; quel temps ne faudroit-il pas pour la lecture d'un 
livre où seroit renfermée la vie tout entière de tous les hommes qui 
auront jamais existé?» Or il ne faudroit pas moins de temps pour la 
raconter de bouche que pour la lire dans un livre où elle seroit écrite (1). 
Donc il est probable que les choses prophétisées dans l'Evangile, Matth., 
XXV, devront se passer non de vive voix, mais d'une maniére mentale. 

Je réponds aux arguments : 4° Si saint Augustin déclare qu'on ne sau- 

(1) T! s’agit ici surtout, on le comprend, de la révision et de la manifestation des consciences. 
C'est d'une vue de l'esprit, par l'effet d'une lumiére supérieure et divine, que les hommes 
veiront leur propre vie, aussi bien que la vie des autres. C'est là le grand livre qui sera lu 
simultanément et rapidement par tous, aussitót qu'il aura été ouvert. Mais cela ne touche en 


rien à ce qui nous est enseigné du terrible appareil que déploiera le souverain Juge à ces 
grandes assises du genre humain, comme s'exprime notre Bossuet. 





tur quàd illa sententia et totum judicium men- 
taliter compleatur. 

(Conczusio.— Cüm prope infinitum tempus 
requirerelur in judicio universali, si per locu- 
tionem fleret vocalem , probabilius est non per 
locutionem vocalem, sed mentaliter füturum 
esse ultimum judicium. ) 

Respondeo dicendum , quód quid circa hanc 
quæstionem sit verum, pro certo definiti non 
potest. Tamen probabilius æstimatur quód to- 
tum illud judicium, et quoad discussionem, et 
quoad accusationem malorum (1), et commen- 
dationem bonorum, et quoad sententiam de 
utrisque, mentaliter perfcietur. Si enim voca- 
liter singulorum facta narrarentur, inæstima. 






tiisse. 


bilis magnitudo temporis ad hoc exigeretur. 
Sicut etiam Augustinus dicit, XX. De Civit. 
Dei (cap. 1), quód «si liber (ex cujus scriptura 
omnes judicabuntur, ut dicitur Apocal., XX), 
carnaliter cogiletur, quis ejus magnitudinem 
aut longitudinem valeat æstimare , aut quanto 
tempore legi poterit liber in quo scripte sunt 
universe vile universorum? » Non autem mi- 
nus tempus requiritur ad narrandum ore tenus 
singulorum facta, quàm ad legendum, si essent 
in libro materiali scripta. Unde probabile est 
quóJ illa que dicuntur Matth., XXV, non vo- 
caliter sed mentaliter intelligenda sunt esse 
perficienda. 

Ad primum ergo dicendum , quàd pro tanto 


. (1) Putà exprobrationem illis à Christo factam , quód eum esurientem non paverint , quód 
m non potaverint, etc., per oppositum ad commendationem bonorum quos hzc omnia 


DU JUGEMENT GÉNÉRAL, ETC. 61 


Toit rien dire de certain sur le temps que durera le jugement universel, 
c'est qu'on n'a pas tranché la question de savoir s'il aura lieu d'une ma- 
niére orale ou mentale. Dans la première hypothèse, il réclameroit un temps 
incalculable ; dans la seconde, il pourroit avoir lieu en peu d'instants. 

2e Dans le cas même ou le jugement aura lieu d'une manière mentale, 
on n'est pas obligé de rejeter la pensée exprimée par saint Grégoire. En 
effet, bien que chacun doive connoître alors toutes les actions des hommes, 
celles des autres aussi bien que les siennes, par un secours spécial de la 
puissance divine auquel l'Evangile peut donner le nom de parole, il n'en 
n’est pas moins vrai cependant que ceux qui auront eu la foi seront jugés 
d'aprés la parole de Dieu, par la raison que la foi provient de cette parole; 
et à cela se rapporte ce qui est dit, Rom., II, 42: « Tous ceux qui auront 
péché sous la loi , seront jugés d'aprés la loi. » On peut donc croire que 
ceux qui auront connu la foi entendront alors des choses qui ne seront 
pas dites aux infidéles. 

3» Le Christ apparoitra bien certainement d'une maniére corporelle, 
afin que tout l'univers connoisse le souverain Juge; mais cela peut avoir 
lieu dans un instant, tandis qu'une discussion orale réclamant toujours 
un temps plus ou moins long, on est effrayé du temps immense que ré- 
clameroit le jugement universel, s’il devoit être instruit et prononcé de 
Ja sorte. 

ARTICLE II. 


Le temps du dernier jugement est-il inconnu? 


D paroit que le temps du dernier jugement n'est pas inconnu. 1* De 
méme que les saints de l'Ancien Testament attendoient le premier avé- 
nement du Christ, de méme nous attendons le second. Or ils connurent, 
eux, le temps du premier avènement, comme on le voit par les semaines 
d'années fixées par Daniel; et de là les reproches adressés aux Juifs de ce 





dicil Augustinus, « 4 incertum est per quot 
dies hoc judicium tendatur, quia non est de- 
terminatum utrüm mentaliter vel vocaliter per- 
ficiatur. Si enim vocaliter perficeretur, prolixum 
tempus ad hoc exigeretur; si autem mentaliter, 
in momento fieri poterit. 

Ad secundum dicendum, quód etiamsi judi- 
cium fiat mentaliter tantüm , verbum Gregorii 
salvari poterit, quia etsi omnibus innotescent 
aua et aliorum facta, divin virtute hoc faciente, 
que in Evangelio locutio dicitur, tamen illi 
qui lidem habuerunt, quam ex verbis Dei con- 
ceperunt, ex ipsis verbis judicabuntur, quis 
dicitur Rom., II : « Quicumque in lege pecca- 
verunt, per legem judicabuntur. » Unde quodam 
speciali modo dicetar aliquid his qui fuerint 
fideles, quod non dicetur inüdelibus. 


Ad tertium dicendum, quód Christos corpo- 
raliter apparebit, ut ab omnibus corporaliter 
judex cognoscatur; quod quidem subit) fieri po- 
terit. Sed locutio que tempore mensuratur, 
requireret immensam temporis longitudinem, 
si vocali locutione judicium perageretur 

ARTICULUS IL. 

Utrèm tempus futuri judicii sit ignotum. 

Ad tertium sic proceditur. Videtur quód tem- 
pus futuri judicii non sit ignotum. Sicut enim 
sancti patres expectabant primum adventum, 
ita nos expectamus secundum. Sed sancti pa- 
tres sciverunt tempus primi adventüs, sicut 
patet per numerum hebdomadarum, qui descri- 
bitur Daniel., IX; unde et reprehenduntur 
Judzi quüd tempus adventàs Christi non coguoe 


62 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVWI, ARTICLE. 3. 


qu'ils n’ont pas connu le temps de l'avénement du Messie, Lus.; XII, 56: 
« Hypocrites, vous savez si bien juger l'aspect du ciel et de la terre, com- 
ment ne savez-vous pas de méme reconnoitre le temps actuel? » Il paroit 
dónc que le temps où le Seigneur viendra pour nous juger, doit être dó- 
terminé comme l'étoit celui de son premier avénement. 

2» Par les signes nous arrivons à la connoissance des choses signifiées. 
Or l'Ecriture sainte nous donne du dernier jugement un grand nombre 
de.signes, comme on peut le voir, Matth., XXIV, Luc., XXL, Marc., X XI. 
Donc nous pouvons parvenir à la connoissance de ce temps. 

3° L'Apótre dit, I. Corinth., X, 44 : «Nous sommesceux pour qui sont 
arrivés les derniers siècles. » Saint Jean dit également, I. Joan., IL 18 : 
« Mes petits enfants, voici la dernière heure. » Il s'est écoulé un temps 
bien considérable depuis que ces choses ont été dites. Donc il paroit que 
du moins aujourd'hui nous pouvons savoir que le temps du dernier ju- 
gement est proche. 

4» Le temps du jugement ne doit nous être caché que dans un but; 
c'est que chacun, dans une telle ignorance, se prépare à ce jugement avec 
plus de soin et de sollicitude. Mais alors méme que ce jour nous seroit 
connu, cette sollicitude resteroit encore la méme; car chacun de nous 
ignore le temps de sa mort, et, comme le dit saint Augustin écrivant à 
Hésychius, Epist. LXXX , a tel chacun sera trouvé par son dernier jour, 
tel il sera trouvé par le dernier jour du monde. » Donc il n'est pas néces- 
saire que le temps du jugement nous soit inconnu. 

Mais notre Seigneur lui-mème dit ainsi le contraire, Matth., XIII, 32 : 
«Quant au jour et à l'heure, nul ne les sait, ni les anges dans les cieux, 
ni le Fils lui-méme, nul si ce n'est le Pére. » S'il est dit du Fils qu'il 
ignore cela, c'est uniquement par rapport à nous, c'est-à-dire qu'il ne le 
sait pas pour nous le révéler (1). 

(1) La question seulevée par oe texte de l'Evangile sur lequel oa appuie la tbége présente, 


^ 





- verint, ut palet Luc., XII : « Hypecritæ, fariem 

coli et terrae nostis probare ; hoc aetem tempus 
quomodo non probatis? » Ergo videtur quód 
eliam nobis esse debeat determinatum tempus 
secundi adventès, quo Deus ad judicium NB- 
niet. 

2. Præterea, per signa devenimus in cogni- 
tionem signs&torum. Sed de faturo judicio inulta 
signa nobis proponuntur in Scriptura, ut patet 
Malth., XXIV, et Luc., XXI, et Marc., Xll. 
Ergo in cognitionem illius temporis possumus 
pervenire, 

8. Preterea, dicit Apostolus, I. Cor., X: 
« Nos sumus in quos fines seculorum devene- 
runt. » Et I. Joan., 11 : « Filioli , novissima 
hora est, etc. » Cùm ergo jam longum lempus 
transierit, ex quo hac dicta sunt, videtur quód 


— 


saliem nunc scire possumus quód ullimum ju- 
dicium sit propiaquum. 

4. Pretereu, tempus jadicii non oportet esse 
occultum, nisi propter hoc quèd quilibet sollici 
tiüs se ad judicium præparet, dum delermina- 
tum tempus ignorat. Sed eadem sellicitudo re- 
manet etiamsi certum esset, quia cuique im- 
certum est tempus sug mortis, et, sicat dicit 
Augustinus in Epist. ad [esychium (acilicet 
Epist. LXXX), «inquo quemque invenerit suus 
novissimus dies, in hoceum cemprehendet mundi 
novissimas dies. » Ergo nom est necessarium 
tempus judicii esse occultum. 

Sed.coutra est, quod dicitur Marc., Xlll s 
« De die illo vel bora nemo scit, neque angeli in 
calo, neque Filius, nisi Pater. » Dicitur autem 
Filius nescire, in quantum mos scire non facit. 


/ 


DU JUGEMENT GÉNÉRAL, ETC. 63 


L’Apôtre dit également, I. Thessal., V,2 : «Le jour du Seigneur est 
comme un voleur dans la nuit, il viendra de la méme manière.» De 
méme donc que l'heure où le voleur xiendra pendant la nuit, est tout-à-fait 
incertaine, de même est incertaine aussi l'heure du dernier jugement. 

(Conciusron. — Comme la fin du monde, aussi bien que le conmence- 
ment, dépend uniquement de la puissance divine, c’est avec raison que 
Dieu s'en est exclusivement réservé la connoissance. ) 

Par sa toute science, Dieu est la cause des choses ; et il se communique 
aux créatures sous ce double rapport : en leur donnant la faculté de pro- 
duire d'autres choses, il les fait étre causes à leur tour; en donnant à 
certaines créatures la faculté de connoitre lee choses, il les fait participer 
à sa science. Mais il se réserve toujours quelque chose dans l’un ou l'autré 
cas. Il y a des choses, en effet, pour lesquelles il n'admet la coopération 
d'aucune créature; et de mème il possède des connoissances que les créa- 
tures les plus parfaites ne sauroient elles-mémes acquérir. Or telle doit 
être éminemment la conpoissance des choses qui ne dépendent que de la 
puissance divine et pour lesquelles la créature ne coopére nullement avec 
Dieu. Cela s'applique d'une maniére évidente à la fin du monde, qui doit 
être marquée par le dernier jugement. Le monde ne finira parl’action d'au- 
cune cause créée , tout comme il ne commença que par l'action immédiate 
de Dieu. Voilà pourquoi il convenoit que Dieu seul connüt le temps de la 
fin du monde. Et c’est là une raison que le Sauveur lui-méóme semble nous 
avoir indiquée lorsqu'il dit, Act., L, I : ail ne vous appartient pas de con- 
noître les temps et les moments que le Père a réservés à sa puissance ; p 
par où il semble dire que Dieu seul doit savoir ce que lui seul peut opérer. 
a été complètement élucidée dans la toisiéme partie, lorsqu'il a été traité ex professo, soit de 
la science du Christ, soit de son pouvoir judiciaire. La seule interprétation rappelée ici par 
l'euteur du supplément, est fondée surle sentiment de saint Augustin, également invoqué par 
le Docteur segelique. Voiei les propres expressions du grand évêque d'Hippone Quæst. LXXXIIL, 
60: a On dit ensore de Dieu qu'il sait quand il fait uniquement savoir., comme on le voit 


Deut. XIII : Dieu vous tente pour savoir sí vous l'aimez ; mais ce n'est pas qu'il l'ignore, c'est 
pour que vous le sachiez vous-mémes et que vous voyiez clairement à quel degré d'amour vous 





Preterea , I. Thessod,, 'W * « Dies Domini 
Sicut for im nocte, ita veniet. » Ergo videtur, 
chm adventas furis in nocte sit omuino incer- 
tus, quàd dies ultimi judicii sit omnino incer- 
te | 


(Conczusro.— Cm, sicuti initium, ita et finis 
muondi soli divin potestati subjiciatur, conve- 
menter ejus cognitionem sibi soli Deus reserva- 
vit. ) 
Respondeo dicendum , quèd Deus per scien- 
tiam soam est causa rerum, Utrumque autem 
crestaris communicat, dum et rebus tribuit 
viriotem agendi alies res, quarum sint causæ, 
e$ quibusdam etiam tognitionem rerum præbet. 
Sed in utroque aliqua sii reservat. Operatur, 


enim quedam in quibus nulla creatura ei coe» : 
peratur; et similiter cognoscit quasdam que à 
nulla pura creatura coguoscuntur. Hac autem 
nulla alia magis esse debent quàm illa qua soli 
divinæ subjacent potestati, in quibus nulla crea- 
tura ei cooperatur. Et hujusmodi est tinis mundi, 
in quo erit dies judicii. Non enim per aliquam 
causam creatam mundus fnietur, sicut etiam 
esse incepit immediatè à Deo. Uude decenter 
cognitio fluis mundi soli Deo reservatur. kt 
banc rationem videtur ipse Dominus assignare, 
Act., 1: « Non est (inquit) vestrüm nosse tem- 
pora vel momenta, quæ Pater posui in €ua po- 
testale; » quasi diceret, e que seli poteatali 
ejus reservata sunt. » 


SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXYVII, ARTICLE 3. 


Je réponds aux arguments : 1° Dans son premier avènement le Christ 
a voulu demeurer caché, conformément à cette parole du Prophète, Isa., 
&L, 15 : « Vous êtes vraiment un Dieu caché, Dieu sauveur d’Israel. » 
Pour qu'il pàt donc être reconnu par les fidèles, il falloit que le temps de 
sa venue fût déterminé d'avance. Mais à son second avénement il se mani- 
festera d'une manière éclatante, réalisant cette prophétie, Psalm. XLIX, 
3 : « Dieu viendra avec un grand éclat. » Plus d’erreur possible alorssur 
un tel avènement. Il n'y a donc pas de parité. 

2 Ainsi que le remarque saint Augustin dans sa lettre à Hésychius, 
citée plus haut, et dans laquelle il traite du jour du jugement, les signes 
dont il est parlé dans l'Evangile ne s'appliquent pas tous au second avène- 
ment du Christ, celui qui aura lieu à la fin des temps; quelques-uns re- 
gardent la destruction de Jérusalem , depuis longtemps accomplie; quel- 
dues autres, et en plus grand nombre, se rapportent à cet avènement 
moyen de Jésus-Christ dans son Eglise, par lequel il la visite d'une ma- 
nière spirituelle, en tant qu'il habite en nous par la foi et par l'amour. 
De plus, les signes qui nous sont donnés dans les Evangiles et dans les 
Epitres touchant le dernier avénement du Christ, ne peuvent pas servir 
à préciser le temps où le jugement universel aura lieu ; car les périls que 
l'Ecriture nous annonce comme devant être les signes avant-coureurs de 
]a fin du monde, se sont toujours manifestés d'une maniére plus ou 
moins intense, même dès l'origine de l'Eglise. En parlant de leur époque, 
les Apótres emploient quelquefois cette expression, « les derniers jours, » 
Act., II. C'est saint Pierre qui applique ainsi le texte de Joel II, 28 : «Et 
dans les derniers jours il arrivera......... » Depuis lors cependant il s'est 
écoulé bien des siécles, et l'Eglise a eu à souffrir bien des tribulations, 


êtes parvenu. Pareillement , quand il est dit de lui qu'il ne sait pas, cela signifie, ou bien 
. qu'il réprouve une chose, comme dans cette parole : Je ne vous connais pas, Mallh., XXV, 
13, ou bien qu'il ne veut pas nous faire savoir ce qu'il importe que nous ignorions. » Puis 
Tent le texte dont il est ici question. Telle est aussi l'interprétation de saint Hilaire, De 
rin. IX. 


C1. 





' — Ad primum ergo dicendum, quód in primo | præteriit, quædam verd et plura pertinent ad 
adventu Christus venit occultus, secundüm | adventum quo quotidie venit in Ecclesiam, 
ilud Zsas., XLV : « Verè tu es Deus abscon- | eam visitans spiritualiter, prout in nobis inha- 


ditus, Deus Israel salvator. » Et ideo, ut à fide- 
libus cognosci posset, oportuit determinaté tem- 
pus pradeterminare. Sed in secundo adventu 
veniet inanifestó, ut dicitur Psalm. XLIX : 
« Deus manifesté veniet, etc. » Et ideo circa 
cognitionem adveutüs ipsius error esse non 
poterit. Et propter hoc non est simile. 
Adsecundum dicendum, quód sicut August. di- 
5t in Epist. de die judicii, ad Hesychium (ut 
: n suprà), signa que in Evangeliis ponuntur, 
9t omnia pertinent ad secundum adventum 
si erit in fine ; sed quidam eorum pertiuent 
.1 Vempus destructionis Jerusalem, quae jam 


"à 


bitat per fidem et amorem. Nec illa quæ in 
Evangeliis vel in Epistolis ponuntur ad ultimum 
adventum speclantia, ad hoc possunt valere ut 
determinaté tempus judicii possit agnosci; quia 
illa pericula que pronuntiantur, nuntiantia vici- 
num Christi adventum, etiam à tempore primi- 
tive Ecclesie fuerunt, quandoque intentius, 
quandoque remissiüs. Unde et ipsi dies Apo- 
stoloruin dicti sunt « novissima dies, » ut pa- 
tet Act., Il; ubi Petrus exponit illud verbum 
Joel., IL: « Erit in novissimis diebus, etc., » 
pro tempore illo. Et tamen ex illo tempore Jam 
tempus plurimum transivit, et quandoque plu- 


DU JUGEMENT GÉNÉRAL, ETC. 65 


qui ont varié de grandeur et d'étendue, mais qui souvent pouvoient être 
regardées, et l'ont été en effet, comme les signes de l'approche du juge- 
ment. Il n'est donc pas possible de déterminer le temps où il aura lieu, 
ni à un mois, ni à une année, ni à cent ans, ni à mille ans prés, comme 
le dit saint Augustin dans la lettre citée plus haut. Et si l’on dit que ces 
tribulations et ces dangers seront plus grands aux approches du dernier 
jour, il restera encore à déterminer de combien ils devront dépasser les 
calamités des âges précédents, ce qui est absolument impossible; et, 
comme nous venons de l'indiquer, l'Eglise primitive elle - méme essuya 
des persécutions tellement graves, vit s'élever en si grand nombre de tels 
monstres d'erreurs, que plusieurs pensérent alors que les temps de l'Ante- 
christ n'étoient plus éloignés ; c'est ce que nous voyons dans l’histoire 
ecclésiastique et dans le livre de saint Jéróme sur les hommes illustres (1). 

3° Cette expression, « voici la dernière heure,» et autres semblables 
que nous trouvons dans l'Ecriture, ne peuvent nullement nous faire con- 
noitre le temps qui doit s'écouler jusqu'au dernier jugement ; elles nous 
représentent, non un court espace de temps à parcourir, mais bien le 
dernier état du monde dans ses, destinées religieuses; état qu'on peut 
regarder comme son dernier âge. Mais combien de temps cet âge durera- 
t-il? C'est ce qui n'a jamais été déterminé. La vieillesse, qui est le dernier 
áge de l'homme , n'a pas de limite connue; car il arrive parfois qu'elle 
dure autant, ou méme plus que tous les autres âges de la vie humaine, 
comme le remarque saint Augustin , Quast. LXXXIII. Aussi l’Apôtre, 
II. Thessal., II, repousse-t-il la fausse interprétation de ceux qui avoient 
profité de quelques-unes de ses paroles pour se persuader que le jour du 
Seigneur étoit proche. 

(1) Ouvrage que l’on désigne plus communément sous ce titre : Des écrivains ecclésiastiques. 


Immédiatement avant d'arriver à Tertullien, saint Jéróme parle d'un auteur nommé Judas, qui, 
aprés avoir trés-bien discuté la question des soixante-dix semaines de Dauiel et la ebronolo- 





Tes et quandoque pauciores tribulationes in Ec- 
clesia fuerunt. Unde non potest determinari 
quantum tempus sit futurum , nec de mense, 
hec de anno, nec de centum, nec de mille an- 
Bis, ut Augustinus in eodem libro dicit. Sed 
etsi credantur in ne hujusmodi pericula magis 
abundare, non potest tamen determinari qua 
sit illa quantitas periculorum que immediatà 
diem judicii præcedet, vel Antichristi adventum, 
càm etiam circa tempora primitive Ecclesia 
fuerint persecutiones aliqui» adeo graves, et 
corruptiones errorum adeo abundarent, quód 
ab aliquibus tunc vicinus expeetaretur vel im- 
minens Antichristi adventus, sicut dicitur in 
Bieclesiastica historia, et in libro Hieronymi 
De viris idvstribus. 


Ad tertium dicendum , quid ex hoc quod tare 


XVIe 


dicitur : « Novissima hora est, » vel ex simili- 
bus locutionibus que in Scriptura leguntur, 
non potest aliqua determinata quantitas tem- 
poris sciri ; non enim est dictum ad signilican- 
dum aliquam brevem horam temporis, sed ad 
signifcandum novissimum statum mundi , qui 
est quasi novissima stas; quæ quanto temporis 
spatio duret, non est definitum, cüm etiam 
nec senio , quod est ullina etas hominis, sit 
aliquis certus terminus definitus, cüm quando- 
que inveniatur durare quantum omnes prece- 
dentes ætates vel plus, ut dicit Augustinus in 
lib. LXXIII. Question. (qu. 47). Unde ets" 
Apostolus, Il. ad Thessal., IL, excludit falsum 
intellectum quem quidam ex suis verbis couce- 
perant, ut crederent diem Domini jam 1::- 


66 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXViIf, ARTICLE 4. 


En suppesant méme l'incertitude oà nous sommes sur l'heure de notre 
mort, l'ineertitude qui a pour objet le jour du jugement, peut servir dou- 
 blement à exciter notre vigilance : en ce que l'on ignore, d'abord; si l'in- 
tervalle qui nous sépare du. jugement sera même aussi long que notre 
vie , ce qui fait que l'incertitude nous presse de deux cótés à la fois; puis, 
en ce que l'homme ne doit pas seulement étre en sollicitude pour lui- 
méme, mais doit l'étre aussi pour la famille, la cité, le royaume, l'Eglise 
universelle, dont la durée n'est pas assurément réglée sur celle de la vie 
humaine, bien que chacune de ces existences morales doivent se disposer 
à nepas se laisser surprendre par le jour du Seigneur (1). 


ARTICLE IV. 
Le dernier jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat? 


Il paroit que le jugement n'aura pas lieu dans la vallée de Josaphat ou 
dans les régions environnantes. 4° Il faut bien au moins que tous ceux 
qui doivent étre jugés se tiennent sur la terre, tandis que ceux qui auront 
à juger seront élevés dans les nues. Mais la terre promise tout entière ne 
pourroit contenir le nombre des-premiers. Il n'est donc pas possible que 
le jugement ait lieu dans l'enceinte ou dans les environs même de la 
vallée désignée. . 

2» Le Christ en tant qu'homme a reçu le pouvoir de juger, pour qu'il 


gie des siéeles écoulés, jusqu'à la dixième année de l'empereur Sévére , étoit tombé dans 
l'erreur au sujet de l'Antecbrist, en prétendant qu'il devoit paroftre à cette époque méme, 
C'est une pensée «ue la (ureur des persécutions jetoit assez fréquemment dans les esprits, 
On ne doit pas s'étonner d'en retrouver des traces dans certains auteurs de ces temps. Eu- 
sébe, dans son Aísloire ecclésiastique, VI, T1, corrobore à cet égard le témoignage de saint 
Jéróme. 

(1) Rien de plus certain que le fait : nous ignorons le dernier jour du monde, commenous 
ignorons notre dernier Jour. Les raisons pour lesquelles Dieu nous tient cachée cette double 
fin, ont été déduites par les moralistes et les théologiens avec plus ou moins de pénétration 
ou d'étendue. Ils s'accordent tous à nous montrer dans celte disposition de la providence, une 

: preuve touchante de son amour, aussi bien qu'un trait frappant de sa sagesse. C'est sous 
ce dernier rapport surieut que la pensée développée dans cet article , mérite d'être re 
marquée. 





Ad quartum dicendum, quèd etiam seppositá ARTICULUS 
mortis incertitudine, dupliciter ad vigilantiam R LL 
valet incertitudo judicii Primo ad hoc quod |  Utrèm judicium fiet in valle Josaphat. 
ignoratur utrüm etium tantum differatur qua Ad quartum sic proceditur. Videtur quód ju- 
tum est hominis vita, ut sic ex duabus parübns | dicium nom (let in valle Josaphat, aut loco cir- 
incertitudo majorem diligenliam faciat; secundd, | cumstante. Quia ad minus oportet omnes judi- 
quantum ad bbc quód homo non gerit solüm | candos in terra stare, eos autem tantüm elevari 
sollicitudinem de persona sua, sed de familia, | in nubibus, quorum erit judicare. Sed tota terra 
vel civitate, vel regno, aut tola Ecclesia, cui | promissionis capere nom posset multitadinem 
non determinatur tempus durationis, secundüm ; judicandorum. Ergo non potest esse quod circ& 
hominis vitam; et tamen aportet unumquod- | vallem illam sit judiciam faturam. 
que horum hoc modo disponi, ut dies Domini| 2. Preterea, Christo in humanitate datum: 
inveniat paratos. est judicium, ut justè jedicet; quia injusté ju- 


> : 


DU JUGEMENT GÉNÉRAL, ETC. 67 
juge avec justice, Ini qui a subi une sentence inique dans le prétoire de 
Pilate, et l'exécution de cette sentence au sommet du Golgotha. Donc tel 
devoit être plutôt le théâtre du dernier jugement. 

9^ Les auées so forment des vapeurs exlialées. Oril n'y aura plus alors 


ni évaporation ni condensation des vapeurs. Les justes ne sauroient donc 


- être portés sur les nuées dans les airs à la rencontre du Christ. tl faudra, 


"-— . 


.per conséquené, qu'ils se tiennent sur la terre, aussi bien que les mé- 


chants; et dés-lors aussi il faudra pour le jugement un lieu tout autre- 
ment vaste que ne l'est la vallée de Josaphat. 

Mais voici comment le prophète exprime le contraire, Joel., IE, 9 : 
eJ'assemblerai toutes les nations et je les emmènerai daus la vallée de 
Josaphat , et là j'entrerai en jugement avec elles. » 

ll est dit encore, Act., I, 11 : « De mème que vous l'avez vu montant 
dans les cieux, de méme il reviendra. » Or il est monté dans les cieux en 
s’élevant de la montagne des oliviers qui domine la vallée de Josa- 
phat. C'est donc aux environs du méme endroit qu'il viendra juger les 
hommes (1). 

(ConcLusion. — C'est de la montagne des oliviers que le Christ remonta 
au ciel ; c'estaux environs qu'il se manifestera probablement en revenant 
sur la terre, afin de montrer son identité dans les deux avénements.) 

Les diverses circonstances du jugement dernier et la manière dont les 
hommes seront réunis aux piedsdu souverain Juge, ne peuvent étre l'objet 

(1) On aura déjà remarqué sans doute que les auteurs du supplément font constamment 
suivre l'argument, sed contra, d'un second argument qui n'a le plus souvent pour objet que 
de corroborer le premier. Et ce qu'on n'aura pu s'empécher de remargner aussi, c'est qu'une 
telle marche s'écarte manifestement de celle de saint Thomas. Quand notre maître ajoute un ou 
plusieurs arguments à la proposition directe, c’est pour formeler des objections en sens inverse 
de celles qu'il a d'abord présentées, De pius, il ne manque pas de résoudre ces objections, 
à la suite de ses réponses aux suires arguments. li pose alors la véritable doctrine, entre des 
extrêmes opposés; il la dégage de deux epinions ou cootradictiens donnant également dans 
le faux. On comprend l'utilité, la légitimité de cette méthode. Mais reproduire purement et sim- 
plement la méme affirmation avee uae autre prouve , c'est anticiper sur le corps de l'article, 


où de telles preuves doivent être groupées; c'est intervertir gratuitement et déranger mal à 
propos l'ordre nature! de la thèse. 





dicatus est in praetorio Pilati, et sententiam | in vallem Josaphat, et disceptabo eum eis ibi. » 
injusti judicii in Golgotha suscepit. Ergo loc& | Praeterea, Act., I, dicitur : « Quemadmo- 
ila magis debent ad judicium determinari. dum vidistis eum ascendentem ia colum, ita 
8. Preterea, nubes flunt ex resolutione va- | veniet. » SeJ ipse ascendit in ccelum de monte 
porum. Sed tanc nulla erit evaporatio vel re- | Oliveti, qui prae.ninet valli Josaphat. Ergo et 
Solutio. Ergo non poterit esse quód justi iR | circa loca illa ad judicandum veniet (1). 
Bubibus obviam Christo in aera rapiantar; et] — (ComcLusio. — Sicut Christus ex monte Oli- 
sc oportebit et bonos et malos esse ia térra, | veti in cælum ascendit, sic et circa ilium locum 
et ita mult) amplior locns requiretur quiun sit | eum descensurum probabile est, ut idem esse 
allis ista. ostendatur qui descendit et ascendit.) 
Sed contra est, quod dicitar Joel, lll :| Respondeo dicendum , quód qualiter illud 
€ Congregabo omnes gentes, et deducam eas | judicium sit futurum , et quomodo homines ad 


(1) Quod et nom.ni hebraico respondet; significat enim Josaphat idem quod judicium 
Domini, vel Dominus judicat, ut im lib. De Nomin. hebraicis inicrprutatur Bed, : 


68 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXVIII, ARTICLE lk, 


d'une science certaine; on peut seulement induire de certains passages 
des livres saints que c'est auprés de la montagne des oliviers que le Christ 
descendra sur la terre, à son second avénement, tout comme il s'est élevé 
de là pour remonter aux cieux (1) ; et cela, pour que son identité devienne 
plus manifeste. . 

Je réponds aux arguments : 1° Une grande multitude peut être ren- 
ermée dans un petit espace. Du reste, on peut ajouter au lieu désigné une 
. aussi grande circonférence que l'on voudra , et telle qu'on puisse y placer 
tous ceux qui doivent étre jugés, pourvu que de tous les points on puisse 
apercevoir le Christ; et comme il sera élevé dans les airs et environné 
d'une immense clarté, il sera vu sans peine à de grandes distances. 

2» Quoique le Christ ait mérité, par le jugement inique dont il a été 
frappé, le pouvoir de juger les hommes, il n'exercera pas néanmoins ce 
pouvoir dans l'état d'infirmité où il a été lui-mème jugé ; il l'exercera 
dans cet état de gloire qu'il avoit déjà revétu quand il est retourné à son 
Pére. Voilà pourquoi le lieu de son ascension semble devoir, plutót que 
celui de sa condamnation, être le théâtre du jugementqu'il doit prononcer. 

3 Par nuée on doit entendre ici, pensent quelques auteurs, une con- 
densation de rayons lumineux émis par les corps des saints, et nullement 
des vapeurs exhalées par la terre et l'eau. On pourroit dire encore que 
ces nuées seront produites par une action directe de la puissance divine» 
voulant établir ce rapport entre le jugement dernier et l'ascension du 
Christ, de telle sorte que les hommes le voient monter et descendre dans 
le méme appareil. La nuée pourroit encore être ici lesymbole de la misé- 
ricorde qui doit tempérer la justice. 


(1) C'est donc ici une simple probabilité ; c'est une opinion qu'on pourroit rejeter sans bles- 
ser la foi catholique, mais non cependant sans se rendre coupable d'une sorte de témérité. 
Cette opinion, en effet, est tellement accréditée parmi les cbrétiens, si célébre dans l'Eglise, 
comme parleroit ici Bossuet; c'est láune croyance si généralement et si anciennementrépandue, 
qu'élle fait comme partie du dépôt sacré de latradition. S'il falloit appliquer au jugement dernier 
et entendre dans son sens littéral le texte de Joel sur lequel cette croyance repose, nuldoute alors 


- a — - o— 





ciariam potestatem meruerit, non tamen judi- 


judicium convenient, non potest multàüm per 
cabit in forma infirmitatis, in qua injusté ju- 


certitudinem sciri; tamen probabiliter potest 


colligi ex Scripturis quód circa locum montis 
Oliveti descendet , sicut et inde ascendit, ut 
idem esse ostendatur qui descendit et qui as- 
cendit. 

Ad primum ergo dicendum, quàd magna mul- 
titudo in parvo spatio comprehendi potest. Suf- 
ficit autem ponere quantumcumque spatium 
cirea locum illum ad capiendum multitudinem 
judicandorum, dummodo ab illo spatio Christum 
videre possint , qui in aere preeminens et ma- 
ximá claritate refulgens , à longinquo inspici 
potest. | 

Ad secundum dicendum, quèd quamvis Chris- 
t@& per hoe quèd judicatus est injustó , judi- 


dicatus est, sed in forma gloriosa, in qua ad 
Patrem ascendit. Unde locus ascensionis magis 
competit judicio quàm locus ubi condemnatus 
est. 

Ad tertium dicendum , qubd nubes hlc ap- 
pellantur (ut quidam dicunt) qusedam densilates 
lucis resplendentis à corporibus sanctorum , et 
non alique evaporationes ex terra et aqua. Vel 
potest dici quàd nubes ille generabuntur di- 
viná virtute, ad ostendendum conformitatem in 
adventu ad judicium et ascensionem , ut qui 
ascendit in nube, ad judicium veniat. Nubes 
etiam propter refrigerium, indicat misericor- 
diam judicantis, 


" 
' 

* 

1 


t 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. 69 


QUESTION LXXXIX. 


De ceux qui jugeront et de ceux qui seront jugés au jugement universel. 


C'est sous ce double dspect que nous avons maintenant à considérer ce 
grand jugement. Sur ce sujet on peut demander huit choses : 1» Y a-t-il 
des hommes qui doivent juger avec le Christ? 2 Existe-t-il un rapport 
entre la pauvreté volontaire et le pouvoir de juger ? 3» Les anges doivent- 
ils aussi prendre une part active à ce jugement ? 4* Les démons seront-ils 
chargés d'exécuter contre les damnés la sentence du souverain Juge?! 
B° Tous les homes doivent-ils comparoître au dernier jugement ? 6° Les 
bons en seront-ils exemptés ? 7° N'y a-t-il personne parmi les méchants 
qui doive en être à l'abri? 8° Les anges eux-mêmes doivent-ils être jugés ? 


ARTICLE [L 
Y a-t-il des hommes qui doivent juger avec le Christ? 


ll paroit qu'aucun homme ne sera admis à juger avec le Christ. 1° I1 
est écrit, Joan., V, 22 : aLe Père a remis tout entier à son Fils le pou- 
voir de juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Pére.» 
Or c'est au Christ seulement qu'un tel honneur est dà. Donc le Christ 
seul doit juger. 

2» Quiconque juge a autorité sur ce qui fait la matiére du jugement. 
Or les mérites et les démérites des hommes , matiére du jugement futur, 
sont soumis à l'autorité de Dieu seul. Donc nul autre n’a le droit d'en 
juger. 
qu'on ne füt rigoureusement obligé de l'admettre. Mais plusieurs saints docteurs l'interprétent 
dans un autre sens, ou en font une application différente. Selon quelques-uns, par exemple, 


c'est la ruine de Jérusalem qui seroit ainsi prophétisée, et, les armées romaines, sous Titus, 
aurolent été chargées, sans le savoir, d'exécuter le jugement dont parle,le prophète. 





QUESTIO LXXXIX VEL XCI. 
De judicantibus et judicalis in judicio generali , in octo artículos dévisa. 


Deinde considerandum est de judicantibus et 
gudicalis in judicio geuerali. 

Circa quod queruntur octo : 1* Utrüm aliqui 
homines judicaturi sint cum Christo. 2° Utrüun 


ARTICULUS 1. 
Utrüm aliqui homines judicabunt cum Christe, 
Ad primum sic proceditur. Videtur quód nulli 


voluntariæ paupertati porrespondeat judiciaria 

tas. 8° Utrüm etiam angeli sint judicaturi. 
& Utrüm demones exequentur sententiam Ju- 
dicis in damnatos. 5° Utrüm omnes homines 
ja judicio comparebunt. 69 Utrùm aliqui boni 
fedicandi sint. 7° Utrüm aliqui mali. 8° Utrüm 
eliam angeli sint judicandi. 


homines judicabunt cum Christo. Joan., V: 
« Pater omne judicium dedit Filio, ut omnet 
honoriticent Filium, etc. » Sed honorificentia 
talis non debetur alicui, nisi Christo. Ergo, elc. 
2. Preterea, quicumque judicat, habet auc- 
toritatem super illud quod judicat. Sed ea de 
quibus debet esse futurum judicium, sicut me- 
rita et demerita humana, soli divinæ auctoritat 
subsunt. Ergo nulli competit de his judicare. 


SUPPLÉMENT, QUESTION LEXIYIK, ARTICLE Ÿ. 


3° Le jugement dernier sera instruit et prononcé , non de vive voix, 
mais d'une manière mentale, comme an est en droit de le croire d’après 
ce qui a été dit. Or, que les mérites et les démérites des hommes soient 
connus de tous, ce qui constitue, à proprement parler, l’accusation ou la 
défense, et que chacun reçoive sa récompense ou sa peine, ce qui repré- 
sente assez bien la sentence prononoée, ce sont là des choses qui dépen- 
dent uniquement de la puissance divine. Donc nul autre ne jugera si.ce 
n'est le Christ, par la raison que lui seul est Dieu. 

Mais le Sauveur lui-même dit ainsi le contraire, Ma&th., XIX, 98. 
« Et vous aussi, vous serez assis sur douze trónes, pour juger les douze 
tribus d'Israël. » Donc ilest des hommes qui jugeront avec le Christ. 

Il avoit encore été dit par le Prophète, Isa., III, 1& : «Le Seigneur 
viendra pour juger avec les anciens de san peuple (1). » Il paroit donc qu'il 
y aura des hommes investis du pouvoir de juger. 

( Conczusion. — Les hommes parfaits jugeront avec le Christ, en ce 
sens, d'abord, qu'ils portent gravés en eux les décrets de la justice divine 
et qu'ensuite ils manifesteront aux autres la sentence prononcée par le 
Christ.) | | 

Le mot juger peut s'entendre de plusieurs manières : 1» On juge parce 
qu'on devient en quelque sorte une cause de jugement. Sous ce rapport, 
on est censé juger par une comparaison à laquelle on donne lieu; et c'est 
ce qui arrive quand il devient manifeste que quelqu'un doit être jugé par 
la comparaison qui s'établit entre sa conduite et celle des autres. C'est 
ainsi qu'il faut entendre oe qui est dit, Matth., XII, 54 : aLes hommes 
de Ninive s'éléveront au jour du jugement contre cette génération.» Il 
est évident que cette maniére de juger sera commune aux bons et aux 


10 


(1) Saint Jérôme ne donne nullement à ces paroles la signifitation qu'elles devroient avoig 
pour être légitimement invoquées en faveur de cette thése. D’après lui, les anciens du peuple, 
bien loin de venir fuger avec le Seigheur, doivent eux-mêmes être jugés, parce qu'ils ont cos 
rompu ja loi et fait prévariquer ceux dont ils devoicnt guider les pas dans les sentiers de la 
justice. Mais plusieurs autres docteurs, et saint Augustin à leur tête, evoient entendu ce texte : 
comme l'entend ici notre auteur. Et cela suffit amplement pour l'autoriser à en faire l'usage 


A-— - 


8. Preterea, judicium illud non exercebitur 
vocaliter, sed mentaliter , ut probabilis æsti- 
matur. Sed hoc quàd cordibus hominum om- 
nium notificentor merita et demerita (quod est 
quasi accusatio vel ceromendatio), vel retributio 
pone et pramii (quod est quasi sententia pro- 
latio ), solá divinà virtue fiet. Ergo nulli alii 
judicabunt msi Christus, qui est Deus. 

Sed contra est, quod dicir Matth., XIX : 
« Sedebitis et vos super sedes duodecim , ju. 
dicantes duodecim tribus Israel.» Erpo, etc. 

Preterea, Isai., lll : « Dominus ad judicium 
veniet cum senibus populi aui. » Ergo videtur 
X etiam alii judicabunt cum Christo. 


(ConcLusio. — Judicabunt perfecti viri cum 
Christo in quantum in eis continemiar decreta 
diving justitiæ, ex quibas homines judicabun- 
tur, et in quantum Christi Jedicis senteutiam 
aliis patefacient. ) 

Respondeo dieendem, quód judicare multi- ' 
pliciter dicitur : Uno modo, quasi causdliter, uf 
dicatur illud judicare, unde apparet aliquis ju- 
dicandus. Et secandàm hoc aliqui dicetur ja- 
dicare comparatioue, in quantum ex compara= 
tione aliorum siqui judicandi ostenduntur ; 
sicut patet Matth., Xll : « Viri Nimvitæ sur 
gent in judicio, elc. » Sed sic judicare in ju- 
dicio, communiter et bonorum et malorum est, 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. 71 
méchants. % On peut juger d'une manière simplement interprétative ; 
on est censé faire une chose quand on y consent. Ceux donc qui donne- 
ront leur assentiment au jugement prononcé par le Christ, en approuvant 
sa sentence, nous pouvons dire qu'ils jugeront avec lui. Cette maniére de 
juger n'appartiendra qu'aux élus ; et c'est ainsi que se vérifiera cette pa- 
role , Sap., Iii, 8 : «Les justes jugeront les nations. » 3° On peut juger 
comme assesseur et par représentation. C'est ce qu'on dit de celui qui 
porte certaines marques de la puissance judiciaire et qui occupe un siége 
éminent comme le juge lui-méme. Cela s'entend des assesseurs. Voilà ce 
que veulent dire ceux qui attribuent aux hommes parfaits, d'apNes la pro- 
messe qui leur est faite, Matth., XIX , une participation à la puissance 
judiciaire du Christ. Dans ce sentiment, un siége d'honneur doit étre 
accordé à ces hommes éminents ; ils s'éléveront au-dessus de tous les 
autres quand «ils viendront. à la rencontre du Christ dans les airs. ». 
Cela ne nous paroit pas suffire néanmoins pour réaliser dans toute son 
étendue la parole du Seigneur : « Vous serez assis pour juger. » Juger, en 
effet, c'est quelque chose de plus que de siéger. Il est donc un quatrième 
mode de jugement qu'il faut attribuer aux hommes parfaits : ils jugeront 
en tant qu'ils portent gravés en eux les décrets de la justice divine, d'a- 
prés lesquels les hommes seront jugés; on dit d'un livre qu'il juge , par 
cela méme qu'il renferme la loi dont Vapplication constitue le jugement. 
Voilà pourquoi il est dit, Apoc., X , 5 : «Le jugement s'établit , et les 
livres sont ouverts. » Tel est le genre de jugement dont parle Richard de 
Saint-Victor, déjà cité plus haut, quand il dit : « Ceux qui s'appliquent 
à la contemplation des choses divines et qui lisent chaque jour le livre 
de la Sagesse incréée , transcrivent dans les pages vivantes de leur cœur 
tout ce que leur intelligence perçoit de la supróme vérité. » Et plus bas il 
qu’il en fait, Du reste, la parole du Sauveur loi-méme , citée avant celle-là , ne permet pas 


de deuter qu'il n'y ait des hommes qui devront juger hvec le Christ. Il ne s'agit plus que de 
déterminer la part qu'ils prendront à ce jugement. C'est là l'objet de l'article. 


Aliomodo dicitur judicare quasi interpretati vé; 
interpretamur enim aliquem facere, qui facienti 
consentit. Unde illi qui eonsentient Christo 
Judici, ejus sententiam approbasdo , judicare 
dicentur; et sic judicare erit omniumelectorem; 
unde dicitur Sapient., Ill : « Judicabunt justi 
nationes. » Tertio modo dicitur aliquis judicare 
quasi assessorié et per similitudinem, quia sci- 
licet similitudinem jedácis habet, in quantum 
sedet in loco eminent sicut judex ; et sic as- 
sessores dicuntur judicæe. Et secundüm hunc 
modom dicunt quidam qubd perfecti viri, qui- 
bus judiciaria potestas promuititur, Matth., 
XIX, jadicabuat, scilicet per honorabilem con- 
fessionem , quia superiores ceteris apparebuat 
in judicio, obviantes Christo in aera. Sed istud 


non videlur sufücere ad promissionem Domini 
complend3m, qua diciter : « Sedebitis judican- 
tes. » Videtur enim judicium confessioni super. 
addere. Et ideo esi quartus modus judicandi, 
qui perfectis viris conveniet, in quantum m eis 
continentur decreta diving justitie , ex quibus 
homimes judicabuntur, sicut si liber in quo 
centineti.: lex, judicare dicatar. Unde Aposal., 
XX : « Judicium sedit, et libri. aperti suut. » 
Et per huac modus banc judicationem Richar- 
des de 8. Victore (ut suprà) expouit ; unde di- 
cit : « Qui divine contemplationi assistunt, qui 
ia libro Sapientæ quotidie legunt, velut in cor. 
dium volmninibus transcribunt quidquid jam 
perspicuá veritatis intelligeatià comprehen- 
dunt. » Et infrà : « Quid verè sunt judicantium 


72 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 1. 


ajoute : « Que sont les cœurs de ces homines destinés à juger les autres, 
quand une fois ils ont été formés par Dieu méme à la copnoissance de 
toute vérité , si ce n'est en quelque sorte les décrets des saints Canons ? » 
Mais comme juger implique une action dont un autre est l'objet, on ne 
peut rigoureusement dire de quelqu'un qu'il juge, à moins qu'il ne porte 
réellement une sentence sur les actions et le sort d'un autre. Or cela 
peut avoir lieu de deux manières : de sa propre autorité, d'abord ; et cela 
n'appartient qu'à celui qui a pouvoir et juridiction sur les autres, de telle 
sorte que ceux-ci soient soumis à sa direction et justiciables de son droit. 
La puissance judiciaire ainsi comprise appartient à Dieu seul. On juge, 
en second lieu, quand on porte à la connoissance des autres une sentence 
prononcée par l'autorité souveraine; car c'est là porter secondairement 
une sentence. Ainsi jugeront les hommes parfaits ; ils manifesteront aux 
yeux des autres la justice divine, en leur faisant comprendre ce qui leur 
est dà pour leurs mérites; la manifestation de la justice est encore un 
jugement. De là ce que dit'encore Richard de Saint-Victor, à la suite des 
passages que nous venons de citer : « Les juges ouvrent le livre de leurs 
décrets devant les yeux de ceux qu'ils vont juger, quand ils leur per- 
mettent delire en quelque sorte jusqu'au fond de leur cœur, quand ils leur 
manifestent le fond de leur pensée concernant les choses qui font la ma- 
tiére du jugement. » 

Je réponds aux arguments : 4° Ce premier raisonnement n'a trait qu'au 
jugement qu'on prononce de sa propre autorité ; et il est vrai que celui-là 
appartient uniquement au Christ. 

2» La méme réponse s'applique au second argument. 

3° Il ne répugne nullement que, parmi les saints, les uns révèlent 
certaines choses aux autres, soit par maniére d'illumination , comme les 
anges supérieurs illuminent ceux qui sont placés au-dessous d'eux , soit 
par maniére de parole ou d'entretien , rapport que les anges inférieurs 


. peuvent eux-mêmes établir avec ceux d'un rang plus élevé. 





corda divinitus in omnem veritatem edocta, 
nisi quedam Canonum decreta ? » Sed quia ju- 
dicare importat actionem in alium proceden- 
tem , ideo proprié loquendo, judicare dicitur, 
qui sententiam loquendo in alterum fert. Sed 
hoc dupliciter contingit : uno modo, ex propria 
auctoritate, Et hoc est illius qui habet domi- 
nium in alios et potestatem, cujus regimini 
subduntur qui judicantur; unde ejus est in eos 
jus ferre; et sic judicare est solius Dei. Alio 
modo, judicare est sententiam alterius auctori- 
fate latam , in aliorum notitiam ducere, quod 
est sententiam latam pronuntiare. Et hoc modo 
perfecti viri judicabunt, quia alios ducent in 
cognitionem divine justitiæ, ut sciant quid justè 


n ‘4 eis debeatur, ut sic ipsa revelatio 


justitiæ dicatur judicium. Unde dicit Rirhar- 
dus de S. Victore (post praedicta): « Judices 
coram judicandis decretorum suorum libros ape- 
rire, est ad cordium suorum inspectionem, infe- 
riorum quorumlibet visum admittere, sensum- 
que suum in his qua ad judicium pertinent re- 
velare. » 

Ad primum ergo dicendum, quód objectio illa 
procedit de judicio auctoritatis, quo soli Christo 
convenit. 

Et similiter dicendum est ad secundum. 

Ad tertium dicendum , quàd non est inconve- 
niens aliquos sanctorum aliis quedam revelare, 
vel per modum illuminationis, sicut superiores 
angeli inferiores illuminant, vel per modum lo- 
cutionis, sicut inferiores superioribus loquuntur. ' 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. "13 


ARTICLE II. 
Le pouvoir de juger correspond-$l à la pauvreté volontarre ? 


Il paroit que le pouvoir de juger ne correspond pas à la pauvreté vo- 
lontaire. 4° C'est aux apôtres seuls qu'il a été dit : « Vous siégerez sur 
douze trónes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Or tous ceux qui ont 
embrassé la pauvreté volontaire ne sont pas apótres. Donc la puissance 
judiciaire ne correspond pas toujours à cette pauvreté. 

2» Un sacrifice dont notre corps lui-méme est la victime, est supérieur 
à celui dont les biens extérieurs sont la matière. Or les martyrs et les 
vierges font de leur propre corps un sacrifice à Dieu , tandis que les pau- 
vres volontaires ne le font que des biens extérieurs. Donc c'est aux 
martyrs et aux vierges, plutót qu'aux pauvres volontaires, que semble- 
roit devoir appartenir un pouvoir aussi élevé. 

3° Sur cette parole du Sauveur, Joan., V : all est un accusateur qui 
s'élève contre vous, c'est Moïse, lui-même, en qui vous espérez. » La 
Glose dit : «Il vous accuse parce que vous ne croyez pas à sa parole.» 
Jésus- Christ dit encore, Joan., XII : «La parole que je leur ai adressée 
les jugera elle-méme au dernier jour.» Donc par cela méme que l'on 
présente la loi ou une parole d’exhortation aux hommes, en vue de tra- 
vailler à la correction de leurs moeurs, on acquiert le droit de juger ceux 
qui n'en tiennent pas compte. Or c'est là ce que font les Docteurs. C'est 
doncà eux, plutót qu'aux pauvres volontaires, qu'il appartiendra de juger. 

&° C'est parce qu'il a été jugé d'une manière inique en tant qu'il étoit 
homme, que le Christ a mérité d’être dans celte méme nature humaine 
le juge de tous les hommes, d'aprés ce qui est dit , Joan., V, 27 : «Dieu 





ARTICULUS II. 
Utrum judiciaria potestas respondeat volun- 
taria paupertati. 

Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
judiciaria potestas non correspondeat voluntarie 
paupertati. Hc enim solüm duodecim Apostolis 
est promissa, Matfh., XIX : « Sedebitis super 
sedes duodecim , judícantes , etc. » Cùm ergo 
non omnes voluntari pauperes sint Apostoli, 
videtar quód non omnibus judiciaria potestas 
respondeat. 

8. Preterea, majus est offerre sacrificium 
Deo de proprio corpore, quàm de exterioribus 
rebus (1). Sed martyres et etiam virgines offe- 
runt de proprio corpore sacrificium Deo, volun- 


Ergo sublimitas judiciarim potestatis magis 
respondet martyribus et virginibus, quàm vo- 
luutariè pauperibus. 

8. Praterea, Joan., V : « Est qui accusat 
vos, Moyses, in quo vos speralis ; » Glossa, 
« quia voci ejus non creditis. » Et Joan., XII: 
« Sermo quem locutus sum, ille judicabit eum 
in novissimo die. » Ergo ex hoc quód aliquis 
proponit legem vel verbum exhortationis ad 
instructionem morum, habet quód judicet con- 
temnentes. Sed hoc est doctorum. Ergo docto- 
ribus magis competit quàm voluntariè paupe- 
ribus. 

4. Præterea, Christos ex hoc quàd injustè 
judicatus est, in quantum homo, meruit ut sit 
judex omnium in humana natura ; Joan., V : 


farié aulem pauperes de exterioribus rebus. | « Potestatem dedit ei judicium facere, quia 


(1) Quia quant res quie offertur est intimior offerenti, proptereaque amabilior et charior, 
tantó illius oblatio major est; corpus autem est intimius quibuslibet aliis rebus, ete, 


74 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 2. 


lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme. » Or 
ceux qui souffrent persécution pour la justice sont jugés d'une maniére 
inique. Donc la puissance judiciaire devroit leur appartenir, plutót qu'aux 
pauvres. 

D^ Ce n'est pas l’inférieur qui doit juger le supérieur. Or beaucoup de 
ceux qui usent licitement les richesses auront de plus grands méritesque . 
plusieurs de ceux qui auront été volontairement pauvres. Donc ce n'est 
pas ceux-ci qui doivent juger ceux-là. 

Mais l'Ecriture indique ainsi le contraire, Job, XXXVI, 6 : «ll ne 
sauve pas les impies, et il donne aux pauvres le pouvoir de juger. » Donc 
C'est à la pauvreté qu'un tel pouvoir correspond. 

Sur cette parole de l'Evangile, Matfh., XIX : « Vous qui avez tout 
abandonné pour me suivre....., » la Glose dit : « Ceux qui ont tout aban- 

. donné et qui ont suivi leur Dieu, seront les juges ; et ceux qui ayant des 
biens en ont usé d'une maniére méme légitime, seront jugés.» Ainsi 
donc, méme conclusion que plus haut (1). 

(CoNcLusioN. — Ce n'est pas à un pauvre quelconque que le pouvoir de 
juger est donné, c'est uniquement à celui qui a tout abandonné pour sui- 
vre Jésus-Christ dans un état de vie parfaite. ) 

Le pouvoir de juger est spécialement dà à la pauvreté volontaire pour 
trois raisons : 1° Pour une raison de convenance ; la pauvreté volontaire 
fait qu'un homme dédaigne et repousse tous les biens de ce monde, pour 
s'attacher à Jésus - Christ seul ; et de la sorte il ne reste rien en lui qui 


(1) I! y aura des hommes qui jugeront avec le Christ; c'est ce qu'on a vu dans le précédent 
article. Mais quels sont ceux à qui cet honneur est réservé ? Sera-ce la société tout entiére 
des justes, ou bien une catégorie seulement? C'est le point à diseuter qn'améne ici l'ordre 
logique ; c'est celui qui fait l'objet dela thése actuelle. En déterminant la nature et l'étendue 
de ce pouvoir, l'auteur a émis des considérations qui sembloient le généraliser. On eüt pu croire 
d'après cela qu'il appartiendroit à tous les saints, et même, dans un sens, à tous les hommes 
sans exception. Nous voyons maintenant qu'il faut le restreindre et l'attribuer spécialement 
à ceux qui, pour entrer dans un état de perfeetion, auront embrassé la pauvreté volontaire. 
Cette proposition a pour fondement les expressions mémes qui précédent celles oà le Sauveur 
annonce à ses disciples qu'ils siégeront comme juges à son propre tribunal. Ce n'est donc 
pas là une opinion personnelle, ou un sentiment hasardé, comme on pourroit être tenté de 
le croire ; mais une vérité fondée sur l'Reriture. 





Filius hominis est. » Sed qui persecutionem 
patiuntur propter justitiam, injuste judicantur. 
Ergo judiciaria potestas magis competit eis 
quàm pauperibus. 

5. Preterea, superior non judicatur ab infe- 
riori. Sed multi licità divitiis utentes, erunt 
mejoris meriti multis voluntarià pauperibus. 
Ergo voluntarié pauperes non judicabunt, ubi 
il judicabuntur. 

Sed contra, Job, XXXVI : « Non salvat im- 
pios, et judicium pauperibus tribuit. » Ergo 
pauperum est judicare. 


N Matth., XIX, super illud: « Vos 


qui reliquistis omnia, etc., » dicit Glosea : 
« Qui reliquernut omnia, et seculi sunt Deum, 
hi judices erunt; qui licita habentes rectè usi 


suat, judicabuntur. » Et aic idem qued pris. 


(ConcLusio. — Non cuilibet pauperi datar 
jadiciaria potestas , sed ei qui omuibus relictis 
Christum secutus fuerit, juxia perfectionca 
viti.) 

Respondeo dicendum, .quéd paupertati debe- 
tar judiciaria potestas specialiter, propter tria : 
Primó, ratione congruitatis, quia voluntaria pau- 
pertas est eorum qui, emmibus quie mundi sunt 
contemptis, soli Christo inhzrent : et ideo non 


DES JUCES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. "9 


puisse faire fléchir la rectitude de son jugement. Ceux qui ont embrassé 
la pauvreté volontaire, ayant mis ainsi la vérité de la justice au-dessus 
de tous les trésors, sont par là même plus aptes à prononcer des juge- 
ments équitables. 2» Cela leur est dà à raison de leur mérite; celui qui 
s humilie mérite être exalté; et rien dans le monde n'humilie davantage 
un homme et ne sauroit mieux l'exposer au mépris que la pauvreté. La 
sublimité du pouvoir judiciaire est donc promise aux pauvres comme une 
élévation qui doit éire la conséquence des abaissements volontaires em- 
brassés pour l'amour du Christ. 3° Cela doit être, enfin, parce que la 
pauvreté prédispose l'homme à ce mode de jugement que nous avons dit 
plus haut devoir étre le sien. Parmi les saints celui-là surtout sera censé 
juger, a - t-il été dit, dont le cœur portera plus distinctement gravée la 
vérité divine, parce qu'il peut mieux ainsi la manifester aux autres. Or, 
quand on veut marcher dans le chemin de la perfection, la premiére 
chose dont on doit se débarrasser, ce sont les richesses extérieures. Voici 
pourquoi : ce sont là les biens que l'homme acquiert en dernier lieu ; et la 
dernière chose qui se produit est toujours la première à se détruire. C'est 
pour cela que la pauvreté occupe le premier rang parmi les béatitudes, 
lesquelles nous tracent la voie vers la perfection. Si le pouvoir de juger 
correspond à la pauvreté volontaire, c'est donc parce que celle-ci est la 
premiére disposition à cet état de perfection que nous venons de déter- 
miner. Aussi n'est-ce pas à tout pauvre, méme volontaire, qu'est réservé 
le pouvoir dont il s'agit ici; c'est uniquement à ceux qui ont tout aban- 
donné pour suivre le Christ dans un état de vie perfaite. 

Je réponds aux arguments : 19 Voici ce que dit saint Augustin, De Civit. 
Dei, XX, 5 : « Parce que le Sauveur a dit qu'ils seroient douze assis sur 
des trônes pour juger, nous ne devons pas croire qu'il n'y aura justement 
que douze hommes appelés à juger avec lui ; autrement, comme Mathias 
fut élevé à l'apostolat pour occuper la place du traître Judas, il faudroit 





est in eis aliquid quod eorum jodicinm à jus- 
titia deflectat. Unde idonei ad judicandum red- 
duntur, quasi veritatem justitiæ pre omnibus 
diligentes. Serundd, per modum meriti , quia 
burilitati respondet exaltatio pro merito ; inter 
omnia autem quæ bomisem in hoe mondo 
despecipm faciuut, preecipunm est paupertas. 
Unde et pauperibus excelleatia judiciariæ po- 
teslatis promittitur, st sic qui se propter Chris- 
tum humilial, exaltetur. Tertid, qui& pauper- 
tas disponit ad predictum modum judicandi ; 
ex hoc euim aliquis eanctorum jadicare dicetur, 
ut éx dictis (art. 1) patet, quia cor bebebit 
edoctum omni divina verilate, quam aliis po- 
tens erit manifestare. [n progressu autem ad 
perfectionem , primum quod relinquendum oc- 
Curr, suni exteriores divite, quia hsec sum 


ultimó aequisita ; quod autem ultimum in ge- 
neratione est, est primum in destructione, 
Unde et inter beatitudines quibus est progressus 
ad perfectionem , prima ponitur paupertas. Et 
sic paupertati respondet judiciaria potestas, 
in quantum est prima dispositio ad perfectionem 
predictam. Et hic est quód non quibuscumque 
pauperibus (etiam voluntariè) reponitur potes- : 
tas predicta, sed illis qui relinquentes omnia 
sequuntur Christum secundàüm perfectionem 
vite. 

Ad primum ergo dicendum, quôd sicut Au- 
gustinus dicit, XX. De Civit. Dei (cap. 5), 
« nec quoniam super duodecim sedes sessurog 
esse ait, duodecim solos homines cum ipso ju- 
dicaturos putare debeinus ; alioquin, quoniam 
io locum Jeds traditoris Apostolum Matthiam 


76 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 2. 


dire qu’il n’y aura pas de trône pour Paul , lui qui néanmoins a travaillé 
plus que tous les autres. » Ce nombre de douze, comme le remarque du 
reste le même saint Docteur, est mis là pour représenter la multitude 
tout entière de ceux qui doivent juger, et cela parce que ce nombre de 
douze se forme de la combinaison des deux parties du nombre sept, trois 
multiplié par quatre. Douze est encore un nombre parfait, par la raison 
qu'il n’est que six ajouté à lui-méme, et six est un nombre parfait. On 
peut dire, enfin, que littéralement le Christ s'adressoit aux douze apô- 
tres, mais que dans sa perisée il faisoit la méme promesse à tous ceux qui 
les initeroient dans la suite des siècles, et qui se trouvoient maintenant 
représentés par eux. 

2 Ni la virginité, ni le martyre ne disposent l'homme à garder dans 
son cœur les décrets de la justice divine, aussi bien que le fait la pauvreté; 
de mème que rien ne suffoque la parole de Dieu dans un cœur, comme 
le fait la sollicitude des richesses extérieures ; ce qui est clairement ex- 
primé dans l'Evangile, Luc., VIII. On peut reconnoitre aussi que la pau- 
vreté toute seule ne suffit pas pour mériter l'honneur de la puissance 
judiciaire, et qu'elle est seulement une partie, mais la première partie, de 
cette perfection à laquelle appartient. une telle puissance. On peut donc 
ranger parmi les choses qui viennent à la suite de la pauvreté et qui con- 
duisent à la perfection, la virginité et le martyre, comme toutes les autres : 
œuvres analogues, bien qu'il ne faille pas leur accorder, sous ce rapport, 
le méme rang qu'à la pauvreté volontaire; le principe d'une chose étant 
toujours sa partie principale. 

3° Celui qui a présenté la loi aux autres hommes, ou qui lesa exhortés 
au bien, ne participera qu'à la première manière de juger que nous avons 
déterminée plus haut, c'est-à-dire que les autres seront jugés d'aprés les 
paroles qu'il leur a fait lui-méme entendre : d'oà il suit que la puissance 
judiciaire proprement dite ne correspond ni à la prédication ni à l'ensei- 





legimus ordinatum, Paulus, qui plus aliis labo- 
ravit, ubi ad judicandum sedeat, non habebit. » 
Unde duodenario numero ( ut ibidem indicat ) 
significata est universa judicantium multitudo, 
propter duas partes septenarii, scilicet tria et 
quatuor, quæ in se ductae faciunt duodenarium. 
Duo denarius autem est numerus perfectus prop- 
ter hoc quód consistit ex duplici separio , qui 
est numerus perfectus. Vel, quoad litteram , 
duodeam Apostolis loquebatur, in quorum 
persona hoc omnibus eorum sequacibus pro- 
mittebat. 

Ad secundum dicendum , quàd virginitas et 
martyrium non ita disponunt ad retinendum in 
corde decreta diving justitiæ, sicut paupertas; 


Luc., VIII. Vel dicendum quód paupertas non 
sola sufficit ad meritum judiciarig potestatis , 
sed est prima pars perfectionis cui respondet 
jadiciaria potestas. Unde inter ea quæ sequun- 
tur ad paupertatem, ad perfectionem spectan- 
tia, possunt computari et virginitas el marty- 
rium, et omnia perfectionis opera. Non tamen 
sunt ita principalia sicut paupertas, quia prin- 
cipium rei est maxima pars ejus. 

Ad tértium dicendum, quód ille qui legem 
proposuit aut exhortatus est ad bonum , judi- 
cabit , causaliter loquendo , quia per compara- 
tionem ad verba ab ipso proposita alii judica- 
buntur : et ideo non respondet proprie potestas 
| judiciaria prædicationi vel doctrina. Vel dicen- 


Sicut & contrario exteriores divitis ex sua sol- ; dum secundüm quosdam quód tria requiruntur 


2» sulfocant verbum Dei, aicut dicitur ; 


ad potestatem judiciariam : primb, abdicatio 


BES JUGES ET DES JUGES AU JUGEMENT UNIVERSEL. Tl 


gnement. D'autres répondent à cela que trois choses sont requises pour 
bien exercer le pouvoir de juger : 4° Le renoncement aux sollicitudes 
temporelles, afin que l'esprit demeure en état de percevoir la vérité; 
2 La connoissance et la possession réelle de la justice divine dans les ha 
bitudes de la vie; 3* La démonstration faite aux autres de cette méme 
justice. Un tel enseignement seroit la perfection et le couronnement de 
la puissance judiciaire. 

k° Quand le Christ s'est laissé condamner injustement , c'est un acte 
d'humilité qu'il a pratiqué; «il a été offert, parce qu'il l'a voulu, » avoit 
dit le Prophète, Isa., XIII; et c’est cette humilité qui lui a mérité les 
honneurs de la puissance judiciaire, « tout lui ayant été soumis, » comme 
s'exprime l'Apótre, Philip., II. Il résulte de là qu'une telle puissance est 
spécialement due à ceux qui s'humilient eux-mémes par le renoncement 
volontaire aux biens temporels, dont la possession est un titre d'honneur 
aux yeux des hommes, plutót qu'à ceux qui sont humiliés par les autres. 

5° Sans doute un inférieur ne sauroit de sa propre autorité juger son 
supérieur ; mais il le peut par l'autorité de celui qui est encore au-dessus 
de ce dernier; c'est ce qu'on voit dans les jugements par délégation. Il ne 
répugne donc pas d'admettre que les pauvres reçoivent, comme récom- 
pense accidentelle , le droit de juger ceux-là méme qui l'emportent sur 
eux sous le rapport de la récompense essentielle. 


ARTICLE INT. 
Les anges devront-ils juger? 


Il paroît que les anges seront appelés à juger. 1e Il est dit, Matth., 
XXV, 31 : « Quand le Fils de l'homme sera venu dans sa Majesté, et tous 
les anges avec lui. » Or il s’agit ici du second avénement du Christ, quand 
il viendra pour juger les hommes. Donc il parolt que les anges jugeront 
avec nous. | 





temporalium curaram, ne impediatur animus à 
sapientiæ perceptione; secundó, requiritur ha- 
bitus continens divinam justitiam scitam et 
observatam ; tertib , quód illam justitiam alios 
quis docuerit. Et sic doctrina erit perfectio 
complens meritum judiciariæ potestatis. 

Ad quartum dicendum, quód Christus in hoc 
quèd injustè judicatus est, seipsum humilia it; 
a oblatus est enim, quia voluit, » ut dicitur 
Jsai., XIII ; et meritum humilitatis est judicia- 
ria exaltatio , quia ei omnia subduntur , ut di- 
citur PAilíp., lI. Et ideo magis debetur judi- 
ciaria potestas illis qui voluntarié se humiliant, 
bona temporalia abjiciendo, propter quæ horhi- 
nes à mundanis honorantur, quàm his qui ab 
aliis bumiliantur. 


Ad quintum dicendum, quód inferior non 
potest judicare superiorem auctoritate proprid, 
sed tamen auctoritate superioris potest , sicut 
patet in judicibus delegatis. Et ideo non est 
inconveniens, si hoc quasi accidentale premium 
pauperibus detur, ut judicent alios etiam qui sunt 
excellentioris meriti respectu premii essentialis. 

ARTICULUS IN. 
Utrüm angeli debeant judicare. 

Ad tertium sic proceditur. Videtur quód an» 
geli debeant judicare. Matth., XXV : « Càm 
venerit Filius hominis in majestate sua, et 
omnes angeli cum eo. » Sed loquitur de ade 
ventu ad judicium. Ergo videtur qubd etiam 
angeli judicabunt. 


78 . SUPPLÉMENT, QUESTION LIXXIX, ARTICLE 3. 


9» Les noms des différents ordres d'anges viennent des fonctions qu'ils 
remplissent, comme l'explique très-bien saint Grégoire, in. Evang. ho- 
mil. XXXIV (1). Or il est un ordre d'anges qu'on appelle celui des 
Trónes; et ce nom a évidemment trait à la puissance judieiaire ; car on 
entend par tróne le siége d'un juge, ou celui d'nu roi, ou la chaire d'un 
Docteur. Donc il est des anges qui seront appelés à juger. 

3° T1 a été promis aux saints qu'ils auroient une sorte d'égalité avec les 
anges, Matth., XXIL Donc, s'il est des hommes qui doivent un jour avoir 
le pouvoir de juger, à plus forte raison les anges l'auront-ils aussi. 

Mais le contraire résulte de cette parole déjà citée, Joan., V, 21 : « Dieu 
. a donné au Christ le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme.» 
Or les anges ne possèdent pas la nature humaine. Done ils ne possèdent 
pas non plus le pouvoir de juger. 

Le méme individu ne sauroit être en méme temps juge et ministre du 
juge. Or, au jugement dernier, les anges seront comme les Ministres du 
juge, puisqu'il est dit, Matth., XIII, &1 : a Le Fils de l'homme énverra 
ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales. » Donc les 
anges ne jugeronL pas. EE 

(Conczusion. — Les anges ne participant pas à la nature humaine, il 
ne leur appartient pas de juger ; c'est là par excellence le droit du Christ, 
qui est vraament homme. ) 

Les assesseurs d'un juge doivent être de méme nature que lui. Or le 
jugement appartient au Fils de l'homme, lequel se manifestera dans sa 
nature humaine aux yeux des bons et des méchants, bien que dans la 
Trinité tout entiére réside l'autorité du jugement. Il faut donc aussi que 
les assesseurs du juge possèdent la nature humaine, afin de pouvoir éga- 


(1) Et comme notre saint Docteur l'a parfaitement expliqué lui-même dans son admirable 
tzaité de la nature et des divers miniméres des anges. 





2. Preterea, angelorum ordines nomina sor-|  Præterea, non est ejusdem judicare et esse 


tiuntur ex officio quod exercent, ui Gregorius 
Homil. XXXIV in Evang. explicat. Sed qui- 
dam ordo angelorum est ordo Thronorum, quod 
videtur pertinere ad judiciariam potestatem; 
thronus enim est « sedes judicis, solium regis, 
eathedra doctoris. » Ergo aliqui angeli judica- 
bunt. 

8. Preterea, sanctis post hanc vitam pro- 
amiilur angelorum aequalitas, Matfh., XXII. 
Si ergo boinines hanc habebunt potestatem ut 
judicent, mulià fortiüs angeli. 

Sed contra, Joan., V : « Potestatem dedit 
ei judicium facere, quia Filius hominis est. » 
Sed angeli non communicant in hamana na- 
fura. Ergo nec in judiciaria potestate. 


judicis ministrum. Sed angeli erunt in judicio 
illo ut ministri judicis, ut dicitur MattA., XII: 
« Mittet Filius bominis augelos suos , et colli- 
gent de regno ejus omnia scandala. » Ergo an- 
geli non judicabunt. 

(CoNcLUsio. — Cüm angeli non sint bumane 
nature participes, non competit eis judicare, 
sed Christo qui veré bomo est.) 

Respoudeo dicendum, quód ussessores judicis 
debent jndici esse conformes. Judicium autem 
autem Filio liominis attribuilur (1) ;. qui secun- 
düm humanam naturam. omnibus apparebi, 
tam bonis quàm malis, quamvis tota Trinikas 
judicet per auctoritatem. Et ideo etia.n oportet 
ut assessores Judicis humanam naturam habeant, 


(1) Sive Christo , in quantum: est Pilius hominis, ut ex Joan., V, suprà patet. Dictum est 
, *utem ex professo, III. part., qu. 69, art, 3, cur sic hoc ei conveniat, pleniès quàm bíc. 


— 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. "19 


lement être aperçus de tous, des bons et des méchants. D’où nous pouvons 
conclure que le droit de juger n'appartient pas aux anges; et s'il est 
permis de le leur attribuer sous un rapport, c'est en tant seulement qu'ils 
adhérent à la sentence. 

Je réponds aux arguments : 1° Les anges viendront avec le Christ, non 
à titre de juges, mais , comme le dit la Glose sur ce méme texte, « à titre 
de témoins, pour déposer concernant les actes humains, les hommes ayant 
fait le bien ou le mal pendant qu'ils étoient placés sous leur garde (1). » 

2* Certains anges portent le nom de trónes à raison de ce jugement 
que Dieu ne cesse d'exercer , en gouvernant tontes les créatures avec une 
supréme justice; car les anges sont les exécuteurs et les promulgateurs 
dece jugement incessant. Mais quant à celui qui sera prononcé à la fin 
des temps par le Ghrist homme, il réclame également des hommes pour 
assesseurs. . 

3° Cette égalité avec les anges que Dieu a promise aux hommes, re- 
garde la récompense essentielle. Rien n'empéche qu'une récompense ac- 
<identelle ne soit donnée aux hommes, tandis que les anges ne la pos- 
sódent pas; o'est co qui a lieu pour l'auréole des vierges ou des martyrs. 
Et voilà ce qu'on doit dire du pouvoir de juger. 


* 


ARTICLE IV. 
Les démons exécuteront-ils à l'égard des damnés la sentence du juge? 


Il paroît qu'aprés le jour du jugement les démons n'exécuteront pas à 
l'égard des damnés la sentence du juge. 1° L'Apótre dit, I, Corinth., 
XV, 95 : a Alors il mettra de côté toute principauté, puissance et vertu.» 

(1) Nous ignorons de qui est la glose dont parle ici l'auteur ; mais nous trouvons quelque 
chese de serablabie dans saint Jean Chrysostôme, super Matth. homil. 80 : « Tous les anges 


seront aveo ls souverain Juge, pour témoigner des inappréciables bienfaits que, par leur minis- 
tère, Dieu n'a cessé d'accorder à l'homme, en vue de lui faire opérer son salut. » Ce n'est 





in qua possint ab omnibus ( bonis et malis) vi- 
deri. Et sic angelis aoncorspetit judicare; quam- 
vis angeli etiam aliquo modo possint dici judi- 
care, scilicet per sententie approbationem. 

Ad primum ergo dicendum, quód sicat ex 
Glossa ibidem patet, angeli cum Christo ve- 
pient, non ut judices, sed ut sint « testes hu- 
manorum actuum, sub quorus castedia homines 
bené vel malè egerunt. » 

Ad secundum dicendum, qubd nomen TÁrom 
Miribuitur angelis ratione illius jadicii quod 
Deus semper exercet, ommia jostissime guber- 
Daudo; cujus judieii ungeli sunt quedamuodo 
executores et proœmuigatores. Sed judieium quod 
de omnibus per hominem Christum flet, etjam 
requixit homiaes assessores 


Ad tertium dicendum , quód hominibus pro- 
mittitur angelorum æqualitas, quantum ad præ- 
mium essentiale. Nihil tamen prohibet aliquod 
preminm accidentale exhiberi hominibus, quod 
angelis non dabitur , ut patet de aureola virgi- 
num aut martyrum. Et similiter potest dici de 
judiciaria potestate. 

ARTICULUS IV. 


Utrèm damones exequentur sententiam Judi- 
cis i» damnalos. 


Ad quartum sic proceditur. Videtur quód posi 
diem judicii dæmones non exequentur senten- 
tiam Judicis in damnatos. Quia, secundüm 
Apostolem , I. Cor., XV, « tunc evacuabit 
omnem principatur et potestatem et virtutem. » 


80 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 5, 


Ce qui prouve que toute supériorité aura également cessé. Or celui qui 
exécute la sentence exerce une sorte de supériorité à l'égard de celui qui 
Ja subit. Donc les démons aprés le jour du jugement n'exécuteront pas 
Ja sentence du juge. 

2» Les démons ont plus péché que les hommes. Il n'est donc pas juste 
que ceux-ci soient tourmentés par ceux-là. 

3 De méme que les démons suggèrent le mal aux hommes, les bons 
anges leur suggèrent le bien. Or il n'entre pas dans l'office des bons anges 
de récompenser les hommes justes; cette récompense vient immédiate- 
ment de Dieu. Donc il n'entre pas non plus dans l’offfice des démons de 
punir les méchants. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Les hommes en péchant se font 
les esclaves du diable; il est juste qu'ils lui soient soumis aussi dans le 
chátiment de leurs péchés, et que le diable soit l'instrument de leur 
peine. 

v. (ConcLusioN. — De méme que les saints s'illuminent entre eux, tout 
comme les anges, par qui les divines illuminations leur sont d'abord ap- 
portées, il est de méme probable que les damnés sont tourmentés par les 
démons, qui sont les premiers habitants de l'enfer.) 

Le Maitre des Sentences , IV, #7, émet à cet égard deux opinions, qui 
paroissent l'une et l'autre s'accorder avec la justice divine. Par là méme 
que l'homme a péché, il est juste qu'il soit soumis au démon ; mais le dé- 
mon le domine toujours d'une maniére injuste. L'opinon donc qui ne 
veut pas que, dans l'avenir, aprés le jour du jugement , les démons pré- 
sident au supplice des hommes, considére l'ordre de la justice divine 
dans cette espéce de droit qui seroit fait aux mauvais anges. Et l'opinion 
donc pas à titre de juges, mais à celui de témoins, que les anges, dans la pensée de l'illustre 
évêque de Constantinople, assisteront au jugement dernier. La nature humaine ne relévera pas, 
‘en ce jour, de la nature angélique. C'est elle-même qui, dans la personne du Christ, comme 


saint Thomas l'a prouvé lui-même, et dans la personne des assesseurs du Christ, comme nous 
le voyons ici, prononcera dans sa propre cause et fixera son sort éternel. 


Ergo cessabit omnis prælatio. Sed exequi Ju- 
dicis sententiam, quamdam denotat prælationem. 
Ergo demones post diem judicii non exequen- 
tur sententiam Judicis. 


ut ei subjiciantur in poenis, quasi ab eo pu- 
niendi. 

(ConcLusio. — Quemadmodum beati beatos 
mutub illuminant, ut angeli, per quos divina 


T — 


2. Preterea, dæmones magis peccaverunt 
quàm homines. Ergo non est justum .qudd ho- 
mines per demones torqueantur. 

8. Preterea, sicut dæmones suggerunt ho- 
"inibus mala, ita angeli boni suggerunt bona. 
Sed premiare bonos non erit officium bonorum 
angelorum, sed hoc erit ab ipso Deo immediatè. 
Ergo nec punire malos erit offücium dæmo- 
Bum, 

Sed contra est, quód homines peccatores se 


c subdiderunt peccando. Ergo justam est 


illuminationes deferuntur, ita probabile est quód 
dæmoves damnatos torquebunt. ) 

Respondeo dicendum, quód cirea hoc tangitur 
à Magistro in littera (IV. Sentent.) duplex opi- 
nio; et utraque videlur Dei jastitiæ competere. 
Ex hoc enim quód homo peccat , justà demoni 
subjicitur, sed dæmon injustè ei praeest. Opinio 
ergo illa quee ponit daemones, in futurum, post. 
diem judicii, hominibus non preesse in jwenis, : 
respicit ordinem divinæ justitiæ ex parte dæ- 
monum panientium. Contraria verb opinio res» 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. | 


opposée considére l'ordre de la justice divine par rapport aux hommes, 
qui ne méritent que trop d'étre ainsi punis. Quelle est celle des deux 
qu'il faut préférer? C'est ce que nous ne pourrions dire d'une maniére 
certaine. Nous regardons néanmoins comme plus probable que par une 
sorte d'analogie avec l'ordre qui sera établi parmi les élus, et d’après le- 
quel les uns seront illuminés et perfectionnés par les autres, les célestes 
hiérarchies devant subsister à jamais, les damnés devront étre chátiés et 
torturés par les démons. L'ordre établi de Dieu reparoit sous un autre 
aspect; ila voulu que les anges fussent des étres intermédiaires entre la 
nature divine et la nature humaine; eh bien, ce trait de la création ne 
sera pas entièrement effacé au sein même de la damnation éternelle. Ainsi 
donc, de méme que les hommes justes recoivent les divines illuminations 
par le ministère des bons anges, de méme les méchants subissent les 
arréts de la justice divine par le ministére des démons (1). Et l'on ne doit 
par croire que cela diminue en rien le supplice de ces derniers; car ils 
sont torturés par les tortures mémes qu'ilsinfligentaux autres. Dans l'en- 
fer, la société des malheureux, loin d'adoucir la misére de chacun, ne 
fera que l'augmenter. 

Je réponds aux arguments : 1° La supériorité ou domination que le Christ 
déclare devoir être supprimée dans l'avenir, est celle qui s'exercedans l'état 
actuel du monde, où nous voyons les hommes commandés par les hommes, 

(1) Telle est également, à n'en pouvoir douter, la pensée du grand évêque d'Hyppone, 
malgré les efforts qu'on a tentés pour l'opposer sur ce point au docteur angélique. Il importe 
ee reproduire ici ses propres expressions: « On a coutume de demander si dans l'enfer, apré 
le dernier jugement, les réprouvés seront soumis à la puissance et livrés à la rage des démons 
que l'Ecriture sainte appelle les persécuteurs et les bourreaux des ames. L'Apótre dit, il est 
vrai, que le Christ aura détruit alors toute principauté, puissance et vertu. Dans l'ordre actuel 
du monde, et tant que ce monde durera, les anges sont soumis aux anges, les démons aux 
démons, les hommes aux anges; mais, toutes choses étant réunies dans l'unité, plus de su- 
bordination semblable. D'après cela, quelques-uns ont pensé que, le dernier jugement étant 
prononcé, les démons n'auroient plus, comme ils l'ont maintenant, le pouvoir de torturer 
les hommes, mais que les hommes réprouvés seront immédiatement soumis à l'action de la 
justice divine, sans aucune intervention de la part des démons, tout comme les démons eux- 
mémes seront éternellement punis par Dieu, à l'exclusion de toute créature. Le texte invoqué 
ne nous impose pas néanmoius une telle opinion, et ne.nous défend pas de croire que les 


cémons présideront au supplice des hommes. Plusieurs jugent donc qu'ils seront les exécuteurs 
du châtiment, de méme qu'ils ont été les instigateurs du crime. » 








picit ordinem divina justitia ex parte hominum 
punitorum. Qus autem earum verior sit, cer- 
tum nobis esse non potest. Verius tamen æs- 
limo, quód sicut ordo servabitur in salvatis, 
quo quidam à quibusdam illuminabuntur et per- 
ficientur, eo quàd ordines celestis hierarchiæ 
perpetui erunt ; ita servabitur ordo in ponis, 
ut homines per demones puniantur, ne totaliter 
divinus ordo, quo angelos medios inter naturam 
humenam et divinam constituit, annulletur. Et 
ideo, siculi hominibus per angelos bonos di- 


ivl. 


vine illuminationes deferuntur, ita etiam dæ- 
mones sunt executores divine justitiae in malos. 
Nec ob hoc minuitur aliquid de demonum pœua, 
quia in hoc eliam quód alios torquent, ipsi tor» 
quebuntur. Ibi enim miserorum societas mise- 
riam non minuet, sed augebit. | 
Ad primum ergo dicendum, quód prælalio * 
illa quæ dicitur evacuanda per Christum in fu- 
turo, est accipienda secundüm modum præla- 
tionis quie est secundum statum hujus mundi, 
io quo et homines hominibus principantur , et 


82 SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 4. 


les hommes subordonnés aux anges, les anges aux anges, les démons aux 
anges, les démons aux démons, les hommes aux démons; ettout cela dans le 
but de se conduire réciproquement à leur fin, oude s'en détourner. Mais 
alors, comme tous les êtres seront parvenus à leur fin, plus de supério- 
rité qui ait pour objet , ou de les y amener ou de les en éloigner; il n'y 
aura plus que celle qui les conservera dans la possession de leur fin. 

2* Quoique les démons ne méritent pas assurément d'étre mis au-des- 
sus des hommes, puisqu'ils les ont injustement subjugués, c'est néan- 
moins là ce qu'exige le rapport de leur nature à la nature humaine; «ils 
ont conservé dans leur intégrité les biens de la nature, » comme le dit 
saint Denis, De Divin. Nom., cap. IV. 

3° Sans doute les bons anges ne sont pas la cause principale de la ré- 
compense donnée aux élus, ils la reçoivent tous immédiatement de Dieu ; 
il est néanmoins des récompenses accidentelles dont les bons anges peuvent 
être les ministres à l'égard des hommes; ainsi, par le ministère des anges 
supérieurs, les autres anges et les hommes sont illuminés touchant cer- 
tains secrets divins qui ne tiennent pas à la sul stance méme de la béati- 
tude. Pareillement , les damnés recevront immédiatement de la justice 
divine leur peine principale, la peine d'étre à jamais exclus de la vision 
de Dieu; mais il ne répugne pas d'admettre que les peines du sens leur 
soient infligées par le ministère des démons. Il y a là cependant une dif- 
férence notable : comme le mérite éléve, tandis que le péché rabaisse, 
il y a des hommes que leur mérite portera à un tel degré d'élévation, que, 
bien qu'appartenant à une nature inférieure, ils dépasseront la hauteur 
et la dignité de la nature angélique, considérée du moins dans certains 
anges, ainsi que la récompense accordée à ces mêmes esprits; d’où il 
suit qu'il y aura des anges qui seront illuminés par certains hommes. Les 
hommes pécheurs, au contraire, ne pourront jamais, à raison de la dé- 





angeli bominibus, et angeli angelis, et angeli 
dæmonibus, et demones dæmonibus, et dæmo- 
nes hominibus ; et hoc totum ad perducendum 
ad finem, vel abducendum à fine. Tunc autem, 
cüm omnia ad f£nem illum pervenerint, non 
erit prelatio abducens à fine, vel adducens 
ad finem, sed conservans in fine boni ve, 
mali. 

Ad secundum dicendum, quód quamvis me- 
riium demonum non requirat ut hbominibos 
præferantur, quia 10justà sibi homines subje- 
cerunt, tamen boc requirit ordo naturse ipsorum 
ad naturam humausm ; « bona enim naturalia 
ja ei$ integra manent, » ut Dionysius dicil, 
IV. cap. De div. Nomin. 

Ad tertium dicendum, quod angeli boni non 
Sunt causa priucipalis praemii electis, quia hoe 


quorumdam accidentalium  premiórum angeli . 


hominibus sunt causa, in quantum per superio- 
res angelos inferiores et angeli et homines il. 
luminantur de aliquibus secrelis divinorum, 
qua ad substantiam beatitudinis non pertinent. 


Et similiter etiam principalem penam damnati ; 


excipieut imirediatè à Deo, scilicet exclusionem 
perpeluam à visione Dei; aliàs autem penas 
seusibiles non est inconveniens hominibus per 
demones inligi. In hoc tamen est differentia , 
quia meritum exallat, sed peccatum deprimit ; 
unde, cüm natura angelica sit altior quàm hu- 
mana, quidam propter excelleutiam meriti in 
tautum exaltabuntur, quód talis exaltatio exce- 
det altitadinem nature et praemii in quibusdam 
angelis; unde eliam quidam angeli per quos- 
dam ho-nines illeminabunter. Sed nulli homines 


c immediaià à Deo percipiunt ; sed tamea | peccatores prepieraliquem gradem malitia per- 


f 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. 83 


«€héance plus ou moins profonde que le péché leur a fait subir , atteindre 
à la hauteur que les démons possédent par nature. 


ARTICLE V. 
Tous les hommes comparoftront-íls au dernier jugement? 


D paroit que tous les hommes ne comparoitront pas au dernier juge- 
ment. 49 On a vu qu'il est dit, Matth., XIX : « Vous serez assis sur douze 
trónes pour juger les douze tribus d'Israël. » Or ces douze tribus ne se 
composent pas généralement de tous les hommes. Donc tous les hommes 
ne comparoitront pas au jugement. 

2» Il est écrit, Psalm. X, 6 : «Les impies ne ressusciteront pas pour le 
jugement.» Or un grand nombre d'hommes méritent cette qualification. 
Donc ils ne doivent pas tous comparoitre au jugement. 

3» Cu n'est traduit devant un tribunal que pour y voir discuter ses mé. 
rites. Or il est des hommes qui n'auront de mérite d'aucune sorte, tels 
que les enfants morts avant l’âge de discrétion. Donc il n'est pas néces- 
saire que ceux-là comparoissent au jugement. 

Mais le contraire résulte de ce qui est dit, Áct., X, 42: « Le Christ a 
été établi par Dieu juge des vivauts et des morts.» Or, sous cette double 
dénomination , n'importe la manière dont elle est interprétée, sont com- 
pris tous les hommes. Donc tous les hommes comparoitront au dernier 
jugement. 

Il est encore dit, Apoc., I, 17 : a Voilà qu'il vient au milieu des nuées, 
et tout cil le verra; » c'est ce qui n'auroit pas lieu si tous les hommes ne 
devoient comparoitre au jugement. 

(Conczusion.— De mème que le Christ a souffert pour tous les hommes, 
bien que tous ne profitent pas de ses souffrances, de méme il réunira 





venient ad illam eminentiam que debetur na- | 8. Praterea, ad boc aliquis ad judicium ad 


ture dæmonum. ducitur, ut ejus merita discutiantur. Sed qui- 
dam sunt qui nulla merita habuerunt, sicut pueri 
ARTICULUS Y. ante perfectam etatem decedentes. Ergo illos 

Utram homines in s. |? judivio comparere necesse non erit. 


bunt. 


, Ad quintum sic proceditur. Videtur quód non 
omnes homines in judicio comparebunt. Quia 
dicitur Matth., XIX : « Sedebitis super sedes 
* gduodecim, judicantes duodecim tribus Israel. » 
Sed non omnes bornes pertinent ad illas duo- 
decim tribus. Ergo videtur quód non omnes in 
judicio comparebunt. 

4. Preterea , idem videtur per boc quod di- 
eitur Psalm. 1 : « Non resurgent {mpii 10 ju- 
dicio. » Sed muKi sunt tales. Eigo videtur quód 
BOR omnes comparebunt, 


Sed contra est, quod dicitur Act., X, quàd 
« Christus constitutus est à Deo judex vivorum 
et mortuorum. » Sed sub istis duabus differen- 
tiis comprehenduntur omnes homines, quali- 
tercumque vivi à mortuis distinguantur. Ergo 
omnes bomioes iu judicio comparebunt. 

Preterea , Apocal., 1, dicilur: « Ecce venit, - 
cum nubibus , et videbit eum omnis oculus. 2 
Hac autem uon essent, si non omnes in jue 
comparerent. Ergo, etc. 

(Conc.vso. — Sicut Christus pro omnib: | 
passus est (etsi non omnes passionis ejus ef- 
fectum sentiant), ita omnes homines in extreue 


8^ SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 95. 


devant lui tous les hommes au jugement dernier, afin que tous voient 
les honneurs qui lui seront décernés dans sa nature humaine. ) 

Nous l'avons dit, le pouvoir de juger a été conféré au Christ dans son 
humanité, en récompense des-abaissements volontaires de sa passion. Or, 
dans sa passion, il a donné son sang pour tous les hommes, comme prix 
suffisant et surabondant de leur rédemption, bien que ce sang versé n'ait 
pas obtenu son effet chez tous, à raison des empéchements qu'il rencontre 
chez un grand nombre. » Il fallait donc que tous les hommes fussent ras- 
semblés pour un jugement solennel, afin d'y étre les témoins des honneurs 
décernés au Christ dans sa nature humaine, selon laquelle il a été con- 
stitué par Dieu juge des vivants et des morts (1). 

Je réponds aux arguments : 4o Saint Augustin a répondu à celui-là, 
De Civit. Dei, XX, 5: «Parce qu'il est dit, jugeant les douze tribus d'Is- 
raël, il ne faudroit pas croire que la treizième tribu, celle de Lévi, ne de- 
yra pas être jugée ; il ne faudroit pas croire non plus que le jugement re- 
garde uniquement les Juifs, et non toutes les autres nations du monde. » 
Bi toutes les nations sont désignées sous le nom des douze tribus, c'est que 
le Christ les a toutes appelées avec les enfants d'Israël. 

2o Si la parole du Psalmiste, « les impies ne ressusciteront pas pour le 
jugement, » est appliquée à tous les pécheurs , il faut entendre par là 
qu'ils ne ressusciteront pas pour juger. Si on l'applique uniquement aux 
infidéles, cela voudra dire alors qu'ils ne ressusciteront pas pour étre ju- 
gés, parce qu'ils le sont déjà. Mais tous ressusciteront pour comparoitre 
au jugement et pour y voir la gloire du souverain Juge. 

3° Les enfants eux-mêmes, morts avant l’âge de discrétion, comparoitront 
au jugement, non pour être jugés, mais pour être, eux aussi, témoins de 
cette gloire. 


(1) Pour avoir une idée juste et complète «eu pouvoir judiciaire du Christ, de l'origine, de 
la nature et de l'étendue de ce pouvoir, il faut revenir à ce que saint Thomas en a dit lui- 










judicio comparere decet ad Christi in humana 
natura exaltationem videndam. ) 

Respondeo dicendum , quód potestas judicia- 
ria Christo homini collata est in premium hu- 
militatis quam in passione exhibuit. Ipse au- 
tem in sua passione sanguinem pro omnibus 
fudit, quantum adsufficientiam, licet non in om- 
nibus effectum habuit, propter impedimentum in 
aliquibus inventum. Et ideo congruum est ut 
omnes homines in judicio congregeutur ad vi- 
dendum ejus exaltationem in humana natura, 
Secundüm quam constitutus est à Deo judex 
vivorum el mortuorum. 

Ad primum ergo dicendum, quód sicut Au- 
gustinus XX. De Civitate Dei, cap. 5, dicit, 
Don quia diclum est, « judicantes duodecim 
8 [srael, » tribus Levi (qua tertiadecima est) 
da non erit; aut solum illum populum, 


non eliam gentes cæteras judicabunt. Ideg 
autem per duodecim tribus omnes gentes signi- 
ficat sunt, quia per Christum duodecim tri- 
bus sunt vocatæ. 

Ad secundum dicendum, quód hoc quod di- 
citur, « non resurgent impii in judicio , » si 
referatur ad omues peccatores, sic intelligeu- 
dum est quód non resurgent ad hoc quód judi- 
cent. Si autem impii dicantur infideles, sic in- 
telligendum est quàd non resurgent ad hoc 
quàd judicentur, quia jam judicati sunt. Sed 
omnes resurgent, ut in judicio compareant, ad 
gloriam judicis intuendam. 

Ad tertium dicendum, quód etiam pueri ante 
perfectam statem decedeutes in judicio com- 
parebunt, non ut judicentur, sed ut videant 
gloriam judicis. 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSHL. 


ARTICLE VI. 
Les justes seront-ils jugés ? 


11 paroit qu'aucun des justes ne sera soumis à ce dernier jugement. 
4o Il est écrit, Joan., III, 18 : « Celui qui croit en lui ne sera pas jugé. » 
Or tous les justes auront cru en lui. Donc ils ne seront pas jugés. 

2° Ceux-là ne sauroient être heureux qui ne sont pas assurés de leur 
bonheur; d’où saint Augustin établit, Genes. ad. lit., Wl, 17, que les 
démons n'ont jamais possédé la béatitude. Or les saints sont déjà heu- 
reux. Ils sont donc assurés de leur bonheur. Mais on ne soumet pas à un 
jugement les choses certaines. Donc les justes ne seront pas jugés. 

3° La crainte est incompatible avec le bonheur. Or le dernier jugement 
appelé par excellence le jugement formidable, excitera nécessairement la 
crainte de ceux qui devront étre jugés; ce qui fait que, sur cette parole 
de Job, XL : «Quand il sera élevé, les anges frémiront de crainte, » saint 
Grégoire dit, Moral., XXXIV, 7 : « Songeons aux terribles secousses 
qu'éprouvera la conscience des méchants, alors que celle des justes sera 
elle-méme troublée. » Donc les justes ne seront pas jugés. 

Mais il paroit au contraire, que tous les justes devront comparoitre au 
jugement de Dieu. Il est dit, II. Corinth., V, 10 : «ll faut que nous 
soyons tous manifestés au tribunal du Christ, pour que chacun y rende 
compte du bien ou du mal qu'il aura fait dans son corps. » Mais ce n'est 
pas là autre chose que subir un jugement. Donc tous les hommes sans en 
excepter les bons doivent étre jugés. 

On appelle universel ce qui comprend absolument tout. Or il s'agit ici 
du jugement universel. Donc il devra étre subi par tous les hommes sans 
exception. 


méme dans la troisième partie de la Somme. Nous craignons que le continuateur n'ait zzvibli 
sur ce point la doctrine du maître. 





ARTICULUS VL qui sunt judicandi ; unde etiam, super illud 


Utrüm boni in judicio judicabuntur. 


Ad sextum sic proceditur. Videtur quód nulli 
boni in judicio judicabuntur. Quia Joan., IL : 
« Qui credit in eum, non judicatur. » Sed omnes 
boni crediderunt in eum. Non ergo judicabuntur. 

3. Preterea, illi non sunt beali, quibus est 
incerta sua beatitudo ; ex quo Augustinus pro- 
bat (lib. XI, De Gen., ad litt. cap. 17 ), dæ- 
mones nunquaiu fuisse beatos. Sed sancti ho- 
mines nunc sunt beali. Ergo certi sunt de sua 
beatitudine. Sed quod certum est , non addu- 
citur ad judicium. Ergo boni non judicabuntur. 

8. Preterea, timor beatitudini repuenat. Sed 
extremum judicium, quod éremendum maximè 
dicilur, non poterit lieri sine tremore eoram 


Job, XLI : « Cüm sublatus fuerit, timebunt 
angeli, etc., » dicit Gregorius (lib. XXXIV. 
Moral., cap. &, vel 7 : « Consideremus quo- 
modo tunc iniquorum conscientia concutietur, 
quando etiam justorum vita turbatur. » Ergo 
beati non judicabuntur. 

Sed contra, videtur quód omnes boni judi- 
cabuntur ; quia dicitur ll. Cor., V : « Omnes 
nos manifeslari oportet ante tribunal Christi , 
ut referat unusquisque propria corporis prout 
gessit, sive bonum, sive malum. » Sed uibil es. : 
aliud judicari. Ergo omnes, etiam boni, judi- 
cabuntur. | 

Preterea, universale omnia comprehendit, 
Sed illud judicium dicitur universale. Kiga 
omnes judicabuntur. 


80 SUTPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 6. 


(CoNcLusioN. — Tous les élus seront jugés en ce qui regarde la récom- 
pense qui doit leur être décernée ; pour ce qui concerne la discussion de 
la conscience, ceux qui n'auront aucun mal notable mêlé à leurs vertus, 
pe seront pas jugés ; quant à ceux dont la vie aura été impliquée dans les 
affaires temporelles, de telle sorte néanmoins qu'ils aient racheté leurs 
péchés par des aumónes, ils seront jugés, mais pour leur justification. ) 

Le jugement comprend deux choses : la discussion des mérites et la 
rétribution des récompenses. Sous ce dernier rapport tous les hommes 
devront étre jugés, sans en excepter les bons; chacun recevra, en vertu 
de l’arrêt divin, la récompense qui répond à son mérite. Quant à la dis- 
cussion des mérites, elle n'a lieu qu'autant qu'il y auroit mélange debien 
et de mal. Ceux qui élévent sur le fondement de la foi des matériaux 
irréprochables, « l'or, l'argent, les pierres précieuses, » c’est-à-dire qui 
s'appliquent entièrement au service de Dieu et n'ont mêlé à leurs bonnes. 
œuvres aucun mal notable, n'auront pas à subir cette partie du jugement 
qui consiste dans la discussion des mérites; comme, par exemple, ceux 
qui se sont entiérement dépouillés des choses de la terre pour vaquer 
d'une manière plus exclusive aux choses de Dieu. Ceux-là donc seront 
Sauvés sans précisément être jugés. Mais ceux qui, sur ce méme fonde- 
ment de la foi, ont entassé ale bois, le foin, la paille, » c'est-à-dire qui 
ont encore aimé les choses du monde et sont demeurés impliqués dans 
les affaires terrestres, de telle sorte, néanmoins, qu'ils n'aient jamais rien 
préféré à Jésus-Christ, rachetant avec soin leurs péchés par des aumônes, 
ceux-là présentent un mélange de bons et de mauvais mérites. Aussi la 
discussion de ces mérites doit-elle avoir lieu pour eux. Ces hommes se- 
ront donc jugés, méme sous ce rapport, mais justifiés et sauvés (1). 

(1) N'ouklions pas ce qui a été démontré plus haut, et ne regardons pas les Bistinctions 


que l'auteur croit devoir établir ici, comme une rétractation ou une restriction méme des priu— 
eipes déjà posés, et que recommandoient à nos convictions les preuves les plus convaincantes 









(CoROLOsI0. — Beati omnes , qeantmm ad 
premiorom retributionem judicabuntar, quan- 
tum veró ad meritoram discussionem, qui nul- 
Tam notabilem alicujns mali meriti admixtionem 
babent, non Judicabuntur; at illi qui negotiis 
éerrenis sunt implicit , ita tamen ui sua pec- 
cata per eleemosynas expiarint, judicsbuntur 
et salvabonter. ) 

Respondeo dicendum, quod 34 jediciam duo 
pertinent , Silicet discussio meritorum, et re- 

otio premiorum. Quantwm ergo ad retriba- 
fionem præmioram, omnes jadicanuntur, etiam 
boni, in eo quàd unusquisque recipiet ex di- 
vina sententia premium merito respondens. 
Sed discussio meritorum non Mt uisi ubi est 
am merítoram commixtio, bonorom cura 
lli autem qui æditicant super fenda- 


mentum fidei « aurem et argeatum et lapides 
pretiosos, » divinis servitiis totaliter ingisten- 
tes, qui nullam admixtionem notabilem alicu- 
jus mali ineriti habent, m eis discessio meri- : 
torem locum non babet; sicut illi qui rebug 
mundi penitus abjectis , sollicité cogitant solümm 
que Dei sunt. It ideo salvabentar, sed mon 
jadicabentur. Ai verè qui medificaet super fidei 
fondamentum Zigna, fenum, stipslam, qui 
adhuc scilicet amant secularia et terrenis ne- 
gotiis implicænter, ita tamen quód sibi Christo 
præponant, sed student peccata eleemosynis 
expiare, habent quamdam commixtiosem bo- 
norom meritorum cum malis. Et idee discussio 
meritoram in eis locom habet. Unde tales 
quantum ad hoc judicabuntur, et tamen suive 
bentur. 


; 


DES JUGES ET DES I0GÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. "t 


Je réponds aux arguments : 1* Le châtiment est décerné parla justice, 
tandis que la récompense est plus spécialement l’œuvre de la miséricord 2; 
ce qui fait que le jugement, qui est un acte de la justice, se prend or li- 
nairement pour le châtiment lui-même; jugement équivant presque à 
condamnation. C'est ainsi que doit étre entendu le texte invoqué, com me 
du reste on le voit dans la Glose. 

2 La discussion des mérites dans les élus n'aura pas pour objet de dis- 
siper, dans leur propre cœur, une incertitude quelconque touchant la 
récompense qui les attend; c'est que Dieu veut enfin manifester la préé- 
minence du bien sur le mal, et forcer les hommes à proclamer sa jus- 
tice. 

3° Saint Grégoire parle en cet endroit des justes qui vivent encore dans 
une chair mortelle; car il venoit de dire : aCeux qui seront surpris dans 
leur corps, bien qu'étant déjà des hommes forts et méme parfaits, ren- 
fermés qu'ils sont dans une chair fragile, ne peuvent pas, au milieu 
de cet effroyable tourbillon de colére, ne pas éprouver quelque frayeur.» 
On voit donc que cette frayeur attribuée aux justes se rapporte au temps 
qui doit précéder le jugement d'une maniére immédiate; car si le juge- 
gement lui-mémé est terrible pour les méchants, il ne sauroit l'étre pour 
les bons, en qui ne se trouve aucun sujet de crainte. 

Les arguments donnés en sens contraire n'envisagent le jugement que 
dans la rétribution des récompenses. 
et les autorités les plus décisives Au jugement universel, avons-nous vu, toutes les con- 
Sciences, celles des justes comme celles des pécheurs , seront pleinement dévoilées. En 
entendant la sentence suprême, tous les hommes en connoftront les motifs; en méme temps 


qu'üs verront éclater la justice, ls en découvriront les inébranlables fondements, dans les ré- 
compenses, aussi bien que dans les châtiments qu'elle décernera. 





Ad primum ergo dicendum , qubd quia pu- 
nitio est effectus justitiæ, præmiatio autem 
misericordiæ magis; ideo judicio (quod est 
actus justitiæ ), aptonomasticé punitio attribui- 
tur, ut interdum Judicium pro ipsa condem- 
patione accipiatur. Et sic intelligitar auctoritas 
fnducta, ut per Glossam ibidem patet. 

Ad secundum dicendum, quód discussio me- 
ritorum in electis non erit ad tollendam incer- 
titudinem beatitudinis à cordibus ipsorum judi- 
candorum, sed ut præeminentia bonorum me- 
rilorum ad mala ostendantur omnibus manifestà, 
et sic Dei justitia comprobetur. 

Ad terum dicendum, quàd Gregorius lo- 


quitur de jastis adhac in carne nfortali exis-" 
tentibus. Unde supra præmiserat : « Hi qui in 
corporibus reperiri poterunt, quamvis jam fore 
tes atque perfecti, adhuc tamen quia in carne 
gunt positi , non possant in taati terroris tur- 
bine nullà formidine concuti. » Unde patet 
quód terror ille referendus est ad tempus im- 
mediatè judicium præcedens ; tremendum qui- 
dem maximà malis, non autem bonis , quibus 
nulla erit mali auspicio. 

Rationes autem que sunt ad oppositum , 
procedunt de judicio quantum ad relributionem 
præmorun. 





88 


SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE 7. 


ARTICLE VII. 
Les méchants seront-ils jugés ? 


I] paroit qu'aucun des méchants ne sera jugé. 1° La damnation de ceux 
qui meurent en état de péché mortel , n'est pas moins certaine que celle 
des infidéles. Or c'est à raison de la certitude de celle-ci, qu'il est dit, 
Joan., WI, 18: «Celui qui ne croit pas est déjà jugé.» Donc pour la 
méme raison les autres pécheurs ne le seront pas non plus. 

2» La voix du juge sera bien terrible pour ceux qui seront condamnes 
au dernier jugement. Or, d'aprés une parole de saint Grégoire, Moral., 
XXVI, 20, citée par le Maitre des Sentences , IV, 47, «le souverain Juge 
n'adressera aucune parole aux infidéles. » Si donc cette parole formidable 
devoit s'adresser à ceux des fidéles qui seront damnés, les infidéles tire- 


roient de leur infidélité méme une 
nullement admettre. 


sorte de bien; ce qu'on ne sauroit 


Mais il parolt, au contraire, que tous les méchants doivent être jugés. 
Tous, en effet, devront recevoir un chátiment proportionné à leurs dés- 
ordres. Or c'est ce qui ne sauroit avoir lieu sans un jugement préalable. 


Donc tous les méchants seront jugés. 


(CoscLusioN. — Les fidèles morts en état de péché, à raison de cette 
foi qu'ils ont connue, auront à subir un jugement complet, discussion et 
sentence; quant aux infidéles, ils seront traités comme des ennemis et . 
n'entendront que la sentence de leur condamnation. ) 

Si l'on entend par jugement la rétribution des peines dues au péché, il 
faut dire que tous les méchants seront jugés ; et si l'on y comprend la dis- 
cussion des mérites, les fidéles seuls le seront. Voici pourquoi : chez les infi- 
dèles, la foi n'existant pas, toutes leurs œuvres, faute d'un tel fondement, 

: manquent d'une parfaite rectitude d'intention. ll n’y a donc pas en eux 





ARTICULUS VII. 
Utrüm mali judicabuntur. 


Ad septimum sic proceditur. Videtur quód 
nulli mali judicabuntur. Sicut enim est certa 
infidelium damnatio, ita et eorum qui in mor- 
tali decedunt. Sed propter damnationis certitu- 
dinem dicitur Joan., 111 : « Qui non credit jam- 
judicatus est. » Ergo eadem ratione nec alii 
peccatores judicabuntur. 

9. Preterea, vox judicis est valde terribilis 
eis qu per judicium condemifantur. Sed, si- 
cut im littera (IV. Sentent. ) ex verbis Gre- 
gorii habetur, « ad infideles locutio judicis 
flet. » Si ergo fieret ad fideles damnan- 
» ipsi infideles de sua infidelitate com- 


modum  reportarent ; quod est absurdum. 

Sed contra, videtar quód omnes mali sint 
judicandi. Quia omnibus malis infligetur poena 
secundüm quantitatem culpe. Sed hoc sine 
definitione judicii esse non potest. Ergo omnes 
mali judicabuntur. 

( CoxcLusio. — Improbi fideles propter fidei 
fundamentum , judicium discussionis sustine- 
bunt ; infideles veró, solo judicio quod retribu- 
tionis dicitur, veluti hostes, condemnabuntur. ) 

Respondeo dicendum, quàd judicium quod est 
penarum retributio pro peccatis, omnibus ma - 
lis competit; judicium autem quod est discussio 
meritorum, solum fidelibus. Quia in infidelibus 
non est fidei fundamentum ; quo sublato, omnia 
opera sequentia perfectà rectitudiae intentionis 
carent. Unde non est in eis aliqua permixtio bono» 


DES JUGES ET DES JUGES AU JUGEMENT UNIVERSEL. 80 


un certain mélange de bonnes et de mauvaises œuvres, de mérites et de 
démérites, pour que la discussion de leur vie doive précéder la sentence. 
Mais les fidéles, en qui le fondement de la foi est au moins resté debout, 
ont toujours cet acte louable qui se méle à leur vie corrompue; et bien 
que cet acte ne soit pas méritoire sans la charité, il est de soi dans l'or- 
dre du mérite. C'est pour cela que les tidèles auront à subir la discussion 
avant la sentence. Ils compteront au nombre de ceux qui forment Ja cité 
de Dieu, ils seront jugés comme des citoyens, c'est-à-dire que la sentence 
de mort ne sera pas portée contre eux sans qu'on ait auparavant discuté 
leurs mérites; tandis que les infidéles seront condamnés comme des en- 
nemis, que les hommes ont coutume de condamner sans les entendre (4). 

Je réponds aux arguments : 4° Ceux qui meurent en état de péché 
mortel sont certains de leur damnation, sans doute ; comme il y a néan- 
moins dans leur vie certains éléments de mérite, il faut, pour mani- 
fester pleinement la justice divine, que leurs mérites soient discutés, 
et que cette discussion mette en évidence la justice de l'arrét qui va les 
exclure de cette cité des saints dont ils faisoient extérieurement partie. 

2o A la bien considérer dans l'espéce, la parole adressée par le souve- 
rain Juge aux fidèles qu'il doit condamner, ne sauroit, dans ce sens, être 
regardée comme une parole de colére; elle manifestera plutót un reste 
de complaisance et d'amour, qui n'existera pas à l'égard des infidéles; 
car « sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu, » Hebr., II, 6. Mais 
il n'y aura rien que de terrible dans la sentence de condamnation portée 
contre tous les réprouvés sans distinction. 

La raison donnée en sens opposé porte uniquement sur la rétribution 
que le jugement implique. . 

(1) Cette comparaison , qui ne sauroit étre admise qu'à la condition d'étre bien entendue, 
appartient à saint Grégoire ; et sous la plume de ce savant docteur, elle n'a rien que de par- 


faitement plausible et légitime. Voici comment il la présente dans le passage indiqué plus 
haut, 2* argument : « Un prince temporel, le chef d'un royaume terrestre, ne punit pas de la 





rum operum vel meritorum ad mala, qua discus- 
sionem requirat. Sed fideles, in quibus manet 
fidei fundamentum, ad minus fidei actum lau- 
dabilem habent; qui, quamvis non sit merito- 
rius sine charitate, tamen quantum est de se, 
est ordinatus ad meritum. Et ideo in eis judi- 
cium discussionis locum babet. Unde ipsi fideles 
qui fuerunt (saltem numero) cives civitatis 
Dei, judicabuntur ut cives , in quos sine dis- 
cussione meritorum sententia mortis non fere- 
tr; sed infideles condemnabuntur ut hostes, 
qui consueyerunt apud homines absque meri- 
torum audientia exterminari., 

Ad primum ergo dicendum, quód quamvis 
€is qui in mortali decedunt, pro certo constet 
de eorum damnatione; quie tarben aliqua que 


pertinent ab bene merendum, habent annexa, 
oportet ad manifestationem divine justitiæ, ut 
discussio de eorum meritis flat; per quam os» 
tendatur, eos justà à sanctorum civitate exe 
cludi, cujus esse cives numero exteriüs vide- 
bantur. 

Ad secundum dicendum', quód allocutio illa 
specialiter intellecta sécundüm hoc non erit 
aspera fidelibus condemnandis; quia in eis ali- 
qua sibi placentia manifestabit, qua in infide- 
libus inveniri non possunt; quia « sine fide 
impossibile est placere Deo, » Hebr., Xl. Sed 
sententia condemnationis, qua in omnes fe- 
retur, omnibus terribilis erit. 

Ratio veró in contrarium adducta procedebat 
de judicio retributionis. 


SUPPLÉMENT, QUESTION LXXXIX, ARTICLE B8. 


ARTICLE VIH. 
Les anges seront-ils jugés au dernier jugement ? 


Il paroit qu'au jugement dernier, les anges eux-mémes seront jugés. 
4o L'Apótre dit, I. Corinth., VI, 3: a Ne savez-vous pas que nous juge- 
rons les anges? » Or cela ne sauroit regarder notre état présent. Donc il 
faut le rapporter &u jugement futur. 

2» Il est écrit, Job, XL, 28, de Behemoth ou Leviathan, par lequel en 
entend le diable : « Il sera précipitó à la vue de tous. » Nous voyons, 
Marc., 1, 9&, qu'un démon dit au Christ : «Pourquoi es-tu venu avant 
le temps pour nous perdre?» Et la Glose dit là-dessus : « Les démons 
voyant le Seigneur sur la terre, se croyoient au moment d'être jugés. » 
Donc il paroit que le jugement dernier est également pour eux. 

9» Il est dit, IE. Petr., ll, 4-: « Dieu n'a pas épargné les anges dans 
Jeur péché, mais il les a précipités dans les ténèbres de l'enfer, où ils 
sont retenus captifs et livrés au supplice , réservés qu'ils sont au juge- 
ment. » Il paroit donc que les anges seront jugés. 

Mais le contraire résulte de cette parole du prophète, Nahum, i, 9, selon 
les Septante : « Dieu ne jugera pas deux fois la méme chose. » Les mau- 
vais anges, en effet, ont été déjà jugés, selon l'expression méme du Sau- 
veur, Joan., XVI, 2 : «Le prince de ce monde est déjà jugé. » Donc les 
anges n'aucont pas à être jugés à l'avenir. ' 

Les anges l'emportent, soit en bonté soit en malice, sur la plupart des 
hommes dans les conditions de la vie présente. Or il y a des hommes, tant 
méme manière le citoyen qui commet un délit au sein méme de la république, et l'ennemi qui 
l'attaque au dehors. 1i instruit la ceuse de l'un d'aprés les lois établies et ae le frappe qu'a- 
prés l'avoir entendu ; il fait la guerre à l'autre, dirige contre lui tous les moyens de destruc- 
tion, s'efforce de l'accabler, en punition de ses mauvais desseins; sans examiner précisément 


de quel genre de châtiment la loi frapperoit son crime. Celui qui n'a jamais été soumis à La 
Joi, ne sauroit prétendre à être châtié selon la loi. C'est ainsi qu'au dernier jugement...» 





Dominum cernentes, se continub judicandog 
esse credebant. » Ergo videtur quód eis finale 
Judicium reservetur. | 
8. Præterea, Il. Petri, IT, dicitur : « Deus 
ngelis peccantibus non pepercit; sed rudenti- 
bus inferni detractos , ip tartarum tradidit cru- 
ciandos ín judicium reservari. » Ergo videtur 


ARTICULUS VIII. 
Utrim angeli in futuro judicio judicabuniur. 
Ad octavum sic proceditur. Videtur quàd 


angeli in futuro judicio judicabuntur. Quia di- 
citur 1. Corinth., VI : « Nescitis quoniam | ci 


angelos judicabimus? » Sed hoc non potest 
referri ad statum presentis temporis. Ergo 
referri debet ad futurum judicium. 

9. Praeterea, Job, XL, dicitur de Behernoth 
{seu Leviathan ) per quem diabolus intelligi- 
tur : « Videntibus cunctis precipitabitar. » Et 
Marc., 1, exclamavit demon ad Christum : 
« Cur venisti ante tempus perdere nos? » Et 


a dicit ibidem quód « demones in terra 


quód angeli judicabuntur. 

Sed contra, « Deus non judicabit bis in idip- 
sum. » Sed mali angeli jam judicati sunt; unde 
dicitur Joan., XVI : « Princeps hujus mundi 
jam judicatus est. » Ergo ín futurb angeli non 
jadicabuntur. 

Preterea, perfectior est bonitas vel malitia 
angelorum quam aliquorum hominum in statu 
vie. Sed quidam homines boni et mali non 


me 


DES JUGES ET DES JUGÉS AU JUGEMENT UNIVERSEL. 91 


chez les bons que chez les méchants qui ne doivent pas être jugés, comme 
il est dit, Sen£., IV, 47. Donc ni les bons ni les mauvais anges ne seront 
jugés. | 

(Coxczusion. — Comme 11 n'y a rien de mal dans les anges fidèles, ni 
rien de bon dans les mauvais anges, la discussion qui précède la sentence 
et fait partie du jugement, ne sauroit en aucnne façon les regarder, ils 
ont été déjà jugés quant à leurs mérites respectifs ; mais la partie du ju- 
gement qui consiste dans la répartition des récompenses les atteindra, 
concernant les mérites ou les démérites des hommes qu'ils auront induits 
au bien ou au mal. ) : 

La discussion du jugernent ne regarde en aucune facon ni les bons ni 


les mauvais anges, par la raison qu'on me peut trouver dans les uns 


rien de mal, dans les autres rien de bien , qui soit matiére à jugement (1). 
Mais s'il s'agit de la rétribution qui aura lieu au jugement, il faut distin- 
guer : il y a la récompense qui est due aux mérites propres et personnels 
des anges; et celle-là a été donnée dés le principe, soit aux uns soit 
aux autres, puisque ceux-là ont été confirmés dans la béatitude et 
ceux-ci plongés dans un malheur éternel. Il est une récompense qui ré- 
pond aux mérites ou aux démérites acquis avec le concours des anges ; et 
celle - là sera décernée au dernier jugement, les bons anges auront un 
surcroit de joie pour le salut de ceux qu'ils auront amenés à la vertu, et 
les mauvais anges sentiront un redoublement de douleur à l'occasion des 
ames qu'ils auront tant de fois fait tomber dans le mal. Directement donc 
le dernier jugement ne regardera pas les anges, ils n'auront ni à le pro- 

(1) H imperte de bien noter cette restrictéon. Dire dune maniére absolee qu'il n'existe au- 
eun bien dans les démons, seroit une grave erreur philesophique, encore plos que religieuse. 
Nous avons déjà dit à la suite d'Aristote que le mal absolu se détruiroit lui-même, seroit la 


Suppression de tout mal. Les démons possèdent au moins l'existence, qui est le bien fonda- 
mental , n'importe les déviations qu'elle peut avoir subies ; ils ont l'intelligence etia volenté , 








Loue , üt dicitar in littera (IV. Sent.) (1). 
nec angeli boni vel mali judicabuntue. 

( Comcrosio, — Cüm ia bonis angelis nihil 
mali inveniri possit, neque in malis angelis 
aliquid boni, aullo modo judicium discussionis 
eis competet, sed quantum ad propria merita 
jam judicati sunt; judicio tamen retributionis 
judicabuntur, quantum ad merita bona vel mala 
hominum quos ad bene maleve merendam is- 
duxerint. ) 

Respondeo dicendum, qubd fudicium dis- 
cussionis nullo modo babet locum neque in 
bonis angelis , neque in malis; quia neque In 
bois potest aliquid mali inveniri, neque in 


malis atigeid boni ad judicem pertinens. Sed 
si loquamur de jwdicto retributionis, sic est 
distinguenda duplez retribatio : una respon- 
dens propriis meritis angelorum ; et hæc à 
principio fuit utrisque facta, dum quidam in 
beatitudinem sublimati sunt, quidam verd in 
miseriam demersi. Alia retributio est, qua 
respondet mentis bonis vel malis per Angelos 
procuratis; et hec retributio in future judicio 
flet; quia boni angeli amplius gaudium habe- 
bunt de salute eorum quos ad meritum induxe- 
runt, et mali ampliüs torquebuutur ruulliplicatà 
malorum ruiná qui pet eos ad mala sunt inci- 
tati. Unde, directè loquendo, judicium neque 


(1) De bonis enim ibi, dist. 87, lit. C, eive 8 8, ut jart suprà, ex Gregorii loco priès etizm 
indicato : 4/if judicantur ef regnant; alii non judicantur et regnant. De malis autem ; 
Alii non judicantur et pereunt (scilicet infideles ) ; al£ judicantur et perount, scilicel 


pravi ac perversi fideles, 


92 SUPPLÉMENT, QUESTION XC, ARTICLE 1. 


noncer ni à le subir; ce jugement ne regarde que les hommes. Mais d'une 
manière indirecte, c'est-à-dire en tant que les anges se mêlent aux actes 
des hommes, ce jugement atteindra les premiers (1). 

Je réponds aux arguments : 1° L'Apótre parle en cet endroit du juge- 
ment qui résulte de la comparaison établie entre certains anges et cer- 
tains hommes, ceux-ci étant trouvés supérieurs à ceux-là. ' 

2» Les démons eux-mêmes seront alors précipités à la vue de tout l'uni- 
vers; car dés-lors ils seront renfermés pour jamais dans les prisons de 
l'enfer, de telle sorte qu'il ne leur sera plus possible d'en sortir, cette 
permission ne leur ayant été antérieurement donnée que pour concourir, 
selon le plan de la divine providence, à l'épreuve de la vie humaine. 

C'est ce qu'il faut également répondre au troisième argument. 





QUESTION X6 


De 1a forme sous laquelle viendra 1e souverain Juge, 


Tel est l'objet qui réclame ici notre attention. Sur ce sujet on demande 
trois choses : 4° Est-ce sous sa forme humaine que le Christ doit juger? 
2» Son humanité se montrera-t-elle dans l'éclat de la gloire ? 3° Peut-on 
voir sa divinité sans éprouver le sentiment de la béatitude ? 
qui sont toujours un bien réel, incontestable, malgré l'abus qu'on en fait. Dans le sentiment 
de saint Denis l'Aréopagite, les dons naturels, ehez les démons, subsistent dans leur intégrité. 

(1) Saint Thomas a traité cette matière, dans une question à laquelle nous avons déjà ren- 


voyé le lecteur, sur la puissance judiciaire du Christ. C'est là qu'il faut recourir, si l'on veut 
avoir dans toute sa force et dans toute sa pureté la doctrine de notre maître. 





ex parte judicantium neque ex parte judican-| Ad secundum dicendum, quód ipsi demones 
dorum erit angelorum, sed bominum; sed in- | cunctis videntibus tunc precipitabuntur , quia 
directà quodammodo respiciet angelos, in quan- | in perpetuum in inferni carcerem detrudentur, 
tum actibus hominum fuerunt. commixti. ut jam non sit eis liberum egredi extra, quia 
Ad primum ergo dicendum, quód illud ver- | hoc eis non concedebatur nisi secundàm quèd 
bum apostoli est intelligendum de judicio | ordinabantur ex divina providentia ad hominum 
comparationis; quia quidam homines quibus- | vitam exercendam. 
dam angelis superiores invenientur. Et similiter dicendum ad tertium. 





QUESTIO XC VEL XCII. 


De forma judicis venientis ad judicium , in (res articulos divise. 


Deinde considerandum est de forma judicis ! 99 Utrüm apparebit in forma humanitatis glo- 
venientis ad judoaum. riosa. 8e Utrüm divinitas possit sine gaudio 
Cirea quod queruntur tria : 4° Utrüm Chris- | videri. 
tus in forma humanitatis sit judicaturus. 


DE LA FORME SOUS LAQUELLE VIENDRA LE SOUVERAIN JUGE. 93 


v 


ARTICLE I. 


Est-ce sous sa forme humatne que le Christ viendra juger? 


Il paroit que le Christ ne viendra pas juger sous une telle forme. 1? Pour 
un jugement il faut avant tout que le juge ait autorité. Or c'est comme 
Dieu que le Christ a autorité sur les vivants et les morts; car il est ainsi 
leur maitre et leur créateur. Donc il viendra juger sous sa forme di 
vine. 

2° Il faut au juge une puissance irrésistible ; d’où vient qu'il est dit 
Eccli., VM, 6 : « Ne cherchez pas à devenir juge si vous n'avez la force 
de rompre les trames de l'iniquité. » Or c'est encore comme Dieu que le 
Christ posséde une puissance invincible. Donc c'est sous sa forme divine 
qu'il viendra juger. | 

3* Il est dit, Joan., V, 22 : « Le Père a remis tout jugement au Fils, 
afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Pére. » Or il n'est 
pas dà au Fils dans sa nature humaine un honneur égal à celui que l'on 
rend au Pére. Donc ce n'est pas dans sa forme humaine qu'il viendra 
juger. 

4° Le Prophète dit, Dan., VII, 9 : « Je regardai jusqu'à ce que les trónes 
fussent élevés, et l’Ancien des jours s’assit. » Or les trónes représentent 
la puissance judiciaire ; et quand on appelle Dieu l'Ancien des jours c'est 
son éternité qu'on veut désigner, comme le remarque saint Denis dans 
son traité des Noms divins. Donc c'est en tant qu'il est éternel, et non 
en tant qu'il est homme, que le Christ devra juger. 

5o Saint Augustin dit, £n Joan., tract. XIX : « Par le Verbe, Fils de 
Dieu, se fait la résurrection des ames; par le Verbe incarné et devenu 
le Fils de l'homme, se fait la résurrection des corps. » Or le juge- 
ment final regarde l'ame plus spécialement que le corps. Donc c'est en 





ARTICULUS I. 


Utrüitm Christus in forma humanitatis sit 
judicaturus. 


Ad primum sic proceditur. Videtur quüd 
Christus in forma humanitatis non sit judica- 
turus. Judicium enim auctoritatem requirit in 
jucicante. Sed auctoritas super vivos el mor- 
tuos est in Christo, secundüm quod est Deus; 
sic enim est Dominus et creator omnium. Ergo 
in forma divinititis judicabit. 

9. Preterea, in judice requiritur potestas 
invincibilis ; unde Eccles., VIl : « Noli querere 
fieri judex pisi valeas virtute irrumpere ini- 
quitates. » Sed virtus invincibilis convenit 
Christo secundüm quod est Deus. Ergo in 
forma divinitatis judicabit. 

. 8. Preterea, Joan., V, dicitur : « Pater 


omne judicium dedit Filio, ut omnes honorifi- 
cent Filium sicut honorificant Patrem. » Sed 
honor æquaalis Patri, non debetur Filio secun- 
düm humenam naturam. Ergo non judicabit 
secundüm formam humanam. 

4. Preterea, Dan., Vli, dicitur : « Aspiciebarn 
donec throm positi sunt; et antiquus dierum 
sedit. » Throni autem judiciuriam potestatem 
designant; antiquitas autem de Deo dicitur ra- 
tione æternitatis, ut Dionysius dicit in lib. De 
Divin. Nom. Ergo judicare convenit Filio prout 
est æternus. Ergo non secundüm quod homo. 

5. Præterea, Augustinus dicit, et habetur in 
littera (1V. Sent.), quod « per Verbum Filium 
Dei fit animarum resurrectio; per Verbum fac- 
tum in carne Filium hominis, ft corporum 
resurrectio. » Sed judicium illud finale pertinet 
magis ad animam quàm ad carnem. Etgo ma- 


9b SUPPLÉMENT, QUESTION IC, ARTICLE f. 


tant que Dieu, plutót qu'en tant qu'homme, que le Christ doit juger. 

Mais le contraire est expressément dit, Joan. , V, 22 : « Dieu lui a donné 
le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme. » 

Il est encore dit, Job, XXXVI, 17 : « Votre cause a été jugée comme 
celle d'un impie; et c'est pour cela que vous avez le droit de la venger 
et de juger à votre tour. » C'est devant Pilate, remarque la Glose, que le 
Christ a été jugé, et il doit, ajoute-t-elle, opposer à cet inique jugement, 
un jugement équitable. Or c'est dans sa nature humaine que le Christ a 
été jugé. Donc c'est dans sa nature humaine qu'il devra juger. 

C'est à celui qui a le pouvoir d'établir la loi qu'il appartient de juger. 
Or c’est en se montrant dans la nature humaine que le Christ nous a donné 
la loi évangélique. Donc c’est dans sa nature humaine qu'il devra juger. 

(ConcLusion. — Le dernier jugement a pour but l'entrée des bons dans 
le royaume des cieux et l'exclusion des méchants de ce même royaume; 
il étoit donc dans l’ordre que le Christ vint juger le monde dans sa nature 
humaine , puisque c'est la rédemption accomplie dans cette nature, qui 
nous ouvre l’accès au royaume des Cieux. ) 

L'action de juger suppose dans le juge une certaine domination sur 
celui qui est jugé. Et de là ce que dit l'Apótre, Rom. , XIV, ^ : «Qui étes- 
vous pour juger le serviteur d'un autre ? » C'est donc en tant qu'il exerce 
une domination sur les hommes que le Christ ale pouvcir deles juger. Car 
Je jugement final, comme nous l'avons déjà dit, aura principalement lieu 
pour les hommes. Or il est notre Maitre ou notre Seigneur, d'abord, à raison 
de la création sans doute, d’après cette parole, Psalm. XCIX, 3: « Le Sei- 
gneur est Dieu lui-méme, il nous a faits, et ce n'est pas nous qui nous 
sommes faits;» puis aussi à cause de la rédemption, ce qui tient essentiel- 
lement à sa nature humaine ; et nous lisons, Rom., XIV, 9 : « Le Christ 
est mort et ressuscité, afin d'exercer un empire souverain sur les morts 





gis convenit. Chrislo judicare secundüm quod 
' est Deus, quàm secuudüm quod est homo. 

Sed contra, Joan., V, dicitar : « Potestatem 
dedit ei judicium cere , quia Filius bominis 
est. » 

Piæterea, Job, XXXVI : « Causa tua quasi 
impii judicata est, » ( Glossa « à Pilato ; ideo 
causau judiciumque recipies ; n Glossa, «a ut 
justé jedices. » Sed Christus secundum hu- 
manam naturam judicalus est à Pilato. Ergo 
secundüm humanam nataram judicabit. 

Preterea, ejus est judicare, cujus est legem 
condere. Sed Cbristus in bumaua nalura ap- 
péreos , nobis legem Evangelii dedit. Ergo :e- 
cundüm eawdem naturam jedicabit. 

( ConcLusio. — Cüm ultimum judicium hage 
Ob causa ordinetur, ut boni recipianter in 
Fégnuim cglesie, mali weró ab 60 arceantur, 


rect? et congrué Christus secendüm humanam 
naturam est mundum judicaturus, cujus re- 
demptionis benetlcio ad regnum celorum ad- 
mittuntur. ) 

Respondeo dicendum, quód judieiam aliquod 
deminium in judicande requirit unde Rom., 
XIV : « Tu quis es qui judicas alienum ser- 
vum? » Et ideo secundèm hoc Chnsto competit 
judicare, secundum qued dominium super ho— 
mines babet, de quibus principaliter erit fingle 
judicium. Ipse autem est noster dominas, aon 
solum ratione crestionis, quia « Dominus ipse 
est Deug, ipse foe nos, el non ipei, 808, » 
Psal. XCIX, sed etiam ratione redemptionis, 
quod ei competit socundèrs buinanum nataram; 
unde Rom., XIV : « Ia hoc Christus mortuus 
est et resurrexit, ut et mortuorum el vivo- 
rum dominetar. » Ad premium autem "vil æ- 


DE LA FORME SOUS LAQUELLE VIENDRA LE SOUVERAIN JUGE. 


95 


et les vivants. » Mais pour atteindre à la récompense de l'éternelle vie, 
il ne suffiroit pas des biens que nous tenons de la création, il y faut de 
plus le bienfait de la rédemption, à cause de l'obstacle que la nature a 
rencontré dans le péché de notre origine. Par conséquent , le jugement 
final ayant pour but l'admission des uns dans le royaume des cieux et 
l'exclusion des autres, il étoit dans l'ordre que le Christ présidât à ce ju- 
gement dans sa nature humaine, puisque c'est dans cette nature qu'il a 
opéré la rédemption qui nous ouvre les cieux. Voilà pourquoi il est dit, 
Act., X, 42 : « Il a été établi par Dieu juge des vivants et des morts. » 
Mais par la rédemption du genre humain , il a restauré , non -seulement 
les hommes eux-mêmes, mais encore la création universelle, en ce que 
toute créature se perfectionne et grandit par le rétablissement de l’huma- 
nité; ce que l'Apótre exprime ainsi, Coloss., I, 20 : a Il a pacifié par son 
sang répandu sur la croix, et ce qui est sur la terre, et ce qui est dang 
les cieux. » Ce n'est donc pas uniquement sur les hommes, c'est sur la 
création tout entiére que le Christ par sa passion a mérité le pouvoir sou- 
verain et le pouvoir judiciaire, ainsi qu’il le dit, Matth., ult., 18: a Toute 
puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre (1).» 

Je réponds aux arguments : 4° C'est en tant que Dieu, sans doute, que 
le Christ possède par droit de création l'autorité souveraine sur toutes les 
créatures ; mais la méme autorité réside en lui selon sa nature bumaine 
en vertu des mérites de sa passion. Cette derniére autorité est secondaire 
et acquise; la première est naturelle et éternelle. | 

2° En tant qu'homme le Christ n'a pas, il est vrai, une puissance in- 
vincible reposant sur la vertu propre de la nature humaine ; par le don 

(1) Quand notre pensée se porte sur la scène du jugement dernier, neus voyoos aussitôt le 
souverain Juge se montrer dans son humanité, aux yeux de toutes les générations réunies 
devant son tribunal. Et ce n'est pas là un effet de cette tendance , ou mieux de ce besoin que 


notre esprit, dans les conditions dela vie présente, éprouve toujours de se représenter sous 
des images sensibles et de matérialiser ainsi les choses même les plus intellectuelles. Non ; 





terna consequendum nobis creationis bona non 
sufficerent , nisi redemptionis benelicium ad- 
deretur, propter impedimentum quod nature 
creata supervenit ex peccato primi, parentis. 
Unde, cüm finale judicium ad boc ordinetur, 
ut aliqui admittantur ad regnum, et aliqui ex- 
cludantur à regno , convesiens est ul ipse 
Christus secundüm humanam naturam, cnjus 
redemptionis beneficio ad regnum admittuntur, 
- illi judicio præsieat. Et boc est quod dicitur 
Actor., X, quód « ipse consututus est à Deo 
jedex vivorum et mortuorum. » El quia per 
redemptionem bumani generis non solüm ho- 
mines reparavit, sed eliam universaliter totam 
creaturam , secundüm quod tota crealura, re- 
pareto bomine, melioratur, ut babetur ad Co- 
doss.,1 : « Paciflcans per sanguinem crucis 


ejus, sive que in terris, sive que in colis 
sunt; » ideo, non solüm super homines, sed 
super universam creaturam Christus per suam 
pessionem dominium promeruit et potestatem 
judiciariam, Matth, wl. : « Data est mihi om- 
ais potestas in ccelo et in terra.» 

Àd primum crgo dicendum, quód in Christo 
secundüm divinam naturam est auctoritas do» 


mini respectu universalis creature ex jure . 


creationis; sed in ipso secundem bumanazm 
uataram est auctoritas dominii, quam prome- 
ruit per passionem; el est quasi auctoritas 
secundaria et acquisita ; sed prima est natura- 
lis et eterna. | 
Ad secundum dicendum, quód quamvis Chris- 
tos secundhm qnod homo, non habeat à se in» 
vivibilem potestatem ex natural virlute hu 


96 . SUPPLÉMENT, QUESTION XC, ARTICLE 1. 


de Dieu néanmoins il possède cette puissance invincible, et il la possède 
dans sa nature humaine , conformément à ce que dit saint Paul, I. Co- 
rínth., XV et Hebr., 1: a Toutes choses ont été mises à ses pieds. » Voilà 
pourquoi il jugera dans sa nature humaine, mais en vertu de sa divinité. 

3» Si le Christ n'avoit été qu'un pur homme, il n'auroit pas suffi pour 
opérer la rédemption du genre humain. De ce qu'il a donc pu accomplir 
cette rédemption dans sa nature humaine, et par suite acquérir le pouvoir 
de juger, il devient manifeste qu'il est Dieu; et dés lors il doit recevoir 
les mêmes honneurs que le Père, non en tant qu'il est homme, mais en 
tant qu'il est Dieu. 

ho Dans cette vision du prophète Daniel nous est clairement démontré 
tout l'ordre de la puissance judiciaire. Cette puissance réside d'abord en 
Dieu comme dans sa source primordiale, et plus spécialement dans le 
Pére, qui est lui-méme comme la source de la divinité. Voilà pourquoi 
il est dit en premier lieu : « L'Ancien des jours est assis sur son tróne.» 
Cette puissance passe ensuite du Pére au Fils, non-seulement dés l'éter- 
nité et selon la nature divine, mais encore dans le temps et selon la na- 
ture humaine, dans laquelle le Christ l’a méritée. Et de là ce qui suit dans 
cette même vision : «Et voilà qu'avec les nuées du ciel venoit comme le 
Fils de l'homme, et il s’avança jusqu'à l'Ancien des jours, et celui-ci lui 
donna la puissance, l'honneur et la royauté. » 

Saint Augustin saisit là une sorte d'analogie, il raméne, pour ainsi dire, 
à des causes de méme nature les effets produits par le Christ au sein de 
l'humanité. Et comme par notre ame nous sommes faits à l'image et à la 
C'est une croyance puisée dans les monuments chrétiens de toutes les époques, dans l'ensei- 


gnement traditionnel des saints Docteurs, et, comme on le voit, appuyée sur des raisons théo- 
logiques d'une valeur et d'une solidité incontestables. 








manæ speciei , tamen ex dono divinitatis etiam 
in humana natura invincibilem habet potesta- 
tem; secundüm quod « omnia sunt subjecta 


pedibus ejus, » ut dicitur [. Cor., XV, et 


Hebr.l. Et 1deo judicabit quidem in humana 
Datura, sed ex divinitatis virtute. 

Ad tertium dicendum, quód Christus non 
suffecisset ad humani genbris redemptionem, 
$i purus bomo fuisset. Et ideo , ex hoc ipso 
quod secundüm humanam naturam genus hu- 
manum redimere potuit, ac per hoc judiciariam 
. potestatem consecutus est, manifestè osten- 
ditur quód ipse est Deus ; et ita xqualiter ho- 
Borandus cum Patre, non in quantum homo, 
sed in quantum Deus. 

Ad quartum dicendum , quàd in illa visione 
Danielis manifesté totus exprimitur ordo judi- 


ciariæ potestatis. Quæ quidem sicut in prima 
origine, est in ipso Deo, et specialiüs in Patre, 
qui est fons totius deitatis. Et ideo præmittitur 
primó quód « Antiquus dierum sedit. » Sed à 
Patre judiciaria potestas traducta est in Filium 
non solüm ab æterno, secundüm divinam na- 
turam , sed etiam in tempore, secundüm hu- 
manam,in qua eam meruit. Et ideo subjun- 
gitur in visione predicla : « Ecce cum nubibus 
celi quasi Ejlius hominis veniebat, et usque 
ad Antiquum dierum pervenit; et dedit ei po- 
testatem et honorem et regnum (4). » 

Ad quintum dicendum, quód Augustinus lo- 
quitur per appropriationem quamdam; ut sci- 
licet reducat effectus quos Christus in humana 
natura fecit, ad causas aliquo modo consimiles. 
Et quia secundüm animam sumus ad imaginem 


(1) Hinc Hieronymus ibi : Totum quod Mc dicitur (inquit) eum oblatum esse omnipotente 
Deo, et accepisse potesiatem et honorem ei regnum, juxta ililud Apostoli accipiendum est : 
Qui cüm ín forma Dei esset , non rapinam arbisratus est esse se equalem Deo, sed semetip- 


- 9 


DE LA FORME SOUS LAQUELLE VIENDRA LE SOUVERAIN JUGE. 997 


ressemblance de Dieu, tandis que par notre chair nous ressemblons plus spé- 
cialement au Christ en tant qu'il est homme. Ce que le Sauveur a fait dans 
nos ames , le saint Evéque l'attribue à sa divinité; et ce qu'il a opéré ou 
opérera plus tard dans notre chair mortelle, il l'attribue à la chair du 
Christ (1). Cette chair néanmoins, étant l'organe de la divinité, comme 
l'appelle saint Jean Damascéne, De fide. Orth., IIl, 15, exerce son action 
sur nos ames, d’après cette parole de saint Paul, Hebr., IX, 1& : «Son 
sang a purifié nos consciences des œuvres de mort. » Le Verbe fait chair 
est encore ainsi la cause de la résurrection de nos ames. Il résulte de là 
que, méme dans sa nature humaine, il lui appartient d’être le juge, non- 
seulement des choses corporelles, mais encore des choses spirituelles. 


ARTICLE II. 


Le Christ au dernier jugement parottra-t-il sous la forme de l'humanité 
glorifiée? 


Il paroit que le Christ au dernier jugement ne paroitra pas sous la 
forme de l'humanité glorifiée. 4° Sur cette parole, Joan., XIX : « Ils ver- 
ront quel est celui qu'ils ont transpercé, » La Glose ajoute : « Car il doit 
venir dans la méme chair avec laquelle il a été crucifié. » Or il a été cru- 
cifié dans une nature infirme et mortelle. Donc c'est dans cette méme in- 
firmité qu'il paroitra, et non dans l'état de gloire. 

2» [l est dit, Matth., XXIV, 30: «Le signe du Fils de l'homme pa- 
roitra dans le ciel. » Par où il faut entendre le signe de la croix, dit saint 
Jean Chrysostóme expliquant ce passage. a Au dernier jugement le Christ 

(1) C'est moins là, comme il est aisé de le comprendre, up principe rigoureux de dogma- 


tique chrétienne, qu'un ingénieux aperçu, un de ces parallélismes spirituels familiers au génie 
de l’illustre évêque d'Hippone. Ajdttons néanmoins que le fond de la doctrine en est toujours 





et similitadinem Dei, secundüm carnem autem ARTICULUS 1i. 


sumus ejusdem speciei cum homine Christo. 
Ideo ea que in animabus nostris Christus fe- 
cit, divinitati attribuit; quæ verb in carne fe- 
cit vel facturus est, attribuit ejus carni. 
Quamvis caro ejus, in quantum est divinitatis 
organum, ut dicit Damascenus (lib. III, De 
fide orth. cap. 15, habeat etiam effectum in 
animabus nostris; secundüm illud quod dicitur 
Hebraor., AX, quód « sanguis ejus emundavit 
conscientias nostras ab operibus mortuis. » Et 
sic etium Verbum caro factum , est causa re- 
surrectionis animarum. Unde etíam secundüm 
humanam naturam, convenienter est judex 
non solüm corporalium, sed etjam spiritualium 
bonorum. 


Utrum Christus in judicio apparebit in forma 
humanitatis gloriosa. 

Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
Christus in judicio non apparebit in forma hu- 
manitatis gloriosa. Quia super illud Joam., 
XIX : « Videbunt in quem transfixerunt, » dicit 
Glossa, « quia in ea carne venturus est in qua 


crucifixus est. » Sed crucifixus est in forma ^ 


infürma. Ergo in forma infirmitatis apparebit , 
non 10 forma gloriosa. 

2. Preterea , Matth., XXIV, dicitur quód 
« apparebit signum Filii hominis in celo , id 
est, signum crucis, » ut Chrysostomus dicil ; 
videlicet quód « veniet in judicio Christus non 


sum exinanivit, etc. Quæ omnia si heresis Arianorum pio ceRet admittero sensu , nequa- 
buam Filiu Des calumniam inaqualitalis moveret. Et mox explicans illud : Omnes lingua 
servient ei, addit; Hoc cus potest hominum convenire ? 


AVI. 


7 


98 SUPPLÉMENT, QUESTION XC, ARTICLE 9. 


viendra , ajoute ce Pére, non-seulement avec les cicatrices ostensibles de 
sa passion, mais encore avec les signes éclatants de la mort la plus hon- 
teuse. » Donc il paroit qu'il ne viendra pas dans la forme de l'humanité 
glorifiée. 

3° Evidemment le Christ viendra sous une forme qui soit accessible 
aux regards de tous. Or, dans la forme de l'humanité glorifiée , le Christ 
ne pourroit pas étre vu de tous, des méchants aussi bien que des bons, 
par la raison qu'un œil non glorifié ne parolt pas en état de percevoir la 
clarté d'un corps glorieux. Donc le Christ n'apparoltra pas dans l'état de 
gloire. 

4° Ce qui est promis aux justes comme recompense, ne sauroit être ac- 
cordé aux pécheurs. Or la vue de l'humanité glorifiée est promise aux 
justes comme une récompens ; «il entrera et il sortira, et il trouvera des 
patürages, » est-il dit Joan., X, 2; ce que saint Augustin explique par 
ces mots : « Il trouvera un aliment et dans la divinité et dans l'huma- 
nité. » De plus nous lisons dans le Prophète, Isa., XXXIII, 47 : « Ils ver- 
ront le roi dans sa beauté.» Donc, au jugement, il ne se montrera pas 
à tous dans la forme de l'humanité glorifiée. 

9* Le Christ jugera dans la forme même sous laquelle il a à été jugé ; sur 
cette parole, Joan., V : a De même le Fils donne la vie à qui il veut , » 
la Glose dit : « 1] jugera avec justice, dans cette méme forme sous la- 
quelle il a été jugé d'une maniére inique, afin qu'il puisse étre vu des 
impies. » Or c'est dans nos infirmités qu'il a été jugé. Donc c'est tel aussi 
qu'il viendra juger. 

Mais le contraire est renfermé dans cette parole, Luc., XXI, 27 : «ls 
verront alors le Fils de l'homme venir dans la nue, en grande puissance 
éclairé, surtout quand les traits d'esprit d'un saint Augustin rencontrent un saint Thomas 
d'Aquin pour commentateur et pour interprète. Et gardons-nous bien de confondre la grace 
inimitable de ce savant docteur avec les puériles antithéses et les déplorables jeux de mots 


que l'on voudroit nous donner aujourd'hui pour la véritable éloquence, et qui signalérent tou-” 
jours les époques d'affaiblissement intellectuel et de pénurie doctrinale. 





solüm vulnerum cicatrices, sed etiam ipsam 
mortem exprobratissimam ostendens. » Ergo 
videtur quód non apparebit in forma gloriosa. 

8. Præterea, secundüm hanc formam Chris- 
tus in judicio apparebit qna ab omnibus con- 
spici possit. Sed Christus secundüm formam 
" humanitatis gloriosam non poterit videri ab 
omnibus , bonis et malis ; quia oculus non glo- 
rificatus non videtur esse proportionatus ad 
videndam claritatem corporis gloriosi. Ergo 
non apparebit in forma gloriosa. 

&. Preterea, illud quod promittitur justis in 
premium, non conceditur injustis. Sed videre 
gloriam humanitatis promitütur justis in pre- 
mium; Joan., X ; «lIpgredietur et egredietur 


et pascua inveniet, id est, refectionem et in 
divinilate et in humanitate, » ul Augustinus 
exponit. Et Isai, XXXV : « Regem in decore 
suo videbunt. » Ergo in judicio non apparebit 
omnibus in forina gloriosa. 

b. Prelerea, secundüm illam formam Chris- 
tus judicabit in qua judicatus est; unde super 
illud Joan., V : « Sic et Filius quos vult vivi- 
ficat, » dicit Glossa : « In qua forma injuslè 
judicatus est, justè judicabit, ut possit ab im- 
piis videri. » Sed judicatus est in forma intirmi- 
tatis. Ergo et in eadem in judicio apparebit. 

Sed contra est, quod dicitur Luc, XXI : 
« Tunc videbunt Filium hominis venientem in 
nube cum potestate magaa et majestate. » Ma- 


; du juge lui-même. 


ss o 


ns. 


DE LA FORME SOUS LAQUELLE VIENDRA LE SOUVERAIN JUGE. 99 
et majesté » Or la puissance et la majesté désignent l'état de gloire. Donc 
c’est dans cet état qu'il apparoitra. 

Celui qui juge doit évidemment s'élever au-dessus de ceux qui sont 
jugés. Or les élues qui comparoitront au tribunal du Christ, posséderont 
dès-lors un corps glorieux. Done à plus forte raison devra-t-il en être ainsi 

C'est à l'infirmité qu'il appartient de subir le jugement; juger est le 
privilège de la puissance et de la gloire. Or dans son premier avénement, 
comme le Christ venoit pour être jugé, il se montra dans une nature in- 
firme. Donc, à son second avénement, comme il viendra pour juger, il se 
montrera dans l'état de gloire. 

(Concausiox. — Tout comme il convenoit que le Christ, venant satis- 
faire pour nous auprès de son Père, revêtit la forme de serviteur, il con- 
vient qu'il se montre dans toute sa gloire au jugement dernier, pour faire 
éclater la justice de son Pére à l'égard des hommes.) 

Le Christ est appelé «le médiateur de Dieu et des hommes, » Y. Tim., 
II, en tant qu'il satisfait pour les hommes , qu'il interpelle pour eux au- 
prés de son Père, Rom., Vill et Hebr., IX, et en tant qu'il communique 
aux hommes les biens qui viennent de son Pére, comme il le dit lui- 
méme, Joan., XVH, 22 : « La clarté que vous m'avez donnée, je la leur 
ai donnée à mon tour. » Ce titre de médiateur lui convient sous tous les 
rapports, puisqu'il réunit en lui les deux extrèmes. Revétu de la nature 


. humaine, il représente les hommes auprès de son Père ; possédant la na 


ture divine, il transmet aux hommes les dons de Dieu. Ainsi donc, comme 
dans son premier avénement il étoit venu satisfaire pour nous à l'égard 
de son Père, il se montra dans l'infiemité de notre nature; mais comme 
dans son second avénement il viendra exercer envers les hommes la jus- 
tice de son Père, il devra laisser éclater sa gloire, dont la source est dans 


jestas autem et potestas ad gloriam pertinent. 1 — Respondeo dicendum , quód Christus dicitur 


Ergo in forma gloriosa apparebit. 

Preterea, ille qui judicat, debet eminere 
illis qui judicantur. Sed electi qui judicabentur 
à Christo, corpora gloriosa hebebunt. Ergo 
multo fortiàs juder in forma gloriosa &ppa- 
pebit. 

Praeterea , sicut judicari est infirmitatis, ita 
$udicare est em(boritatis et gloriæ. Sed, in 
primo adventu, qno Christos venit ad hoc qubd 
judicaretur, jn forma inünmnitetis apparuit. Ergo, 
in secundo adventu, in quo veniet a4 hoc ut 
judicet, apparebit in forma gloriosa. 

(Conciuao. — Sicut decuit. Christum , ut 
pro nobis apud Patrem salisfaceret, formam 
servi accipere ; sic conveniens est wt in judicio 
ultimo in gloria sua appareat , justitiam Patris 
in bomines demonstaturus. ) 


« Dei et hominum mediator ( I. ad Tém., Il ), 
in quantum pro hominibus satisfacit et interpel- 
lat apud Patrem, «ad Rom., Vill, et ad Hebr., 
IX , et ea que sunt Patris hominibus commu- 
micat, secundüm quod dicitur Joan., XVII ; 
« Claritatem quam dedisti mihi, dedi eis. » Se- 
candèm hoc autem utrumque ei convenit, quód 
cum utroque communicat extremorum. In quar- 
tum emim cum hominibus communicat, vices 
bominum gerit apud Patrem; in quantum verd 
cam Patre communicat, dona Patris transmittit 
&d homines. Quia ergo in primo adventu ad 
hoe venit ut pro nobis satisfaceret apud Patrem, 
in forma nostre infirmitatis apparuit; quia verà 
in secundo adventu ad hoc veniet ut justitiam 
Patcis in homines exequatur, demonstrare glo- 
riam debebit, qux inest ei ex communicatione 


100 SUPPLÉMENT, QUESTION XC, ARTICLE 9. 


ce qu'il a de commun avec le Père. Voilà pourquoi il paroitra dans sa 
forme glorieuse. 

Je réponds aux arguments : 1o Il apparoitra dans la méme chair, mais 
non dans le méme état; cette chair aura été transfigurée. 

2o Le signe de la croix paroitra au jugement dernier, non certes pour 
représenter une infirmité actuellement existante , mais pour représenter 
l'infirmité passée; par là sera rendue plus évidente la justice de la con- 
damnation prononcée contre ceux qui auront dédaigné une telle miséri- : 
corde, et principale ment des hommes injustes qui se firent les persécu- 
teurs du Christ. Les cicatrices qu'il gardera dans son corps ne seront nul- 
lement un signe d'infirmité, mais plutót de force et de puissance, elles 
diront que le Christ a, par les infirmités de sa passion, triomphé de toute 
la force de ses ennemis. C'est ainsi qu'il laissera paroitre encore à tous 
les regards sa mort ignominieuse; il ne la montrera pas sans doute en 
réalité, comme s'il la souffroit à l'heure méme; seulement, les signes 
dont il sera porteur, remettront dans la pensée de tous les hommes les 
ignominies de la mort qu'il a soufferte (1). 

8° Il est au pouvoir d'un corps glorieux, comme on l’a déjà dit, de se 
montrer ou de se cacher à l'œil d'un homme qui n'est pas en état de 
gloire. Le Christ pourra donc étre vu de tous dans sa forme glorieuse. 

4o De méme qu'on se plait à voir la gloire d'un ami, de méme, au con- 
traire, on souffre du pouvoir et du triomphe de celui qu'on hait. Aussi 
la vue de la gloire dont sera revétue l'humanité du Christ, source de joie 
pour les justes, sera-t-elle un surcroit de peine pour les méchants. C'est 
la pensée qu'exprime le Prophète, Isa., XXVI, 11 : «Qu'ils voient et 

(1) La pensée renfermée dans cette réponse sert à la fois de développement et de preuve 
au point de doctrine qui fait l'objet de cette thèse. Les instruments des bumiliations et des 
douleurs du Fils de l'homme, seront les témoins irrécusables de son amour et les ornements 
de son triomphe. Ils seront transfigurés et glorifiés, comme sa chair elle-même. Que de fois 
les orateurs chrétiens, en parlant du jugement dernier ou du triomphe de la religion, ont ex- 


ploité cette féc onde donnée ! Mais rien ne surpasse ce qu'en a dit saint Augustin dans son 
admirable traité sur l'Evangile selon saiut Jean. 





ad Patrem. Et ideo in forma gloriosa apparebit, 
Ad primum ergo dicendum , quód in eadem 
carne apparebit, sed non similiter se habente. 
Ad secundum dicendum, quàd signum crucis 
apparebit in judicio, non ad indicium tunc exis- 
tentis infirmitatis, sed præteritæ, ut per hoc 
justior ondempatio eorum appareat qui tantam 
misericordiam neglexerunt, et eorum pracipué 
qui Christum injusté persecuti sunt. Cicatrices 
autem qua in ejus corpore apparebunt, non 
perlinebunt ad aliquam infirmitatem, sed erunt 
indicia maxime virtutis, qua Christus per pas- 
sionis infrmitatem de hostibus triumphavit. 
Etiam exprobratissimam mortem ostendet, non 
sensibiliter eam oculis ingereus, ac si tunc eam 


pateretur, sed ex his quæ apparebunt, scilicet 
indiciis praeteritae passionis , homines in reco- 
gitationem præteritæ mortis adducet. 

Ad tertium dicendum, quód corpus gloriosum 
babet in potestate sua ut se demonstret vel 
non demonstret oculo non glorioso, at patet ex 
bis qu& dicta sunt (qu. 87, art. 2, ad 8). Et 
ideo in forma gloriosa Christus ab omnibus po- 
terit videri. 

Ad quartum dicendum, quüd sicut amici glo- 
ria est delectabilis, ita gloria et potestas ejus 
qui odio babetur, maximé contristat. Et ideo, 
sicut visio gloriæ humanitatis Christi erit justis 
in premium, ita inimicis Christi erit in sup- 
plicium. Unde /sai., XXV] : « Videant et con- 


DE LA FORMÉ SOUS LAQUELLE VIENDRA LE SOUVERAIN JUGE. 101 


qu'ils soient confondus, ces peuples jaloux, et que le feu (de l'envie ) 
dévore vos ennemis. » 

6° Le mot forme se prend ici pour la nature humaine elle - méme , ou 
cette nature dans laquelle il a été jugé, mais dans laquelle aussi il jugera; 
ce mot ne désigne pas l'état de cette nature, cet état devant être trés - diffé- 
rent dans les deux avénements du Christ, aux pieds du tribunal, ou sié- 
geant sur le tribunal méme. 

ARTICLE III. 


La divinité peut - elle étre vue des méchants sans qu'ils en éprouvent de la joie? 


Il paroit que les méchants peuvent voir Dieu sans en éprouver de la joie. 
4* Il est constant que les impies connoitront de la maniére la plus mani- 
feste que le Christ est Dieu. Ils verront donc sa divinité. Et cependant ils 
ne se réjouiront pas de la divinité du Christ. Donc on peut voir la divi- 

nité sans en éprouver de la joie. 
—. 9* La volonté perverse des impies n'est pas moins opposée à l'humanité 
du Christ qu'à sa divinité. Or la vue de la gloire dont cette humanité 
sainte se montrera revétue, leur sera un sujet de peine, comme il vient 
d'étre dit dans le précédent article. Donc à plus forte raison seroient-ils 
contristés par la vue de sa divinité , bien loin d'en éprouver de la joie. 

3* Ce qui se passe dans l'appétit n'est pas nécessité par ce qui a lieu 
dans l'intellect; ce qui fait dire à saint Augustin, in Psalm. CXVIII: 
«L'intellect marche devant, l'affection vient ensuite avec lenteur, et 
quelquefois nulle. » Or l'affection est du ressort de l'intellect , la joie est 
de celui de l'appétit. Donc il est possible qu'on voie Dieu sans en éprou- 
ver de la joie. 

&° a L'objet reçu l'est toujours, non d’après son mode d’être, mais d’après 
le mode d'étre du récipient. » Or l'objet vu esten quelque sorte recu dans 
oelui qui le voit. Bien donc que la divinité soit en elle-méme la source 





fundantur zelantes populi, et ignis ( id est in- 


nou magis adversatur humanitati Christi quàm 
* vidi) bosles tuos devoret. » 


ejus divinitati. Sed hoc quàd videbunt gloriam 


Ad quintum dicendum, quód forma accipitur 
ihi pro natura humana, in qua judicatus est, 
et etiam judicabit; non autem pro qualitate 
Daure, que non erit eadem in judicante (sci- 
licet in&ürma) quæ in judicato fuit. 

ARTICULUS il. 
Utrum divinitas à malis sine gaudio videri 
possit, 

Ad tertium sic proceditær. Videtur quàd divi- 
aitas à malis sine gaudio videri possit. Constat 
enim quód impii manifestissimè cognoscent 

esse Deum. Ergo divinitatem ejus 
videbunt; et tamen de visione Christi non gau- 
debunt. Ergo sine gaudio videri potest. 

2 Preterea, voluntas impiorum perversa 


humanitatis, cedet eis in poenam , ut dictum 
est (art. 3, ad 4). Ergo multà fortis, si divi- 
nitatem ejus viderent, magis contristarentur 
quàm gauderent. 

8. Præterea, ea qua sunt in affectu, non de 
necessitate sequuntur ad ea qus sunt in intel- 
leetu ; unde Augustinus ( Conc. 8 in Psalm. 
CXVIII), dicit: «Praecedit intellectus, et se- 
quitur tardus aut nullus affectus. » Sed visio 
ad intellectum pertinet, gaudium autem ad af- 
fectum. Ergo poterit esse divinitatis visio sine 
gaudio. ° | 

4. Præterea, «omne quod recipitur in aliquo, 
recipitur in eo per modum recipientis , €t non. 
per modum recepti. » Sed omae quod videtur," : 
quodammodo in vidente recipitur. Ergo, quam- 


102 SUPPLÉMENT, QUESTION XC, ARTICLE à 


de toute joie, quand elle est vue par un être absorbé dans ka tristesse, elle 
doit, non le réjouir, mais l'attrister encore davantage. 

5» a Le sens est à l'objet sensible ce que l'intellect est à l’objet intelligi- 
ble. » Or il arrive, en ce qui concerne les sens, que « pourun palais non 
sain le pain lui-même est amer, le pain que la santé fait trouver si doux ;» 
ainsi que s'exprime saint Augustin, Confess., 1, 46. C'est ce qui a égale- 
ment lieu pour les autres sens. Donc les damnés ayant en quelque sorte 
l'intellect malade, il paroit que la vue de la lumiére incréée devroit plu- 
tót leur étre un sujet de douleur que de joie. 

Mais le contraire résulte de cette parole, Joan., XVII : « Voici en quoi 
consiste la vie éternelle, à vousconnoitre vous seul vrai Dieu. » Cela nous 
montre évidemment que l'essence de la béatitude consiste dans la vision 
de Dieu. Or la joie rentre essentiellement dans la béatitude. Done on ne 
sauroit voir la divinité sans en éprouver de la joie. 

L'essence de la divinité est l'essence méme de la vérité. Or c'est un 
bonheur pour tout étre de contempler le vrai; car «tous désirent natu- 
rellement de savoir,» Mefaph., I, 1. Donc la divinité ne pourra pas être 
vue sans joie. | 

Si une vision n'est pas toujours délectable, c'est qu'elle est quelquefois 
un sujet de tristesse. Or une vision intellective ne sauroit jamais attris- 
ter; «car à la délectation qui se trouve dans l'exercice de l'intelligence, 
n’est opposée aucune tristesse.» Topic., I, 13. La divinité ne pouvant donc 
être vue que par l'intelligence , il paroit qu'elle ne sauroit être vue sans 
joie. 

(Conczusion. — Comme l'essence de ce qui est essentiellement bon ne 
peut pas ne pas causer de la joie du moment où elle est perque, Dieu qui 
“est la bonté même ou la bonté essentielle, ne sauroit être vu sans pro- 
duire la joie. ) 





vis in se divinitas sit delectabilissima, tamen| Preterea, ipsa essentia divinitatis est essene 


visa ab illis qui sunt tristitiá absorpti, non de- 
lectabit, sed magis contristabit. 

5. Preterea, « sicut se habet sensus ad sen- 
sibile, ita se habet intellectus ad intelligibile. » 
Sed ita est in sensibus, quód « palato non sano 
pœna est panis, qui sauo est suavis, » ut dicit 
Augustinus (lib. I. Confess., cap. 16); et si- 
militer accidit in aliis sensibus. Ergo cüm dam- 
nati habeant intellectum indispositum, videtur 
quid visio lucis increatæ magis afferret eis pœ= 
nam quàm gaudium. 

Bed contra est, quod dicitur Joan., XVII : 
« Hiec est vila eterna, ut cognoscant te Deum 
verum; » ex quo patet quód essentia beatitu- 
dinis in Dei visione consistit. Sed de ratione 
. beatitudinis est gaudium. Ergo divinitas sine 
guudio videri non potest. 


tia veritatis. Sed unicuique est delectabile vie 
dere verum ; unde «omnes Balurá seire desi- 
derant, » ut dicitur in 1. Metaphys. (cap. 1). 
Ergo divinitas sine gaudio videri non polest. 

Preterea, si aliqua visio non semper est de- 
lectabilis , contingit eam quaudoque esse tris- 
tabilem. Sed visio intellectiva nunquam est 
contristabilis ; quia « delectationi qua est in 
intelligendo, non oppeniter aliqua tristitia , » 
ut dicit Philosophus (Tib. I. Topic., cap. 13). 
Cüm ergo divinitas videri non possit Disi per 
intellectum , videlur quod divinitas sine gaudio 
videri non possit. 

( ConcLusio, — Càm essentia ejus quod est 
per essentiam bonum, non possit non delectare 
apprehensa, Deus qui esseulialiler est ipsa boni- 
tes, 399 potest siae gaudio videri.) 


DE LA FORME SOUS LAQUELLE VIENDRA LE SOUVERAIN JUGE. 403 


Dans tout objet appétible ou délectable il y a deux choses à considérer: 
d’abord, l'objet lui-même de l'appétit ou de la délectation ; puis, la raison : 
formelle de cette double impression. Or, comme le dit Boëce, a Ce qui 
est peut avoir quelque chose en dehors de ce qu'il est; mais l'étre lui- 
même ne peut admettre en soi aucun mélange. » De telle sorte que ce qui 
^st appétible ou délectable, peut se trouver mélé à autre chose qui lui fasse 
. perdre cette propriété. Mais ce qui est l'essence méme ou la raison for- 
melle de la délectation , n'admet rien, ne peut rien admettre en soi qui 
puisse le rendre non délectable ou non appétible. Les choses délectables, 
parce qu'elles portent en elles une participation ou un reflet de cette bontó 
qui est la raison d’être de toute délectation, peuvent quelquefois être 
perçues sans produire ce sentiment, mais il ne sauroit en être ainsi de 
ce qui est le bien par sa propre essence. Dieu étant donc la bonté même, 
la bonté essentielle, il ne se peut pas qu'il soit vu sans produire la jore (1). 

Je reponds aux arguments : 4° Les impies connoitront de la manière 
la plus manifeste que le Christ est Dieu , non qu'ils soient appelés à voir 
sa divinité, mais par les signes éclatants qui la produiront à leurs yeux. 

2» Telle qu'elle est en elle - même, la divinité ne sauroit ètre pour qui 

(1) N ne se pourroit done pas que les méenants vissent Dieu, ne fât-ce qu'un seul instant, 
sans qu'un sentiment de joie surhumaine pénétrát leur cœur, en méme temps qu'ua rayon 
de la divine clarté traverseroit leur intelligence. Plusieurs deeteurs catholiques paroissent 
être d'un autre sentiment. Mais celui qu'exprime ici notre auteur est, à notre avis, le seul 
admissible. Non-seulement il renferme une pensée théologique beaucoup plus élevée; mais il 
est encore plus profondément pbilosophique ; il repose sur une motion plus exacte et plus vraie, 
soit de la nature divine, soit de la nature humaine. 

Cette question étant sinsi résolue, il s'en présenteroit immmédiatement une autre à ré- 
soudre : Les méchants verront-ils réellement Dicu, au jugement dernier, avanj d'en être séparés 
à jamais? Saint Jérôme l'affirme assez clairement dans son commentaire d'Igale. Beaucoup de 
moralistes chrétiens et d'orateurs sacrés pèsent même sur cette considération, en parlant de 


sa séparation suprême ; et nous avouons que nous préférons ce sentiment, quoique l'auteur 
semble insinuer le contraire. 





Respondeo dicendum, quôd in quolibet appe- 
tibifi vel delectahili dno possunt considerari : 
scilicet id quod appetitur vel est delectabile, 
et id quod est ratio appetibilitatis vel delecla- 
bilitatis in ipso. Sicut autem, secundüm Boe- 
tium in lib. De Hebdomad. (1), «id quod est, 
habere aliquid præterquaun quod ipsum esl, po- 
test, ipsum veró ezse nihi] aliud prater se ha- 
bet admixtum; » ita id quod est appetibile vel 
delectabile, polest. habere aliquid alud admix- 
fum, unde pof sit delectabile vel appetibile. 
Sed id quod est ratio delectabilitatis, nibil habet 
admixtum, vel habere potest, propter quod nou 


sit delectabilis vel appetibilis (2). Res autem 
quæ suat delectabiles per participationem boni- 
tatis, que est ratio appetibilitatis et delectabi- 
litatis, possunt apprehensa nou delectare. Sed 
id quod per essentiam suam est bonum, impos- 
sibile est quód ejus essentia apprehensa non de- 
lectet. Unde, cüàm Deus essentialiter sit ipsa 
bonitas, non potest divinitas sine gaudio videri, 

Ad primum ergo dicendum, quàd impii ma- 
nifesiè cognosceat Christum esse Deum , noB 
per hoc quód divinitatem ejus videant, sed prop- 
ter manifeslissima divinitalis indicia. 

Ad secundum dicendum, qadd divigitalem 


(1) Sive libro 49 omne quod est bonum sit, ut Inscriptio ipsa præfert; sed sub titulo ble 
motato citari solet, quia initium ejus est : Postulas ut de Hebdomadibus nosiris, elc. 


(3) Non de lege ordinaria tantám , sed simpliciter ad potentiam extraordinariam et absolue 


Lam re(erendo. 


104 SUPPLÉMENT, QUESTION XC, ARTICLE 3. 


que ce soit un objet de haine, par la raison qu'on ne sauroit hair ce 
qui est essentiellement bon, la bonté essentielle. Ce n'est qu'à certaius 
égards ou par rapport à certains de ses actes que la divinité peut devenir 
un objet de haine, en tant, par exemple, qu'elle fait ou commande des 
choses contraires à notre volonté. Mais la vision de la divinité elle-méme 
ne peut pas n'étre pas un sujet de délices. 

3° En parlant de cet acte de l'intelligence qui précède la volonté, saint : 
Augustin l'applique à un bien simplement dérivé, et non au bien essen- 
tiel ; désignant ainsi une créature quelconque, laquelle peut, à côté du 
bien qu'elle posséde, présenter un aspect qui repousse l'affection. Durant 
le cours de notre pélerinage, nous ne connoissons Dieu que par ses effets, 
et notre intellect ne sauroit atteindre à l'essence méme de sa bonté. Aussi 
l'intellect n'entraine-t-il pas nécessairement l'affection, comme il l'en- 
traineroit s’il pouvoit contempler cette essence , ou cette bonté substan- 
tielle. 

&° La tristesse n'est pas, à proprement parler, une disposition , elle est 
une passion. Or toute passion disparoit sous l'action d'une cause opposée 
et plus forte qu'elle; mais la réciproque ne seroit pas vraie. Ainsi donc 
il faut admettre que la tristesse des damnés disparoitroit s'ils voyoient 
Dieu par essence. 

9^ C'est quand un organe est altéré que disparoit le rapport ou l'har- 
monie entre cet organe et l'objet qui devoit naturellement lui causer une 
agréable impression. Voilà donc ce qui rend cette impression impossible. 
Mais les damnés n'éprouvent pas un tel désordre dans leur ètre qu'ils 
aient perdu ces prédispositions naturelles qui les mettent en rapport avec 
la divine bonté , puisqu'ils gardent toujours en eux l'image du créateur. 
La parité qu'on ‘vouloit établir ne peut donc pas être admise. 





secundüm quod est in se, nullus potest odio 
habere, sicut nec aliquis odio habere potest 
ipsam bonitatem. Sed quantum ad aliquos div. 
nitalis effectus dicitur ab aliquibus odio haberi, 
in quantum scilicet aliquid agit vel precipit 
quod est contrarium voluntati. Et ideo viso 
divinitatis nulli potest esse non delectabilis. 
Ad tertium dicendum, quód verbum Augus- 
lini est intelligendum , quando id quod appre- 
henditur per intellectum precedentem, est bo- 
num per participationem, et non per essentiam, 
sicut sunt omnes creaturæ, unde potest in eis 
esse aliquid quare affectus non moveatur. Si- 
militer etiam in via Deus cognoscitur per effec- 


. tus, et intellectus non attingit ad ipsam essen- 


. tiam bonitatis ejus. Unde non oportet quód 


affectus intellectum sequatur , sicut sequeretur 
si essentiam ejus videret, quæ est ipsa bonitas. 

Ad quartum dicendum, quód tristilia non 
nominat dispositionem , sed magis passionem. 
Omnis autem passio à contraria causa fortiori 
superveniente tollitur, et non eam tollit. Et 
ideo tristitia damnatorum tolleretur, si Deum 
per essentiam viderent. 

Ad quintum dicendum , quód per indisposi- 
tionem organi tollitur proportio naturalis ipsius 
organi ad objectum quod natum est delectare; 
et propter hoc delectatio impeditur. Sed indis- 
positio qui est in damnatis, pon tollit natura- 
lem proportionem qua sunt ordinati ad divinam 
bonitatem , cüm imago semper in eis maneat. 
Et ideo non est simile. 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 


QUESTION XCI. 


De l’état du monde après le jugement. 


105 


Nous avons à étudier ici l'état du monde et celui des hommes ressus- 
cités , aprés qu'aura eu lieu le dernier jugement. Ce sujet embrasse na- 
turellement trois considérations : La première, sur l'état et les disposi- 
tions du monde lui-même; la seconde, sur l'état des bienheureux ; la 
^ troisième, sur celui des méchants. 

Sur la première de ces considérations, il y a cinq choses à demander : 
4° Y aura-t-il un renouvellement du monde? 2» Le mouvement des corps 
célestes cessera-t-il? 3* Les corps célestes seront-ils alors plus éclatants? 
&° Les éléments eux-mêmes auront-ils une plus grande clarté? 5° Les ani- 
maux et les plantes subsisteront-ils ? 


ARTICLE I. 
Y aura-t-il un renouvellement du monde? 


Il paroit que le monde ne sera jamais renouvelé. 4° Rien ne doit arri- 
ver qui n'ait préexisté dans son espèce, selon cette parole, Eccli., I, 9: 
a Qu'est-ce qui a été? Le méme qui doit être. »- Or le monde n'a jamais 
eu dans ses parties essentielles, dans les genres et les espèces des êtres qui 
le composent, un autre arrangement que celui qu'il possède, actuellement. 
Donc il ne sera jamais renouvelé. 

2» Un renouvellement est toujours une altération. Or il est impossible 
que le tout soit altéré ; et voici pourquoi : une chose altérée dépouille en 
quelque sorte sa nature pour prendre celle de la cause qui l'altére, laquelle 
évidemment ne s'altére pas elle-méme ; et cette cause sé meut localement, 





QUESTIO XCI VEL XCIII. 
De qualitate mundi post judicium , in quinque articulos divisa. 


Consequenter considerandum est de qualitate 
mundi et resurgentium post judicium. Ubi tri- 
plex consideratio occurrit : prima, de statu et 
qualitate mundi; secunda, de statu beatorum; 
tertia, de statu malorum. 

Circa primum queruntur quinque : 19 Utrüm 
innovatio mundi sit futura. 2° Utrüm motus 
corporum celestium cessabit. 3° Utrüm corpora 
cœlestia tunc magis fulgebunt. 4e Utrüm ele- 
menia majorem claritatem recipient. 8° Utrüm 
animalia et plante remanebunt. 


ARTICULUS I. 
Utrüm mundus innovabitur. 


Ad primum sic proceditur. Videtur quód mun- 
dus nunquam innovabitur. Nihil enim est fu- 
turum, nisi quod aliquando fuit secundüm spe 
ciem, Eccli., 1: « Quid est quod fuit ? ipsum 
quod futurum est. » Sed mundus nunquam aliam 
dispositionem habuit quàm nunc habet quantum 
ad partes essentiales, et ad genera, et ad spe- 
cies. Ergo nunquam innovabitur. 

2. Preterea, innovatio alteratio qusedam est. 
Sed impossibile est universum alterar; quia 
omne alteratum reducitur ad aliquod alterans 
non alteratum , quod tamen secundüm locum 


106 . SUPPLÉMENT, QUESTION XCI, ARTICLE À. 


ce qui ne permet pas de la placer en dehors de l'univers. Donc il ne peut 
pas étre que le monde subisse un renouvellement. 

3» Il est dit, Genes., IT, 2: a Le septième jour Dieu se reposa de 
toute l’œuvre qu'il avoit accomplie; » et les saints Docteurs entendent par 
là qu’il s’abstint de créer d’autres êtres. Or le mode d’être donné aux 
choses dans cette première structure de l'univers, est le méme qu'elles 
gardent toujours par leur ordre naturel. Donc elles n'en auront jamais un 
autre. 

&° L'ordre que nous voyons maintenant régner dans la création, est 
fondé sur la nature même de choses. Si donc elles doivent subir plus tard 
une autre disposition, cette disposition ne leur sera plus naturelle. Or ce 
qui n'est pas naturel, ce qui n'est qu'accidentel, ne peut pas toujours 
durer, comme Aristote le démontre, De Colo, I, 15. Par conséquent, cette 
nouvelle disposition que les créatures auroient subie, elles viendroient à 
la perdre un jour; et dès-lors il faut admettre , avec Empédocle et Origéne, 
que le monde est lancé dans une série illimitée de transformations suc- 
cessives (1). 

5? La gloire de la rénovation est donnée pour récompense à la créature 
raisonnable. Or, où il n'y a pas de mérite, là ne sauroit être la récom- 
pense. Donc, les créatures insensibles ne pouvant rien mériter, il paroit 
qu'elles ne doivent pas non plus participer à la rénovation. 

Mais le contraire est formellement dit dans l'Ecriture, 1sa., LXV, 47 : 
« Voilà que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, et 
l'on ne se souviendra plus de ce qui aexisté auparavant; » et Apoc., XXI, 
1:« J'ai vu un nouveau ciel et une terre nouvelle ; car le premier ciel et 
la première terre ont disparu. » 

(1) L'histoire d'Empédocle est asses connue , sa philosopbte l’est beaucoup moins. Cette 
opinion sur les transformations successives du monde lui est attribuée par Aristote, De calo, 
3, 103. Pour sa part, le stsgyrite la repousse ; il n'en avoit pas trop le droit néanmoins, car 


nous savons qu'il croyoit à la matière éternelle, et que dés-lors sa genèse de l'univers n'étoit 
ni mieux fondée ni moins absurde. Pour ce qui regarde Origène, c'est ici l'un des griefs qu'on 


- 





movetur; quod non est extra universum ponere. 
Ergo non potest esse quód mundus innovetur. 

9. Preterea, Genes., lI, dicitur quód « Deus 
die septimo requievit ab omni opere quod pa- 
trarat; » et exponunt sancti quód « requievit 
à novis creaturis condendis. » Sed in illa prima 
conditione non fuit alius modus rebus impositus, 

àm iste quem nunc naturali ordine tenent. 

o nunquam alium habebunt. 

4. Preterea, ista rerum dispositio quæ nunc 
inest rebus, naturalis est. Si ergo in aliam dis- 
- positionem transmutentur, illa dispositio erit 
eis innaturalis. Sed illud quod est innturale et 
per accidens, non potest esse perpetuum, ut 
patet in I. De calo et mundo. Ergo etiam illa 


dispositio novitatis quandoque ab ipeis remo. ' 
vebitur; et ita erit ponere circulationem quam- 
dam in mundo, sicut Empedocles et Origenes 
posuerunt, ut post hunc mundum sit iterum 
alius mundus, et post illum iterum alius. 

5. Preterea, novitas glorie in premium ra 
tionali creaturæ datur. Sed uhi non est meritum, 
ibi non polest esse premium. Càm ergo crea- 
ture insensibiles nihil meruerint, videtur quód 
non innovabuntur. 

Sed contra est, quod habetur Jsei., LXV : 
« Ecce ego creo colos novos et terram novam, 
et nou erunt in meioria priora ; » et Apocul., 
XXI : « Vidi celum novum et terram novam; 
primum enim colum et prima terra abiit. » 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÉS LE JUGEMENT. 107 


Il faut que la demeure soit en rapport avec celui qui doit Poccuper. Or 
le monde a été fait pour être la demeure de l’homme. Il doit donc être en 
rapport avec lui. L'homme sera renouvelé. Donc le monde devra l'étre 
également. 

« Tout animal aime son semblable, » Æccli., XIII, 19. D’où il résulte 
clairement que la ressemblance est la cause de l'amour. Or l'homme a 
une certaine ressemblance avec le monde même qu’il habite, ce qui l'a 
fait appeler par les anciens « le petit monde (1). » L'homme aime donc 
cet univers par l'impulsion méme de sa nature. Yl ne sauroit, par consé- 
quent , s'empécher d'en désirer le bien; et il ne sauroit être fait droit à 
ce désir de l'homme si le monde ne devoit étre élevé à un état meilleur. 

(CoNcLusioN. — Le monde ayant été fait pour l’homme, comme nous 
ne saurions en douter, il faut que celui-là soit renouvelé, puisque celui- 
ci doit être glorifié. ) 

Nous croyons que toutes les choses corporelles ont été faites pour 
l'homme, d’où vient que toutes lui ont été soumises. Or elles servent à son 
usage de deux maniéres bien différentes : D'abord, pour l'entretien de 
8a vie corporelle; puis, comme un secours pour avancer dans la science 
divine, en ce sens que l'homme « par les choses visibles qui ont été faites, 
aperçoit les choses visibles de Dieu, » comme s'exprime l'Apótre, Rom. , I. 
Parvenu à l'état de gloire l'homme n'aura plus en aucune facon besoin des 
lui a le plus reprochés; avec quelle Justice?... c'est ce que nous avons laissé entrevoir ail» 
leurs. Le fait est que dans soa célèbre ouvrage aps &pyov, I, S, il est dit que le monde 
actuel a été précédé et sera suivi de plusieurs autres mondes, qui sont comme les évolutions 
progressives de la pensée du créateur. Mais on sait que les œuvres d'Origéne ont été souvent - 


interpolées au profit de certaines erreurs, qui ont fait grand bruit dans l'histoire et qu'on a 
vu se réveiller, sous diverses formes, jusque dans ces derniers temps. 

(1) Saint Grégoire de Nazianze, concevant d'une tout autre facon la dignité de l'étre hu- 
main, retourne ainsi le mot fameux de la sagesse antique : « Notre corps est un autre mende, 
non un petit monde dans le grand, mais un grand monde dans le petit. » Alterum quemdam 


fundum, in parvo magnum. » Dans un sermon sur la Résurrection, Bossuet commente ad- 
mirablement cette belle parole. 





Preterea, habitatio debet habitatori con- 


gruere. Sed mundus factus est ut sit habitatio 
hominis Ergo debet homini congruere. Sed 
homo innovabitur. Ergo similiter et mundus. 

Praterea, « omne animal diligit simile sibi, » 
Eccli., Xlll; ex quo patet quód similitudo est 
ratio amoris. Sed homo habet aliquam simili- 
tudipem cum universo; unde et minor mun- 
dus dicitur. Ergo homo universum diligit na- 
turaliter; ergo et ejus bonum concupiscit : et 
ita, ut satisliat bominis desid&io , debet etiam 
universum meliorari. 


(ConcLesio.— Clm mundus propter hominem 
factus esse credatur, cooveniems est ut sicut 
homo glorificabitur, sic et mundus insovetur.} 

Respondeo dicendum, qubd omnia corporalia 
propter bominem facta esse creduntur; unde et . 
omnia dicuntur ei subjecta (4). Serviunt autem 
homini dupliciter : uno modo, ad sustentationem 
corporalis vitz ; alio modo, ad profectum cogui- 
tionis diving, ia quantum bomo « per ea que 
facta sunt, invisibilia Dei conspicit,» ut dicitue 
Rom. 1. Primo ergo ministerio creaturarum 
homo gloriücatus nnllo modo indigebit, cma 


(1) Nempe Psalm. VIII, vers. 5 et seqq., ubi dieitur : Quid esf homo quód memor es ejue? 
Minuisii eum pauló minis ab Angelis : glorid et honore coronasii eum ; ed constilwiste cum 
super opera manuum (uorum ; omnia subjecisli eub pedibus ejus. Hee euim ad litteram - 


108 SUPPLÉMENT, QUESTION ICI, ARTICLE 1. 


'créatures sous le premier rapport, puisque son corps doit étre alors entiére- 
ment incorruptible; c'est un privilége que la puissancedivine lui accorde, 
avons-nous vu, par l'intermédiaire de l'ame, celle-ci recevant immédia- 
tement de Dieu le bienfait de la gloire. L'homme n'aura pas méme be- 
soin du ministére des créatures, pour avoir de Dieu une connoissance 
purement intellective, puisque sous ce rapport les saints verront à dé- 
couvert l'essence méme de Dieu. Mais l’œil du corps ne pourra jamais 
s'élever à cette vision de l'essence. Pour qu'il puisse donc, lui aussi, jouir 
à sa maniére de la vision de Dieu, il contemplera la divinité dans les 
merveilles qu'elle aura produites jusque dans la création matérielle, où 
reluiront avec éclat les traces de Ia divinité, ce qui frappera avant tout — 
dans le corps du Christ, dans celui des saints ensuite , et enfin dans tous 
les corps sans exception. Il faudra donc que tous les corps, sans compter 
méme ceux des bienheureux , soient plus profondément empreints qu'ils 
ne le sont maintenant des fécondes influences de la divine bonté; ce qui 
ne veut pas dire qu'ils aient à changer d'espéce, mais simplement à rece- 
voir un plus haut degré de perfection et de gloire. Et voilà ce que nous 
appelons la rénovation du monde. Le monde sera donc renouvelé en 
méme temps que l'homme sera glorifié. : 

Je réponds aux arguments : 1» Salomon parle en cet endroit du cours 
naturel des choses ; c'est ce qui paroit évident par cette parole qui suit 
dans le texte : « Rien de nouveau sous le soleil. » Comme le soleil, en 
effet, suit un mouvement circulaire , il faut bien que les choses soumises 
à l'action du soleil suivent également üne sorte de cercle; ce qui veut 
dire que les choses déjà passées reviennent dans leur espéce, quoique 
numériquement différentes, comme l'observe Aristote, De Gener. et 
corrupt. Mais des étres parvenus à l'état de la gloire ne sont plus soumis 
à l'action du soleil. 





ejus corpus sit futurum omnino incorruptibile, 
divin virtute id faciente per animam quam im- 
mediaté glorificat. Secundo etiam ministerio 
non indigebit homo quantum ad cognitionem 
intellectivam, quia tali cognitione Deum sancti 
videbunt immediaté per essentiam ; sed ad hanc 
visionem essentia oculus carnis attingere non 
poterit. Et ideo, ut ei etiam solatium congruens 
de visione divinitatis prebeatur, inspiciet di- 
vinitatem in suis effectibus corporalibus, in 
quibus manifesta indicia divinæ majestatis ap- 
parebunt, et præcipuè in carne Christi, et post 
hoc, in eorporibus beatorum , et deinceps in 
omnibus aliis corporibus. Et ideo oportebit ut 
etam alia corpora majorem iufluentiam à di- 


vina bonitate suscipiant quàm nunc, non ta- 
men speciem variantem , sed addentem cujus- 
dam glorie perfectionem. Et h&c erit mundi 
innovatio. Unde simul mundus innovabitur, et 
homo glorificabitur. 

Ad primum ergo dicendum, quód Salomon 
ibi loquitur de cursu naturali; quod patet ex 
hoc quod subditur : « Nihil sub sole novum. » 
Càm enim sol circulariter moveatur, oportet 
ea qui solis virtuti subsunt, circulationem ali- 
quam habere; qui consistit in hoc quód illa 
qua priora fuerunt, iterum redeunt specie ea- 
dem, sed numero diversa, ut dicitur in fine 
libri De generat. Ea verd quæ ad statum gloriæ 
pertinent, soli non subsunt. 


ntelligitur eo sensu quo dictum erat in Genesi, cap. I: Faciamus hominem ed imaginem 
sesiram, ut prasit, eic. Quamvis allegoricè Christo applicet Apostolus, I. ed Cor., XV, 26, 
lot expreseiüs ed Hobr., IL, 1648. 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 109 


9» Cet argument n’a trait qu'à l’altération naturelle, altération dont 
l'agent est un principe également naturel, agissant dès-lors par la néces- 
sité méme de sa nature. Un tel agent, en effet, ne peut pas introduire 
une disposition nouvelle dans les choses soumises à son action, à moins 
qu'il ne soit lui-même modifié dans le même sens. Mais les choses que 
Dieu fait, procèdent de sa libre volonté. Ainsi donc, sans qu'il y ait en 
Dieu le moindre changement , sa volonté peut introduire dans l'univers, 
tantót une disposition et tantót une autre. Et d'une telle modification on 
ne sera pas en droit de conclure à l'existence d'un principe m ; mais on 
remonte alorsà un principe immobile, qui n'est autre que Dieu. 

8° Quand il est dit de Dieu qu'il s'arréta le septième jour de créer de 
nouveaux êtres, cela signifie qu'à partir de ce moment rien ne fut fait 
qui n'existát déjà oudans son espéce ou dans songenre, ou du moins dans 
son germe, virtuellement et en puissance. On peut dire, par conséquent, 
que la future rénovation du monde a préexisté dans l’œuvre des six 
jours, par une lointaine image, à savoir la gloire et la grace qui furent 
dés-lors accordées aux anges. Ajoutons enfin qu'elle fut comme imprimée 
dans l'essence méme des créatures , prédisposées qu'elles furent à obéir à 
l'ordre de Dieu quand son action les appelleroit à cette existence nou- 
velle. 

ko Cette renovation du monde ne sera pas sans doute une chose na- 
turelle, ni non plus une chose contraire à la nature ; elle sera tout sim- 
plement supérieure à la nature. Il en est d'elle comme de la grace et de 
la gloire, qui sont, comme on le sait, supérieures à la nature de l’âme. 
De plus, comme elle émanera d'un agent éternel, elle subsistera à ja- 
mais. 

6° Il est vrai qu'à proprement parler, des corps n'ayant aucun senti- 
ment sont hors d'état de mériter une telle gloire; mais l'homme a pu 
mériter, comme un complément de la sienne propre, qu’elle fût donnée 





Ad secundum dicendum , quód illa ratio pro- 
cedit de alteratione naturali, qut habet agens 
naturale, quod ex necessitate nature agit. Non 
enim potest tale agens variam dispositionem 
inducere, nisi ipsum alio et alio modo se ha- 
beat. Sed ea que divinitüs fiunt, procedunt ex 
Jibertate voluntatis. Unde, sine aliqua immuta- 
tione Dei volentis, potest nunc heec nunc illa 
dispositio ab ipso in universo existere. Et sic 
ista innovalio non reducetur in aliquod princi- 
pium motam, eed in principium immobile, scili- 
cet Deum. 

Ad tertium dicendum, quód pro tanto dicitur 
Deus die septimo à novis creaturis condendis 
cessasse , quia nibil postea factum est, quod 
priüs non praecesserit in aliqua similitudine se- 
condüm genus vel speciem, vel ad minus sicut 


in principio semmali, vel etiam sicut in po- 
tentia obedientiali. Dico ergo quód novitas mundi 
futura præcessit in operibus sex dierum, in qua- 
dam remota similitudine , &cilicet in gloria .et 
in gratia angelorum. Pracessit etiam in poten- 
tia obedientie, que tunc creature est indita ad 
talem novitatem suscipiendam à Deo agente. 

Ad quartum dicendum , quód illa dispositio 
novitatis non erit naturalis nec contra naturam, 
sed erit supra naturam, sicut gratia et gloria 
sant supra anime naturam ; et erit à perpeluo 
agente, quod eam perpetud conservabit. 

Ad quintum dicendum , quód quamvis core 
pora insensibilia non meruerint illam gloriam, 
propriè loquendo , homo tamen meruit ut illa 
gloria toti universo conferretur, in quantum 
boc cedit in augmentum glorie hominis; sicut 


110 SUPPLÉMENT, QUESTION. XCT, ARTICLE 9. 


au reste de l'univers : un homme mérite bien de porter des vêtements 
plus splendides, et ce n'est pas le vêtement lui-même qui pourroit mériter 
ce surcroît d'ornementation et d'honneur. 


ARTICLE IE. 


Le mouvement des corps célestes cessera-t-il? 


Tl paroit que le mouvement des corps célestes ne cessera pas dans cette 
rénovation du monde. 1° Il est écrit, Genes., VIII, 22 : « Tant que la 
terre durera, le froid et le chaud, l'hiver et l’été, la nuit et le jour se suc- 
céderont. » Or la nuit et le jour, l'hiver et l'été sont produits par le mou- 
vement du soleil. Donc ce mouvement ne cessera jamais. 

2 Il est encore écrit, Jerem., XXXI, 35 : « Voici ce que dit le Seigneur, 
lui qui donne le soleil pour être la lumière du jour, qui règle le cours de 
la lune et des étoiles pour être la lumière de la nuit, qui soulève la mer 
et excite le bruit de ses flots : Si ces lois viennent jamais à faillir devant 
moi, alors la race d'Israël manquera aussi , de telle sorte qu'elle ne sera 
plus une nation subsistant à jamais en ma présence. » Or la race d'Is- 
raël ne disparoitra jamais, elle doit durer perpétuellement. Donc la suc- 
cession du jour et de la nuit et le mouvement des flots dela mer, évidem- 
ment produits par le mouvement du ciel, subsisteront également à 
jamais, et, par conséquent, le mouvement du ciel lui-même. 

9» La substance des corps célestes doit toujours durer. Or c'est en vain 
qu'une chose existeroit, si l'on venoit à supprimer le but pour lequel elle 
est faite ; et les corps célestes ont été faits « pour diviser le jour et la nuit, 
pour présider à la division des temps, des jours et des années , » Genes., 
I, 14 ; et c’est là ce que les corps célestes ne pourroient faire s'ils n "étoient 
en mouvement. Donc ce mouvement subsistera à jamais, puisque sans 
cela ce seroit en vain que subsisteroient les corps célestes eux-mêmes. 





aliquis homo meretür ut ornatioribus vestibus 
induatur, quem tamen ornatum ipga vestis 
aullo modo meretur. 


ARTICULUS IJ. 


Utrüm motus corporum cœlestium cessabit. - 


Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
inolus corporum coelestium in illa mundi inno- 
vatione non cessabit. Quia Genes., VIII, dicitur : 
« Cunctis diebus terra, frigus et æstus, estas 
et hiems, nox et dies non requiescent. » Sed 
nor et dies, æstas et hiems, efticiuntur per 
Lom solis. Ergo nunqnam motus solis cessa- 

it. 

9. Preterea, Jerem., XXXI, dicitur: « Hec 
dicit Dominus qui dat solem in lumine diei, 
Ordinem luna et stellarum in lumine noctis ; 


nn 


«ui turbat mare et sonum faciüs ejus : si de- 
fecerint leges iste coram me, tunc et semen 
Israel deficiet, ut non sit gens coram me cunc- 
tis diebus. » Sed semen Israel nunquam defi- 
ciet, sed in perpetuuin permanebit. Ergo leges 
diei et noctis, et fluctuum maris, quæ ex motu 
cœli causanter, in perpetuum erunt. Ergo mo- 
tus cceli nunquam ces«abit. 

8. Preterea, substantia corporum cœlestiam 
semper erit. Sed frastra est ponere aliquid, 
nisi ponatur illud 'propter quod est factum ; 
corpora autem culestia ad hoc sunt facta, « ut 
dividant diem ac noctem , et sint in signa et 
tempora, et dies et annos, » Genes., l1, quod 
nou possunt facere nisi per motum. Ergo mo- 
ins eorum semper manobit, aliàs frustra iila 
COFpora remesereut. 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 114 


& Dans cette rénovation future le monde toot entier s'élévera à un état 
meilleur. Donc aucun des corps qui le composent n'aura rien perdu de 
ce qui constitue sa perfection. Or le mouvement rentre dans la perfection 
d'un corps céleste ; car comme il est dit, De Colo, text. 66, « c'est par le 
mouverient que ces corps participent à la bonté divine. » Donc le mou- 
vement du ciel ne cessera pas. 

6° Le soleil illumine successivement les diverses parties du monde, 
par la raison qu'il suit un mouvement circulaire. Si donc ce mouvement 
circulaire venoit à cesser, il s’ensuivroit qu'une partie de la surface de 
la terre seroit plongée dans une éternelle obscurité; ce qui répugne à 
l'idée même d'une telle rénovation. 

6» Si le mouvement du ciel devoit cesser, cela ne pourroit être que 
parce qu'il entraineroit une certaine imperfection dans les corps célestes, 
quelque chose d'analogue à la fatigue ou au travail. Or cela ne peut pas 
étre, puisque ce mouvement est naturel et que les corps célestes sont im- 
passibles ; d’où il suit qu'aucune sorte de fatigue ne peut résulter de leur 
mouvement, comme le remarque Aristote dans l'ouvrage que nous venons 
de citer. Donc le mouvement du ciel ne cessera jamais. 

7° « Une puissance qui ne seroit jamais réduite en acte , est une chose 
inutile, » De Calo. 1, 39. Or, dans quelque situation qu'on place un corps 
céleste, il est en puissance par rapport à une autre situation. Si cette puis- 
sance n'est donc pas réduite en acte, c'est en vain qu'elle subsistera ; ce 
ne seroit là qu'une imperfection permanente. Mais c'est par le mouve- 
ment loca] qu'une telle puissance peut uniquement étre réduite en acte. 
Donc le mouvement du ciel subsistera toujours. 

8° Lorsqu'une chose est indifféremment prédisposée à des modifications 
diverses, on les lui attribue toutes ou on ne lui en attribue aucune. Or le 
soleil peut indifféremment se trouver à l'orient ou à l’occident ; car autre- 
ment son mouvement ne seroit pas toujours uniforme , il seroit plus ra- 





6. Præterea, in illa mundi innovations totus 
mundus meliorabitur. Ergo nulli corpori rema- 
Denti auferetur id quod est de sul perfectione. 
Sea motus est de perfectione corporis cœlestis; 

.quia, ut dicitur in Il. De cœlo et mundo 
(text. 66), a illa corpora participant divinam 
bonitatein per motum. » Ergo motus coeli non 
cessabit. 

' B. Præterea, sol successivà illuminat diver- 
sas partes mundi , secundüm quód circularitet 
movetur Siergo motus circularis cceli cesset, 
Sequitur quód in aliqua superficie terre erit 
perpetua obscuritas; quod Bon convenit ill 
Dovitati. 

6. Prætorea, ai motus cessaret, hoc non es- 
set nisi in quantum motes aliquam imperfec- 
tionem in celo ponit, etpote lassitodinms vel 


laboris. Quod non potest esse, cüm motus ille 
s& naturalis et eœlestia corpora sint impassi- 
bilia; unde in suo motu non fatigantur, ut di- 
citur in II. Coli et Mundi (text. 3 ac dein- 
ceps). Ergo motus cœli nunquam cessabit. 

7. Preterea, a frustra est potentia qua non 
reducitur ad actum » (lib. I. De cælo, text. 39). 
Sed in quocumque situ ponatur corpus coli, 
est in potentia ad alium situm. Ergo nisi redu- 
ceretur ad actum, potentia illa frustra remane- 
ret, et semper esset imperfecta. Sed non potest 
reduci in actum nisi per motum localem. Ergo 
semper movebitur. 

8. Preterea, illud quod 8e habet indifferen- 
ter ad plura, aut utrumque attribuitur ei, auf 
nullum. Sed sol indifferenter se habet ad hoc 
quód sit in Oriente vel Occidente ; alis motus 


119 


SUPPLÉMENT, QUESTION XCI, ARTICLE %. 


pide vers la région où sa nature se porteroit de préférence. Ainsi donc, 
ou il ne faudra attribuer aueune situation au soleil, ou il faudra lui at- 
tribuer l'une et l'autre. Mais ces deux hypothéses.ne sont possibles que 
d'une maniére successive et par l'effet méme du mouvement; car si le 
soleil s'arréte, il faut évidemment que ce soit dans une situation quel- 
conque. Donc il faut en revenir à dire que le soleil se mouvra toujours, 
et pour la méme raison le ciel tout entier. 

9» Le mouvement du ciel est la cause du temps. Si donc le mouvement 
du ciel vient à cesser, il faudra que le temps cesse aussi. Or cela ne peut 
avoir lieu que d'une maniére instantanée , et voici la définition de l'in- 
stant donnée par le Philosophe, Physic. : « Ce qui commence l'avenir 
et termine le passé. » D'où il suivroit que le temps existeroit encore après 
le dernier instant du temps, contradiction évidente. Donc le mouvement 


du ciel ne cessera pas. 


10° La gloite ne détruit pas la nature. Or le mouvement est chose na- 
turelle anx corps célestes. Donc l'état de gloire n'aura pas pour effet de 


le détruire. . 


Mais le contraire résulte de ce tableau prophétique , Apoc., X, 6 : « Et 
l'Ange jura par Celui qui vit dans tous les siècles , que le temps ne seroit 
plus. » Ceci doit s’accomplir après que le septième ange aura sonné de la 
trompette, trompette au bruit de laquelle les morts ressusciteront, comme 
il est dit, I. Corinth., XV. Or, si le temps est supprimé , le mouvement 
du ciel l'est aussi. Donc ce mouvement doit cesser. 

Il est encore dit, /sa., XI, 20 : « Votre soleil ne se couchera plus et 
votre lune n'aura pas de décroissement » Or le coucher du soleil et le 
décroissement de la lune n'ont d'autre cause que le mouvement du ciel. 
Donc ce mouvement doit cesser un jour. 

Le Philosophe dit, De Gener. et Corrupt., II, 56 : « Le mouvement du 
ciel a pour but les perpétuelles générations qui ont lieu dans ce monde in- 





ejus non esset uniformis per totum, quia ad 
locum ubi naturaliüs esset, velociàs moveretur. 
Ergo vel neuter situs attribuetur soli , vel uter- 
que. Sed nec uterque nec neuter potest ei at- 
tribui pisi successivé per motum ; oportet enim 
si quiescit, quàd in aliquo situ quiescat. Ergo 
corpus solis in perpetuum movebitur; et eadem 
ratione omnia alia corpora coelestia. 

9. Praeterea, motus cceli est causa temporis. 
Si ergo motus coeli deficiat, oportet tempus de- 
ficere. Quàd si deficeret, deficeret in instanti ; 
definitio autem instantis est in VIII. Physic. 
(text. 11), quàd est « initium futuri et finis 
preteriti; » et sic post ultimum instang tem- 
poris esset tempus, quod est impossibile. Ergo 
motus celi nunquam cessabit. 

10. Praeterea, gloria non tollit naturam. Sed 


motus ccli est naturalis ei. Ergo per gloriam 
ei non tollitur. | 

Sed contra est, quod dicitur Apocal., X, 
quód « angelus qui apparuit, juravit per Vi- 
venlem in secula, quód tempus ampliüs non 
erit; » scilicet postquam septimus angelus tubà 
cecinerit , quá canente, mortui resurgent, ut 


dicitur 1. Cor., XV. Sed si non est tempus. 


non est motus coli. Ergo motus coli cessa- 
bit. 


sol tuus, et luna tua non minuetur. » Sed oc- 
casio solis et diminutio lune ex motu coli 
causatur. Ergo motus coli quandoque cessabit. 

Preterea, ut probatur in Il. De generat. 
(text. 56), « motus cœli est propter continuam 
generationem in istis inferioribus. » Sed gene- 


Preterea, Isai., XL : « Non occidet ulta" 


á 


- 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÉS LE JUGEMENT. 113 


férieur. » Or ces générations cesseront quand aura été complété le nombre 
des élus. Donc le mouvement du ciel doit également cesser. 

« Tout mouvement a nécessairement un objet,» Metaph., Il, 8. Or 
toute chose cesse quand son objet est rempli. Il faut dire, par conséquent, 
ou bien que le mouvement du ciel n'atteindra jamais son objet, la fin 
pour laquelle il existe, etalors il existeroit en vain, ou bien qu'il doit cesser 
un jour. | 

Le repos est quelque chose de plus noble que le mouvement; car plus 
une chose est immobile , plus elle ressemble à Dieu , en qui se trouve la 
supréme immobilité. Or le mouvement des corps inférieurs a le repos 

pour terme, et pour terme nécessaire. Donc les corps célestes étant beau- 
coup plus nobles, il faut bien de toute nécessité que leur mouvement 
aboutisse au repos. . 

(CoNcLusioN. — Les corps célestes ayant été faits, aussi bien que tous les 
autres, pour servir à l'accomplissement de la destinée humaine , et les 
hommes une fois parvenus à la gloire, n'ayant plus besoin du ministére 
de ces corps, le mouvement du ciel devra cesser par un effet de la volonté 
divine, aussitót que les élus auront été glorifiés. ) 

Sur la question qui nous occupe il existe trois opinions ou hypothéses : 
La première est celle des Philosophes , qui prétendent que le mouvement 
du ciel durera toujours. Mais cela n'est pas conforme à notre foi, qui nous 
enseigne que le nombre des élus a été prédéterminé par Dieu ; d’où il suit 
nécessairement que les générations humaines ne doivent pas durer à ja- 

-mais, ni, par conséquent, les choses subordonnées à ces générations, telles 
que les variations des éléments et le mouvement du ciel (4). D'autres sou- 


(1) En supposant, en effet, que le mouvement des corps célestes n'ait pas d'autre but que 
celui qui leur est assigné par l'auteur, il est évident que l'objet de cette thèse toucheroit, 








(Coxcrusio. — Clm corpora celestia, sicut 
et alia, in hominum ministerium facta sint, et 


ratio cessabit completo numero electorum. Ergo 
motus celi cessabit. 


Præterea, « omnis motus est propter aliquem 
finem, » ut dicitur in II. Metaphys. (text. 8). 
Sed omnis motus qui est propter inem , babito 
fine quiescit. Ergo vel motus coli nunquam 
consequetur finem suum , et sic esset frustra, 
vel aliquando quiescet. 

Preterea, quies est nobilior quàm motus, 
quia secundüm hoc qudd res sunt immobiles , 
Deo magis assimilantur, in quo est summa im- 
mobilitas. Sed corporum inferiorum motus ter- 
minatur naturaliter ad quietem. Ergo, cüm 
eorpora coelestia sint multb nobiliora, eorum 
motus naturaliter ad quietem terminabitur (4). 


eorum ministerio homines glorificali non am- 
pliüs indigeant , motus cceli, diviná voluntate 
id faciente, homine glorificato cessabit.) 
Respondeo dicendum, quód circa istam quæs- 
tionem est triplex positio. Prima est philoso- 
phorum, qui dicunt quèd motus cceli semper 
durabit, Sed hoc non est consonum fidei nostrae, 
quæ ponit certum numerum electorum præfni- 
tum à Deo; et sic.oportet quód generatio bo- 
minum non in perpeluum duret , et eadem ra- 
tione nec alia quæ ad generauonem hominis 
ordinantur, sicut est motus celi et variationes 
elementorum. Alii verb dicunt quàd motus cceli 


(1) Non sic tamen concludit quasi hoc verum putet, ut in bujus et præcedentis argumenti 
responsione infrà patebit evidenter; sed quod sepé alibi facit, ut nou semper probationis loco 
usurpet illud argumentorum genus, que appellat Sed contra, hic euam planum est usurpare, 
ut dubitendi pro alterutra parte rationem, noa velut fundamentum ad astruendam veritatem. 


AVI. 


114 | SUPPLÉMENT, QUESTION XGI, ARTICLE 2. 


tiennent que le mouvement du ciel doit cesser, mème d'aprés leslois de la 
nature. Mais voilà encore une chose qui est fausse; car tout corps que sa 
nature porte au repos et au mouvement, a un lieu déterminé dans lequel 
il doit nécessairement trouver le repos, vers lequel il se meut d'une ma- 
niére non moins nécessaire et dont il n’est écarté que par la violence. Or 
il est impossible d'assigner un tel lieu à un corps céleste ; il n'est pas plus 
naturel au soleil, par exemple , de se rapprocher d'un point de lorient, 
que de s'en éloigner ; et de la sorte, ou bien son mouvement ne seroit pas 
entiérement naturel, ou bien il n'aboutiroit pas naturellement au repos. ! 
Il faut donc admettre avec quelques autres que le mouvement du ciel ces- 
sera dans cette rénovation du monde, non par une cause naturelle quel- 
conque, mais par un effet de la divine volonté. Voici pourquoi : les corps 
célestes, aussi bien que tous les autres corps, ont été faits pour le service 
de l'homme , sous le double rapport que nous avons indiqué dans l'article 
précédent. Sous l’un de ces rapports, l'homme n'aura plus évidemmrent 
besoin du ministère de ces corps, une fois qu'il sera parvenu à l'état de la 
gloire ; il n'aura plus besoin que les corps célestes concourent au soutien 
de sa vie corporelle ; et c'est par leur mouvement qu'ils lui donnent ce 
concours, puisque le mouvement du ciel préside à la multiplication du 
genre humain, à celle des plantes et des animaux qui servent à la subsis- 
tance de l'homme ; et par ce méme mouvement se conserve l'heureux 
équilibre de l'atmosphére, si nécessaire à notre vie. Donc après que 
l'homme aura été glorifié, le mouvement du ciel cessera. 


d'une manière au moins indirecte, à certaines vérités enseignées par la foi. Mais est-il bien 
vrai que Pharmonic des cieux n'ait pas une autre raison d'être ? Sans entrer daos la discussion 
des magnifiques théories émises à ce sujet par la science moderne, et qui tendroient à prouver 
que le système de l'univers, le mouvement des astres, aussi biem que la gravitation de plus 
peut grain de sable, tient à des forces combinées, à des lois générales, inhérentes à la nature 
méme des corps, ne peut - on pas dire que ce spectacle du monde, que cette harmonie des 
cieux, manifestent au plus haut degré, la sagesse et la puissance du Créateur? Ces lois géné- 
rales ne devront-elles donc pas étre conservées dans la rénovation future de la création uni- 
verselle? Tout ce qui est dit ici sur cette rénovation annoncée par nos Livres Saints est plus 
ou moins hypothétique; et, comme il est aisé de l'observer, chaque hypothése repose, à peu 
prés invariablement, sur la physique d'Aristote. En pareille matière, et dans le temps où l'au- 

teur écrivoit, il n'étoit guére possible qu'il en fût autrement. La théorie du monde n'avoit pas 





cessabit secundüm naturam. Sed hoc etiam est | tarali causa, sed divinà voluntate faciente. 
falsum , quia, omne corpus quod naturaliter , Corpus enim illud, sicut et alia, in ministerium 
quiescit et naturahter movetur, habet locum in | hominis factum est dupliciter, ut pribs dictum 
quo naturaliter quiescit, ad quem movetur na- | est (art. 1). Altero autem horum ministeriorum 
turaliter, et à quo non recedit nisi per violen- , homo post statum gloriæ non indigebit, scilicet 
tiam. Nullus autem talis locus potest assignari | secundüm quód corpora celestia ei deserviunt 
corpori celesti, quia non est magis naturalis | ad sustentationem corporalis vit. Hoc gutem 
seli accessus ad punctum Orientis, quàm reces- | modo servit ei corpus cœleste per motum, in 
508 ab eo. Unde vel motus ejus non esset na- | quantum per motam coli multiplicatur genus 
turalis telaliter, vel motus ejus non terminatur | humanum , et generantur planta et animalia , 
naturaliter ad quietem. Unde dicendum est se- | que usui hominum sunt necessaria , et efiam 
cundüm alios, quàd motus cœli cessabit in illa | temperies in aere efficitur conservans sanitatem, 
mundi innovalone, non quidem ex aliqua aa- | Unde homine glorificato motus coli cess.bit. 


- 


DB L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 115 


Je réponds aux arguments : 1° Ce texte de l’Ecriture s'applique à l'état 
"présent de la terre, état dans lequel le principe de la génération et de la 
corruption des plantes déploie son activité; et c'est ce que nous donnent 
évidemment à entendre les paroles suivantes : « Tant quela terre durera 
avec ses semences et ses moissons. » Il faut donc accorder que le mouve- 
ment du ciel ne devra pas cesser tant que la terre demeurera apte à 
recevoir des semences et à produire des moissons. 

9» Le Seigneur parle également ici de la durée promise à la race d'Is- 
raël dàns les conditions de la vie présente ; ce qui est clairement indiqué 
par ces mots : « La race d'Ilsra&l cessera, de manière à n'être plus uae 
nation subsistant tous les jours devant moi. » En effet, quand l'état pré- 
sent du monde aura pris fin, la succession des jours et des nuits n'existera 
plus. Et voilà pourquoi les lois dont il venoit d'étre question cesseront 
aussi quand aura pris fin l'état présent du monde. 

3° La fin qui est assignée là aux corps célestes, e’est leur fin prochaine 
ouleura cte propre. Mais cet acte lui-méme a une fin ultérieure , qui est 
le bien de l'homme, comme on le voit, Deut., IV , 19 : « De peur que 
levant les yeux au ciel, vous les arrétiez au soleil , à la lune , à tous les 
asires du firmament, et que, déçu par une funeste erreur, vous n'adoriez 
des choses que le Seigneur votre Dieu a créées pour servir à toutes les na- 
tions qui sont sous le ciel. »: Ainsi donc il faut juger des corps célestes 
d’après leur rapport avec la destinée humaine, plutôt que d’après la fin 
que la Genése leur assigne dans le texte objecté ; et les corps célestes ser- 
viront encore à l'usage de l'homme glorifié de la manière qui a été déter- . 
minée, Quæst. LXXVI, art. 9. Ill n'est donc pas permis de dire, qu'ils 
subsisteroient en vain. 


eu jusque là de plus habile interprète que le philosophe de Stagyre ; fl n'en étoit pas de phis 
acerédité; disons mieux, il n'en étoit pas d'autre qui edt quelque erédit dans les Eco:es. Mais 
du moment où cette théorie a disparu, pour faire place à d'autres principes, ne conviendroit- 
B8 pes d'entendre et d'exposer d'une manière différente la rénovation que le monde doit sabfr, 





Ad primum ergo dicendum, quàd verba illa 
intelliguntur de terra secundüm statum istum , 
in quo potest esse principium generalionis et 
corruptionis plantarum ; quod patet ex boc 


Ad tertium dicendum, quód finis qui ibi assi- 
gnatur corporibus celestibus, est finis proximus, 
qui est proprius eorum actus. Sed iste actus ulte- 
rius ordinatar ad alium finem, scilicet ad minig- 


quod ibi dieitur: « Cunctis diebus terre , se- 
menlis et messis, etc.» Et hoc sunpliciter con- 
cedendum est quód quamdiu terra erit sementi- 
bus et messibus apta, motus coli non cessabit. 

Et similiter dicendum ad secandum , quód 
Dominus loquitur ibi de duratione seminis Israel, 
secundüm praesentem statum; quod patet ex hoc 
quod dicit : « Et semen Israel deficiet, ut non 
sit gens coram me cunctis diebus. » Vieissitudo 
ezim dierum post istum statum non erit. Et ideo 
etiam leges de quibus fecerat mentionem, post 
3stum statum nou erunt. 


terium humanum, ut patel per id quod babetur 
Deut., IV: « Ne fortè oculis elevatis ad cœlure, 
videae solem et lunam, et omnia astra celi, et 
errore deceptus adores ea qua creavit Dominus 
Deus tuus in ministerium cunctis gentibus qu® 
sub ccelo sunt. » Et ideo magis debel judicium 
sumi de corporibus celestibus secundüm minis« 
terium bominum , quàm secundüm Bnem in Ge 
nesi assigBatum. Corpora auiem coelestia per 
modum alium ia ministerium hominis glorificati 
cedent, sicut priüs dictum est (qu. 76, art. 9, ad 
9). Et ideo uon sequitur quod frustra remaneant. 


116 SUPPLÉMENT, QUESTION XCI, ARTICLE ©. 


4° Le mouvement ne rentre dans la perfection des corps célestes qu’en 
tant que ces corps sont par là le principe de la génération et de la corrup- 
tion dans ce monde inférieur. Sous ce rapport encore, le mouvement fait 
que les corps célestes participent à la bonté divine par une certaine res- 
semblance de causalité. Mais le mouvement ne rentre pas dans la perfec- 
tion substantielle de ces corps, celle qui doit subsister à jamais. On ne 
peut donc pas dire que, le mouvement venant à cesser, la substance du ciel 
a perdu quelque chose de sa perfection. . 

5° Tous les corps élémentaires eux-mêmes recevront un reflet des splen- 
deurs de la gloire. Ainsi donc, alors méme qu'une partie de la surface de 
la terre ne sera pas illuminée par les rayons du soleil, elle ne demeurera 
pas pour cela plongée dans l'obscurité. 

6° Sur cette parole, Rom., VIII : « Toute créature gémit... » La Glose 
attribuée à saint Ambroise s'exprime ainsi : « Tous les éléments accom- 
plissent leur mission avec un certain travail ; ce n'est pas , sans travail, 
par exemple, que le soleil et la lune fournissent la carriére qui leur est 
déterminée; et cela à cause de nous. Aussi s'arréteront-ils quand nous 
aurons été transplantés dans la gloire. » Le travail dont il est ici parlé 


ne sauroit étre, je le crois, ni une fatigue, ni une passion quelconque 


subie par les corps célestes à l'occasion de leur mouvement, puisque ce 
mouvement leur est naturel, n’a rien de violent ou de forcé, comme nous . 
l'avons déjà dit avec le Philosophe. Par ce travail il faut entendre le be- 
soin d'acquérir ce à quoi l'on tend par le mouvement. Et comme le móu- 


. vement du ciel a pour but, dans l’ordre de la divine providence, de concou- 


u$. 


rir à compléter le nombre desélus, ce nombre n'étant pas encore complet, 
le but n'est pas non plus atteint. C'est donc par une sorte d'analogie que 
le monde est dit étre en travail ; il est comme celui qui n'a pas encore 
touché au terme de ses vœux. Or, cette sorte de privation , le ciel ne l'é- 
et pour l'éternité, aprés le jugement supréme? Ce n'est qu'en tremblant, on le conçoit, que 
nous posons de semblables questions; nous ne prétendons nullement les résoudre. 


— 





Ad quartum dicendum, quód motus non est 
de perfectione corporis ccelestis, nisi in quantum 
per hoc est causa generationis et corruptionis 
in istis inferioçibus. Et secundüm hoc etiam 
motus ille facit corpus coeleste participare di- 


vinam bonitatem, per quamdam similitudinem: 


causalitatis. Non autem motus est de perfectione 
substantie celi, que remanebit. Et ideo non 
sequitur quód motu cessante aliquid de per- 
fectione substantiæ celi tollatur. 

Ad quiutum dicendum, qubd omnia corpora 
elementorum habebunt in seipsis quamdam 
glorie claritatem. Unde, quamvis aliqua super- 
ficies terre non illuminetur à sole, nullo tamen 
modo remanebit ibi obscuritas. 

Ad sextum dicendum, quód Rom., VIII, super 


illud : « Omnis creatura ingemiscit, etc., » dicit 
Glossa Ambrosii expressè, quód « omnia ele- 
menta cum labore explent sua officia, sicut sol 
et luna non sine labore statuta sibi implent 
spatia, quod est causá nostr! ; unde quiescent 
nobis assumptis. » Labor autem ille (ut credo) 
non significat aliquam fatigationem vel passio- 
nem illis corporibus accidentem ex motu, cùm 
motus ille sit naturalis, nihil habens de vio- 
lentia, ut probatur in I. De cado et mundo 
(text. 9). Sed labor ibi intelligitur defectus ab 
eo ad quod aliquid tendit. Unde, quia motus 
ille ordinatus est ex divina providentia ad com- 
plendum numerum electorum, illo non completo 
nondum assequitur illud ad quod ordinatus est. 
Et ideo similitudinariè dicitur laborare , sicut 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 117 


prouvera plus, une fois qu’aura été complété le nombre des élus. On pour- 
coit encore entendre cela de cette espèce de désir par lequel les créatures 
appellent leur future rénovation, la portion de gloire qui leur est des- 
tinée par la divine providence. 

7° Il n'y a dans les corps célestes aucune puissance qui doive être per- 
fectionnée par tel lieu en particulier, ou bien qui ait pour fin déterminée 
l'occupation de ce lieu par un corps céleste. Ce que nous pouvons appeler. 
la puissance locale de ce corps est comme celle que possède un artisan de 
bátir plusieurs maisons du méme genre, en sorte que s'il en bátit une, on 
ne peut plus dire que cette puissance lui ait été donnée en vain. Pareille- 
ment, qu'un corps céleste occupe une position quelconque, et sa puissance 
locale ne demeure ni vaine ni incompléte. | 

8° ]l est vrai qu'un corps céleste est également bien disposé par sa na- 
ture à toute situation qui lui sera possible; mais il n'en est plus ainsi 
quand on le compare à d'autres objets placés en dehors de lui. Relative- 
ment parlant, telle position convient mieux que telle autre à la noblesse 
de sa nature ; ainsi la position du soleil par rapport à nous est pendant le 
jour plus conforme à la noblesse de cet astre que pendant la nuit. Il est 
donc probable que, la rénovation du monde ne devant avoir lieu que 
dans l'ordre et pour l'accomplissement de la destinée humaine, le ciel ne 
doive alors occuper la plus noble des positions possibles, en vue d'em- 
bellir et de rehausser notre éternelle demeure. Quelques-uns pensent que 
le ciel s’immobilisera dans la position méme où il a été créé; et cela, afin 
qu'aucune de ses révolutions ne demeure incompléte. Mais cette raison 
ne paroit pas concluante ; car , comme il y a telle révolution du ciel qui 
ne peut s'achever que dans l'espace de Trente-six Mille ans, il s'ensui- 
vroit que le monde devroit durer autant; ce qui est peu probable. D'aprés 
tette hypothése , on pourroit en outre savoir le temps précis de la fin du 





homo qui non habet quod intendit ; et hic etiam | habeat ad omnem situm qui est ei possibilis , 


defectus à calo tolletur, impleto numero elec- 
torum. Vel etiam potest referri ad desiderium 
futur innovationis, quam ex divina disposi- 
tione expectat. 

Ad septimum dicendum, quód corpori celesti 
mon inest aliqua potentia quie perficiatur per 
locum , vel qua facta sit propter hunc finem, 
qui est esse in tali loco ; sed hoc modo se ha- 
bet potentia ad ubi in corpore ccelesti , sicut 
se habet potentia artificis ad hoc quód faciat 
diversas domos unius modi, quarum si unam 
faciat, non dicitur frustra potentiam habere. 
Et similiter, in quocumque situ ponatur corpus 
celeste, potentia qui est in ipso ad ubi, non 
remanebit incompleta nec frustra. 

Ad octavum dicendum, quód quamvis corpus 
celeste secundüm suam maturam equaliter se 


tamen si comparetur ad ea qui sunt extra ip- 
sum, non equaliter se habet ad omnes situs ; 
sed secundüm unum situm nobilius disponitur 
respeciu quorumdam , quàm secundum alium; 
Sicut quoad nos nobiliüs disponitur sol in die 
quàm in nocte. Et ideo probabile est, cüm tota 
innovatio mundi ad hominem ordinetur, quód 
cœlum in illa novitate habeat nobilissimum si- 
tum qui est possibilis, in respectu ad habita- 
lionem nostram. Vel, secundüm quosdam, cc- 
lum quiescet in illo situ in quo factum fuit ; 
aliàs aliqua revolutio cæli remaneret incompleta. 
Sed ista ralio non videtur conveniens; quia cüm 
aliqua revolutio sit in ccelo qua non finitur nisi 
in triginta sex millibus annorum , sequeretur 
quód mundus deberet tamdiu durare; quod 
non videtur probabile. Et praeterea , secundüm 


418 SUPPLÉMENT, QUESTION ICT, ARTICLE 9. 


monde; car les astrologues déduisent d'une manière assez précise la posi-- 
tion où étoient les corps célestes au moment de la création, par le nombre 
des années qui s'est écoulé depuis le commencement du monde; et de la. 
sorte on pourroit calculer avec certitude le temps aprés lequel la même po-- 
sition se reproduiroit dans les corps célestes. Or, nous le savons, c'est 
méme là une chose qui a été démontrée plus haut , Dieu a voulu que l’é- 
poque de la fin du monde nous demeurát inconnue. 

3e Sans doute le temps finira quand finira le mouvement du ciel; mais 
ce dernier instant de sa durée ne sera pas le premier d'un nouvel avenir ; 
la définition donnée dans l'argument ne s'applique à l'instant qu'autant 
qu'on le considère comme un point où se joignent et se continuent deux 
parties consécutives du temps. Considéré comme le point qui termine le 
temps lui-même, il ne peut plus évidemment être ainsi défini. 

10* Quand on dit que le mouvement du ciel est une chose naturelle, 
on ne veut pas faire entendre par là que ce mouvement fasse comme 
partie de la nature, ainsi qu'on le dit des principes que la nature elle- 
méme renferme ; on ne veut pas dire non plus que ce mouvement ait son 
principe actif dans la nature même du corps oéleste; ce oorps est uni- 
quement capable de recevoir un tel mouvement, dont le principe actif 
n'est autre que la substance spirituelle elle-même, ainsi que le Commen- 
tateur le dit au commencement du traité sur le ciel. Il ne répugne donc 
pas que Ja rénovation du monde ait pour effet d'arrétee ce mouvement; 
car cela ne portera pas atteinte à la nature proprement dite des oorps 
célestes (1). 

Nous accordons les trois premiers arguments donnós en sens inverse, 

(1) On peut dire que cette réponse touche précisément au cœur de la question traitée dans cet 
ertcle. C'est ici le nœud de la difficulté. L'auteur affirme que ce qui emporte les corps célestes, 
avec tant de précision à la fois et d'impétuositó, dans les espaces incommeosurgbles, ne dé- 
pend d'aucun principe actif inhérent à leur nature. Au point de vue des idées alors recues, 
il étoit en droit de raisonner de la sorte, son opinion n'a rien qui doive nous étonner. Mais 
cette opinion ne nous paroft plus soutenable, aprés la révolution qui s'est opérée depuis lors 
dans tes sciences physiques. L'attraction est une puissence qui n’est pas encore parfaitement 


définie, sur la nature de laquelle on pourra longtemps discuter, mais dont l'existence me eau- 
roit en aucune facon être réroquéo en donte. Pourquoi la résovetion üaalo auroit-elle peur 





hoc posset sciri quando mundus (iniri deberet ; 
probabiliter enim colligitoe ab astrologis, in quo 
situ corpora cœlestia gunt facta, considerato 
numero ammorum qui computantur ab initio 
mundi; et eodem modo posset sciri certas an- 
norum numerus, in quo ad disposilionem simi- 
lem reverteretur. Tempus autem finis mundi 
ponitar esse ignotum. 

Ad nonum dicendum, quód tempus quando- 
que defieiet, motu coli deficiente; nec illud 
func ultimum erit principium futuri; dicta 
enim definitio non datur de nunc, nisi secan- 
düm quàd est continuans partes temporis, nou 


secundum quód est terminans totum tempus. 
Ad decimum dicendum, qnód motus coli aen 
dicitur naturalis, quasi sit pars nature, eo medo 
quo principia nature nafwrelia dicuntur; Dec 
iterum, quód habest principium activum in Da- 
tura corporis, sed receptivum tantüm. Princ- 
pium autem activum ejus est smbstantis spiri- 
tualis, ut dicit Commentator in principio Cael? 
et Mundi. Et ideo een est inconvemiens si per 
novitalem glorie motus ille toïsiur; nonenim 
eo ablato nature cerporis caelestis variabitur. | 
Alias rationes comcedimas, scilicet tres pri- 
mas, quie sunt ad oppositum, quia debito modo 


DE LÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 119 


parce que la conclusion en est légitime; mais comme dans les deux autres 
on conclut que le mouvement du ciel cessera d'une manière naturelle, 
nous allons y répondre. 

4° Le mouvement cesse quand ce pour quoi il existoit a été obtenu, 
mais dans le cas seulement où l'objet du mouvement le suit et ne l'ac- 
compagne pas. Or l'objet du mouvement céleste accompagne ce mouve- 
ment, d'aprés les philosophes; et cet objet n'est autre que l'imitation ou 
la participation de la divine bonté dans les rapports de causalité qui rat- 
tachent les corps célestes à ceux du monde inférieur. Il ne s'ensuit donc - 
pas que ce mouvement doive cesser d'une manière naturelle. 

2» Bien que l'immobilité soit par elle-méme quelque chose de supérieur 
au mouvement, le mouvement peut toutefois, dans certaines circonstances, 
avoir la supériorité sur le repos ; et c'est ce qui a lieu quand par le mou- 
vement on peut s'élever à une plus grande participation de la bonté di- 
vine, participation qui seroit impossible dans l'état d'immobilité absolue. 
Voilà pourquoi la terre, qui est le plus infime des éléments , ne se meut 
pas ; et cependant Dieu lai-mème, le plus noble des êtres, celui par lequel 
sont müs les corps les plus élevés, ne se meut pas. D’où l'on paurroit in- 
duire que le mouvement des corps supérieurs est susceptible de se per- 
pétuer en vertu de leur nature méme , et n'auroit pas ainsi le repos pour 
dernier terme , à la différence des corps inférieurs, dont le mouvement 
doit toujours aboutir au repos. 
effet d'en dépouiller les corps? TI a été dit plus haut que les élus, au sein méme de ia vision 


intuitive, admireront encore le Créateur dans ses aevres. C'est un sujet d'admiration qui sous 
sembleroit leur être ravi par une telle destruction. 





concludumt ; sed quia alie dus videatar con- | tamea motus, in eo quód per motem potest 
cudere quód motus coli naturaliter cesset, | consequi aliquam perfectam participationem 
deo ad eas respondendum est. diving bonitatis, est uobilior quàm quies, in 

Ad primum ergo earum dicendum, quód mo- | illo quód nullo modo per motum posset illam 
tus cessat habito eo propter quod est, si illud | perfectionem consequi. Et hac ratione terra, 
sequatur motum , et non concomitetur ipsuin. | quæ est inümum elementorum , est sine iotu , 
lllud autem propter quod est motus coelestis, | quamvis ipse Deus, qui est nobilissimus rerum, 
secundüm philosophos, concomitatur molum, | sine motu sit à quo corpora nobiliora moven- 
scilicet imititio divinæ bonitatis in causalitate | tur (1). Et inde est etiain quód motus corporum 
quam babet super inferiora. Et ideo non opor- | superiorum possent poni seeundüm viam na- 
fet quód naturaliter motus ille cesset. ture perpetuari, et nunquam ad quietem ter- 

Ad secundum dicendum, quód quamvis im- | minari, quamvis motus inferiorum corporum 
rnobilitas sit simpliciter nobilior quàm motus, | ad quietem terminetur. 


(1) Id est non moveatur eo motu qui corporibus etiam aobflioribas convenit. Quod ideo di- 
eur, quia juxta Scriptara phrasim tribuitur interdum ei motus quidam , sed improprié me- 
tephoricus, et à mota corporum alienus. 


120 SUPPLÉMENT, QUESTION XCI, ARTICLE 3, 


ARTICLE IIl. . 


* . La clarté des corps célestes doit-elle étre augmentée dans la rénovation du 
| monde? 


Il paroit que la clarté des corps célestes ne devra pas être augmenté 
dans la rénovation du monde. 4° Cette rénovation s'opérera dans les corps 
inférieurs par l'action du feu qui doit les purifier. Or ce feu purificateur 
n'étendra pas son action jusqu'aux corps célestes, comme on l’a vu. 
Quæst. LXXXI, art. 4. Donc les corps célestes ne seront pas renouvelés 
par l'addition d'une.clarté nouvelle. | 

2» C'est par leur lumière, aussi bien que par leur mouvement , que 
les corps célestes sont une cause de génération dans ceux du monde in- 
férieur. Or., la génération venant à cesser , le mouvement cessera aussi, 
comme il vient d’être dit dans le précédent article. Donc la lumière des 
corps célestes doit pareillement cesser, bien loin de recevoir un accroisse- 
ment quelconque. 

3o Si les corps célestes devoient être renouvelés par suite du renouvel- 
lement de l’homme, ils devroient s’être Gétériorés aussi quand il tombe. 
Or c'est là ce qui ne peut pas être , puisque ces corps sont invariables dans 
leur substance. Donc ils ne seront pas renouvelés à l'époque du renouvel- 
lement de l'homme. . 

4* Si les corps célestes ont dà se détériorer dans la circonstance qui 
vient d’être déterminée, leur détérioration suivroit. nécessairement la - 
mesure de leur amélioration dansla rénovation de l'homme. Or il est dit, 
Isa., XXX, 96 : «La lumiére de la lune sera semblable à celle du soleil.» 
Il suivroit de là que dans l'état primitif de l'homme, avant le péché, la 
lune brilloit autant que brille maintenant le soleil , et que dés-lors aussi, 
tant que la lune étoit sur l'horizon, la terre possédoit le jour, comme 
elle le posséde maintenant à la présence du soleil. Hypothése dont la 





ARTICULUS III, 


Utrüm in corporibus celestibus claritas auge- 
bitur in illa innovatione. 


Ad tertium sic proceditur. Videtur quüd in 


militer cessabit lux cœlestium corporum, magis 
quàm augeatur. | 
8. Preterea, si innovato bomine corpora cc- 
lestia innoventur, oportet quód eo deteriorato 
fuerint etiam ea deteriorata. Sed hoc non vi- 


corporibus ceelestibus claritas non augebitur in 
flla innovatione. Innovatio enim illa in corpo- 
ribus inferioribus erit per ignem purgantem. 
Sed ignis purgans non pertinget ad corpora 
celestia, ut diclum est ( qu. 76, art. &). Ergo 
corpora celestia non iunovabuntur per majoris 
claritatis susceptionem. 

2. Preterea, sicut Corpora celestia per mo= 
tum sunt causa generationis in istis inferioribus, 
ita et per lucem. Sed, cessante generatione, 
cessabit motus, ut dictum est (art. 3). Ergo si- 


detur probabile, cüm illa corpora sint invaria- 
bilia quantum ad eorum substantiam. Ergo nec 
innovato homine innovabuntur. 

&. Preterea, si tunc deteriora fuerint, opor- 
tet quód tantum deteriorata fuerint, quantum 
dicuntur esse melioranda in hominis innova- 
tione. Sed dicitur Isai., XXX , quód « erit lux 
luna sicut lux solis. » Ergo et in primo statu 
ante peccatum lupa lucebat quantum nunc lu- 
cet sol. Ergo quandocumque luna erat super 
terram, faciebat diem sicut nunc sol; quod 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 121 


fausseté résulte évidemment de cette parole de l'Ecriture, Gen., I : « Dieu 
fit la lune pour présider à la nuit. » Doné, quand l'homme a péché, les 
cor ps célestes n'ont rien perdu de leur lumière , et par suite ils n'en pos- 
séderont pas une plus grande quantité au moment de la rénovation de 
l'homme. 

5° La clarté des corps célestes a le bien de l'homme pour but, comme 
toutes les autres créatures. Or, aprés la résurrection, la clarté du sole 
ne sera plus d'aucun usage pour l'homme; car il est dit, 1sa., LX, 19: 
« Vous n'aurez plusle soleil pour vous éclairer pendant le jour, et les 
rayons de la lune ne luiront plus sur vous; » et Apoc., XXI, 23: a Cette 
cité n'aura plus besoin ni du soleil ni dela lune pour briller sur elle. » 
Donc leur clarté ne sera pas augmentée. 

6° Créer de grands instruments pour obtenir un résultat minime, c’est . 
le fait d'un architecte inhabile. Or l'homme est bien peu de chose en 
comparaison des corps célestes ; leur immense grandeur n'a pas de rapport 
avec sa petitesse ; bien plus, « la terre tout entière est à l'égard du ciel 
comme un point dans la sphére, » ainsi que s'expriment les astrologues. 
Par conséquent , Dieu étant la sagesse méme , il ne se peut pas, que dans 
la création du-ciel, il se soit proposé l'homme pour fin , et dés-lors le ciel 
ne sauroit avoir été détérioré par suite du péché de l'homme, ni devoir 
être perfectionné quand l'homme entrera dans la gloire. 

Mais le Prophète dit ainsi le contraire, Isa., XXX , 26: « La lumière 
de la lune sera comme celle du soleil, et la lumiére du soleil sera sept 
fois plus grande (1). » 

' (1) Tous les commentateurs des Livres saints appliquent au nouvel état du monde aprés 
la résurrection, ce texte du prophète. Il n'ont fait que suivre en cela l'exemple de saint 3é- 
rôme : « Quand Dieu, dit le plus illustre des interprètes, aura créé de nouveaux cieux et une 
terre nouvelle, quand aura pris fin l'état actuel du monde, la lune etle soleil seront comme 
récompensés de la carrière qu'ils suront fournie, de l’œuvre qu'ils auront faite. Ce dont l'Apó- 
tre donne, pour ainsi dire, la raison, par ces remarquables paroles : L'attente de toutes les 


créatures appelle de ses vœux la glorieuse manifestation des enfants de Dieu; car la créature 
elle-même sera délivrée du joug de ls corruption, en participant à cette liberté des enfants 





manifestó apparet esse falsum, per id quod di-| — 6. Preterea, non esset sapiens artifex , qui 


citur Genes., 1, quód luna facta est « ut pre- 
esset nocti. » Ergo homine peccante non sunt 
celestia corpora diminuta in lumine ; et ita nec 
eorum lumen augebitur, ut videtur, in hominis 
glorificatione. 

5. Preterea, claritas corporum coelestium 
ordinatur ad usum bominis, sicut et aliæ crea- 
ture. Sed post resurrectionem claritas solis 
non cedet in hominis usum ; dicitur enim sai, 
LX : « Non erit tibi ampliüs sol ad lucendum 
per diem, nec splendor lung illuminabit te ; » 
et Apocal., XX] : « Civitas illa non eget sole 
Beque luná, ut luceant in ea. » Ergo eorum 
claritas non augebitur. 


inaxima instrumenta faceret ad aliquod modicum 
artificium construendum. Sed homo est quod- 
dam minimum comparatione cælestium corpo- 
rum, que suá ingenti magnitudine quasi incom- 
parabiliter hominis quantitatem excedunt; imó 
etiam « totius terre quantitas se babet ad cœ- 
lum ut punctus ad sphaeram, » sicut astrologi 
dicunt. Cüm ergo Deus sit sapientissimus, non 
videtur quód finis creationis cceli sit homo, el 
ita non videtur quód eo peccante, clum de» 
terioratum sit, nec eo glorificato melioretur. 
Sed contra est, quod dicitur /saf., XXX : 
« Erit lux lurz sicut lux solis, ei lux soils 


septempliciter. » 


1292 SUPPLÉMENT, QUESTION XCI, ARTICLE 3. 


Le monde tout entier sera élevé à un état plus parfait , comme il a été 
dit dans le premier article. Or le ciel est la plus noble partie du monde 
corporel. Donc lui aussi sera élevé à un état plus parfait. Mais cela ne 
peut être qu'autant qu'il resplendira d'une plus grande clarté. Donc il 
sera renouvelé, et il le sera par un accroissement de lumiére. 

L'Apótre saint Paul dit, Rom., VIII, 18 : « Toute créature gémit et 
souffre les douleurs de l'enfantement, en attendant que soit manifestée 
la gloire des enfants de Dieu. » Or ceci s'applique aux corps célestes, comme 
Je remarque au méme endroit la Glose déjà citée. Ils attendent donc eux 
aussi la gloire des saints. Mais ils ne l'attendroient pas s'il ne devoit en 
résulter un perfectionnement pour eux. Donc leur clarté en sera augmen- 
tée, puisque c'est là leur beauté principale. 

(Conczusion. — Les corps célestes recevront une plus grande clarté 
dans la rénovation du monde, afin que l'homme puisse en quelque sorte . 
voir Dieu par les sens. ) 

La rénovation du monde aura pour but de rendre en quelque sorte Dieu 
accessible aux sens de l'homme par l'éclat et la beauté de cette création 
nouvelle. La principale mission de la créature est de conduire l'homme à 
la connoissance de Dieu, en lui manifestant par l'ordre et la magnificence 
qu'elle déploie à ses regards, la sagesse de celui qui l'a faite et la gou- 
verne. C'est ce qui est dit, Sap., XIII, 5 : «Par l'éclatante beauté de ce 
spectacle, on peut voir avec les yeux de l'intelligence le Créateur de toutes 
ces choses. » Or la beauté des corps célestes consiste principalement dans 
la lumière, d’après cette parole, Ecclí., XLIII, 10 : «La beauté du 
ciel, c'est l'éclat des étoiles; ainsi le Seigneur illumine le monde de ces 
sublimes hauteurs. » C'est donc principalement dans leur clarté que les 
corps célestes seront perfectionnés. Mais quant au mode et à l'étendue de 
de Dieu. Et cela est vrai, bien que ces maghifiques organes de la lumiére soit regardés comme 


des êtres insensibles. » Conviction, du reste, que le grand Docteur est loin de repousser, comme 
on pourroit le voir dans la suite de ce méme passage. 





Preterea, totus mundus innovabitur in me- 
Hus, ut dictum est (art. 1). Sed celum est no- 
bilior pars mundi corporalis. Ergo in melius 
mutabitur. Sed hoc non potest esse nisi majori 
claritate resplendeat. Ergo majorabitur et cres- 
cet ejus claritas. 

' Preterea, « omnis creatura quæ ingemiscit 
, $ parturit, expectat revelationem glorie tilio- 
vnm Dei,» ut dicitur Rom., VIII. Sed corpora 
cœlestis sunt hujusmodi, ut ibidein dicit Glossa 
(jam superius indicata). Expectant ergo glo- 
Tham sanctorum. Sed non expectarent nisi 
ex hoc eis aliquid accresceret. Ergo claritas 
cs per hoc accrescet, qua præcipuè decoran- 


(Cuxczusio. — Corpora colestia majorem 


claritatem accipient in illa inpovatione, ub quasi 
sensibiliter Deus ab homine videatur.) 
Respondeo dicendum, quèd ad hoc innovatio 
mundi ordinatur, ut etiam mundo innovato ma- 
nifestis indiciis quasi sensibiliter Deus ab homine 
videatur. Creatura autem præcipuè in Dei co- 
gnitionem ducit suá specie et decore, que ma- 
nifestant sapientiam facientis et gubernantis. 
Unde dicitar Sap., XIII: « À magnitudine spe- 
ciei coguoscibiliter poterit creator horum videri.» 
Pulchritudo autem cœlestinm corporum præci- 
pué consistit in luce. Uude Eccies., XLIII, 
dicitur: « Species cceli gloria stellarum, mun- 
dum illuminans in excelsis Dominus. » Et ideo 
præcipuë quantum ad claritatem corp»ra cœ- 
lestia meliorabuntur. Quantitas autem ut et 


BE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 423 


ce perfectionnement, celui-là seul les conmoît qui doit en être l'auteur. 

Je réponds aux arguments : 1* Ce feu purificateur ne donnera pas évi- 
demment au monde la forme nouvelle qu’il doit revêtir; il 'y disposera 
seulement, en le purifiant de la souillure du péché et de tout mélange 
Impur, ce qui ne sauroit se trouver dans les corps célestes. Bien donc que 
ces corps ne doivent pas être purifiés par le feu, ils ne devront pas moins 
étre renouvelés par Dieu. 

2 Considéré en lui-même, le mouvement ne donne aucuneperfection à 
l'objet qui se meut, puisque le mouvement est l'acte d'un être imparfait; 
il peut seulement concourir à procurer une perfection en tant qu'il peut 
être la cause d’un bien. Mais la lumière perfectionne les corps lumineux 
dans leur substance méme. Quand donc le corps céleste cessera d'étre une 
cause de génération, son mouvement aura disparu, mais non sa lumière. 

3e Sur cette parole d’Isaïe : « La lumière de la lune sera comme la lu- 
miére du soleil, » la Glose dit : « Toutes les choses qui avoient été faites 
pour l’homme, ont subi une détérioration dans sa chute, le soleil et la 
lune ont perdu de leur clarté. » Ce que plusieurs entendent d’une manière 
littérale et réelle ; et ce sentiment n’est pas précisément ébranlé par la 
raison que les corps célestes sont invariables de leur nature, la variation 
qu'ils auroient alors subie provenant directement de la puissance divine. 
D'autres néanmoins nous paroissent mieux interpréter cette parole; 
d'aprés eux, cet amoindrissement ne seroit pas une déperdition réelle 
de lumière, mais une soustraction faite à l’homme, qui aprés le péché 
n'a pu retirer de la lumière des corps célestes, les mêmes avantages qu'au- 
paravant. C'est dans le même sens qu'il est dit, Genes., NI, 17 : « La terre 
sera maudite dans votre travail, elle poussera des ronces et des épines. » 
Ce qui ne veut pas dire que la terre n'en produisit antérieurement , seule- 
ment elle n'en produisoit pas pour le chátiment de l'homme. Alors méme 











modus meliorationis illi soli cogpita est qui erit 
meliorationis auctor. : 

Ad primum ergo dicendum, quèd ignis pur- 
g»ns non causabit innovationis formam, sed 
disponet tautüm ad eam , purgando à fœditate 
peccati et ab impuritate commixtionis, quæ in 
corporibus celestibus non invenitur. Kt ideo, 
quamvis corpora cœlestia per ignem non sint 
purganda , sunt tamen divinitüs innovanda. 

Ad secundum dicendum, quàd motus non im- 
portataliquam perfectionem in eo quod movetur, 
secundüm quod in se consideralur, cüm sit ac- 
(us imperfecti ; quamvis possit pertinere ad 
perfectionem corporis in quantum est causa ali- 
enjus. Sed lux perlinet ad perfectionem corpo- 
ris lucentis, etiam in substantia sua considerati. 
Et ideo, postquam corpus celeste desinet esse 
cause generationis, non remanebit motus, sed 
zemanebit claritas ejus. 


Ad tertium dicendum, quód seper illud Jaai., 
XXX : « Erit lux luaæ sicot lux solis , » dicit 
Glossa : « Omnia propter hominem facta, sunt 
in ejus lapeu pejorata, et so! et luna suo lumine 
minorati. » Qui quidem minoratio à quibus- 
dam intelligitur secundèm realem minorationem 
luminis. Nec obstat qudd eorpora coelestia se- 
cundüm naturam sunt invarigbilia, quia illa va- 
riatio facta est à divina virtute. Alii verd pre- 
babiliàs intelligunt, minorationem illam esse 
dicenles , non secundüm realem luminis defec- 
tum, sed quoad usum bominis, qui non tantam 
bene&cium ex lumine corporum cœlestium post 
peccatum consecutus est, quantum ante fuis- 
86; per quem eliam modem dicitar Genes., 
III : « Maledicta terra in opere tuo, spinas et 
tribulos germinabit tibi; » quæ tamen eliam 
ante spinas et tribulos germinasset, sed non in 
hominis pœuam. Nec tamen sequitur, si lux 


1925 . SUPPLÉMENT, QUESTION XCt, ARTICLE 3. 


qu'on accorderoit d'ailleurs que la lumiére des corps célestes n'a pas été 
essentiellement amoindrie dans la chute de l'homme, il ne s'ensuit pas 
qu'elle ne doive être réellement augmentée quand l'homme sera elevé à 
l'état de gloire. Le péché de l'homme , en effet, n'a pas changé l'état de 
la création universelle ; avant comme aprés le péché l'homme possédoit 
une vie animale, laquelle a besoin pour se maintenir des transformations 
produites par le mouvement des corps célestes. Mais la glorification de 
l'homme entraîne le changement de toute la création corporelle, comme 
nous l'avons dit, Quast. LXXVI, art. 7.. La parité entre les deux cas ne 
sauroit donc étre établie. 

4* Cet amoindrissement, selon l'opinion la plus probable, n'est pas 
tombé sur la substance, mais uniquement snr les effets. Il ne suit donc 
pas de notre thése que la lune étant sur l'horizon auroit ramené le jour 
sur la terre, mais seulement que l'homme auroit alors retiré de la lu- 
miére de la lune d'aussi grands avantages qu'il retire maintenant de la 
lumière du soleil. Aprés la résurrection, quand la lumière de la lune aura 
été augmentée dans sa substance même, il n'y aura plus de nuit nulle 
part sur la terre; la nuit n'existera qu'au centre de la terre, où l'enfer 
sera situé. Alors sera réalisée la parole du Prophète, la lune brillera . 
comme brille maintenant le soleil, et le soleil aura acquis une lumière 
sept fois plus grande. Les corps des bienheureux brilleront sept fois plus 
que le soleil lui-même, bien que ceci ne soit établi par aucune preuve de 
raison ou d'autorité. 

9v Une chose peut servir à l'usage de l'homme de deux manières : d'a- 
bord, pour subvenir à une nécessité; et de la sorte aucune créature ne 
servira plus à l'usage de l’homme , puisqu'il tiendra de Dieu méme la 
pleine satisfaction de ses désirs. C'est là ce que signifie le livre de l'Apo- 
calypse dans le texte objecté : « Cette cité n'a besoin ni du soleil ni de la 





cœlestium corporum per essentiam minorata 


lumine solis. Sed post resurrectionem, quando 
non est in homine peccante, quód realiter non 


lux lung augebitur secundüm rei veritatem, 


sit augenda in ejus glorificatione. Quia pecca- 
tum hominis non immutavit statum universi , 
cüm eliam homo priüs sicut et post, animalem 
vitam habuerit, quz motu et generatione cor- 
poralis creature indiget. Sed glorificatio ho- 
minis statum totius corporalis creature immu- 
tabit , ut dictum est (qu. 76, art. 7). Et ideo 
non est simile. 

Ad quartum dicendum, quód minoratio illa, 
wt probabiliàs æstimatur, non fuit secundüm 
substantiam, sed secundüm effectum. Unde non 
sequitur quód luna existens super terram, diem 
fecisset, sed quód tantum commodum ex lumine 
lung homo tunc habuisset, sicut nunc habet ex 


non erit alicubi nox super terram, sed solüm in 
centyo terre , ubi erit infernus. Quia tunc, ut 
dicitur, luna lucebit quantum lucet punc sol, 
sol autem , in septuplum plus quàm modo lu- 
ceat. Corpora autem bealorum, septies magis 
sole, quamvis hoc non sit aliquá auctoritate vel 
ratione probatum (1). 

Ad quintum dicendum , quàd aliquid potest 
cedere in usum hominis dupliciter : Uno modo, 
propter necessitatem ; et sic nulla creature ce- 
det in usum hominis, quia ex Deo plenam suf- 
ficientiam habebit. Et hoc significatur 4pocal., 
XXI , in auctoritate inducta, qua dicitquód « ci- 
vitas illa non eget sole neque lund. » Alius usus 


(1) Nempe de corporibus beatorum quód sic luceant, cüm potiès ex verbis Christi babeatur 
Matth., X11, quód fulgobunt sícut sol, nec tale incrementum addatur ; etsi Chrysostomus 


DE L'ÉTAT DU MONDE ‘APRÈS LE JUGEMENT. 125 


lune. » En second lieu, une chose peut servir pour donner à l'homme uno 
nouvelle perfection ; et c'est ainsi que l'homme usera alors des créatures, 
mais non toutefois comme de. moyens nécessaires pour arriver à sa fin, 
ainsi qu'il est obligé d'en user dans les conditions de la vie présente. 

6° Ce raisonnement est de Rabbi Moïse, qui s'efforce de démontrer ainsi 
que le monde n'a nullement été fait pour l'homme. D'aprés lui, ce qui 
est dit dans l'Ancien Testament, comme dans le texte cité d'Isaie, tou- 
chant la rénovation du monde, ne doit étre entendu que d'une maniére 
niétaphorique ; de telle sorte que comme on voit fréquemment dans l'E- 
criture cette locution : le soleil s'est obscurci pour tel homme, voulant 
dire par là que cet homme est tombé dans une profonde tristesse, au point 
de ne plus savoir ce qu'il fait; de méme quand il est dit que le soleil brille 
d'un plus vif éclat, que le monde entier sera renouvelé, cela veut dire 
seulement que l'homme doit sortir de son état de tristesse pour entrer 
dans une grande joie. Mais cette interprétation est également contraire et 
au texte lui-méme et à la maniére dont l'expliquent tous les saints Doc- 
teurs. Voici donc comme il faut répondre à l'argument proposé : il est 
vrai que les corps célestes dépassent incomparablement le corps humain; 
mais il ne l'est pas moins que l'ame raisonnable l'emporte beaucoup plus 
encore sur les corps célestes. Il ne répugne donc en aucune facon que les 
corps célestes ont été faits pour l'homme; ce qu'on ne doit pas entendre 
comme s’il en étoit la principale fin, puisque la fin principale de toutes | 
choses, c'est Dieu (1). 

(1) « Dieu a tout fait pour lui-même , » est -1l dit dans nos Livres saints. Et cette vérité 
que la foi nous enseigne, est pleinement acceptée par la saine philosophie et peut facilement 
être démontrée par la raison d'une manière évidente. Mais en se proposant sa propre gloire 
pour but, dans chacune de ses œuvres, comme cela devoit être de toute nécessité, Dieu se 
propose aussi le bien de l'homme. Ce sont là deux choses qu'il ne faut Jamais sóparer, sous 
peine de ne voir dans l'univers qu'un ténébreux mystére , une énigme insoluble. Ilfaut rappeler 


ici le principe posé au commencement du corps de l'article, parce qu'il renferme clairement 
cette double pensée. En revétant la création matérielle, le monde tout entier, d'une splendeur 





est ad majorem perfectionem; et sic homo aliis 
creaturis utetur, non tamen quasi necessariis 
ad perveniendum in finem, sicut punc eis utitur. 

Ad sertum dicendum, quód ratio illa est 
Rabbi Moysi, qui omnino improbare nititur 
mundum propter hominem esse factum. Unde 
hoc quod in veteri Testamento de innovatione 
mundi legitur, sicut patet inauctoritatibus Isaiæ 
inductis, dicit esse metaphoricà dictum ; ut, 
sicut alicui dicitur obtenebrari sol, quando in 
magnam trist.tiam incidit, ut nesciat quid fa- 
ciat (qui eliam modus loquendi consuetus est 
in Scriptura ), ita etiam è converso dicatur ei 


sol magis lucere, et totus mundus innovari, 
quando ex stata tristitiæ in maximam exulta- 
tionem convertitur, Sed hoc dissonat ab aucto- 
ritatibus et expositionibus sanctorum. Unde 
rationi illi inducta hoc modo respondendum 
est, quód quamvis corpora celestia maximé 
excedant corpus humanum , tamen multó plus 
excedit anima rationalis corpora celestia, quàm 
ipsa excedant corpus humanum. Unde non est 
inconveniens si corpora cœlestia propter homi- 
nem facta e se dicantur; non tamen sicul pron- 
ter principalem finem, quia principalis fiuf 
omnium est Deus. 


in eum locum, Homil. XLVIII : Non quia tantàm solis instar fulgebunt (inquit ) , sed quía 
mihil manifesiius aut lucidius slo astro novimus, exemple nobis nota proponit; quasi 
justes )ucem solarem excessuros his ipsis verbis insinuet. 


126 SUPPLÉMENT, QUESTION XCI, ARTICLE b. 


ARTICLE IV. 
Les éléments seront-ils renouvelés en vevétant une certaine clarti? 


Il paroit que les éléments ne seront pas renouvelés en revétant une 
clarté qu'ils ne possèdent pas maintenant. 1° De même que la qualité 
propre des corps célestes est d'étre lumineux, de méme les qualités dis- 
tinctives des éléments inférieurs sont d’être froids ou chauds, humides 
ou secs. Du moment donc où le ciel doit être renouvelé par un accroisse- 
ment de lumière, il faut que les élements le soient par un semblable ac- 
croissement de leurs qualités actives ou passives. 

9° La densité et la rareté sont des propriétés que les éléments ne per- 
dront pas dans cette rénovation du monde. Or cette double propriété né 
paroit pas comporter la lumière ; car un corps lumineux doit être un corps 
condensé. Ainsi, l'air est trop rare pour pouvoir devenir lumineux, et la 
terre trop dense, ce qui fait qu'elle ne livreroit pas passage aux rayons 
lumineux. [l ne se peut donc pas que les éléments soient renouvelés en 
acquérant une certaine clarté. 

Il est constant que les damnés seront dans le sein de la terre. Or ils 
doivent étre plongés dans les ténébres, non-seulement intérieures, mais 
encore extérieures. Donc la terre n'aura pas été rendue lumineuse dans 
la rénovation du monde, ni, pour la méme raison, le reste des élé- 
- ments. 

&° Quand la clarté des élements augmente, leur chaleur augmente dans 
la méme proportion. Si donc la clarté des élements doit alors étre plus 
grande qu'elle ne l'est dans l'état actuel des choses, leur chaleur sera plus 
et d'une beauté nouvelles , Dieu, qui manifestera son essence à l'intellect humain, veut se 
rendre en quelque sorte accessible à nos sens dans le spectacle méme de son œuvre agran- 
die et perfectionnée. Nous verrons bieu, plus loin , qu'il ne faudroit pas prendre cette pro- 


position au pied de la lettre ; mais nous verrons aussi dans quel sens il faut l'interpcéter, pour 
en comprendre la liaíson avec la tbése actuelle. 





ARTICULUS IV. elementorum resistere videntur claritati, cüm 

| corpus clarum oporteat esse condensatum. Unde 

Utrüm elementa innovabuntar perveceptonem | p, ritzs aeris non videtur quód possit claritatem 
. alicujus elaritatis. 


Ad quartum sic proceditur. Videtur quàd ele- 
menta non innovabuntur per receptionem ali- 
cujus claritatis. Sicut enim lux est qualitas cor- 
poris cœlestis prepria, ita calidum et frigi- 
dum, humidum et siccum , sunt pr prie 
qualitates elementorum. E:go, sicut colum 
innovatur per auginentum claritatis, ita debent 
nnovari elementa per augmentum qualitatum 
activarum et passivarum. 

2. Preterea, rarum et densum sunt quali- 
tates elementorum quas elementa in illa uino 


pati ; et similiter etiam nec den:itas terre, qua 
pervietatem tollit, Ergo non potest esse quód 
clementa innoventur per alicujus claritatis ad- : 
ditionem. 

8. Preterea , constat quód damnati erunt in 
terra. Sed ipsi erunt in tenebris uon s:lùm in- . 
teriorihus, sed etiam exterioribus. Ergo terra 
non dotabitur claritate in illa innovatione , ef 
eadem ratione nec alia elementa. 

&. Preterea, multiplicatio claritatis in ele- 
menlis mullplicaé calorem, Si igitur in illa 
innovalioge erit major clardas elementorua 


vatione non amiltent. Sed rarilas et deogaas ) quàm none. sib, erit etiam per consequens ma- 


e 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÉS LE JUGEMENT. 127 


grande aussi. D'oà il suit qu'ils seront essentiellement modifiés dans leurs 
qualités naturelles, qui sont en eux dans une certaine mesure; et c'est ce 
qu'il est absurde de supposer. 

6° Le bien de l'univers qui consiste dans l'ordre et l'harmonie des par 

ties est supérieur à celui de telle nature particuliére. Si donc une créa- 
ture est rendue meilleure ou plus parfaite, le bien du tout se trouve al- 
téré, puisque la méme harmonie n'existe plus. Par conséquent , si les 
corps élémentaires, qui, d'aprés la condition de leur nature et le rang 
qu'ils occupent dans l’ensemble des êtres, ne doivent pas posséder la 
clarté, sont néanmoins appelés à la posséder un jour, il en résultera une 
détérioration, plutôt qu'une amélioration, dans l'ensemble de l’uni- 
vers. 
. Maisle contrairese déduit de cette parole du Prophétede Pathmos, Apoc., 
XXI, 1 : a J'ai vu un nouveau ciel et une terre nouvelle (1). » Le ciel, en 
effet, sera renouvelé par un accroissement de clarté. Donc la terre devra 
l'étre de la méme maniére, aussi bien que le reste des éléments. 

Les corps inférieurs ont pour destination de servir à l'homme, tout 
comme les corpe supérieurs. Or la création corporelle doit étre récompen- 
sée de son ministére à l'égard de l'homme, comme l'insinue la Glose sur 
le chapitre huit de l'Epitre aux Romains. Donc les éléments devront aussi 
recevoir une certaine clarté, à l'exemple des corps célestes. 

Le corps de l'homme se compose des divers éléments. Les parties élé- 
mentaires qui se trouvent donc dans le corps de l'homme devront étre 
rendues lumineuses quand celui-ci sera glorifié. Or ce qui a lieu pour les 

1) Le prince des Apótres annonce lo méme événement avec des expressions identiques, 
II. Peir., 111, 13 : « Nous attendons, selon les promesses du Seigneur, de nouveaux cieux 
et une terre nouvelle, où la justice doit habiter. » Et voici la leçon pratique qu'il en déduit: 
« Ainsi donc, mes trés chers , dans cette attente , faites tous vos efforts pour quele souverain 
juge vous trouve sans corruption et sans tache, dans le calme et la paix. » Puis il ajoute : 
a Le jour du Seigneur viendra comme un voleur. » Et nous avons vu dans un précédent ar- 
ticle pour quels motifs ce grand jour nous demeure inconnu. De semblables reflexions géné- 


reusement appliquées à notre conduile, sont incoatestablement le meilleur fruit que nous puis- 
sions tirer de toute cette doctrine. 





jor caliditas ; et sic videtur quód transmutabun-| — Sed contra est, quod dicitur Apocal., XXI : 
tur à suis naturalibus qualitatibus, quæ insunt | e Vidi celum novam et terram novam. » Sed 
eis secundèm certam mensuram ; quod est ab- | celum innovibitur per majorem claritatem, 

eurdum. Ergo et terra, et similiter alia elementa, 

5. Preterea, bouum universi, quod consistit | — Preterea, corpora in'e:iora sunt in usum ho- 
in ordine et harmonia partium, dignius est | minis, sicut et superiora. Sed creatura. orpo- 
quàm boaurb alicejus nature singularis. Sed si | ralis remunerabitur propter ministerium quod 
una creatura e!füciatur melior, tollitur bonum | homimi exhibuit, ut videtar dicere Glos:&, 
universi , quia Don remanebit eadem harmonia. | Rom., VIII. Ergo etiam elementa clarificabun- 
Ergo , si corpora elementaria , qum secundüm | tur sicut corpora celestia. 
gradum sus ualuræ, quem tenent in universo, | — Praterea , corpus hominis est ex elementis 
claritatis debent esse expertia, claritatem acci- compositam. Eryo partes elementorum , qua 
piant, magis ex hoc deperibit perfectio upiversi| sunt in corpore hominis, glorificato homine 
quàm accrescet, gloriticabuntur per susceptionem claritatis. Sed 


128 SUPPLÉMENT, QUESTION XCT, ARTICLE 4. 


diverses parties, doit également avoir lieu pour le tout. Par conséquent, 
les éléments eux-mémes devront également étre doués de clarté. 

(CoxcLusitoN. — Comme il est nécessaire que les corps inférieurs soient 
surtout perfectionnés en clarté, puisque c'est là ce qui les mettra en rap- 
port avec les corps célestes, il faut aussi que les éléments revétent une 
certaine clarté, mais non dans la méme mesure. ) . 

De méme qu'il existe certains rapports entre les esprits célestes et les 
esprits attachés à la terre, c'est-à-dire les ames humaines, il y a également 
certaines relations entre les corps célestes et les corps terrestres. Or, la créa- 
ture corporelle ayant été faite pour la créature spirituelle et devant étre 
régie par elle, il faut que l'ordre des corps entre eux présente une certaine 
analogie avec celui des esprits. Mais, dans cette supréme consommation 
des choses, les esprits inférieurs recevront les propriétés des esprits supé- 
rieurs, puisque «les hommes seront comme les anges dans le ciel, » Matth., 
XXII, 30; ce qui aura lieu par l'élévation à sa derniére puissance de ce que 
l'esprit humain a de commun avec l'esprit angélique (1). Pareillement donc, 
les corps inférieurs n'ayant de commun avec les corps célestes que la luci- 
dité et la transparence, comme il est dit, De anima, IL, 66, il faut que les 
corps inférieurs soient surtout perfectionnés par l'acquisition de la’ clarté. 
Tous les éléments donc revétiront une certaine lumière, non la méme ab- 
$olument, mais selon le mode actuel de leur être : ainsi, la terre sera 
transparente à sa surface comme le verre; l'eau, comme le cristal; l'air, 
comme le ciel; le feu , comme les luminaires qui brillent dans le firma- 
ment. 

Je réponds aux arguments : 1* La rénovation du monde aura pour but, 


(1) Ce qu'il y a de plus éminent dans l'homme, comme nous l'avons souvent dit, à la suite 
d’Aristote et de saint Thomas, ce que l'homme a de commun avec la nature angélique, c’est 


————MÓMÓ Án À—— UI I € ÍÓ— 


eamdem convenit esse dispositionem totius et ; 
partis. Ergo et ipsa elementa convenit claritate 
dotari. 

(Conczusio. — Cüm oporteat corpora infe- 
riora maximé perfici secundüm claritatem, in 
qua communicabunt cum celestibus corporibus, 
elementa induentur claritate quadam , non ta- 
men equaliter, ) 

Respondeo dicendum, quód sicut est ordo 
celestium spirituum ad spiritas terrenos ( sci- 
licet humanos), ita -etiam est ordo celestium 
corporum ad corpora terrestria. Cüm ergo crea- 
tura corporalis sit facta propter spiritualem, et 
per-eam regatur, oporlet similiter disponi cor- 
poralia, sicut spiritualia disponuntur. In illa 
autem ulüma rerum consummatione spiritus 
inferiores accipient proprietates superiorum 


spirituum , quis « homines erunt sicut angeli 
in ccelo, » sicut dicitur MattA., XXII (1); et 
hoc eri in quantum ad maximam perfectionem 
perveniet id secundüm quod bumanus spiritus 
cum angelico convenit. Unde ctiam similiter, 
cüm corpora inferiora cum celestibus nou com- 
municent nisi in natura lucis et diaphani , ut 
dicitur in Il. De anima (text. 66) , oportet 
corpora inferiora maximé perfici secundü:n cla- 
ritatem. Unde omnia elementa daritate qua- 
dam vestientur, non tamen &qualiter, sed se- 
cundüm suum modum. Terra enini (ut dicitur) 
erit superficie exter.ori pervia, sicut vitrum, 
aqua sicut cristallus, aer ut celum, ignis ut 
luminaria cœli. | 

Ad primum ergo dicendum , quód sicut dic- 
tum est (art. 4), innovatio mundi ordinatur ad - 


(1) Aliá tamen occasione quàm híc, ut indicetur quód beati nec nubent nec *ubentur, seu 
non ducent «cores, elc., licét ad omnem statum beatorum analogicé potest applicari. 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÉS LE JUGEMENT. 199 


comme nous l'avons déjà dit, art. 1, de montrer en quelque sorte aux 
sens même de l'homme la divine beauté, manifestée dans le monde des 
corps en lumineux caractères. Or, parmi nos sens, le plus subtil, le plus 
spirituel même, c’est la vue. C'est donc dans les qualités qui ressortent de 
la vue et dont la lumière est le principe, que les corps de ce monde infé- 
rieur doivent surtout être perfectionnés. Quant aux qualités élémentaires, 
elles ressortent du tact, le plus matériel dessens ; et leur action surabon- 
dante sur les organes est plutót une cause de douleur que de plaisir, tan- 
dis que la surabondance de la lumiére ne pourra que nous causer une 
impression agréable ; elle ne pourroit en produire une opposée qu'à raison 
de la foiblesse de l'organe, et nous avons vu qu'il n'existera plus alors 
aucune foiblesse de ce genre. 

2» La clarté de l'air ne sera pas telle qu'il émette des rayons; ce sera là 
simplement un corps diaphane illuminé. Pour la terre , bien qu'elle soit 
de sa nature un corps opaque et privé de lumière, elle sera revétue à sa 
surface d'une glorieuse clarté, sans rien perdre néanmoins de sa densité 
naturelle; et cela, par un effet spécial de la puissance divine. 

3e Dans les régions où se trouve l'enfer, la terre ne recevra pas la glo- 
rification de la lumière ; à la place de cette gloire, cette portion de la 
terre possédera des substances intellectuelles , des ames humaines et les 
anges déchus, et ces divers esprits, quoique affoiblis par leur chute, de- 
Ineurent néanmoins par la dignité de leur nature supérieurs à toutes les 
propriétés corporelles. On pourroit dire aussi que, la terre tout entière 
étant glorifiée, les réprouvés n'en sont pas moins plongés dans les ténè- 
bres extérieures, par la raison que le feu de l'enfer, qui les éclaire à cer- 
tains égards , les laisse généralement ensevelis dans une profonde obscu- 
rité, comme nous aurons à le voir dans la suite. 


" l'intelleet; et l'intellect humain sera élevé à sa plus haute puissance, ou bien, en d'autres 
termes, aura son complet développement, quand il verra Dieu face à face. 





hoc quód homo etiam sensu, in corporibus 


tura sua opacitatem habeat propter defectum 
quodammodo, per manifesta indicia divinitatem 


lucis , tamen ex divina virtute in sul superficie 


videat, Inter sensus autem nostros spiritualior 
est visus et subtilior. Et ideo quantum ad qua- 
litates visivas, quarum principium est lox, 
Oportet omnia corpora inferiora inaximé melio- 
rari. Qualitates autem elementarés pertinent ad 
tactum , qui est materialis, et earum excessus 
contrarietatis magis est contristativus quàm 
deleciativus ; excessus autem lucis erit delecta- 
bilis, cùm contrarietatem non habeat, nisi prop- 
ter organi debilitatem, que tanc non erit. 

Ad secundum dicen:um , qudd aer non erit 
clarus, sicut radios projiciens, sed sicut diapha- 
num illuminatum. Terra veró , quamvis ex na- 


gloriâ claritatis vestietur, sine præjudicio den- 
sitatis ipsius. 

Ad tertium dicendum , quàd in loco inferni 
non erit terra glorificata per claritatem; sed 
loco hujus glorie habebit pars illa terra spiri- 
tus rationales (4) hominum et demonum ; qui, 
quamvis ratione culpe sint infirmi, tamen ex 
dignitate naturæ sunt qualibet qualitate corpo- 
ralisuperiores. Vel dicendum quód etiamsi sittota 
terra glorificata, nihilominus reprobi in tenebris 
exterioribus erunt, quia etiam ignis inferni, qui 
quantum ad aliquid eis lucebit, quantum ad 
aliud ejs lucere non poterit, ut infrà dicetur. 


(1) Largé sumendo nomen ralionalis, ut simpliciter éntellectivum significat, non stricté 
ac proprió ut significat discursivum, sic enim non coavenit angelis, adeoque nec dæmonibus, 


AVI 


430 SUPPLÉMENT, QUESTION CXI, ARTICLE S. . 


b* La clarté existera dans les corps du monde inférieur comme elle 
existe maintenant dans les corps célestes, sur lesquels elle ne produit pas 
la chaleur; les premiers seront alors inaltérables oomme le sont déjà les 
seconds. 

5° Le perfectionnement des éléments ne portera nullement atteinte à 
l'ordre de l'univers; les autres parties seront également améliorées ; et 
dés-lors subsistera la même harmonie (1). 


ARTICLE V. 
Les plantes et les animaux subsisteront-ils dans le monde renouvelé? 


I1 paroit que les plantes et les animaux subsisteront dans le monde re- 
nouvelé. 4° La pensée ne doit rien retrancher aux éléments de ce qui 
concourt à former leur beauté. Or on dit avec raison que les animaux e£ 
les plantes font la beauté des éléments. Donc ils ne seront pas retranchés 
du monde renouvelé. 

2 Les animaux et les plantes, les minéraux eux-mémes ont servi à 
l'homme, aussi bien que les éléments. Or c'est pour avoir rempli un tel 
ministère que les éléments seront glorifiés. Donc les animaux et les plan- 
tes, et les minéraux eux-mémes seront glorifiés au méme titre. 

3 L'univers demeurera imparfait s'il lui est retranché quelque chose 
de ce qui fait sa perfection. Or la beauté des animaux, des plantes et des 
minéraux concourt admirablement à la perfection del'univers. Le monde 

(1) Parmi tant d'bypotbéses émises, et dent la ples hardie, je ne dirai pes la plus hasar- 
deuse, est peut-être celle qui va faire l'objet de l'article suivant, il reste de toute cette dis- 
eussion une chose parfaitement établie, et qu'il importe, aujourd’hui surtout, de bien mettre 
en lumière. C'est que, selon l'enseignement le plus élevé de la théologie, la ffo du monde 
n'en sera pas la destruction, comme on $e l'imagipe d'ordinaire , mais hies Le perfectioano- 
ment définitif, c'est-à-dire, pour employer un mot familier à la langue philosophique de notre 
temps, l'évolution suprême. L'anéantissement d'ua être ne réclame pes uno moindre puissance, 
avons-nous dit ailleurs, que sa création même ; l’anéamtissement de tous les êtres équivandroit 


dès - lors à la création de l'univers. Mais rien de semblable n'aura lieu quand les destinées 
actuelles du monde seront achevées ; le monde ne cessera pas d’être, il se transformera seu- 





Ad quartum diceadum , quód claritas illa erit 
in istis corporibus, sicut est in corporibus cc- 
ls'ibgs, in quibus caliditatem non causat; quia 
corpora ista tuac inalterabilia erunt, sicnt modó 
unt cœle:tia. 

Ad quintum dieendum, quód oou tolleter 
propter ineliorationem elementorum, ordo uni- 
versi ; quiu etiam omaes alie partes meliora- 
huntur, et sic remanebit eadem harmonia. 


ARTICULUS V. 
Utrim planta et animalia remanebunt in illa 
| tnnovatione. 
Ad quintum sic proceditur. Videtur quid 
. plante et animalia remanebunt in illa inova- 


Y 


tione. Elementisenim non debet aliquid sabtrahi 
quod ad eorum ormatum pertineat. Sed anima» 
libus et plantis elementa ornari dicuntar. Ergo 
non auferentur in illa innovatione. 

8. Præteree , sicut elementa homini servier 
runt, ita etiam animalia et plante, et cor. 
pora mineralia. Sed elementa propter predic- 
tum ministerium glerificabuntur. Ergo similiter 
et animalia et planta, et eorpora minerskia glo- 
rificabuatur. 

8. Preterea, universum remanebit imper- 
fectum, si aliquid quod est de ejus perfectione 
auferatur. Sed species animalium e$ plantarum 
et corporum mineralium , sunt de perfectione 
universi. Cüm ergo non debeat dici quod mue 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÈS LE JUGEMENT. 131 


ne devant donc pas demeurer imparfait, au moment justement où il sera 
renouvelé, il faut admettre qu’il conservera les plantes et les animaux. 
h* Les animaux et les plantes ont une forme bien supérieure à celle des 
éléments. Or le monde, dans cette rénovation finale, sera précisément 
élevé à un état plus parfait. Done les animaux et les plantes doivent y 


, rester, à plus forte raison encore que les éléments. 


& Il répugne de dire qu'un appétit réellement fondé sur la nature soit 
frustré de son objet. Or les animaux et les plantes, par l’inclination 
méme de leur nature, appétfent de se perpétuer, sinon dans l'individu, 
du moins dans l'espéce ; c’est ce qw* résulte clairement des études faites 
sur ce sujet par Aristote. Doneff £: jugne de dire que ces espèces doivent 
un jour étre détruites. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. 8i les plantes et les animaux doi- 
vent subsister, est-ce tous, est-ce quelques-uns ? Si tous doivent subsister, 
il faudra que les animaux morts antérieurement ressuscitent, tout comme 
les hommes. Or, c'est ce qu'il est impossible de supposer; car, la forme 
de ces étres étant retombée dans le néant, il est de toute impossibilité 
qu'elle reparoisse numériquement la méme. Si tous les animaux ne doi- 
vent pas subsister, mais quelques-uns seulement, voici ce qu'on peut dire : 
comme il n'y a pas de raison pour que l'un subsiste à jamais, de préfé- 
rence à l'autre, il paroit qu'aucun d'eux ne pourroit subsister de la sorte. 
Or tout ce qui subsistera après la rénovation du monde, devra subsister 
à jamais, puisque la génération et la corruption auront alors pris fin. 

D’après le Philosophe, De Generat., 11, 55, dans les animaux et les 
plantes , comme dans tous les autres étres sujets à la corruption, l'espéce 
ne se conserve que par le mouvement continu du ciel. Or ce mouvement 
doit alors cesser. Donc l'espéce de ces sortes d'étres disparoitra aussi. 


lement sous la main toute puissante et selon les desseins éternels de la sagesse Infinie. Voilà 
ce que nous apprend la théologie catholique. 





dus in sua innovatione imperfectus remaneat , 
widetur quód oporteat dicere plantas et anima- 
dia remanere. 

6. Preterea , animalia et plants habent no- 
biliorem formam quàm ipsa elementa. Sed mun- 
des in illa finali innovatione in melius immu- 
tabitur. Ergo magis debent remanere animalia 
et plantæ quàm elementa, cüm sint nobiliora. 

8. Preterea, inconveniens est dicere quód 
naturalis appelitus frustretur. Sed secundüm 
Jaturalem appetitum amimalia et plantæ appe- 
tunt esse perpetua, etsi non secundüm indivi- 
édumn, saltem secandüm speciem ; et ad hoc 
erdinstur eorum generatio contimua , ut in II. 
De generat. dicitur. Ergo inconveniens est 
dicere qui istæ species aliquaudo deticient. 

Sed contra : sí plantæ et animalia remane- 
bunt, aut omnia, aut quedam. Si omnis, opor- 


tebit etiam animalia bruta qu prids fuerunt 
mortua, resargere, sicut et homines resurget; 
quod dici non potest, quia, cüm forma eorum 
in nihilum cedat, non potest eadem numero 
resumi. Si autem.nen omnia, sed quedam, cüm 
non sit major ratio de uno quàm de alio quà] 
in perpetuum maneat, videtur quàd nullum 
eorum in perpetuum rèmemebit. Sed quidquid 
remanebit post mundi fgaovationem, in perpe- 
luum erit, generatione etroptione cessante. 
Ergo plante et animälia penitas pes mundi 
innovatione:n non erunt. 

Preterea, secundüm Philosophum :& ff. De 
generat., in animalibus et plantis ef hajesmodi 
corraptibilibus, speciei perpetnitas non nsar- 
vatur nisi ex coutinuatione motds ccelestis. Seq 
tunc ille cessabit. Ergo non poterit perpetuitas 
in illis speciebus conservari. 


4392 SUPPLÉMENT, QUESTION CXI, ARTICLE D. 


Quand la fin disparoit , les moyens doivent également disparoitre. Or 
les plantes et les animaux ont été faits pour soutenir la vie matérielle de 
f'homme, puisqu'il est dit, Genes., IX, 3 : a Je vous ai donné toute chair 
{\ manger, aussi bien que les végétaux qui croissent sur la terre.» La vie 
{natérielle de l'homme venant donc à cesser, les plantes et les animaux 
{ont plus de raison d’être. Or, aprés la rénovation du monde, il n'y aura 
plus dans l'homme de vie animale et. matérielle. Donc les plantes et les 
animaux n'existeront pas non plus. 

( CoNcLUsioN. — Comme il ne doit rester, après la rénovation du monde, 
que ce qui peut avoir un rapport avec l'incorruptibilité , les animaux et 
les plantes, qui n'offrent nullement un tel rapport, ne devront plus dés- 
lors subsister.) 

La rénovation du monde nedevant avoir lieu que par rapport à l'homme, 
doit par là méme être conforme à la rénovation de ce dernier. Or l'homme 
renouvelé aura passé d'un état de corruption à un état d'incorruptibilité 
. et de stabilité parfaites; et de là cette parole de l'Apótre, TI. Corinth., XV, 
53: a Il faut que ce corps corruptible revéte l'incorruptibilité, que ce corps 
mortel revéte l'immortalité. » C'est donc de la méme sorte que le monde 
sera renouvelé ; il dépouillera tout ce qu'il avoit de corruptible, pour en- 
. trer dans un immuable repos. Aussi rien ne peut rentrer dans une telle 
rénovation, que ce qui a rapport avec l'incorruptibilité. Et tels sont les 
corps célestes , les éléments et les hommes. Les corps célestes sont incor- 
ruptibles par leur nature méme, et dans leur ensemble et dans chacune 
de leurs parties. Les éléments sont sujets à la corruption dans leurs di- 
verses parties, mais incorruptibles dans l'ensemble. Quant aux hommes, 
ils sont sujets à la corruption, et dans l'ensemble et dans les parties, 
mais du cóté de la matiére seulement, non du cóté de la forme, c'est-à- 
dire de l'ame raisonnable , laquelle demeure incorruptible aprés la cor- 





Preterea, cessante fine cessare debet id quod | nem transibit, et statum perpeluæ quietis ; unde 


est ad finem. Sed animalia et plante facta sunt 
ad animalem vitam hominis sustentandam ; unde 
dicitur Ge»es., IX : a Quasi olera virentia dedi 
vobis omnem carnem. » Ergo cessante vitd ho- 
minisanimali, debent cessare animalia et plantæ. 
Sed post illam innovationem , animalis vita in 
3omine non erit. Ergo nec plante nec animalia 
:xnanere debent. 

(Conczusio. — Cùm nihil nisi quod ad in- 
corruptionem ordinari possit, ad illam mundi 
innovationem pertineat, plante et animalia, 
que ad incorruptionem ordinari non possunt, 
Bon remanebunt in illa mundi innovatione.) 

Respondeo dicendum, quód cüm innovatio 
æandi propter hominem fiat, oportet quód in- 
novationi hominis conformetur. Homo autem 
ionovatos de statu corruptionis in incorruptio- 


dicitur 1. ad Cor., XV : « Oportet corruptibile 
hoc induere incorruptionem , et mortale hoc 
induere immortalitatem. » Et ideo mundus hoc 
modo innovabitur, ut abjectá omni corruptione 
perpetud maneat in quiete. Unde ad illam in- 
novationem nihil ordinari poterit, nisi quod 
habet ordinem ad incorruptionem. Hujusmodi 
autem sunt corpora celestia, elementa et ho- 
mines. Corpora enim celestia secundüm sut 
naturam incorruptibilia sunt, et secundüm totum 
et secundüm partes. Elementa verd sunt quidem 
corruptibilia secundüm purtes, sed incorruptibi- 
lia secundüm totum. Homines veró corrumpun- 
tur et secundèm totum et secundüm partes; 
sed hoc est ex parte materie, non ex parte 
formas, scilicet anime rationalis, quæ post cor- 
ruptionem bominis remanet incorrupla. Anunae 


DE L'ÉTAT DU MONDE APRÉS LE JUGEMENT. 133 


ruption de l'étre humain. Mais les animaux privés de raison, les plantes, 
les minéraux et tous les corps composés se corrompent dans leur tout 
comme dans leurs parties, et du côté de la matière, laquelle perd sa forme, 
et du côté de la forme, qui cesse d'exister en acte. Il n'y a donc rien dang 
ces étres qui les rattache à l'incorruptibilité. Ils ne subsisteront donc pas 
dans le monde renouvelé ; seuls les étres dont nous avons parlé plus haut 
y trouveront leur place (1). 

Je réponds aux arguments : 1o Ces sortes de corps concourent à la 
beauté des éléments, en tant que les vertus actives et passives répandues 
au sein des éléments , se condensent et se produisent dans des effets spé- 
ciaux et distincts ; ils concourent donc à la beauté des éléments considé- 
rés dans leur état d'activité et de passivité. Mais cet état doit nécessaire- 
ment finir. Donc les animaux et les plantes cesseront également d'étre. 

2° Evidemment, ni les animaux, ni les plantes, ni les autres corps 
quelconques, en servant à l'homme, n'ont rien mérité, puisqu'ils ne pos- 
sédent pas le libre arbitre, condition essentielle du mérite. Quand on dit 
que certains corps seront recompensés , cela signifie qu'à raison des mé- 
rites de l’homme, les corps pouvant rentrer dans le monde renouvelé, en 
feront réellement partie. Mais les animaux et les plantes, avons-nous 
dit, n'ont rien qui les rattache à l’incorruptibilité. L'homme n'a donc 
pas mérité que de tels corps participent à la rénovation future; car nul 
ne peut mériter pour un autre ce dont celui-ci n'est pas capable, pas plus 
que dans ce cas on ne peut mériter pour soi-méme. Par conséquent, en 
supposant méme que les animaux privés de raison aient mérité dans le 
ministére qu'ils prétent à l'homme, ils ne sauroient néanmoins participer 
à la future rénovation des choses. 

(1) On ne sauroit contester la logique de ce raisonnement; on ne peut refuser d'y voir une 
conséquence légitime des théses précédentes, et spécialement de celle qui a fait l'objet du second 
article de cette question. 8i le mouvement des corps célestes est lepremier moteur, le moteur 
nécessaire de la production des êtres animés ou vivants, dans ce monde sublunaire, si de plus 


ce móuvement doit cesser au jugement dernier, nul doute aussi que les animaux et les plantes 
ne doivent également disparoltro alors de la surface do ia terre. Mais nous avons déjà, sous 





lia verb bruta, et plante, et mineralia, et om- 
nia corpora mixta corrumpuntur et secundüm 
tolum et secundûm partem, et ex parte mate- 
rie, qua formam amittit, et ex parte forme, 
quæ aclu non manet ; et sic nullo modo habent 
ordinem ad incorruptionem. Unde in illa inno- 
valione non manebunt, sed sola ea qua dicla 
sunt. 

Ad primum ergo dicendum, quàd hujusmodi 
gorpora dicuntur esse ad ornatum elementorum, 
. inquantum virtutes activae et passivæ generales 
" que sunt in elementis, ad speciales actiones 
- eontrahuntur; et ideo sunt ad ornatum ele- 
mentorum in statu actionis et passionis. Sed 
hic status in elementis non remanebit. Unde 


Dec animalia nec plantas remanere oportet. 

Ad secundum dicendum, quód nec animalia, 
nec plante, nec aliqua alia corpora, in minis- 
trando homini aliquid meruerunt, cüm libertate 
arbitrii careant. Sed pro tanto dicuntur quæ- 
dam corpora remunerari, quia homo meruit ut 
illa innovarentur quæ ad innovationem ordinem 
habent. Plantæ autem et animalia non habenf 
ordinem ad innovationem incorruptionis, ul 
prædictum est. Unde ex hoc homo non meruit 
ut innovarentur, quia nullus potest alteri mereri . 
nisi id cojus est capax, nec etiam ipse sibi ipsi. 
Unde, etiam dato quód animalia brula mere- 
rentur in ministerio hominis, non tamen essent 
innovanda. 


194 SUPPLÉMENT, QUESTION KCI, ARTICLE D. 

8e De même qu’on distingue plusieurs sortes de perfection dans l’homme, 
celle de la nature, par exemple, et celle de la gloire, on peut distinguer 
aussi deux sortes de perfection dans l'univers : l'une appartenant à cef 
état d'agitation et de changement oü se trouve le monde dans les condi- 
tions de la vie présente; l'autre n'ayant rapport qu'à l'état futur du 
monde renouvelé. Or les animaux et les plantes ne concourent à la per- 
fection du monde que dans le premier état , par la raison déjà énoncée 
qu’ils n’ont aucun rapport avec le second. 

& A certains égards , les animaux et les plantes sont , il est vrai, plus 
nobles que les éléments ; mais dans l'ordre de l'i incorruptibilité c'est le 
contraire qui a lieu, comme nous l'avons dit dans ce méme article. 

B» Cet appétit naturel de perpétuelle durée, qui existe dans les ani- 
maux et les plantes, comme dans tous les autres êtres, est en eux subor- 
donné au mouvement du ciel , c'est-à-dire qu'ils doivent persister autant 
que le ciel continuera à se mouvoir; car l'effet ne sauroit aspirer à durer 
au delà de sa cause. 8i donc, le mouvement du premier mobile venant à 
cesser , les plantes et les animaux ne demeurent plus, méme dans leur 
espèce, on ne peut pas dire qu'il y ait R un appétit naturel frustré de son 
effet. | 
toute réserve néanmolns, exprimé notre pensée sur cette double hypothèse. Nous ne voulons 
pas, dire par là que la conelusien présente soit absolument mal fondée. Une telle prétention 
seroit au moins téméraire. 1} nous sembleroit seulement pouvoir dire que cette conclusion ne 


repose pas non plus sur une démonstration absolue, et que la question soulevée reste encore 
dans le domaine de l'inconns. 





Ad tertium dicendum , quód sicut perfectio nem incorruptionis, elementa sunt acbiliora, 


hominis multipliciter assignatur (est enim per- 
. fectio nature condite et nature gloriticais ), 
ita etiam perfectio universi est duplex : una, 
secundüm statum hujus mutabilitatia; altera, 
secundèm statum fature novitatis. Plantes an- 
tem et animalia sunt. de perfectione illus .se- 
cundüm statum istum, non autem secundüm 
statum novilalis illius, cüm ordinem ad eam 
non habeant, 

Ad quartum dicendum, qubd quamvis anima- 
lia et plantæ, quantum ad aliqua, eint nobiliora 
quàm ipsa elements, tamea quaptum ad ordi» 


ut ex dictis patet. 

Ad quintum dicendum, quód naturalis appe- 
titms ad perpetuitatem, qui inest anjmalibus et 
plantis, est accipiendus secundüm ordinem ad 
molum cceli, ut tantum scilieet in esse per- 
maseant quantum motus cœli durabit; non 
enim potest esse appetitus in effectu ut perma- 
neat ultra causam suam. Et ideo , si cessante 
primi mobilis motu, plante et animalia non re- 
maneant secundum speciem , non sequitur ape 
petitum naturajem frogtrari. 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 195 


QUESTION XCII. 


Do La vision de Y'essence divine dans le séjour de la béatitude. 


Nous avons maintenant à traiter de ce qui regarde les bienheureux 
après le jugement universel. Nous parlerons d'abord de leur vision pa» 
rapport à l'essence divine, vision dans laquelle consiste principalement 
leur béatitude, et là il sera question aussi de leurs demeures ; en second 
lieu, du mode d’être des élus par rapport aux damnés ; en troisième lieu, 
des diverses dots attribuées aux Saints et comprises dans leur béatitude ; 
enfin, des auréoles qui sont à la fois le complément et l'ornement de 
cette béatitude. 

Sur le premier pointon demande six choses : 1*Les saints verront-ils Dieu 
dans son essence ? 2e Le verront-ils des yeux du corps ? 9* En voyant Dieu 
verront-ils tout ce que Dieu voit ? &* Leur béatitude sera-t-elle plus grande 
aprés qu'avant le jugement? 5» Les divers degrés de béatitude sont-ils 
convenablement désignés sous le nom de demeures diverses? 6* Ces de- 
meures ou degrés, doit-on les distinguer par les degrés de la charité? 


ARTICLE I. 
L'intellect humain peut-il parvenir à voir Dieu dans son essence? 


[] paroit que l'intellect humain ne peut pas parvenir à voir Dieu dans 
son essence. 1^ Il est dit, Joan., I, 18 : « Personne n'a jamais vu Dieu ;» 
et là-dessus saint Jean Chrysostome ajoute, /n Joan., homil. XIV : « Ni 
les substances célestes elles-mêmes , et je n'en excepte pas les Chérubins 
et les Séraphins, n'ont jamais pu voir Dieu tel qu'il est. » Or les hommes 
ne peuvent aspirer qu'à étre égaux aux anges, d'aprés la promesse du Sau- 





| QUÆSTIO XCII VEL XCIV. 
De visione divina enentie por comparationem ad beatos , ên sex artículos diotsn. 


Cousequenter considerandum est de his que 
spectant ad beatos post judicium generale. Et pri- 
mo, de visioneeorum respectu diving essentiæ, 
in qua eorum beatitudo principaliter consistit , 
et eorum mansionibus ; secundo, de modo quo 
se erga damnatos babebant ; tertió, de dotibus 
ipsorum, qui in beatitudine eorum contiDentur; 
quartó, de aureolis quibus eorum beatitudo per- 
ficitur et decoratur. 

Circa primum queruntur sex : 4° Utrèm sancti 
videbunt Deum per essentiam. $9 Utrüm vide- 
bunt eum oculo corporali. 89 Utrüm videndo 
Deum videbunt omnia qua Deus videt. 4» Utrüm 
eorum beatitudo sit major futura post judicium 
quàm ante. 99 Utrüm diversi gradus beatitudi- 


nis convenienter appellentur diversæ manesio- . 
nes. 09 Utrüm diversi gradus vel mansiones 
distinguanter penes diversos gradus charilalis, 


ARTICULUS L 
Utrüm intellectus humanus poesit pervenire 
ad videndum Deum per essentiam. 

Ad primum sic proceditur. Videtur quàd in- 
tellectos humanus non possit pervenire ad vie 
dendum Deum per essentiam. Quia Joan., l, 
dicitur : « Deum memo vidit unquam ; » et exe 
ponit Chrysostomus, quàd « mec ipse celesteg 
essentim (ipsa dico Cherubim et Seraphim) 
ipsum ut est unquam videre potuerunt. » Sed 
bominibus nop promittitur nisi æqualitas ange» 


« 
136 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 1. 


veur, Matth., XXII, 30: «Ils seront comme les anges de Dieu dans le 
ciel. » Donc les saints eux-mêmes, dans la céleste patrie , ne verront pas 
Dieu dans son essence. 

de Voici comment raisonne l'Aréopágite, De divin. Nom., cap. 1: « On 
ne connoit que ce qui existe. Or tout étre existant est fini, puisqu'il est 
délimité dans un genre; et Dieu, étant un étre infini, se trouve par là 
méme au-dessus de tous les êtres existants.» Donc on ne sauroit le con- 
noitre, il est au-dessus de toute connoissance. 

3e Voici ce que démontre encore le même docteur, De Theol. Myst., 
cap. 1 : « Le mode le plus parfait dont notre intellect soit capable de s'u- 
nir à Dieu , c'est de s'unir à lui comme à l'inconnu. » Or ce que l'on voit 
par essence n'est pas une chose inconnue. Donc il est impossible que notre 
intellect voie Dieu par essence. 

4 Le méme saint Denis, dans une lettre au moine Caius, Epist., I, 
s'exprime ainsi : « Les ténèbres dont Dieu s'environne, ténèbres qui ne 
signifient pas autre chose ici qu'une lumière surabondante , sont inac- . 
cessibles à une lumière quelconque, demeurent cachées à toute connois- 
sance; et si quelqu'un voyant Dieu comprend ce qu'il voit, ce n'est pas 
Dieu qu'il voit, mais seulement.quelque chose qui est de Dieu. » Donc nul 
intellect créé ne pourra voir Dieu par essence. 

5° Saint Denis dit encore dans une lettre à Dorothée, Epist., V : 
« Dieu est invisible par la surabondance méme de sa clarté. » Or cette 

: clarté divine dépasse l’intellect humain, non-seulement dans l'état actuel 
de son pèlerinage, mais encore dans les gloires de la patrie. De méme donc 
que Dieu nous est invisible ici-bas , il nous sera invisible dans le ciel. 

6° L'intelligible étant le perfectionnement de l'intellect, il faut qu'il y 
ait rapport entre l'un et l'autre, comme entre la vue et l'objet visible. Or 
il n'y a pas de rapport possible entre notre intellect et l'essence divine, 





lorum, Matth., XXIL : « Erunt sicut angeli Dei 
in colo. » Ergo nec sancti in patria Deum per 
essentiam videbunt. 

2. Preterea , Dionysius sic argumentatur in 
I. cap. De div. Nomin. : a Cognitio non est 
nisi existentium ; omne autem existens finitum 
est, cüm sit in aliquo genere determinatum ; et 
sic Deus, cüm sit infinitus, est super omuia 
existentia. » Ergo ejus non est cognilio, sed 
est super omnem cognitionem. 

8. Praeterea, Dionysius in I. De mystica 
Theologia, ostendit quód « perfectissimus mo- 
dus quo intellectus noster Deo conjungi potest, 
est in quantum conjungitur ei ut ignoto. » Sed 
illud quod est visum per essentiam, non est 
ignotum. Ergo impossibile est ut intellectus 
Roster per essentiam Deum videat. 

4. Preterea, Dionysius in Epist. ad Catum 


hw (seu Epist. I), dicit quód « super. 


posite Dei tenebre (quas abundantiam lucis 
appellat) cooperiuntur omni lumini, et abscen- 
duntur omni cognitione ; et si aliquis videns ' 
Deum, intellexit quod vidit, non ipsum vidit, 
sed aliquid eorum quæ snnt ejus. » Ergo nul- 
lus intellectus creatus poterit Deum per essen- 
tiam videre. 

5. Preterea, sicut Dionysius in Epist. ad 
Doroth. dicit (seu Epist. V), « invisibilis qui- 
dem est Deus propter excedentem claritatem. » 
Sed claritas ejus sicut excedit intellectum ho- 
minis in via, ita excedit intellectum hominis 
in patria. Ergo sicut invisibilis est in via , sic 
erit invisibilis in patria. 

6. Pralerea, cüm intelligibile sit perfectio 
intellectüs, oportet esse proportionem inter in- 
telligibile et intellectum, sicut inter visum et 
visibile. Sed non est accipere proportionem 
aliquam inter intellectum nostrum et essentiam 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. "0 


puisqu'il y a de l'un à l'autre une distance infinie. Donc notre intellect 
ne pourra jamais parvenir à voir la divine essence. 
“To Dieu est plus loin de notre intellect qu'un objet intelligible créé ne 
l'est de notre sens. Or notre sens ne peut en aucune facon parvenir à voir 
une créature spirituelle. Donc notre intellect ne pourra pas davantage 
parvenir à voir l'essence divine. 

8° Notre intellect ne sauroit voir en acte un objet quelconque qu'autant 
qu'il reçoit en lui la forme de cet objet; car c'est là le principe de l'opéra- 
tion intellectuelle, considérée comme se terminant à tel objet en particu- 
lier, tout comme la chaleur est le principe de la caléfaction. Si donc notre. 
intellect voit Dieu, c'est qu'il est nécessairement informé par une cer- 
taine ressemblance de son divin objet. Or cette forme qu'il recoit en lui 
ne sauroit ètre la divine essence elle-méme ; car la forme et l'objet in- 
formé ne doivent avoir qu'un seul étre; et l'essence divine ditfére de 
notre intellect, et quant à l'étre et quant à l'essence elle-même. Il faut 
donc alors que la forme dont notre intellect est affecté, dans l'acte par le- 
quel il voit Dieu, soit une simple ressemblance imprimée par Dieu dans 
notre intellect. Mais cette ressemblance étant quelque chose de créé, elle 
ne peut nous amener à la connoissance de Dieu que comme l'effet conduit 
à la connoissance de la cause. Il est dès-lors impossible que notre intellect 
voie Dieu autrement que par son effet. Orla vision de Dieu par l'effet 
n'est certainement pas la vision de Dieu par essence. Donc ce n'est pas 
ainsi que notre intellect pourra voir Dieu. 

9° L'essence divine est plus éloignée de notre intellect que ne l'est un 
ange ou une intelligence quelconque. Mais, comme le dit Avicenne dans 





divinam, cüm in infinitum distent. Ergo intel- 
lectus noster non poterit pertingere ad videndam 
divinam essentiam. 

7. Preterea, plus distat Deus ab intellectu 
nostro, quàm intelligibile creatum à sensu. Sed 
sensus nullo modo potest pertingere ad creatu- 
ram spiritualem videndam. Ergo nec intellectus 
Doster poterit pertingere ad videndam divinam 
essentiam. 

8. Preterea, quandocumque intellectus in- 
telligit aliquid in actu, oportet quód informetur 
per similitudinem intellecti (4) , quæ est prin- 
cipium intellectualis operationis in tale objec- 
tum terminat, sicut calor est principium ca- 
lefactionis. Si ergo intellectus noster Deum 
intelligat , oportet quàd hoc fiat per aliquam 
similitudinem informantem ipsum intellectum. 


Hoc autem non potest esse ipsa divina essentia, 
quia forme et formati oportet esse unum esse ; 
divina autem essentia ab intellectu nostro dif- 
fert secundüm essentiam et esse. Ergo oportet 
quèd forma quo informatur intellectus noster in 
intelligendo Deum, sit aliqua similitudo impressa 
à Deo in intellectum nostrum. Sed similitudo 
illa cùm sit quid creatum, non potest ducere 
in Dei cognitionem, nisi siqut effectus in cau- 
sam. Ergo impossibile est ut intellectus noster 
Deum videat, nisi per effectum ipsius. Sed visio 
Dei que est per effectum ejus, non est visio 
Dei per essentiam. Ergo intellectus noster non: 
poterit Deum per essentiam videre. 
9. Preterea, divina essentia magis distat ab 

intellectu nostro quàm quicumque angelus vel 
intelligentia. Sed, sicut dicit Avicenna in sua 


(1) Rempe impressam, ut vocari à Theologis et Pbilosopbis passim solet, quia nimirum 


ab objecto imprimitur in intellectum, ut vices ejus gerat, cüm objectum per se non possit esse 
intellectui præsens vel conjunctum ; vel imprimitur saltem ab aliqua superiori causa influente 
in intellectum illum qui ex natura sua cognitionem à rebus ipsis oon accipit, qualis est Ange- 
licus, ut 1. part. suo loco dictum est, 


138 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 1. 

sa Métaphysique, 111, 8, « quand nous disons qu'une intelligence se 
trouve dans notre intellect, cela ne signifle pas que l'essence méme de, 
cette intelligence s'y trouve; (car autrement la connoissance que nous 
avons d'une intelligence ne seroit plus un accident, mais bien une sub- 
stance. ) Cela veut dire seulement qu'il y a dans notre intellect une im- 
pression de l'intelligence connue. » Donc, quand nous connoissons Dieu, 
ce n'est pas que Dieu soit dans notre intellect, il n'y est que par une im- 
pression de lui-méme. Or une telle impression ne peut pas nous conduire 
à la connoissance de l'essence divine; car comme elle diffère à l'infini de 
<.tte divine essence , elle retombe dans une espèce intelligible toute dif- 
férente, et beaucoup plus différente encore que si l'espéce du blanc dé- 
généroit et retomboit dans l'espàce du noir. Par conséquent , de méme 
qu'un homme dans la vue duquel l'espéce du-blanc passeroit à celle du 
noir, à raison d'une affection organique, on ne sauroit dire de lui qu'il 
voit du blanc; de méme on ne sauroit dire de notre intelled, alors qu'il 
ne voit Dieu que par une impression de cette nature, qu'il pourra le voir 
paressence. 

10» Quand il s'agit d'étres séparés de toute matiére, le sujet et l'objet de 
l'intelligence sont la méme chose, comme on le voit, De Anima, Ilt, 15. 
Or Dieu est éminemment séparé de toute matière. Donc , comme un in- 
tellect créé ne sauroit jamais parvenir à être une essence incréée, il ne se 
peut pas que notre intellect voie Dieu par essenoe. 

11° Toute chose qu'on voit par essence, on sait ce qu'elle est. Or 
« lorsqu'il s'agit de Dieu, notre intellect ne sait pas ce qu'il est, mais seu- 
lement ce qu'il n'est pas, » comme le dit saint Denis, De divin. Nom., 
cap. VII, et saint Jean Damascéne, De Fide Orth., I, *. Donc notre in- 
tellect ne pourra jamais voir Dieu par essence. 

12» « Tout infini en tant qu'il est infini, est inconnu, » Physic.. I, 35. 
Or Dieu est infini sous tous les rapports. Donc il est entièrement inconnu, 


- 





Metaphys., «intelligentiam esse in nostro in- 
tellectu, non est essentiam intelligentiæ esse in 
intellectu nostro (quia sic scientia quam de in- 
telligeutia babemu$, esset substantia , et non 
accidens ) ; sed hoc est, impressionem intelli- 
genliæ esse in nostro intellectu. » Ergo et Deus 
non est in intellectu nostro ut intelligatur à nobis, 
sisi in quantum impressie ejus est in intellectu. 
led illa impressio non potest ducere in cogni- 
tionem divine essentiæ, quia cüm in inflnitum 
distet à divina essentia, degenerat in aliam spe- 
dem, mult) amplis quàm si species albi dege- 
neraret in speciem nigri. Ergo, sicnt ille in 
eujus visu species albi degenerat in speciem 
aigri, propter indisposilionem Organi, nom di- 
Gur videre album ; ita mec intellectus noster, 


qui solàm per hujusmodi impressionem Deum 


intelligit, eum per essentiam poterit videre. 

10. Praterea, in rebus separatis à materia, 
idem est intelligens et quod intelligitur, ut pa- 
tet in III. De anima (text. 15). Sed Deus est 
maximè à materia separatus. Cüm ergo intellec- 
tus qui est creatas, non possit ad hoc pertingere 
ut fiat essentia increata, non poterit esse quód 
inteHectus noster Deum per essentiam videat. 

11. Preterea , omne illud quod videtur per 
essentiam, de eo scitur quid est. Sed « de Deo 
intellectus noster non potest scire quid est, sed 
solüm quid non est, » sicut Dionysius dicit et 
Damascesus. Ergo intellectus noster Deum per 
essentiam videre non poterit. 

12. Praeterea, «omne infifitum, in quantum 
infinitum, ignotum est » (ex l. PAys., text. 85). 
Sed Deus est omnibus modis infinitus. Ergo esf 


r] 


DB LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 139 


“et dès-lors il ne pourra jamais être vu dans son essence par un intellect 
créé. 

143» Saint Augustin dit dans son livre De la vísion de Dieu, Evtst., 
CXII : « Dieu par sanature méme est invisible. » Or, ce qui est inbérent 
à la nature divine, ne sauroit jamais étre autrement qu'il n'est. Donc il 
ne se peut pas que Dieu soit vu dans son essence. . 

14° Une chose qui est d'une façon et qui est vue d'une autre, n'est évi- 
demment pas vue telle qu'elle est. Or Dieu est d'une manière, et il sera 
vu d'une autre par les saints dans le ciel ; car il est selon son mode à lui, 

.etilsera vu par les saints selon leur mode à eux. Donc les saints ne le 
verront pas tel qu'il est, c'est-à-dire dans son essence. 

15° Ce qui est vu par un terme moyen n'est pas vu par essence. Or 
Dieu sera vu dans le ciel par un terme moyen , la lumiére de la gloire, 
comme cela ressort de cette parole, Psalm. XXXV : « Dans votre lumière, 
nous verrons la lumière. » Donc nous ne verrons pas Dieu dans son es- 
sence. 

16° Dans la céleste patrie, nous verrons Dieu « face à face, » comme 
s'exprime l'Apótre, I. Corinth., XIII. Or l'homme que nous voyons face 
à face, nous le voyons seulement par une ressemblance de lui-même. 
Donc c'est par une ressemblance et non par essence que nous verrons 
Dieu. 

Mais le contraire résulte des paroles méme de saint Paul, I. CorintA.; 
XIII , 12 : a Nous le voyons maintenant comme dans un miroir et en 
énigme; mais alors nous le verrons face à face. » Or ce qui est vu face à 
face, est vu par essence. Donc c'est ainsi que Dieu sera vu par les saints 


dans le ciel. 


Il est dit, Joan., III, 9 : « Quand aura eu lieu cette révélation, nous lui 





omnino igaotus ; ergo per essentiam 3b intel- 
lectu creato videri non poterit. 

48. Preterea, Augustinus dicit in lib. De 
videndo Deo (seu Epist. CXII) : « Deus est 
naturá invisibilis. » Sed ea quz insunt Deo per 
Daturam , non poesuni aliter se habere. Ergo 
Don potest esse quód per essenliam videatur. 

14. Præterea, omne quod alio modo est, et 
alio modo videtur, non videlur secumdüm id 
quod est. Sed Deus alio modo est, et alio modo 
videbitur à sanctis in patria ; est enim per mo- 
dum suum, sed videhitur à sanctis per asodum 
eorum. Ergo non videbitur à sanctis secundum 
illud quod est ; et sic nea videbitur per esaen- 
30. 

15. Præterea, illud quod per mediem vide- 
tur, non videtur per essentiam. Sed Deus in 


patria videbitur per medium , quod est lumen 
glorise, ut patet in Psalm. XXXV : « In lumine 
tno videbimus lumen. : » Ergo non videbitur per 
essentiam. 

16. Preterea, Deus in patria videbitur « fa- 
cie ad (aciem, » ut dicitur [. Cor., XII. Sed 
hominem quem facie ad faciem videmus, vide- 
mus per similitudisem. Ergo Deus in patria vi- 
debitur per similitudinem, et sic BOR per essen» 
tiam. 

Sed contra est, quod diciter I. Cor., XIII : 
« Videmus nunc per specalum in enigmate , 
tunc autem facie ed faciem. » Sed id quod vi- 
detur facie ad faciem, videtur per essentiam (9. 
Ergo Deus per essentiam videbitur à sanctis iy 
pabria. | 

Preterea , I. Joen., lil: « Cim sppereent , 


"a Juxts sigailicatienerm ia DO YO Testamento , non in veteri urerpatam ; nee enim essen. 


am Dei vidisse Jacob. dici debet , qui tamen, Genes. XIXH, 


, sic ait : Viif Dominum 


140 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 1. 


serons semblables, parce que nous le verrons. » Donc nous verrons Dieu 
dans son essence (1). 

Sur cette parole, I. Corinth., XV : «Quand il aura remis le royaume 
à Dieu son Père, » la Glose dit : « Là, c'est-à-dire dans la patrie, l'essence 
du Pére, du Fils et du Saint-Esprit sera vue. Mais cela ne sera accordó 
qu'à ceux qui ont le cœur pur, et en cela consistera la suprême béati- 
tu de. » Donc les bienheureux verront Dieu dans son essence. 

Le Sauveur dit lui-même, Joan., XIV : « Si quelqu'un m'aime, il sera 
aimé de mon Pére, et moi je l'aimerai aussi, et je me manifesterai à lui. » 
Or une chose qui se manifeste, est une chose vue dans son essence. Done 
C'est ainsi que Dieu sera vu par les saints. 

Au sujet de cette parole, Ezod., XXXIII : « Un homme ne me verra 
pas sans mourir. » Saint Grégoire, Moral., XVIII, combat l'opinion de 
ceux qui prétendent que « dans ce séjour de la béatitude, Dieu sera vu 
dans sa clarté, mais ne peut pas être vu dans sa nature; car, ajoute le 
saint Docteur, la clarté de Dieu n'est autre chose que sa nature. » Or sa 
nature n'es pas autre chose non plus que son essence. Donc c'est dans son 
essence qu'il sera vu. 

. Un désir formé par les saints ne peut pas étre entiérement frustré de 
son effet. Or les Saints désirent tous voir Dieu par essence; ainsi ilest d't, 

(1): On peut dire sans crainte que la thèse actuelle fait double emploi dans l'ensemble de 
la Somme. Le point de doctrine qui en fait l'objet a été posé et dilucidé par saint Thomas, 
dés le commencement de l'ouvrage , dans son admirable traité de Dieu, Quest. XII. Là nous 
avons vu les plus solides raisonnements et méme les principales objections que nous voyons 
reparoftre ici. Nous avons, également alors, donné dans les notes les éclaircissements qui nous 
ont paru nécessaires, spécialement sur les erreurs qui ont eu cours à ce sujet dans la suite 
des siècles. Il seroit donc au moins inutile de revenir maintenant sur une question qu'on peut 
à bon droit regarder comme épuisée. Qu'il nous suffise de faire remarquer que pour suivre 
le continuateur, avec le secours méme de la langue francaise, il faut plus que j:mais avoir 
présents à l'esprit les principes et la terminologie de la philosophie péripatéticienne. Il a là, 
parmi des aperçus vraiment profonds et quelques données métaphysiques d'une trés- haute 
portée , des subtilités stériles et fatigantes , nous n’hésitons pas à le déclarer. On diroit que 


l'auteur fait effort pour triompher des, ombres du mystère. Mais Je mystère subsiste toujours; 
et telle est la vision de l'essence divine par une intelligence créée. Or, il en est de ce mys- 





- Similes ei erimus, quoniam videbimus eum sicuti 
est. » Ergo videbimus eum .per essentiam. 
Preterea, I. Cor., XV, super illud : « Cüm 
tradiderit regnum Deo et Patri, » dicit Glossa : 
« Ubi (scilicet in patria) essentia Patris et Filii 
et Spirits sancti videbitur; quod solàüm mundis 
co rdibus dabitur, qua est summa beatitudo. » 
Er go beati Deum per essentiam videbunt. 
Preterea, Joan., XIV, dicitur: « Si quis di- 
ligit me, diligetur à Patre meo, et ego diligam 
um , et manifestabo ei meipsum. » Sed illud 
«quod manifestatur, essenlialiler videtur. Ergo 


Deus à sanctis in patria essentialiter videbitur. 

Preterea, Exod., XXXIII, super illud: «Non 
videbit me homo, et vivet, » Gregorius impro- 
bat opinionem illorum qui dicebant quód « in 
illa regione beatitudinis Deus in claritate sua 
conspici potest, sed in natura videri non po- 
test, quia aliud non est ejus claritas et ejus na- 
tura. » Sed natura ejus est essentia ejus. Ergo 
videtur per essentiam suam. 

Preterea, sanctorum desiderium non potest 
omnino frustrari. Sed sanctorum desiderium 
commune est nt Deum per essentiam videant, 


rei. ad faciem ; nempe quia facies Dei olim corporaliter in figura rapræsentante videbatur, 
Unc 


"— 


veró post elapsum Ügurativum statum intelligitur spiritualiter, et ponitur pro esseuua. 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 141 


Exod., XXXIII, 13 : « Montrez-moi votre gloire; » et Psalm. LXXII, 90: 
« Montrez-nous votre face, et nous serons sauvés; » etenfin, Joan., 
XIV, 8 : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit. » Donc les saints 
verront Dieu dans son essence. 

(CoNcLusioN. — La fin dernière et Ja suprême félicité de la vie hu- 
. maine consistant à voir Dieu, il faut bien reconnoitre que l'intellect hu- 
main peut parvenir à la vision. ) 

De méme que, conformément à la foi, nous plagons la fin dernière 
de la vie humaine dans la vision de Dieu, de méme les philosophes, n'ayant 
que laraison pour guide, ont fait consister la supréme félicité de l'homme, 
à connoitre les substances immatérielles dans leur étre méme. Sur cette 
question donc, les philosophes et les théologiens trouvent les mémes dif- 
ficultés à vaincre et présentent les mêmes diversités d'opinions. Quelques 
philosophes ont dit que notre intellect possible ne sauroit jamais parvenir 
à comprendre les substances séparées ; et tel est le sentiment d'Alphara- 
bius, vers la fin de son Éthique, quoiqu'il ait ditle contraire dans son livre 
De l'intellect, ainsi que le Commentateur nous l'apprend, De Anima, 
IT. Pareillement, quelques théologiens ont dit que l'intellect humain ne 
peut jamais parvenir à voir Dieu par essence. Et ce qui détermine les uns 
et les autres à embrasser un tel sentiment, c'est la distance qui existe 
entre notre intellect et l'essence divine, ou bien les substances séparées. 
En effet, l'intellect en acte étant en quelque sorte une seule et même chose 
avec l'intelligible en acte, il n’est pas aisé de voir comment un intellect 
tère comme de tous les autres : Nous devons nous contenter ici-bas d'en connoître l'existence, 
d'en avoir une certitude absolue. Et certes l'Ecriture sainte ne nous laisse rien à désirer sous 
ce rapport, Pas plus que l'Enseignement de l'Eglise. Cette vérité repose sur des textes assez 
formels et sur des autorités aussi nombreuses que décisives. Ajoutons néanmoins que l'exer. 
cice auquel se livre ici le continuateur du Docteur angélique, peut n'étre pas sans utilité, à 
n'y voir qu'une étude approfondie sur un dogme de foi, ou méme , comme nous l'avons dit 
ailleurs à propos de discussions analogues, une sorte de gymnastique intellectuelle, capable 


de corroborer en méme temps et de nous faire apprécier à leur juste mesure les forces réelles 
de notre pensée. . 





ut patet Exod., XXXIII : «Ostende mibi glo- 
riam tuam ; » et in Psalm. LXXIX : «Ostende 
faciem tuam, et salvi erimus; » et Joan., XIV: 
« Ostende nobis Patrem, et suflicit nobis. » 
Ergo sancti Deum per essentiam videbunt. 

(Concivsio.— Cüm finis ultimus et humanæ 
vita felicitas sit Deum videre, intellectum hu- 
manum ad diving essentia visionem pertingere 

fatendum est. ) 

Respondeo dicendum , quód sicut secundüm 
fdem ponimus finem ultimum humane vite 
esse visionem Dei, ita philosophi posuerunt 
ultimam hominis felicitatem esse, intelligere 
substantias à materia separatas secundüm esse. 
Et ideo circa banc quæstionem eadem diflicultas 


et diversitas invenitur apud philosophos et apud 
theologos. Quidam enim philosopht posuerunt 
quód inteliectus noster possibilis nunquam po- 
test ad hoc pervenire ut intelligat substantias 
separatas, sicut Alpharabius in finesuæ Ethica, 
quamvis contrarium dixerit in libro De intel- 
lectu, ut Commentator refert in III. De ani ma. 
Et similiter quidam theologi posuerunt quod 
intellectus humanus nunquam potest ad hoc 
pervenire ut Deum per essentiam videat. Et 
utrosque ad hoc movet distantia inter intellec- 
tum nostrum, et essentiam divinam , aut a:iag 
substantias separatas. Cüm enim intellectus in 
actu sit quodammodo unum cum intellizibili 
in actu, videtur difficile quomodo intellectus 


| 449 SUPPLÉMENT, QUESTION XCIT, ARTICLE 4. 


créé peut d'une facon quelconque devenir une essence incréée. C'est ce qui 
' fait que saint Jean Chrysostóme s'écrie, In Joan., homil. XIV : «Comment 
le créé voit-il l'incréé? » Et la difficulté est bien plus grande encore pour 
ceux qui prétendent que l'intellect possible est sujet à la génération et à 
la corruption , comme étant une puissance dépendante du corps ; non- 
seulement la difficulté est grande par rapport à la vision de l'essence di- 
vine, elle l'est méme par rapport à la vision des substances séparées, 
quelles qu'elles soient. Mais une telle opinion ne peut en aucune facon 
être maintenue : 4° Elle est en opposition avec l'autorité des Livres Saints, 
comme le remarque saint Augustin dans le livre que nous venons de 
citer. 2 Comme l'acte intellectuel est celui qui caractérise éminemment 
l'homme, il faut nécessairement que la béatitude de l'homme repose sur 
l'opération de l'intellect; de telle sorte que la béatitude se réalise quand 
cette opération est parfaite. Or la perfection de l'étre intelligent, consi- 
déré comme tel, c'est l'intelligible lui-même ; et si l'homme dans l'opé- 
ration la plus parfaite de son intellect ne parvient pas à voir l'essence 
divine, mais s'arréte à quelque chose qui n'est pas cette essence, ce sera 
cette chose évidemment, et non Dieu, qui fera la béatitude de l'homme. 
De plus, comme la dernière perfection d'un être quelconque consiste à 
se réunir à son principe, il s'ensuit que l'homme n'a pas Dieu pour prin- 
cipe effectif. Or voilà qui est absurde , non-seulement à nos yeux , mais 
encore aux yeux des philosophes, qui veulent que nos ames émanent 
des substances séparées, et dés lors que nous puissions un jour com- 
prendre ces substances. 11 faut donc admettre que l'intellect humain doit 
parvenir à voir, selon les théologiens, l'essence divine, et, selon les philo- 
Sophes, l'essence au moins des substances séparées. 
Nous avons maintenant à rechercher comment cela peut se faire. Quel- 





creatus aliquo modo fiat essentia increata. Unde 
Chrysostomus dicit ( Homil. XIV in Joan. ) : 
«Quomodo creabile videt increabile (1)? »Et ma- 
jor difüicultas in hoc est illis qui pouunt inlel- 
lectum possibilem esse geuerabilem et corrup- 
tibilem , utpote virtutem à corpore dependen- 
tem, non solüm respectu visionis diving , sed 
eliam respectu visionis quarumcumque substan- 
tiarum separatarum. Sed hac positio stare om- 
nino non polest : primó , quia repugnat aucto- 
ritati Scriptura? canonice, ut Augustinus dicit 
in libro De videndo Deo; secundó, quia cüm 
intelligere sit maxime propria operatio hominis, 
apurtet quód secundüm eam assignetur sibi sua 
beatitudo, cüm hac operatio in ipso perfecta 
fuerit. Cüm autem perfectio intelligentis, in 
quantum hujusmodi , sit ipsum intelligibile, si 


in perfectissima operatione intellectas homo 
non perveniat ad videndam essentiam divinam, 
sed ad aliquid aliud, oportebit dicere quàd ali- 
quid aliud sit beatificans ipsum hominem quàm 
Deus; et cüm ultima perfectio cujuslibet sit in 
conjunctione ad suum principium , sequitur 
quód aliquid aliud sit principium effectivum ho- 
minis quam Deus. Quod est ubsurdum, secun- 
düm nos ; et similiter est absurdum apud phi- 
losophos, qui pouunt animas nostras à substan- 
tiis separatis emanare, ut in fine eas possimus 
intelligere. Unde oportet ponere, secundüm nos, 
quód intellectus noster quandoque perveuiat 
ad videndam essentiam divinam, et secundüm 
philosophos, quód perveniat ad videndam es- 
sentiam substantiarum separataram. 

Quomodo autem hoc possit accidere , restat 


(1) Sicut vetus Interpres reddit parum apté, cà xrioôñe ebosex üvróx, si9tiv duvriserat To &x- 
Tov idest, quomodo iliud quod est natura creaia, potest eidere inorsatum ? 


à 


BE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 143 


ques-ums ont prétendu avec Alpharabius et Avempace, que notre intellect 
, pouvant saisir n'importe quel objet intelligible, doit par là méme parvenir 
à voir l'essence méme d'une substance séparée. Et pour démontrer cela 
, ils procèdent de deux manières : de méme que, disent-ils d'abord, la na- 
‘ture d'une espèce ne s'étend à divers individus qu'autant qu'elle entre en 
rapport avec des principes d'individualisation, de méme une forme intel- 
 lective ne se diversifie dans des sujets différents, en vous et en moi, pat 
exemple, qu'autant qu'elle s'unit à diverses formes imaginaires ; et de l1 
sorte, quand l'intellect sépare la forme intellective de la forme imagi- 
naire, il ne reste que la quiddité conçue, la méme dès-lors chez divers 
sujets intelligents. Telle est la quiddité de la substance séparée. Par con- 
séquent, lorsque notre intellect est parvenu à la suprême abstraction 
d'une quiddité intelligible quelconque, il congoit parlà méme la quiddité 
d'une substance séparée, ou quelque chose de semblable. Voiri la seconde 
maniére de procéder : notre intellect tient de sa nature méme le pouvoir 
de dégager par abstraction la quiddité d'une chose intelligible possédant 
une quiddité quelconque. Si donc la quiddité qu'il abstrait de telle chose 
en particulier possédant une quiddité, est elle-même une quiddité sans 
quiddité , en la concevant , notre intellect concoit la quiddité d'une sub- 
£tance séparée, disposée de telle maniére ; et cela parce que les substances 
séparées sont des quiddités subsistantes qui n'ont pas de quiddité, et, 
eomme le dit Avicenne, la quiddité d'un être simple, c’est l'étre simple 
lui-méme. Mais si la quiddité abstraite de telle chose sensible en parti- 
eulier est une quiddité ayant une quiddité , notre intellect devra tout na- 
turellement abstraire cette quiddité, et , comme il n'y a pas de série in- 
finie de termes successifs, il faudra bien en venir àune quiddité sans quid- 





investigandum. Quidam enim posuerunt, ut 
Alpharabius et Avempace, quàd ex hoc ipso 
quód intellectus noster intelligit quæcumque 
intelligibilia , pertingit ad videndam essentiam 
substantiæ separaiæ. Et ad hoc ostendemjam 
procedunt duobus modis : quorum primus est, 
quód sicut natura speciei non diversificatur in 
diversis individais, nisi secundüm quód con- 
jungitur principiis individuantibus, ita forma 
iutellecta non diversificatur apud me et te, nisi 
secundüu qubd conjungitur diversis formis ima- 
cinabilibus ; et ideo, quando intellectus separat 
formam iptellectam à formis unaginabili. 18, 
reinanet quidditas intellecta, qua: est una et 
eadem apud diversos intelligents; et hujus- 
(»odi est quidditas substantia separat. Et ideo, 
quando intellectus poster -d suman abstrac- 
Üonem quidditatis intelligibilis cujescumque 


(1) Subintellige, per quam quiddilalem, non kebentem quiddita'em, eive piste, 


pervenit, intelligit per hoc quidditatem substan- 
tiæ separatz, qus est ei similis. Secundus mo- 
dus est, quia intellectus noster natus est abe- 
trahere quidditatem ab omnibus intelligibilibus 
babeptibus quidditatem. Si ergo quidditas quam 
abstrabit ab hoe singulari babente quidditatem, 
it quidditas non habens quiddi'stem , intelli- 
gendo eam, intelligit quidditatem substantie 
separate , que est talis dispositionis, eo qubd 
substantie separate suat quidditates suheis'en- 
tes qua non babest quidditates, quidfitss enim 
simplicis est ipsum simples, ut Avicessa d: it. 
Si autem quidditas sbstreeta ab hec partic, .sri 
sen-ibili sit quidditas babens 3oiódiatem, «ergo 
quidditstem illam intellectus natus est »l»'ri- 
bere ; et ita, cam mon sit abire ia isbustuu, 
er& devegire ad quiddistem non hahenucte 
quidditatem, per quam (1) »st/ligtur quiis 


«14144. 


tae que non habea! quiddustem sel. constitulécam, sed sit quidditas (poo ous vrl etton 
(is. 


454 — SUPPLÉMENT, QUESTION XCIT, ARTICLE 1. 


dité; et c'est là la quiddité séparée. Mais ce mode de procéder ne parolt 
pas suffire : d'abord, parce que la quiddité d'une substance matérielle, 
obtenue par le travail de l'abstraction, n'est pas du méme genre que la 
quiddité des substances séparées. Par conséquent, de ce que notre intel- 
lect peut abstraire la quiddité des choses matérielles, et la connoitre , il 
ne s'ensuit pas qu'il connoisse également la quiddité d'une substance 
séparée, moins encore qu'il puisse voir l'essence divine, si complètement 
différente de toute quiddité créée. Puis, en admettant méme que ces 
quiddités soient de méme nature, de ce que l'on connoit la quiddité d'une 
chose composée, il ne s'ensuit pas qu'on connoisse la quiddité d'une sub- 
stance séparée, autrement que par le genre le plus éloigné, qui est l'idée 
méme de substance. Or une telle connoissance est bien foible, si elle n'en 
vient à ce qui est spécial àla chose. En effet , celui qui ne sauroit autre 
chose de l'homme, si ce n'est qu'il est un animal, ne le connoitroit que 
irés-imparfaitement et en puissance; moins encore le connoitroit-il s’il 
n'avoit de lui que l'idée d'une substance quelconque. Connoitre donc 
Dieu de la sorte, ou bien les substances séparées , ce n'est pas voir l'essence 
divine ou la quiddité de ces substances , c’est uniquement les connoitre 
par un de leurs effets et comme à travers un miroir. 

Un autre mode de concevoir les substances séparées est proposé par 
Avicenne dans sa Métaphysique. D’après lui, nous connoissons les subs 
stances séparées pär une sorte de lointain rayonnement de leurs quiddités 
diverses ; nous recevons en outre la ressemblance de ses substances, non 
par voie d'abstraction, puisqu'elles sont immatérielles, mais par une im- 
pression qu'elles auroient faite dans nos âmes. Ce mode ne suffit pas da- 
vantage à nous expliquer la vision divine, dont nous cherchons à nous 
rendre compte. En effet, il est certain, comme nous l'avons dit si souvent 
à la suite du Philosophe, qu'une chose est toujours reçue dans son sujet 
d'aprés le mode d'étre de celui-ci. Dés-lors la ressemblance de l'essence 


———————————Am—— TEUER —À 


separata. Sed iste modus non videtur esse suf- 
ficiens : primó, quia quidditas substantie ma- 
terialis, quam intellectus abstrahit, non est 
ejusdem rationis cum quidditatibus substan- 
tiarum separatarum ; et ita, per hoc quód in- 
tellectus noster abstrahit quidditates rerum 
materialium, et cognoscit eas, non sequitur 
quèd cognoscat quidditatem separate substan- 
tie, et præcipuè divinam essentiam, que ma- 
iimé est alterius rationis ab omni quidditate 
creata. Secundó, quia dato quàd esset ejusdem 
rationis, tamen cognitá quidditate rei composite, 
non cognosceretur quidditas substantiæ sepa- 
rati, nisi secundüm genus rembtissimuim, quod 
est substantia. Hac autem cognitio est imper- 
fecta, nisi deveniatur ad propria rei. Qui enim 


mal, non cognoscit eum nisi secundüm quid et 
in potentia; et malt minüs cognoscit eum, si 
non cognoscat nisi substantie naturam in ipso. 
Unde, sic cognoscere Deum vel alias substan- 
tias separatas, non est videre essentiam divi- 
nam, vel quidditatem substantiæ separate, sed 
est cognoscere per effectum, et quasi in speculo. 

Et ideo alius modus intelligendi substantiag 
separatas ponitur ab Avicenna in sua Meta-. 
phys., scilicet quüd substantie separata intel. 
liguntur à nobis per intenliones suarum quiddi- 
tatum; qua sunt quædam earum similitudines, 
non abstractæ ab eis, quia ipsemet sunt imma- 
teriales, sed impressæ ab eis in animabus nose 
tris. Sed hic modus etiam non videtur nobis 
sufficere ad visionem divinam quam quirimus, 


cognoscit hominem solüm in quantum est ani- | Constat eniin quód « omne quod recipitur if 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 145 


divine imprimée dans notre intellect, existe là selon le mode d'étre de 
l'intellect lui-méme ; et notre intellect ne sauroit jamais s'élever jusqu'à 
recevoir pleinement la ressemblance divine. Or ce défaut de ressemblance 
parfaite peut avoir lieu d'autant de manières qu'il y a de dissemblan- 
ces diverses. Et d'abord, il y a défaut de ressemblance quand la forme 
est communiquée selon la méme espéce , mais non selon le méme degré 
de perfection; ainsi une chose qui participe peu à la blancheur se trouve 
en défaut de ressemblance vis-à-vis d'une chose qui posséde une blan- 
cheur plus grande. Un second défaut, et plus grand encore, c'est quand 
la forme communiquée n'est plus de la méme espéce, mais seulement 
du méme genre; comme seroit la ressemblance entre un homme ayant 
une couleur de citron, c'est-à-dire une teinte jaunátre , et celui qui se- 
roit entièrement bianc. Un troisième défaut, et cette fois le plus grand 
de tous, c’est lorsqu'il n'y a pas méme identité de genre, mais simple- 
ment une certaine analogie , ou bien un rapport quelconque ; tel que se- 
roit le rapport de la blancheur avec l'homme lui-même , en tant que ce 
sont également là deux étres. Et c'est là le défaut de toute ressem- 
blance qu'une créature peut recevoir à l'égard de l'essence divine. Or, 
pour que la vue puisse nous transmettre l'idée de la blancheur, il 
faut qu'elle reçoive l'image de la blancheur selon la méme espèce, bien 
que ce ne soit passelon le méme mode d'étre ; car la forme saisie n'a 
pas dans nos sens le méme mode d'étre que dans les réalités exté- 
rieures. En effet, si la forme du citron, par exemple, étoit dans notre 
cil, qui pourroit dire que nous voyons la couleur blanche? Pareillement, 
pour que notre intellect percoive une certaine quiddité , il faut qu'il s'o- 
. père en lui une ressemblance qui soit de la méme espèce, bien qu'elle 
n'ait peut-être pas le méme mode d’être; car la forme qui existe dans 
notre intellect ou dans nos sens, n'est pas le principe de la connoissance 





aliquo , est in eo per modum recipientis ; » et 
ideo similitudo divina essentiae impressa in in- 
tellectu nostro, erit per modum nostri intellec- 
tüs. Modus autem intelleclüs nostri deficiens 


adhuc est magis deficiens, quando ad ratiorem 
eamdem generis non pertingit , sed solüin se- 
cundüm analogiam sive proportionem; sicut 
est similitudo albedinis ad bominem, in eo quod 


est à perfecta receptione divina similitudinis. 
Defectus autem perfecta similitudinis potest 
tot modis accidere, quot modis dissimilitudo 
invenitur. Uno enim modo est deficiens si:uili- 
*udo, quando participatur forma secundüun 
eamdem rationem speciei, sed non secun:.üm 
eumdem perfectionis modum ; sicut est siinili- 
tudo deficiens ejus qui parum habet de albedine, 
ad illum qui multüm habet. Alio modo adhuc 
magis deficiens, quando non pervenitur ad eam- 
dem rationem speciei, sed tantüm ad eamdem 
rationem generis; sicut est similitudo inter 
illum qui habet colorem citrinum (vel sut:flavum) 
et illum qui habet colorem album. Alio modo 


AVI 


utrumque est ens. Et hoc modo est deficiens 
omnis similitudo qui est recepta in creatura , 
respectu diving essentiæ. Ad hoc autem quod 
visu. cognoscat albedinem , oportet quód reci- 
piatur in eo similitudo albedinis secundüm ra- 
tionem suæ speciei, quamvis non secundüm 
eumdem modum essendi, quia habet alterius 
modi es:e forma in sensu et in re extra anima: 
Si enim fieret in oculo forma citrini, non dice- 
retur ocalus videre albedinem. Et similiter, ad 
hoc qubd intellectus intelligat aliquam quiddi- 
tatem , oportet quód flat 1n eo similitudo ejus- 
dem rationis secundüm speciem, quavis fortè 
non sit idem modus esseñdi utrobique; non 


10 


146 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 1. 


par le mode d'étre de cette forme en nous et hors de nous, mais bien par 
le rapport d'identité qui existe entre les deux. D'oüà il résulte évidemment 
qu'aucune ressemblance reque dans un intellect créé ne peut nous faire 
connoitre Dieu de telle sorte que son essence soit vue d'une maniére im- 
médiate. Aussi plusieurs docteurs, posant en principe qu'on ne pouvoit 
voir Dieu que de cette facon, ont-ils prétendu que ce n'est pas son essence 
méme que nous verrons, mais simplement une splendeur et comme an 
rayon émanant de Dieu même. D'où nous devons conclure que ce mode 
ne suffit pas plus que le premier à nous donner ceíte vision que nous 
cherchons de l'essence divine. 

Il faut donc avoir recours à un troisiàme mode , également établi par 
quelques philosophes, à savoir par Alexandre et Averroés , sur le livre 
troisième de l'ame. Voici comment nous l'exposons : Comme dans toute 
connoissance il faut nécessairement .une forme qui nous fasse connoitre 
ou voir l'objet de cette connissance, la forme qui affecte ou perfectionne 
notre intellect quand il s’agit de voir les substances séparées, n'est pas la 
quiddité que notre intellect abstrait des choses composées, comme le pré- 
tendoit la premiére opinion; ni une impression laissée dans notre intel- 
lect par la substance séparée, comme on le disoit dans la seconde opinion; 
c’est la substance séparée elle-même qui s'unit à notre intellect et devient 
sa forme, de telle sorte qu'elle soit, et l'objet et le moyen de notre acte 
intellectuel. Du reste, quoi qu'il en soit des autres substances séparées, 
c'est du moins le mode que nous devons adopter quand il s'agit d'expli- 
quer la vision de Dieu dans son essence; car nulle autre forme venant à 
informer notre intellect, ne pourroit nous conduire à la vision de l'essence 
divine. Il ne faut pas néanmoins entendre par là que l'essence divine de- 
vienne la vraie forme de notre intellect, ou bien que de cette forme et de 
notre intellect il résulte un seul étre, de méme que cela a lieu dans la 





enim forma existens in intellectu vel sensu, est 
principium cognitionis , secundèm modum es- 
sendi quem habet utrobique, sed secundüm ra- 
tionem in qua communicat cum re exteriori. 
Et ita patet quàd per nullam similitudinem re- 
ceptam in intellectu creato, potest Deus intelligi, 
ita quàd essentia ejus videatur immediatè. Unde 
etiam quidam ponentes divinam essentiam s0- 
lüm per hunc modum videri, dixerunt quàd ipsa 
essentia non videbitur, sed quidam fulgor, quasi 
radius ipsius. Unde nec iste modus sufficit ad 
visionem divinam quam quærimus. 

Et ideo accipiendus est alius modus, quem 
etiam quidàm philosophi posuerunt, scilicet 
Alexander et Averrois in III. De anima. 
Cim enim in qualibet cognitione sit necessa- 
ria aliqua forma qua res cognoscatur aut videas 
lur, forma ista qua.intellectus perficitur ad vi- 


"t, 


dendas substantias separatas, non est quid- 
ditas quam intellectus abstrahit à rebus com- 
positis, ut dicebat prima opinio; neque aliqua 
impressio relicta à substantia separat in intcl- 
lectu nostro, ut dicebat secunda; sed est ipsa 
substantia separata, quæ conjungitar intel- 
lectui nostro ut forma, ut ipsa sit quod in- 
telligitur et quo intelligitur. Et, quidquid sit 
de aliis substantiis separatis, tamen istum mo- 
dum oportet nos accipere in visione Dei pet 
essentiam ; quia quâcamque alia formà infor- 
maretur intellectus noster, non posset per eam 
duci in essentiam divinam. Qned quidem non 
debet intelligi, quasi divina essentia sit vera 
forma intellectôs nostri, vel quód ex en ct in- 
tellecta nostro efficiatar anum simpficit r, sicut 
in naturalihus ex forma et materia nitnrali; 
sed quia proportio essentiæ divinæ ad intel- 


DE LA VISION DB L'ESSENCE MVINE, ETC. 


1 


nature quand la forme et la matière vierment à s'unir. Cela veut dire 
seulement qu'il existe entre l'essence divine et notre intellect un rapport 
semblable à celui qui existe entre la forme et la matière. En effet, toutes 
“les fois que deux choses dont l'une est plus parfaite que l'autre , sont re- 
ques dans le méme sujet, le rapport de l'une à l'autre, c’est-à-dire de la 
plus parfaite à la moins parfaite, est comme le rapport de la forme à la 
matière ; c'est ainsi que la lumière et la couleur sont recnes dans um 
corps diaphane, puisque la lumière est par rapport à la couleur comme la 
forme par rapport à la matiére. Ainsi donc, notre ame recevant, d'une 
part, la lumiére intellective, et, de l'autre, l'essence divine elle-méme qui 
veut résider en nous, bien que ce ne soit pas de la même manière, cette 
divine essence sera par rapport à notre intellect comme la forme par rap- 
port à la matière. Et que cela suflise vour que notre intellect puisse 
voir immédiatement l'essence divine, voici comment on peut le montrer: 
de méme que, dans la nature, de la forme et de la matière il résalte un 
seul être, absolument parlant; de méme, de la forme par laquelle l'in- 
tellect entre en exercice, et de cet intellect lui-même il résulte en quel- 
que sorte un seul étre intelligent. Mais, dans la nature, une chose sub- 
sistante par elle-même et qui a déjà sa matière propre, ne sauroit devenir 
la forme d'une autre matiére, par la raison bien simple que la matière 
ne peut en aucun cas devenir une forme. Toutefois, si la chose subsis- 
tante par elle-même est simplement une forme, rien n'empéche que cette 


forme ne s'applique à une matiere , 


ne devienne ce par quoi est l'étre 


composé ; et cela est évident de l'ame même. Quaad il s'agit de l'intellect, 
il faut considérer l'intellect lui-même, tandis qu'il n'est encore qu'en 
puissance comme une matière; l’espèce intelligible sera comme la forme; 
' et dès-lors l'intellect en acte, ou dans l'exercice actuel de la pensée, sera 
comme l'étre composé qui résulte de cette forme et de cette matière. S'il 





lectum nostrum , est sicut forma ad 
materiam. Quandocumque enim aliua duo, 
querum anam est altero perfectius, recipiuntur 
ia eodem receptibili, proportio unius ad alte- 
ren | scilicet magie perfecti ad minès perfec- 
tum ) est sicut propertio forme ad materiam; 
Sicut lox et eelor recipiuntur in diaphano (4), 
quorum jux se habet ad colorem sicut frma ad 
materiam. EL ita , chen in anima recipiatur lux 
intedectiva, et ipsa divina essentia inhabitans, 
licèt non per eumdem modum, essentia divina 
se habebit ad intellectum sicut forma ad u:a- 
teriam. Et qued bec sufticiat ad hoc quod iu- 
telleclus per divinam essentiam poesit videre 
ipsam divinam essentiam, hoc modo potest os. 
tendi: sicut enim ex forma naturali , qua ali- 


quid babet esse, et materia efücitur unum ous 
srapliciter; ita ex forma qua intellectus intel- 
hgit, et ab ipso intellectu , fit unum in intel 
ligendo. In rebus awtee naturalibus res per 88 
subsistens nom potest forma esse alicujus ma 
leri, si illa res habeat emterism partem sui; 
quia non polest esse ut maleria sit ferma ali- 
cujus. Sed si illa res per se subsistens sit 
forma tantüm, nibil prohibet eam eftici formam 
alicujus materi , et leri quo est ipsius com- 
positi, sicut patet. de enima. Ia intellectu au- 
tem opertet accipere ipsum intellectum in po- 
tentia quasi matenam, et speciem intclligibi- 
lem , quasi formam ; et intellectue in actu in- 
telligens, ertt quasi compositum ex utroque. 
Unde, si sit aliqua res per se subsistens, quae 


. (1) Id est subjecto transparenti , ex grece dixpawc, eujus nimirum partes propter tenui- 


(alem suam à lemipe facid penetrantur. 


e 


148 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 14. 


y a donc une chose subsistante par elle-méme, mais qui n'a rien en elle 
que ce qui est intelligible , cette chose pourra certainement devenir la 
forme par laquelle un intellect entre en exercice. Or ume chose quel- 
conque est intelligible par tout ce qu'elle a en acte, et non par ce qu'elle 
n'a qu'en puissance, comme on le voit clairement, Metaph., X1, 20. Et 
la preuve de cela, c'est qu'il faut abstraire la forme intelligible dela ma- 
tiére et de toutes les propriétés de la matiére. Donc, comme l'essence di- 
vine est un acte pur, elle peut sans difficulté devenir la forme en vertu 
de laquelle un intellect voit et pense. Voilà ce qui fait dire au Maître des 
Sentences, II, 1 : « L'union de l’ame avec le corps est comme un exemple 
de la bienheureuse union qui rattachera notre esprit à Dieu (4). » 

Je réponds aux arguments : 1» Ce texte peut être exposé de trois ma- 
niéres, comme on peut le voir dans saint Augustin, De vivendo Deo, 
déjà cité : D'abord, par là se trouve exclue la vision corporelle, vision qui 
n'a jamais atteint et n'atteindra jamais à l'essence divine ; en second lieu, 
ce texte exclut la vision intellectuelle elle-méme, par rapport à l'essence 
divine, tant que notre ame est renfer.: ée dans cette chair mortelle; enfin, 
il-exclut une vision qui comprendroit Dieu, chose réellement impossible 
dans un intellect créé. Et c'est ainsi que l'entend saint Jean Chrysostóme; 
car il ajoute : « L'Evangéliste parle en cet endroit d'une contemplation 
parfaitement süre, d'une vue totale, et telle que le Pére l'a du Fils. » Et 
tel est aussi le sens de l'Evangéliste ; comme on en peut juger par ce qui 

(1) Un mot sur quelques philosophes nommés dans cette longue thése. Nous n'avons pas 
besoin de revenir sur Avicenne et Averroës, dont il a été plus d’une fois question dans les 
notes, et que nous supposons être assez connus du lecteur. Mais il n'en est peut-être pas tout- 
à-fait ainsi d'Alpharabius et d'Avempace. Ce sont également là deux philosophes arabes, dont 
le nom a été sin :ulièrement défiguré en passant à nos langues occidentales. L'un et l'autre 
se sont rendus célèbres par leurs commentaires sur Aristote et la manière dont ils ont in:er- 
prété le péripatétisme. Le premier, Alpharabius, en arabe Al - Farabi, vivoit à la cour des 


Abassides, un siécle environ aprés Alkendi , le plus ancien des pbilosophes arabes qui aít 
laissé un nom historique, et qui brilloit lui- méme sous les califes Almanoun et Motassem. Il 





non habeat aliquid in se preter id quod est 
intelligibile in ipsa, talis res per se poterit esse 
forma qua intelligitur, Res autem qualibet est 
intelligibilis secu:düm id quod habet de actu, 
non seeundüm 1d quod habet de potentia , ut 
patet in IX. Metaph. Et hujus siznum est, 
quód oportet formam intelligibilem abstrahere 
à materia, et ab omnibus proprietatibus mate- 
riz. Et ideo, cüm divina essentia sit actus pu- 
rus, poterit esse forma qua intellectus intel- 
ligit; et haec erit unio beatificans. Et ideo dicit 
Magister in 1, dist. 2, II. Sent., quód « unio 
anim ad corpus cst quoddam exemplum illius 
beate unionis qua spiritus unitur Deo (1). » 


(1) Est secunda ratio quam inducit, cur Deus voluerit 


Ad primum ergo dicendum, quód auctoritas 
illa potest tripliciter exponi, ut patet per Au- 
gustinum io libro De eidendo Deum (seu 
Epist. CXII! , ut jam suprà ) : Uno modo , ut 
excludatur corporalis visio, qua nemo vidit vel 
visurus est Deum in essentia sua; alio modo, 
ut excludatur intellectualis visio Dei per es-. 
sentiam, ab eis qui in ista mortlali carpe vi- 
vunt; alio modo, ut excludatur visio compre- 
hensionis ab iutellectu creato. Et sic iutelligit 
Chrysostomus, unde subdit : « Notitiam hic 
dicit Evangelista cerlissimam considerationem 
et comp. ehensionem tantam quantam habet 
Pater de Filio. » Et hic est intellectus Evan- 


snimam sic uniri corpori , ut lit. K 


seu 8 10 videre ect, qualenus in humana couditione beaiæ unionis exemplum ostenderet. 


à 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 149 


suit dans le texte : aLe Fils unique qui est dans le sein du Père, nous l'a 
lui-même raconté. » En nous montrant ainsi dans le Fils une vue de com- 
prébcnsion, l'auteur sacré veut mettre en évidence la divinité du Christ. 

2» Comme Dieu surpasse par son essence infinie toutes les choses exis- 
tantes, qui n'ont qu'un étre délimité, ainsi la connoissance qu'il a de 
lui-même s'éléve au-dessus de la connoissance de tous les autres êtres. 
Le rapport donc qui existe entre notre essence créée et la connoissance 
que nous en avons, existe aussi entre l'essence infinie de Dieu et la con- 
noissance qu'il a de lui-même. Or deux choses concourent à former la 
connuissance ; l'étre capable de connoitre, et le moyen par lequel il con- 
noit. D'antre part, la vision par laquelle nous verrons Dieu dans son es- 
sence, est la méme que celle par laquelle Dieu se voit, en ce qui concerne 
du moins le principe de cette vision; car Dieu se voit par son essence, et 
c'est ainsi que nous le verrons nous-mémes. Sous le rapport du sujet 
méme de cette vision , il est évident qu'il faut admettre une différence, 
telle qui existe entre l'intellect divin et un intellect créé. Dans toute con- 
noissance , ce qui en est l'objet est subordonné à la forme par laquelle 
nous connoissons, puisque nous ne voyons une pierre qüe par la forme 
méme de cette pierre; mais l'efficacité d'une connoissance, sa grandeur, 
8a portée , dépend de la vertu propre de l'étre intelligent; celui qui a la 
vue la plus pénétrante , voit mieux et de plus loin. Dans la vision béati- 
fique, par conséquent, nous verrons la méme chose que Dieu voit , c'est- 
à-dire son essence ; mais nous ne la verrons pas avec la méme efficacité. 

3° Saint Denis parle en cet endroit de la connoissance que nous avons 
de Dieu dans le cours de notre pélerinage, de cette connoissance qui, 
par la vertu d'une forme créée, éléve notre intellect à la pensée de Dieu; 


a surtout travaillé sur la logique du Stagyrite, et son systéme d'interprétation a une tendance 
marquée vers le matérislisme. Avempace, /bn-Badja, naquit à Saragosse vers la fin du onzióme 
siècle et mourut à Fez en 1138. Avec la philosophie, il cultiva la médecine et les matbéma- 
tiques. Tous ses écris ont péri, à l'exception de sa lettre d'adieux, où il cherche à déter- 
miner le but de la science et de la vie humaines. 





gelistæ ; unde subdit : « Unigenitus, qui est in | sicut ipse se videt per essentiam suam , ita et 
sinu Patris, ipse enarravit, etc., » per com- nos videbimus eum. Sed ex parte coguoscentis 
prehensionem volens probare Filium esse invenitur diversitas , qua est inter intellectum 
Deum. , divinum et nostrum. In cognoscendo autem, id 

Ad secundum dicendum, quàd sicut Deus quod coguoscitur, sequitur formam qua co- 
excedit omnia existentia, que habent esse de- gnoscimus , quia per formam lapidis videmus 
terminatum, per essentiam suam infinitam, ita lapidem; sed efficacia in cognoscendo sequilur 
cognitio sua qua cognoscit, est super omnem | virtatem cognoscentis; sicut qui habet visum 
cognitionem. Unde, quæ est proportio cogni- | fortiorem, acutiüs videt. Et ideo, in illa visione 
tionis nostra ad essentiam nostram creatam , | nos i/em videbimus quod Deus videt (scilicet 


ea est proportio cognitionis divine ad essen- 
tism suam intinitam. Ad cognitionem autem 
duo concurrunt , scilicet cognoscens, et quo co- 
gnoscitur. Visio autem illa qua Deum per es- 
sentiam videbimus, est eadem cum visione qua 
Deus se videt, ex parte ejus quo videtur ; quia 


essentiam suam), sed non ita efficaciter. — 

Ad tertium dicendum , quód Dionysius ibi 
loquitur de cognitione qua Deum in via cognos- 
cimus per aliquam formam creatam, qua intel- 
lectus noster formatur ad Deum videndum ; sed, 
Sicut dicit Augustinus (loco jam indicato, 


350 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 4. 


mais, comme le dit saint Augustin , dans le traité déjà tant de fois cité, 
Dieu échappe à toute forme existant dans notre imtellect ; car quelle que 
soit la forme que notre intellect puisse concevoir, elle w'atteindra jamais 
à la grandeur de l'essence divine. Dieu ne sauroit doncici-bas être acces- 
Bible à notre intelleet. La plus haute, Ta plus parfaite comnoïssance que 
nous puissions en avoir dans les conditions de Ja vie présente, c'est de sa- 
voir qu’il est infiniment supérieur à tontes les conceptions de notre in- 
tellect ; et de a sorte nous nous unissons à lui comme à l'mcormu. Mais 
dans la patrie neus le verrons Iui-mèmme, la forme de cette vision étant 
sa propre essenæ ; là mous neas unirons à lui comme à ume connois- 
sance immuable et parfaite. 

ke « Dieu est lumière , » comme 1l est dit, Joan., I. Or il y a une lu- 
mière communiquée comme il y aune lumiere primordiale; l'une est 
l'impression de l'autre sur l'objet illuminé. L'essence divine ayant un 
tout autre mode d’être que la simple empreinte laissée par elle dans notre 
intellect, saint Dents a pu dire que les ténèbres divines sont inaccessibles 
à toute lumière; car l'essence divine, qu’il désigne sous le nom de té- 
nébres à raison de la surabondance méine de sa clarté, demeure indé- 
montrable par Ia seule impression reçue dans notre intellect , d’où il suit 
qu'elle se dérobe à toute connoissance. Si donc celui qui voit Dieu con- 
coit de lai quelque chose dans sa pensée, cela n'est pas Dieu méme, mais 
simplement un effet divin. 

5» Sans doute, la divine clarté dépasse notre intellect; mais efle ne dé- 
passe pas apparemment la divine essence, laquelle sera comme la forme 
de notre intellect, dans la céleste patrie. Maintenant invisible , Dieu sera 
alors parfaitement visible. 

6" Bien qu'il n’y ait ni ne puisse y avoir de véritable rapport du fini à 
l'infini, par la raison que la quantité dont l'infini surpasse le fini, est 
elle-màme illimitée ou indéterminée , 0n peut néanmoins établir entre 





cap. 6, ac deinceps), Deus omnem formam : scilicet essentia divina , quam tenebras vocat 


intelle« tüs nostri subterfugit, quia quaumcu'n- 
que formam intellectûs noster concipiat , illa 
forma non pertingit ad rationem divinæ essen- 
tie; et ideo ipse non polest esse pervius in- 
tellectui nostro. Sed in hoc eum perfectissime 
cognosci:wus in statu vie, quod scimus euim esse 
super omne id quod intellectüs noster concipere 


| propter claritatis excessum , manet indemons, 


trata per inpressionem intellectis nosti; e& .. 


per hoc sequitur quód abscondatur omni pe 


‘gailioni. Et ideo quicumque videntium Deu:n 


aliquid mente concipit, hoc non est Deus, sed 
aliquid divinorum effectuum. 
' Ad quintum dicendum, quód claritas Dei 


potest ; et sic ei conjungimur quasi ignoto. Sed in q;amvis excedat omnem formam qua nunc 


pauia idipsum per forinam quæ est essentia sua, 
videbimus , et conjungemur ei quasi noto. 

Ad quartum dicendum, quód « lux est Deus, » 
et dicitur Joan., 1. Lumen autem est impres- | 
Siu lucis in aliquo illuminato. Et quia essentia | 


intellectus noster informatur, non taiucn exce- 
dit ipsam essentiam ‘ivinam , quæ erit quasi 
forma intellectüs noswi in patria. Et ideo li- 
cét nunc sit invisibilis, tamen tunc erit visi- 
! bilis. 


divina est alterius modi quàm omnis similitudo | Ad sextum dicendum , quàd quamvis finiti 
ipsius impressa intellectui, ideo dicit quód di- : ad iníinitam non possit. esse proportio , quia 


an aperiuntur omni lumini, quia; excessus inliniti supra fnitwn non est deter- 





DE LA VISION PE L'ESSENCE MVINE, ETC. 151 
eux une proportion, une proportion improprement dite. En effet, d’un 
infini à un iofini, on peut établir une égalité comme il en existe d’un 
fini à un autre. Pou? qu'une chose soit entièrement connue par une autre, 
parfois il est néeeseaire, à la vérité, qu'il y ait une exacte proportion 
entre le sujet @t l'objet de cette conmoissance. La puissance intellective 
de l'un doit égaler la grandeur intelligible de l'autre; et l'égalité. 
constitue une véritable proportion. Mais parfois la grandeur intelligible 
dépasse la puissance intellective, quand notre intellect s'applique à Dieu ; 
ou bien c’est le contraire, quand l'intellectdivins'applique aux créatures. 
Dans ce cas il ne faut plus qu'il y att une proportion égale entre le sujet 
et l'objet de la oonnoissance , il suffit qu’il y ait proportionnalité ou pro- 
portion improprement dite. 1 faut alors que l'objet intelligible soit par 
rapport au sujet intelligent comme celui-ci esf par rapport à celui-là 
Une telle proportionnalité suffit pour que le fini connoisse l'infini, et ré- 
ciproquement (1). On peut répondre encore que le mot proportion, dans 
80n acceplion premiére, exprime le résultat de la comparaison entre deux 
quantités, pour en déterminer la différence ou l'égalité ; mais ultérieure- 
ment on s'en est servi pour exprimer un rapport quelconque entre deux 
choses. Voilà comment nous disons que la matière doit être proportionnée 
à la forme. De cette facon rien ne nous empéche de dire non plus que 
notre intellect , bien qu'étant une chose finie, se trouve dans un certain 
rapport ou dans une sorte de proportion avec Vessence divine, si bien 
qu'il puisse la voir, sans néanmoins pouvoir l'embrasser, à raison de la 
grandeur infinie de cette essence. 

T^ Il y a deux sortes de ressemblance ou de dissemblance : l'une repose 


(1) C'est teujours là, comme on le voit, le grand problème que toutes les philosophies ont 
prétendu résoudre , et qu'aucune en véalité n'a résolu, pour la raison bien simple, qu'il est 





minates, potest. tamen esse ínter ea propor- 
tionalitas, que est simittado proportionum. 
Sicul enim finitum sequatur alicui tinito , ita 
inünito intinitum. Ad hoc autem quód aliquid 
totaliter cognoscatur (1), quandoque oportet esse 
proportionem inter cognoscens et cognitum, 
quia oportet virtutem cognoscentis coæquari 
cognoscibilitati rei cogni; æqualitas autem 
proportio quadam est. Sed quandoque cognos- 
cibilitas rei excedit virtntem cognoscentis , si- 
cut cdin nos cognoscimus Deum; aut à con- 
verso , sicut cm ipse cognoscit creaturas. Et 
tunc non oportet esse proportionem inter Cco- 
gnoscens et coguitum , sed proportionalitatem 


ad hoc quod cognoscatur. Et talis. proportio- 
malitas sufficit ad hoc quód infinitum cognosca- 
tur à nito, vel à copverso. Vel dicendum 
quèd proportio, secundàm propriam nominis 
instituti nem, signilicat habitudinem quantitatis 
ad quantitatem secundüm aliquem delermina- 
tum excessum vel adæquationem; sed ulterius 
est translatum ad significandum omnem habitu- 
dinem cujuscumque ad aliud. Et per hunc mo- 
dum dicimus quód materia debet esse propore 
tionata ad formam. Et hoc modo nihil prohibet 
intellectum nostrum, quamvis sit finitus , dici 
proportionatum ad videnium essentiam divi- 
nam infinitam, non tamen ad comprehenlendum 


tantüm ; scilicel, ut sicut se habet cognoscens | eam, et hoc propler suam immensitatem. 


ad cognoscendum, ita se habeat cognoscibüe 


Ad septimum dicendum, quód duplex est si- 


(1) Sive quantum ad emnes modos, babitodines ac respectus quibus cognescibilis dici pe- 
test. Quo sensu Deum nullus creatus intellectus potest omnino cognoscere, quia tamelsi totam 
ejus videat essentiam, quisquis beatificé videt, non omnes tamen ejus babitudines ac respectas 
cognosit, quia nec ejus infinitati adæquatur, aut adæquari potest. 


152 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 1. 


sur 1a nature méme, et sous ce rapport il est vrai de dire que Dieu s'é- 
loigne plus d'un intellect créé qu'un objet intelligible créé ne s'éloigne 
de nos sens. La seconde porte sur la simple proportionnalité ou analogie; 
et ici c'est le contraire qui a lieu, puisqu'il n'y a aucun rapport possible 
entre nos sens et un objet immatériel , tandis qu'il en existe réellement 
entre notre intellect et un objet immatériel quelconque. Or c'est cette 
ressemblance de proportion, et non celle de nature qui est nécessaire pour 
la connoissance. Il est évident , en effet, que notre intellect conçoit très- 
. bien la pierre, par exemple, sans lui ressembler par la nature ; ainsi la 
+ vue perçoit la couleur rousse du miel et du fiel, bien qu'elle ne puisse 
* distinguer la douceur de l'un,'de l'amertume de l'autre; car à neles juger 
que par la vue, le fauve reflet de l'un pourroit se confondre avec l'autre. 

8» Quand nous verroms Dieu par essence, l'essence divine sera elle- 
méme comme la forme en vertu de laquelle nous verrons Dieu; et il 
n’est pas nécessaire pour cela que l'essence divine et notre intellect de- 
viennent un seul ét même être absolument, il suffit qu'ils soient un en 
ce qui regarde seulement l'acte intellectuel, comme nous venons de le 
dire. 

% Nous n'adoptons pas dans ce sens la parole d'Avicenne ; elle est 
méme ainsi repoussée par les autres philosophes. On ne pourroit l'ad- 
mettre qu'autant qu'Avicenne voudroit parler en cet endroit de la con- 
noissance que nous avons des substances séparées, et d'une connoissance 
obtenue en vertu des sciences spéculatives, et fondée sur une certaine 


réellement insoluble. Je veux parler dela communication du fini avec l'infini, d'une intelligence 
nécessairement bornée avec la souveraine intelligence. La méme difficulté s'est présentée, dans 
le traité de l'homme, quand il s'est agi d'expliquer l'union de l'ame et du corps, et leur action 
réciproque. Il y a dans les deux cas un abîme à franchir, ua abîme insondable à la pensée 
humaine, tant qu'elle sera du moins soumise aux tristes conditions de la vie présente. La ré- 
flexion que nous avons faite alors, nous pouvons, avec plus de raison encore, l'appliquer à 
la vérité maintenant étudiée par notre auteur. Ce sont là deux faits également inrontestables, 
mais qu'il faut également accepter sans les comprendre, sous peine de tomber dans une in- 
teriinable série d'absurdités, et par suite dans un scepticisme universel. 





militudo et distantia : Una secunddm conve- 
nientiam in natura; et sic magis distat Deus 
ab intellectu creato, quàm intelligibile creatum 
à sensu. Alia secundüm proportionalitatem; et 
fit é converso, quia sensus non est proportio- 
natus ad cognoscendum aliquod immateriale , 
sicul intellectus est proportionatus ad cognos- 
cendum quodcumque immateriale. Et hac si- 
militudo requiritur ad cognoscendum, non au- 
tem prima, quia constat quàd intellectus intel- 
ligens lapidem non est similis ei in naturali 
esse; sicul etiam visus apprehendit mel rubeum 
et fel rubeum, quainvis non apprehendat mel 
duce (1) ; fellis enim rubedo magis convenit 


cum melle, in quantum est visibile, quàm dul- 
cedo mellis cum melle. 

Ad octavum dicendum , quód in visioue qua 
Déus per essentiam videbitur, ipsa divina es- 
sentia erit quasi forma intellectüs qua intelli- 
get; nec oportet quàd efficiantur unum secun- 
düm esse simpliciter, sed solüm quód fiant 
unum quantum pertinet ad actum intelligendi, 
ut suprà dictum est. 

Ad nonum dicendum, quèd dictum Avicenna 
quantum ad hoc non sustinemus , quia ci ettam 
ab aliis philosophis in boc contradicitur ; nisi 
fortè velimus dicere quód Avicenna intelligit 
de cognitione substantiarum separataruin , :€- 


(1) Hoc est, sub ratione dulcis non apprebendit, quia dulcedo non pertinet risi ad zus- 
tum ; sicut sub ratione flavi sive rubei apprebendit, quia proprié hoc pertinet ad visum. 


D Y 


- 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DiVINE, ETC. 153 


analogie avec les autres choses. Dans le fait, il parle de cela pour montrer 
que la science n’est pas en nous une substance , mais bien un accident. 
Quant à l'essence divine, quoique par les propriétés de sa nature elle soit 
plus éloignée de notre intellect que la substance angélique, elle est 
néanmoins plus essentielle ment intelligible, par la raison qu'elle est un 
acte pur, auquel ne se méle rien de potentiel ; ce qui n'a pas lieu dans 
les autres substances séparées. D'ailleurs la connoissance que nous aurons 
de Dieu quand nous le verrons par essence, ne rentrera pas dans le genre 
des accidents, en ce qui concerne du moins le principe méme de cette 
vision; elle n'y rentrera que par rapport à l'acte méme de l'intellect, 
puisque cet acte ne sera ni la substance du sujet, ni celle de l'objet. 

10° Une substance séparée de la matière se connoit elle-même , et con- 
noit les autres êtres. Sous l'un et l'autre rapport peut se vérifier le texte 
indiqué. En effet , comme l'essence méme de la substance séparée est de 
soi intelligible et en acte, puisqu'elle est séparée de la matiére, il est évi- 
dent que lorsque cette substance séparée se percoit elle-méme, l'objet et 
le sujet de cette perception ne forment qu'un seul étre; car elle ne se 
connoit pas elle-méme par une opération abstractive , comme nous con- 
noissors les choses matérielles. Et telle paroit être la pensée du Philo- 
sophe dans ce passage, comme on le voit du reste par le Commentateur. 
Quand la substance séparée perçoit les autres choses , l'objet connu en 
acte ne fait qu'unYavec l'intellect également en acte , en ce que la forme 
de cet objet devient actuellement celle de l'intellect lui-méme ; mais il 
ne faudroit pas entendre par là qu'elle soit l'essence méme de l'intellect , 
ainsi que le démontre Avicenne, De natural., VI, parce que l'essence de 
l'intellect demeure toujours la méme, bien qu'elle soit affectée par deux 
formes, puisqu'elle perçoit successivement deux choses différentes, de la 





cundèm quod cognoscuntur per habitus scien- 
tiarum speculativarum , et similitudinibus alia- 
rum rerum. Unde hoc introducit ad ostenden- 
dum quód scientia non est in nobis substantia, 
sed accidens. Et tamen divina essentia, quam- 
vis plus distet secundüm proprietatem nature 
suæ ab intellectu nostro quàm 'substantia an- 
geli, tamen plas habet de ratione intelligibili-. 
tatis , quia est actus purus, coi non admiscetur 
aliquid de potentia; quod non contingit in a.iis 
substantiis separatis. Nec illa cognitio qua Deum 
per essentiam videbimus, ex parte ejus quo 
videbitur, erit in genere accidentis, sed solüm 
quantum ad actum ipsius intelligentis, qui uon 
erit ipsa substantia intelligentis vel intellecti. 

Ad decimum dicendum, quód substantia se- 
parata à materia se intelligit et intelligit alia. 
Et utroque modo potest verilicari auctoritas in- 


ducta (1). Cüm enim ipsa essentia substantia 
separate sit per seipsam intelligibilis et in actu, 
eo quod est à materia separata, constat quód 
quando substantia separata intelligit se, omnino 
idem est intelligens et intellectum ; non enim 
intelligit se per aliquam intentionem abstrac- 
tam à se, sicut nos intelligimus res materiales, 
Et hic videtur esse intellectus Philosophi 
in Ill. De anima, ut per Commentatoren: ibi- 
dem patet. Secundüm autem quod iutell:git reg 
alias, intellectum in actu fit unum cum intel- 
lectu in actu, in quantum forma intellecti fit 
forma intellectàs in quantum est intellectus in 
actu, non quód sit ipsamet essenlia intellec- 
tüs, ut Avicenna probat in VI. De naturalibus, 
quia essentia intellectüs manet una sub duabus 
formis, secundüm quod intelligit res duas suc- 
cessivé , ad modum quo materia prima wanef 


(1) Nimirum Philosophi, III. De anima, text. 15, ut presupponi ex argumento debet. 


154 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE À. 


méme manière que la matière première demeure constamment la même 
sous des formes diverses. Et sous ce rapport, le Commentateur lui-même, 
De anima., 11i, compare l'intellect possible à la matière première. Il ne 
s'ensuit donc nullement qu'en voyant Dieu notre intellect devienne l'es- 
sence divine elle-méme; cette essence devient seulement comme la per- 
fection et la forme de notre intellect. 

11* Ces textes et tous les autres semblables doivent s'entendre , pour 
la raison déjà donnée, de la connoissance que nous avons de Dieu durant 
le cours de notre pelerinage. 

1% L'inflni pris dans un sens privatif nous est inconnu comme tel; 
car il n'exprime alors que l'absence de tout complément , et c'est par le 
complément que s'obtient la connoissance d'une chose. L'infini se résoud 
dans la matière purement privative, comme on le voit clairement, Phys., 
I, 72. Mais l'infini pris dans un sens négatif exprime l'absence d'une 
matière qui le détermine; car la forme elle-même est en quelque sorte 
délimitée par la matiére. Aussi l'infini pris dans ce dernier sens est-il de 
soi éminemmentintelligible; et c'est de cette mamière que Dieu est infini. 

13* Saint Augustin parle en cet endroit de la vision corporelle , vision 
dont Dieu ne pourra jamais être l'objet. Cela résulte é, :demment du con- 
texte : « De la maniére que nous voyons les choses appelées choses vi- 
sibles, personne n'a jamais vu ni ne peut voir Dieu; il est invisible de sa 
nature, aussi bien qu'incorruptible. » Or , de méme que Dieu est, égale- 
ment de sa nature, éminemment être, il est de soi éminemment intelli- 
gible. S'il n'est pas connu de nous, cela tient à notre défaut d'intelligence. 
Ainsi donc, que nous soyons appelés à le voir, quand nous ne le pouvions 
pas auparavant, cela accuse un changement qui s'est opéré en nous , et 
non en lui. 





una sob diversis formis. Unde etiam Commen- 
tator ia III. De anima, comparat intellectum 
possibilem, quantum ad hoc, materie primæ. Et 
sic Dullo modo sequitur quód intelle-tus noster 
videns Deum flat ipsa essentia divina, sed quèd 
ipsacomparetur ad illum quasi perfectio et forma. 

Ad undecimum dicendum, quàd auctoritates 
flle et omnes similes sunt intelligendæ de co- 
gnilione qua cognoscunus Deum in via, ratione 
priüs posit&. 

Ad duodecimum dicendum, quód « infinitum 
privativé dictum » est ignotum, in quantum 
bojusmodi ; quia dicitur per remotionem com- 
plementi, à quo est cognitio rei. Unde ínfini- 
tum reducitur ad materiam subjectaui: priva- 
tioni, ut patet in Il. PAys. (1). Sed «infiuitum 
negativè acceptum » dicitur per remotioneun 


materi terminantis; quia forma etiam quo- 
dammodo terminatur per materiam. Unde infi- 
nitum hoc modo est maximè de se cognosci- 
bile. Et hoc modo infinitus est Deus. 

Ad decimum tertium dicendum, quàd Augus- 
tinus loquitur de visione corporali, qua Deus 
nunquam videbitur. Quod palet ex hoc quod 
praemiltitur : «Sicut enim videntur ista que 
visibilia nominantur, Deum nemo vidit un- 
quau, nec videre potest , eL est naturá invisi- 
bilis, sicat et iucorruptibilis. » Sicut autem 
secundum naturam suam est maximé ens, ita 
et secundüm se est maxim intelligibilis. Sed 
quód à nobis quandoque non intelligatur, est 
ex defeclu nostro. Unde quód videalur jrist- 
quam visus non fuit à uobis, oon est ex muu- 
talione sua , sed nostra. 


1) Sic enim ibi, text. 732: Quoniam causa quadrifariam divisa swa, menifestum est 
iufÁnitum sicut maleria causa sit, el quod ipsius esse sit privulio. 


NE LA VISION PE L'ESSENCE DIVINR, ETC. 155 
14° Dans la patrie céleste Dieu sera vu par les saints tel qu'il est, ex- 
pression qui se rapporte évidemment au mode d’être de l'objet vu; les 
saints le verront, en effet, dans l'existence qu'il possède réellement. Mais 
si ce mode est entendu du sujet lai-même qui connoit Dieu , on ne peut 
pss dire qu'il soit vu tel qu’il est; car la puissance de vision , ou la puis- 
sance intellective d'un intellect esóé ne sauroit jamais égalee la puissance 
intelligible de l'essence divine. 
45° Dans la vision , soit corporelle scit intellectuelle, on distingue trois 
sortes de moyens : le premier est le moyen sous lequel on voit; et c'est 
là ce qui perfectionne la vue, mais d'une maniere générale seulement, 
sans la déterminer à tel ou tel objet en particulier ; c'est Ja lumiére cor- 
porelle par rapport à la vue du corps, c'est la lumière de l'intellect 
agent , considéré comme moyens par rapport à l'intellee£ possible. Le se- 
cond est le moyen par lequel on voit; et c'est ici la ferme visible qui dé- 
termine l'une ou l’autre vae, comme Ia forme par laquelle on voit la” 
pierre. Le troisième est le moyen dans lequel on voit, c’est-à-dire la chose 
dont la vue nous amène à en voir une autre. Ainsi, en voyant un mi- 
roir, la vue se porte vers les objets qu'il représente, et de méme en voyant 
une image; pareillement, par la vue de l'effet notre intellect remonte à 
la cause, ou de la cause descend à l'effet. Or, dans la vision de la patrie, 
Dieu ne sera plus connu, comme il l'est maintenant, au moyen d'especes 
ou de formes étrangères; nous ne le verrons plus alors comme à travers 
un miroir. Le second moyen n'existera pas davantage; car c'est dans 
l'essence divine elle-même que notre intellect verra Dieu, comme cela 
résulte clairement de ce qui précède. Tl ne restera donc plus là que le 
premier moyen, lequel élévera notre intellect au point de l'unir à la sub- 
stance incrcée de la manière que nous l'avons expliqué plus haut. Mais 





Ad decimum quartum dicendum, quód Deus 
in patria videbitnr à sanctis sicuti est, si hoc 
referatur ad modum ipsius visi; videtur enim 

* À sanctis Deus habere illum modem qnem ba- 


: bet. Sed si referatur modus ad ipsum cognos- 


. ." centem, non videbitur sicuti est ; quia non erit 


* nta efficia intellectüs creati ad videndum, 


' Nquanta est efticacia essentiæ diving ad hoc 


LU 


| quod intelligatur. 


Ad decimum quintum dicendum, quàd me- 


3 dium in corperali visione et intellectuali inve- 


Bitur triplex : primmn est med/um sub quo 
videtur; et hoc est quod perlicit visum ad 
videndum in generali, non determinans visam 
ad aliquod speciale objectum ; sieut se habet 
lumet corporale ad visum corporalem , et u- 
men intelletüs agentis ad intellectum possi- 
bilem secundüm quod est medium. Secundum 
est medium quo videtur; et hzc est forma 


visibilis qua determinatur uterque visus ad 
speciale objectum, sieut per farma:n lapidis ad 
cognoscendum lapidem. Tertrum est medium 
(n quo videtur ; el hoc est id per c'jus in- 
speciionem decitur visus in aliam rem, sicut 
inspiciendo speculum ducitur in ea qua iu 
speculo repræsentantur, et videndo imarinem 
ducilur in imagmatum; sic euam intel'ectug 
per cognitionem effectüs ducitur in causam, 
vel à converso. M visione igitar patrie. non 
erit tertium mediæn ut scilicet Deus per spe- 
eies aliorum cognoscatur, sieut nanc co; nosci- 
tur; ratione cujus dicimur nanc videre in spe- 
calo. Nec erit ibi secundum med:wm, qua 
ipsa essentia divina erit id quo intellectus nos- 
ter videbit Deum , ut ex dictis patet. Sed erit 
ibi tantüm primum medium ; quod elevabit 
intellectum nostrum ad hoc quod possit coujungi 
substantie increatæ modo predicto. Sed ab hoc 


156 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 9. 


 ilestà remarquer que l'existence d'un tel moyen n'empéche pas une con- 
noissance d’être immédiate; il ne se place pas entre le sujet et l'objet, il 
donne simplement à celui-là le pouvoir d'exercer sa puissance intellective. 
16° On ne peut pas dire des créatures corporelles qu'elles sont vues 
d'une manière immédiate, si ce n'est dans le cas où ce qui en elle peut 
s'unir à la vue, luiest uni en réalité; mais ce n'est pas dans leur essence 
méme qu'elles sont susceptibles de cette union, puisqu'elles sont maté- 
rielles. C'est donc seulement quand leur image s'unit à notre vue, que 
nous sommes censé les voir d'une maniére immédiate. Mais Dieu peut 
s'unir à notre intellect, par son essence méme. Il ne seroit donc pas vu 
d'une maniére immédiate, si cette union n'avoit pas lieu. Or le voir 
ainsi, C'est voir sa face, selon l'expresstpn de l'Ecriture. De plus, l'image 
d'une chose corporelle est reçue dans notre vue selon l’espèce qu'elle a 
dans la chose elle-même , bien que ce ne soit pas avec le même mode 
d'étre. C'est pour cela que cette image nous méne directement à l'objet 
qu'elle représente. Mais nulle image ne peut ainsi conduire notre intel- 
lect à Dieu. I] n'y a donc pas de parité possible. 


ARTICLE II. 
Les saints après la résurrection verront-ils Dieu des yeux du corps? 


Il paroit que les saints après la résurrection verront Dieu des yeux du 
corps. 1° Un œil glorifié possède évidemment une plus grande puissance 
qu’un œil quelconque non glorifié. Or le saint homme Job vit Dieu des 
yeux de son corps, comme il le dit lui-même, Job, XLII, 5 : « Mon oreille 
vous a entendu, et maintenant mon œil vous voit. » Donc, à bien plus 
forte raison , un cil glorifié pourra-t-il voir Dieu par essence. 

9» Job dit encore, XIX , 26 : « Dans ma propre chair je verrai Dieu 
mon Sauveur. » Donc au ciel Dieu sera vu des yeux du corps. 





medio non dicitur cognitio tnediata; quia non 
cadit inter cognoscentem et rem cognitam, sed 
est illud quod dat cognoscenti vim cognoscendi. 
Ad decimum sextum dicendum , quèd crea- 
ture corporales non dicuntur immediaté videri, 
nisi quando id quod est in eis conjungibil 
visui, ei conjungitur. Non sunt autem conjun- 
gibiles visui per essentiam suam, ralione ma- 
terialitatis. Et ideo tunc immediaté videntur, 
quando earum similitudo visui conjungitur. Sed 
Deus per essentiam suam conjungibilis est in- 
tellectui. Unde non immediaté videretur, nisi 
essentia sua conjungeretur intellectui: Et hec 
visio quæ fit immediatè, dicitur visio faciei. 
Et preterea , similitudo rei corporalis recipitur 
in visu secundüm eamdem rationem qua est in 
re, licet non secundüm eumdem modum es- 
sendi. Et ideo similitudo illa ducit in illam rem 


9p" 





directà. Non autem potest hoc modo ducere ali- 
qua similitudo intellectum nostrum in Deum, ut 
ex dictis patet. Et propter hoc non est simile. 


ARTICULUS Il. 

Utrüm sancti post resurrectionem Deum 

corporalibus oculis videbunt. 

Ad secundum sic proceditar. Videtur quèd 
Sancti post resurrectionem Deum corporalibus 
oculis videbunt. Oculus enim glorificatus ma- 
joris est virtutis quàm aliquis oculus non glo- 
rificatus. Sed beatus Job oculo suo Deum vidit, 
Job, XLII : « Auditu auris audivi te, punc autem 
oculus meus videt te. » Ergo mul fortius o:ulus 
glorificatus per essentiam Deum videre polciit. 

9. Preterea, Job, XIX : «In carne mea vi- 
debo Deum salvatorem meum. » Ergo in patria 
Deus corporalibus oculis videbilur. 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 457 


8» Saint Augustin parlant de ceux qui possèderont la vue glorifiée, De 
“Civil. Dei, XX, 29, s'exprime ainsi : « La puissance supérieure dont ces 
yeux seront doués, ne consiste pas précisément dans une vue plus péné- 
trante que celle qu'on accorde à certains serpents et à l'aigle; car tout pé- 
nétrants que puissent étre les yeux de ces animaux, ils ne peuvent en dé- 
finitive voir autre chose que les corps; tandis que nous verrons alors les 
choses mémes incorporelles. » Or toute puissance capable de connoitre ou 
de voir les choses incorporelles, peut s'élever jusqu'à voir Dieu. Donc Dieu 
sera réellement vu des yeux du corps dans la gloire céleste. 
4° Aller des choses corporelles aux choses incorporelles n'est pas plus 
long que de passer de celles-ci à celles-là. Or un œil incorporel, ou 
l'eil de l'intelligence , peut voir les choses corporelles. Donc un œil cor- 
porel à son tour pourra voir les choses incorporelles, et dés-lors Dieu 
méme, comme on l'a déjà dit. | 
° Sur cette parole de Job, cap. IV : « Devant moi s’arrêta quelqu'un 
dont je ne connoissois pasle visage, » saint Grégoire dit, Moral., V, 95: 
« L'homme, qui, s'il eût voulu garder les préceptes, fût devenu spirituel 
même dans sa chair, en péchant est devenu charnel, même dans son es- 
prit. » Or, de cet état charnel où son ame est tombée, il résulte, comme 
le dit le méme Decteur, que, « l'homme n'a pas d'autres pensées que 
celles qu'il puise dans les images des corps. » Donc également, quand il 
sera devenu spirituel dans sa chair, comme il a été promis aux Saints 
qu'ils le seront aprés la résurrection, il pourra méme par les yeux du corps 
voir les choses spirituelles, et Dieu méme, par conséquent. 
6^ C'est de Dieu seul que l'homme peut recevoir la béatitude. Or la 
béatitude ne s'arréte pas à l'ame, mais doit aussi s'étendre au corps. Donc 
ce n'est pas seulement par les yeux de l'ame , c'est aussi par les yeux du 
corps, que l'homme pourra voir Dieu. 
7* De meine que Dieu sera présent par son essence dans notre intellect, 





8. Preterea, Augustinus, XXII. De Civitate | super illud Job, IV : «Stetit. quidam, cujus 


Dei, cap. 29, loquens de visu oculorum glori- 
ficatorum, sic dicit : « Vis praepollentior ocu- 
lorum erit illorum, non ut acriüs videant quàm 
quidam perhibentur videre serpentes, vel aqui- 
lg ; quantälibet enim acrimoniá cernendi ea- 
dem animalia vigeant, nihil aliud possunt videre 
quàm corpora , sed ut videant et incorporalia. » 
Quæcumque autem potentia cognosciliva est in- 
corporalium, potest elevari ad videndum Deum. 
Ergo oculi gloriosi Deum videte poterunt. 

4. Preterea, quæ est differentia corpora- 
lium ad 'incorporalia , eadem est è converso. 
Sed oculus iicorporeus potest corporalia vigere. 
Ergo voculus corporeus potest videre incorpo- 
Talia. Et sic idem quod priüs. 

B. Præterea, Gregorius in V. Mora(cum, 


non agnuscebam vultum, etc., » sic dicit: 
« Homo, qui si preceptum servare voluisset 
carne spiritualis futurus fuerat , factus est pec- 
cando etiam mente carnalis. » Sed ex hoc 
quod est mente factus carnalis, ut ibidem di- 
citur, « solum ea cogitar, quæ ad animui per 
corporum imagines tahit. » Ergo etiam, quando 
carne spiritua.is erit ( quod post resurreclio- 
nem sanctis promittitur )» etiain carne spiri- 
tualia videre poterit. Et sic, ut priüs. 

6. Praeterea, homo à solo Deo potest beati- 
ficari. Beatilicabitur autem non solùm quautum 
ad animam, sed etiam quantum ad corpus. 
Ergo nou solüm intellectu, sed eUam carne 
Deum videre poterit. 

7. Pricterea, sicut Deus est præscns per 


158 SUPPLÉMENT, QUESTION XCH, ARTICLE 2. 


il le sera aussi dans notre sens, puisqu'il doit être alors, selon PPexpres- 
sion de l'Apótre, I. Corin£h., XV, « tout en tous. » Or notre intellect lo - 
verra par la raison qu'il lui sera uni. Done pour la même raison notre 
sens doit également Le percevoir. 

Mais voici comment saint Ambroise exprime le contraire, Super Luc., 
cap. L : el ne faut pas chercher Dieu des yeux du corps; ni la vue ne 
peut l'envelopper, nila main le sassir. » Donc Dieu ne peut en aucune 
façon être perçu par nos sens corporels. 

Saint Jérôme dit, Super Isa., cap. VI : « Ni la diviuité du Père, ni 
celle du Fils, ni celle du Saint-Esprit n'est accessible aux yeux de notre 
corps; nous ne pouvons la voir que des yeux de l'ame, d’où vient qu'il 
est dit : Heureux ceux qui ont le cœur pur. » 

. Le mème saint Jérôme dit ailleurs : « Une ehose incorporelle ne sau- 
roit être vue des yeux du corps. » Mais Dieu est éminemment incorporel, 
Donc il ne sauroit être perçu par les gens, 

Saint Augustin dit, dans son livre de la vision de Dieu, Ewíist., 
CXII, 41 : a Personne n'a jamais vu Dieu, jamais dans cette vie, tel qu'il 
est, jamais dans la vie angélique, de la manière au moins que nous 
voyons par les yeux du corps les créatures visibles. » Or la vie angélique 
n'est autre que la vie bienheureuse, celle dont les élus vivront aprés la 
résurrection. Donc on ne verra pas Dieu des yeux du corps dans le séjour 
de la vie éternelle (1). 

(1) N n'est pas un aspect, nous osons le dire, sous lequel puisse être présentée cette impor- 
tante et difficile question de la vision de Dieu, que le docteur angélique n'ait signalé et 
discuté dans la première partie de la Somme. En revenant donc sur ce sujet , à l'aide des 
documents puisés dans les autres ouvrages de saîm Thomas, de son commentaire en particu- 
Hier sar le livre des Sentences, son continuateur ne pouvoit que s'exposer à reproduire les consi- 
déiations et les raisonnements déjà émis. les arguments et jusqu'aux citations elles-mêmes. 
C'est ce qui a lieu pour ce texte de saint Augustin, comme on peut le voir, I part. quest. XIT, 


art. 3. Il sert là de fondement à la méme thése. La preuve qoi forme le corps de l'article, 
est également la méme quant au fond. Bewlersent elle est ici ples dévoleppóe, mais non peut- 








suam essentiam in intellectu, ita etiam erit, picere , sed oculi mentis, de quibus dicitur: 


presens in sensu ; quia erit « omnia in omni- 
bus, » ut dicitur I. Cor., XV. Sed videbitur ab 
intellectu ex hoc quod sua essentia ei conjun- 
getur. Ergo poterit videri etiam à sensu. 

Sed contra, Ambrosius dicit super Luc., 
tap. 1 : « Nec corporalibus oculis Deus quæ- 
"itur, nec circumscribitur visu, nec tactu te- 
setur. » Ergo nullo modo corporali sensu Deus 
ridebitur. ' 

Preterea, Hieronymus dicit in f[saf., cap. VI: 
« Non solüm divinitatem Patris, sed nec Filii, 


nec Spiritüs sancti (1) oculi carnis possuut as- 


a Beati mundo corde » ( Matth, V.) 

Preterea, idem Hieronymus alibi dicit : 
« Bes incorporalis corporalibus oculis non vi- 
delur. » Seg Deus est maximè incorporeus. 
Ergo, etc. 

Preterea , Augustinus, libro De videndo 
Deum, seu Epist. CXIL, cap. 11: « Deum nem 
vidit unquam, vel in bac vita, sicut ipse esf, 
vel in augelorum vita, sicut. visibilia ista que 
corporali visione cernuntur. » Sed vits ange- 
lorum dicitur vita beata, in qua resurgenies 
vivent. Ergo, etc. 


(t) Ideo cum bae distipetione dictam , quia oterque apparuit in forma visitit (bominis vel 


celumbe ), nec tamen divinitas appaivisee dicenda est. De Patre outem dubitarinen potest, 
quia nunquam visibiliter apparuit, immediaté saltem, sicut alii dae. Alioqui eadem trium est 
ratio cur divinitas apparuisse non dicatwr, quia easdem omnine est. 


"72€ 


BE LA VEGEX BE L'EXENCE [MYIXE. ETC. 139 

e Best dii de Ihca me qui a été fait à l'imxze de Dee, par la raison qu'il 
peut vor Dieu. » Ainsi s'expoime saint Aucu:tin, De Tria , XIV, M. Oe 
c'est par sam ame, et non par son corps, que l'homme est fait à l'imas ds 
Dix D:ac il verra Dicu par les yeux de san ame et nom par ceux de sm 
Corr s. 

(Cosarswm. — Comme la voe ne. peut sarir que là auleur ou la 
quantité, Dieu étant parfaitement exempt de oes deux ches, les etus 
apres la résurrection ne pourront pas directement le voir des veux du 
Corps ; ils ne le verront ainsi que d'une manière inditecte ou axiden- 
telle . à savoir dans les créatures corporelles et surtout dans le corps du 
Chri:t.) 

Une chose est perçue par un sens corporel de deux manières, ou de 
soi ou par accident. Une chese est perque de sxi par un sns corporel 
quand de soi elle peut agir sur les sens. Or, une chose peut agir sur un 
sens parce que c'est un sens, ou bien agir sur tel sens en particulier, parc 
qu'en effet il est tel. Ce qui agit de cette seconde manière sur un sens est 
appelé son objet propre; ainsi la couleur par rapport à la vue, le son par 
rapport à l'ouie. Mais comme le sens, en tant que sens, s'exerce au moyen 
d'un organe corporel, c'est uniquement d'une manière corporelle qu'il 
peut percevoir une chose; car, comme nous l'avons dit si souvent, une 
chose n'est reçue dans une autre que selon le mode de celle-ci. Des-lors 
toutes les choses sensibles, par la raison qu'elles possèdent ou forment une 
quantité, doivent agir sur le sens en tant qu'il est sens. Voilà pourquoi la 
grandeur ou la quantité et toutes les choses qui en sont la conséquence, 
comme le mouvement, le repos, le nombre , se nomment objets sensibles 
communs, mais objets sensibles de soi. Par accident le sens perçoit une 
chose qui n'agit sur lui ni en tant qu'il est sens, ni en tant qu'il est 


être pius frappante. Du reste, le lecteur peut se livrer à un travail de comparaison, qui, sous 
plus d'un rapport, ne sera dénué ni d'intérêt, ni d'utilité. 





Præterea, « secundàm boc bomo dicitor | passionem inferre aut sensui, in quautum est 


factas ad imaginem Dei, quod Deum conspicere 
potest, » ut Augustinus dicit lib. XIV. DeTrin., 
cap. &. Sed homo est ad imaginem Dei secun- 
düm mentem, mon secundum carnem. Ergo 
mente et noa carge Deum videbit. 

( Co&cLusio. — Cim visus, coloris magnitu- 
diuisve isntummodè perceptivus sit, beati post 
resurrectionem Deum, illorum expertem, nullo 
modo visu corporali per se videre poterunt, 
sed tantüm per accidens, in sensibilibus scili- 
cet creaturis, et præcipuè in corpore Christi. ) 

Respondeo dicendum , quód sensu corporali 
aliquid sentitur dupliciter : uno modo per se, 
alio modo per accidens. Per se quidem senti- 
tur illud quod per se passionem sensui corpo- 
tali ipferre potest. Per se autem potest aliquid 


sensus, aut huic sensui, in quantum est hic 
sensus. Quod autem hoc secundo modo infert 
per se passionem sensui, dicitur sensibile p:o- 
prium; sicul color respecta visüs, et sonus 
respectu audilàs. Quia autem sensus, in quan- 
tum est sensus , ulitur organo corporali, non 
potest in eo aliquid recipi nisi corporaliter, 
cüm omne illud quod recipitur in aliquo, sit ia 
eo per modum recipientis. Et ideo omnia sen- 
sibilia inferunt passionem sensui in quantum 
est sensus, secundüm quód babent magnilud 
nem. Et ideo magnitudo et omnia oconsequen. 
tia, ut motus et quies, et numerus, et hujus- 
modi, dicunter sensibilis communia, per so 
tamen. Per accidens autem sentitur illud quod 
nog infert passionem sensui, neque in quan- 


160 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 2. 


tel sens en particulier, mais parce qu'elle se trouve unie à une autre 
chose qui agit sur les sens; ainsi nous voyons un homme , et nous re- 
connoissons Socrate, le fils de Diarés, un ami, et autres choses semblables, 
qui dans leur universalité sont essentiellement perques par l'intellect, e' 
le sont en particulier, par la pensée chez l'homme, par le discernemen 

instinctif chez les bétes. On dit bien que ces choses sont du ressort de 

sens extérieurs, quoiqu'elles ne ressortent que d'une manière acciden 

telle de ce qui frappe les sens; la puissance d'aperception à laquelle i 

appartient de connoitre des choses de cette nature , dégage cette connois- 
sance instantanément , sans hésiter et sans discourir; tout comme, par 
exemple, nous voyons qu'un homme vit par cela méme que nous l'en- 
tendons parler. Mais quand il n'en est plus ainsi, on ne peut pas dire 
qué nos sens perçoivent une chose méme par accident. Cela posé, je dis 
que Dieu ne peut en aucune facon tomber sous notre vue corporelle, ou 
bien étre percu par un autre sens quelconque, comme un objet visible de 
soi, pas plus au ciel que sur la terre; car si vous ótez au sens ce qui pré- 
cisément le constitue dans sa nature de sens, ce n'est plus un sens que 
vous aurez ; et pareillement, si vous Ôtez à la vue ce qui en fait l'essence, 
vous pourrez bien avóir autre chose, mais vous n'aurez pas la vue. Puis 
donc que le sens , comme tei , percoit la grandeur ou la quantité , et que 
la vue, comme étant tel sens en particulier, perçoit la couleur, il est im- 
possible que la vue perçoive une chose qui n'a ni couleur ni quantité ; il 
faudroit, pour pouvoir dire le contraire, parler par métaphore ou par ana- 
logie. Par conséquent, comme la vue et les autres sens doivent rester da”s 
les corps glorieux spécifiquement la méme chose qu'ils sont dans les corps 
non glorieux , il ne se peut pas que notre vue percoive la divine essence, 
coinme un objet visible de soi. Elle la verra néanmoi3s d'une manière 





tum est sensus, neque in quantum est hic sen- 
sus ; sed conjungitur hi: quie per se sensui in- 
ferunt passionem, sicut Socrates, et filius Dia- 
ris (1), et ainicus, et alia hujusmodi, quæ per se 
cognoscuntur, in universali , ab intellectu , in 
particulari autem , à virtute cogitativa in 
homine, æstimativa ,autem in aliis animali- 
bus. Hujus:odi autem tunc sensus exterior 
dicitur sentire, quamvis per accidens, quau- 
do ex eo quod per se sentitur, vis apprehen- 
siva ( cujus illud est cognitum per se coguos- 
cere ) statim et sine dubitatione et discursu 
apprehendet; sicut viceumus aliquem vivere 
ex loc quod loqui.ur. Quando autem aliter 
se habet, non dicitur illud sensus videre etiam 
per accidens. Dico erge quód Deus nullo 


modo potest videri visu corporali, aut aliquo 
senliri sensu, sicnt per se visibilis, nec hic 
nec in patria; quia si à sensu removeatur id 
quod convenit sensui in quantum est sensus, 
non erit sensu3; et similiter, si à visu remo- 
veatur illud quod est visüs in quantum est vi- 
sus, non eiit visus, Cüm ergo sensus , in quan- 
tum est seusus, percipiat magailudinem , et 
visus, in quantum esl talis sensus, percipiat 
colorem , inpossibile est quàd visus percipiat 
ali quid quo] non est color nec magnitudo, n si 
sensus diceretur æquivocè. Cüm ergo visus et 
sensus sit futurus idem specie in corpore glo- 
rioso qui eral 1a corpore non glorioso , non 
poterit esse quàüd divinam essentiam videat , 
sicut visibile pe r se. Videbit autem eam sicu 


(1) Juxta grecum Aou bios, à Philosopho usurpatum , lib . II. De anima, text, 65. Non 


Diarii vel Darii, sicut editiones precedeutes !+: ant, nullo. plané indic» snnotato , elsi 
non refert quód exemplum adhi ‘eatur ma ii re 2arií vel Diaris, ut nec an Sortes pro ace 
juucto legatur sicut in Sententiis, un Socratcs. ) 


MX 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, WTC. 161 


accidentelle , puisque, d'une part, les yeux de notre corps seront comme 
éblouis de la gloire immense qui brillera dans le monde*matériel , spé- 
cialement dans les corps des élus et par-dessus tout dans celui du Christ, 
et que, d'autre part, notre intellect verra Dieu avec tant de clarté que 
nous ne cesserons de le contempler encore dans le spectacle du monde 
renouvelé, tout comme à travers la parole nous apercevons la vie. Ce 
n'est pas que notre intellect voie Dieu par les créatures ; mais il le voit 
dans les splendeurs qu'elles déploient à ses regards. Cette sorte de vision 
corporelle de Dieu, saint Augustin l'admet , De Civit. Dei, lib. ult. 99, 
comme on peut s'en convaincre en examinant de prés ses paroles ; car 
voici comment il s'exprime : « On ne sauroit douter que lorsque nous 
contemplerons les creatures extérieures et visibles dont seront composés 
ces nouveaux cieux et cette terre nouvelle, nous y verrons de la maniére 
la plus éclatante . Dieu présent partout et gouvernant tout ; ce ne sera 
plus comme dans la vie présente, où néanmoins les choses invisibles de 
Dieu nous deviennent en quelque sorte visibles par le spectacle des 
créatures ; mais ce sera quelque chose de semblable à ce qui se passe en 
nous; sitôt que nous apercevons un homme, nous ne croyons pas à sa vie, 
nous la voyons. » 

Je réponds aux arguments : 4° Cette parole de Job s'applique à la vue 
de l'esprit, dont l’Apôtre dit, Ephes., 1, 18 : « Que Dieu illumine les 
yeux de votre cœur. » Et c'est ainsi que l'entend egalement saint Augus- 
Gn, De Civit. Dei, XXII, 19, et Eptst. CXII, 15. 

2° Le texte invoqué dans cette seconde objection ne signifie pas que 
nous devions voir Dieu par les yeux du corps, mais bien que nous le 
verrons, quoique nous ayons repris notre enveloppe corporelle. 

Je En cet endroit saint Augustin procede par tâtonnements et parle 
simplement d'une manière conditionnelle ; et c'est ce qui paroit claire- 
ment par les paroles qui précédent le texte cité : « Leurs yeux seront d'une 





visibile jer accidens, dum, ex parte una, viaus 
corporalis tantain gloriam Dei inspiciet in cor 
poribus et precipué gloriosis ( el maximé in 
corpore Christi ), et ex parte alia, intellectus 
tam clarè Deum videbit quàd in rebus corpo- 
rauter visis Deus percipietur, sicut in locutione 
percipitur vita, Quamvis enim tunc intellectus 
poster non videat Deum ex creaturis, tamen 
videbit Deum in creaturis corporaliter visis. 
Et hunc modum quo Deus corporaliter possit 
videri, Augustinus ponit in fine De Civitate 
Dei, ut patet ejus verba intuenti ; dicit enim 
&ic : « Valde credibile est sic nos esse visuros 
mundana tonc corpora celi novi et terre novæ, 
ut Deum ubique præsentem et universa etiam 
corporalia gubernantem clarissimá perspicuitate 
videamus ; non sicot nunc invisibilia Dei per 


XVI. 


ea qua facta sunt intellecta censpiciuntur, sed 
sicut homines mox ut aspicimus, non credimus 
vivere, sed videmus. » 

Ad primum ergo dicendum , quód verbum 
ilud Job intewgitur. de oculo. spirituali; de 
quo dicit Apostolus, Ephes., V : « llluminatos 
habere oculos cordis nostri; » sicut explicat 
Augustinus ( lib. XXII. De Civit. Des, cap. 19, 
et Epist. CXII, cap. 15). 

Ad secundum dicendum , quód illa auctori- 
tas non sic intelligitur, qu9d per oculos carnis 
Deum simus visuri, sed quia in carne exis- 
tentes , Deum videbimus. 

Ad tertium dicendum, quèd Augustinus lo- 
quitur inquirendo in verbis illis , et sub con- : 
ditione; quod patet ex boc quod præmittit : - 
« Longè itaque alterius erunt potentis, si per 


44 


468 SUPPLÉMENT, QUESTION ECII, ARTICLE 9. 


tout autre puissance , s'ils peuvent voir cette nature inoorporelle...... » 
Puis il ajoute : « Une force supérieure... » Et enfin il. décide la ques- 
tion coinme nous l'avons va. 

&° Toute connoissance a lieu par une sorte d’abstraction à égard de la 
matière. Plus donc à ferme corporelle est dégagée de la matière par 
abstraction, plus elle fournid un principe sûr de connoisgance. Et de là 
rient que la forme existant dans la matière ne peut en uucuge façon être 
un principe de connoissance , tandis qu'elle le peut d'une certaine facon 
quand elle est dans l'un de nos sens, étant là déjà séparés de la matière ; 
et beaucoup mieux encore quand elle est dans notre intellect. Voilà com- 
ment notre œil spirituel, délivré de ce qui fait obstacle à la connoissanee, 
peut voir un ebjet corporel. Mais il ne surt pas de là que notre œil cor- 
porel, dont la puissance d’aperception est toujours plus ou moins entra- 
vée par la matière, puisse connoître ce qui est parfaitement susceptible 
d'étre connu, à savoir les choses incorporelles. 

6° Bien qu'une ame devenue charnelle ne puisse rien penser qui ne lui 
vienne des sens, sa pensée néanmoins est toujours une chose inrmaté- 
rielle (1). I1 faut également que la vue saisisse toujeurs d’une manière 
corporelle n'importe quel objet tombant sous son action. Elle ne peut 
donc pas percevei? ce qui ne sauroit l'être d'ene manière corporelle. 

6° La béatitude est la perfection de l'homme considéré comme tel. Et 

(1) !1 en est de la pensé comme de l'une elle-même. Quand elle sebit les entraînements 
de la chair, qnand elle descend des hauteurs de l'intelligence pour s’absorber dans fes objets 
seasit:les et matériels, l'ame se dégrade elle-même , elle abdique sa grandeur erigiaelle et 
^etü son caractère dislfncuf ; elle se matérialise en quelque sorte avec les vils objets de. ses 
affections. C'est là ce que l'ascetisme et la théolegie eppellent à boa droit ane ame rharnelle. 
Mais évidemment cela ne veut pas dire qu'elle ait perdu sa nature d'esprit. On peut rabaisser 
et flétrir une noble nature ; en ne sauroit la détruire ou la changer. La chute primitive fut le 
commeucement et le principe de celle dégradation fatale. C'est ce que dft admirablement 
saint Grégoire dans le passage méme dont quelques mots servent de bise à l'ubjection. 
« L'ame humaine, dit ce grand docteur, chassée du paradis de delices , ea penilieu de la 
révolte de nos premiers parents, perdit la lurbiére des choses invisibles et se plongea tout 
entière dans l'amour des biens extérieurs. Son aveuglement par rapport à le divine eontem- 
plation fut d'autant plus profond, qu'elle se répand.t au dehors avec plus de violence. C'est 


aisi qu'elle en est venue au point de ne riea comprondre que Ce qui lui arrive pat les sens 
et d'üu.: meniére en quelque sorte palpable. » Mais, par coutre, l'homme spirituel s'élève in- 





cos vulclitur incorporea illa natura. » Et pos- 
lea su^dit : « Vis itaque, etc. » Postmodum 
determinat, ut dictum est. 

Ad quartum dicendum, quàd omnis cogaitio 
tit per a'iqua:in. abstractionem à «ateria. Et 
ideo, quant forma corporalis magis abstrahi- 
tur à materia, tantó. magis est principium co- 
gniiours. Et inde est quód forma in materia 
existen: nullo modo est cognitionis principium; 
in s:nsu autein, aliquo modo, prout à uiateria 
separalur, et 1n intellectu nostro, adhuc meliüs. 
Et idco oculus spirituali, à quo removetur 
lupeciuenlum cognilionis, potest videre retu 


472.8 


coaporalem. Non autem sequitee quód oculus 
cerporalis, is quo deficiet vis eogniliva secum. 
dum quod participat de maleria, pessik cogaos- 
cere perfecté cegnescibilia , qum sunt intor- 


porea. 

Ad quintum dicendam , quód quamvis mcts 
facia carnalis non possil cogitare aisi accepta 
à sensibus, taumen ea cogitat lmnatenaMer. EX 
similiter oportet quód visos illud quod ajyre- 
hendit, semper apprehendat corporeliter. Unde 
nou potest cognoscere illa que corporalicr 
apprebendi non possunt. 

Ad sextum diecndum , quod beatiludo esf 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, EIC. 163 


æomme ce n'est pas par Je corps que l'homme est homme, mais bien par 
l'ame, et comme:en outre le corps ne ventre dans l'essence de l'étre humain 
qu'en tant que cecorps est perfectionné par l'ame, la béafitude de "homme 
ensiste avant tout et principalement dansl'acte.de l'ame, d'ob elle dérive 
et rejaillit ensuite sur le corps, cemme cela est expliqué Sent., TV, #4. Tl y 
aura cependant pour notre corps une pertaine béatitude à voir Dieu 
dans la splendeur des créatures et surtout dans le:corps même du Christ. 

7° L'intellect peut percevoir les choses spirituelles , tandis que la vue 
corporelle ne le peut pas. Voilà ponrquoi cebui-là seul est susceptible de 
voir l'essence divine et d'entrer en union avec elle. 


ARTICLE Hi. 
Les saints qui jouissent de la vision intuitive coient-éls tout ce que Dieu voit? 

Il paroi que les ssints, par cela même qu'ils voient Dieu dans son es- 
sence, voient tout «e que Dieu voit em lui-même. 1» Smnt Isidore, ‘dans 
son traité du souverain bien. Y, 12, dit ceci : « Dans le Verbe de Dien les 
anges connoissent toutes choses avant qu'elles arrivent. » Or les mints 
seront égaux aux anges, vourme ou le voit, Matih., XXII. Donc:en voyant 
Dieu les saints vaiant toutes choses. 

2 Saint Groigoire dit, Díalog., IV, 33 : « Comune là tous contemplent 
Dieu au sein de la même clarté, quelle est Ia chose qu'ils pourroient ne 
pas savoir, eux qui voient celui qui sait tout? » Or le saint Docteur parle 
ici des bienheureux, de ceux qui voient Dieu par essence, Donc ceux qui 
volent Dieu par essence connoissent tout. 
cessament du spectacle des eréstures à le pensée du créateur, du visible à f'invisible , spiri- 


tualissut ainsi , qu'on .nous pormetie celte expression, le monde matériel dans ses aspects 
méme les plus vulgaises. Qr. si motse segerd, écininó per la grâce, peut donmer eme aussi neble 





quia beoe non habel quéw sit how ex cor- NE | | MEN 
Dore , sed magis ex anime , cerpora auiem sunt: Utrum sancti Deum videntes, omnia videant 
de essentia bomisem, in quanturs swiut per- que Deus videi, 


fecta per animam ; ideo beatitudo bominis neu 


consistit prinripaliter nisi in actu anim, et 
ex ea derivatur ad corpas per quamcan mdun- 
damtions , sicat patet ex his qua dicta sant, 
IV. Sent., distinct. XLIV, qu. 2, art. 4. Quæ- 
dam tamen beatitudo corporis nostri erit, in 
quaniam Deum vwideb in sensibilibus creatu- 
ns, et precipué in corpore Christ (1). 

Ad septimem dicenden, quód iatellectus est 
perceptivus apiritnaliuin, mon autem visus cor- 
poralis. Et iso intellectus poterit cognoacere 
divinam esaedtiom sibà conjundam, non an- 
tem visus corporaiis, 


Ad tertium sic proceditur. Videtur quód smcti 
videntes Deum per essentiam , omnia videant 
quee Deus in seipso vidat. Quia, sicnt Isidorus in 
lib. Desumm bono dicit, a Angeli in Verbo Dei 
omnia sciuat ante quam flant. » Sed sancti An- 
gelis Dei equales erunt, et patet Matth., XXII. 
Ergo et sanct videmdo Denm omaia vident. 

2. Prieterea, Gregorius in iV. Dialog. dicit : 
« Quia illic omues cemmuni charitate Deum 
conspiciunt , quid est quod ibi nesuant, ubi 
scienteus omnia eciuot ? » Loquitur autem de 
beatis, qui Deuun vident per esscatiam. Ergo qui 
vident Deum per essentiam, omnia cognoscuat. 


(1) Juxta sensum jam explicata propter quamdam cefolyentiam claritatis, qua œulté ma» 


4065 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 3. 


3o a Un intellect qui connoit les plus grandes choses, peut beaucoup 
mieux connoître les petites , » De anima, III, 7. Or Dieu est le premier 
et le plus grand de tous les objets intelligibles. Donc il agrandit au plus 
haut point notre puissance intellective; et dès-lors en le voyant nous 
connoitrons toutes choses. 

4o Il n'est qu'un obstacle qui empéche notre intellect de comprendre 
une chose, c'est quand cette chose le dépasse. Or aucünecréature ne sauroit 
dépasser un intellect qui voit Dieu; car, comme le dit saint Grégoire, 
Dialog., IT, 35, « pour une ame qui voit Dieu toute créature est bien 
petite. » Donc ceux qui voient Dieu par essence connoissent tout. 

5^ Toute puissance passive qui n'est pas réduite en acte, demeure im- 
parfaite. Or l'intellect possible de l'ame humaine est une puissance en 
quelque sorte passive vis-à-vis d'une connoissance quelconque , puisque 
l'intellect possible est défini, ace qui est apte à devenir toutes choses (1),» 
De anima, TI, 18. Si donc l'intellect ne connoissoit pas toutes choses 
dans la céleste Béatitude , c'est qu'il demeureroit imparfait , supposition 
évidemment absurde. 

6° Quiconque voit un miroir, voit par là même les choses qui s'y re- 
flétent. Or tous les êtres se reflètent dans le Verbe de Dieu comme dans 
un miroir, puisqu'il est lui-même la raison primordiale et le type de tous. 
Doncen voyant Dieu par essence, les saints voient aussi toutes les créatures. 

T* ll est dit Prov., X, 24 : « Les justes obtiennent l’objet de leur dé- 
sir. » Or les saints doivent désirer de savoir toutes choses, par la raison 
que « tout homme désire naturellement de savoir, » et que la gloire ne 


signification à des créatures souillées par le péché, quelles pures visions, un œil illuminé par 
les splendeurs de la gloire, n'empruptera-t-il pas au monde renouvelé ? 


(t) Le sens de ces paroles et la théorie tout entière de l'intellect agent et de l'iptellect pos- 
sible se trouvent exposés dans la première partie du traité de l'homme. 





8. Preterea, sicut dicitur in III. De anima 
(text. 7), «intellectus cùm intelligit maxima, 
magis potest intelligere minima. » Sed maxi- 
mum intelligibile est Deus. Ergo maximé auget 
virtutem intellectüs in intelligendo. Ergo intel- 
lectus eum videns omoia intelligit. ' 

4. Preterea, intellectus non impeditur ab 
intelligendo aliquid, nisi in quantam illud su- 
perat ipsum. Sed intellectum Deum videntem 
nulla creatura superat ; quia, ut dicit Gregorius 
in II. Dialog. , «anime videnti Creatorem an- 
gusta fit omnis creatura. » Ergo videntes Deum 
per essentiam omnia cognoscunt. 

5. Preterea, ompis passiva potentia que non 
est reducta ad actum, est imperfecta. Sed in- 
tellectus possibilis anime humans est poten- 


tia quasi passiva ad cognoscendum omnia; quia 
« intellectus possibilis est, quo est omnia 
fleri, » ut dicitur in II. De anima, text. 18. 
Si ergo in illa beatitudine non intelligeret om- 
nia, remaneret imperfectus; quod est absur- 
dum. 

6. Preterea, quicumque videt speculum , 
videt ea quie in speculo relucent. Sed in Verbo 
Dei omnia sicut in speculo relucent , quia ipse 
est ratio et similitudo omnium. Ergo sancti 
qui vident Verbum per essentiam, vident om- 
nia creata. 

7. Preterea , ut dicitar Proverb., X, «de- 
siderium suum justis dabitur. » Sed sancti de- 
siderant omnia scire, quia « omnes homines 
naturà scire desiderant; » et natura per glo- 


Jor in corpus Christi redundabit propter plenitudinem divinitatis corporaliter inhabitantem, 
vel personalem unionem, cujus et particeps corpus est , eto. 


ufi. 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 165 


détruit pas la nature. Donc ils obtiendront de Dieu de connoitre toute 
choses. 

8° L'ignorance est une sorte de pénalité qui s'attache à la vie présente. 
Or l'état de gloire repousse l'idée d'une pénalité quelconque , et dés-lors 
aussi toute ignorance. Donc les saints connoitront toutes choses. 

9° La céleste béatitade est dans l'ame avant d’être dans le corps. Or 
les corps des saints seront reformés dans la gloire à l'image du corps de 
Jésus-Christ, selon la parole bien connue de l'Apótre, Philip., ll], 21. 
Leurs ames devront donc l'étre également à l'image de l'ame du Christ, 
laquelle voit tout dans le Verbe, comme il a été dit dans la troisiéme 
partie, Quest. X, art. 9. Donc toutes les ames des saints verront toutes 
choses dans le Verbe. 

10» Comme le sens, l'intellect connoît tout ce dont la ressemblance est 
en lui. Or l'essence divine renferme de toute chose un type bien supérieur 
à n'importe quelle image ou ressemblance. Donc, comme dans la vision 
béatifique l'essenc. divine devient en quelque sorte la forme de notre 
intellect , il paroit qu'en voyant Dieu, les saints doivent également voir 
toutes choses. 

11° Le Commentateur dit, De anima, LI, 36 : « Si l'intellect agent 
étoit la forme de l'intellect possible, nous connoitrions toutes choses.» Or 
l'essence divine représente beaucoup mieux toutes choses que ne peut le 
faire l'intellect agent. Donc un intellect qui voit Dieu par essence, doit 
par là même tout connoitre. 

12» Comme les anges inférieurs ne connoissent pas actuellement toutes 
choses, ils sont illuminés touchant ce qu'ils ignorent par lesanges.d'un rang 
plus élevé. Or, après le jour du jugement, un angen'en illuminera plus un 
autre ; a toute domination aura cessé, » comme dit la Glose, I. Cor., XV. 
Donc les anges inférieurs sauront alors toutes choses; et, par la méme 





riam non aufertur. Ergo dabitur eis à Deo qu5d | quamilibet rem, quàm aliqua similitudo alia 


Omnia cognoscant. 

8. Preterea, ignorantia est quædam pœna- 
lites prasentis vita. Sed omnis ponalitas per 
gloriam à sanctis aufertur. Ergo omnis igno- 
rantia; et ita omnia cognoscent. 

9. Preterea, beatitudo sanctorum pnès est 
fn anima quàm in corpore. Sed corpora sanc- 
torum reforinabuntur in gloria ad similitudinem 
corporis Christi , ut patet. Philip, ll. Ergo 
€t animæ perficientur ad similitulinem animi 
Christi. Sed anima Chris in Verbo omnia vi- 
det, ut dictum est liL. part., qu. 10, art. 2. Ergo 
et omnes animz sanctorum videbunt omnia in 

10. Praeterea, sicut sensus , ita intellectus 
cognoscit onmne illud cujus similitudine infor- 
matur. Sed divina essentia expressiü3 indicat 


rei. Ergo, cüm in illa beata visione, essentia 
divina flat quasi forma intellectüs nostri, vi- 
detur quód sancti videntes Deum, omnia vi- 
deant. 

41. Preterea, Commentator dicit in III. De 
anima ( Commento XXXVI ), quód « si intel- 
lectus agens esset forma intellectüa possibilis, 
intelligeremus omnia. » Sed divina essentia : 
clariüs representat omnia quàm intellectus : 
agens. Ergo intellectus videns Deum per essen- : 
liam, omnia cognoscit. 

12. Praeterea, propter hoc quod inferio:es 
angeli nane non omnia cognoscunt, illumi- 
uantur à superioribus de ignotis. Sed post diem 
judicii angelus non illuminahit angelum; tunc 
enim « omnis prelatio cessabit, » ut dicit 
Glossa, I. Cor., XV. Ergo inferiores angeli tung 


168 SUPPLÉMENT, QUESTION XONt, ARTICLE 3. 


raison , .ious les autres saints qui verront à découvert l'essence divine. 

Mais le contraire résulte de cette parole de saint Denis, De Cœtest. 
hierarch., cap. 6 : « Les anges supérieurs purifent les inférieurs de leur 
défaut. de science. » Les anges inférieurs voient , en effet, l'essence di- 
vine. Il est donc des cheses que peut ignorer un esprit admis à Ja vision 
béatifique. Or l'ame humaine ne verra pas Dieu pins parfaitement que 
ne le voient les anges. Par conséquent, de ce que Fame voit Dieu, il ne 
s'ensuit pas qu'elle voie toutes choses. 

C'est au Christ sen] que l'Esprit a été donné sans mesure, comme il est 
dit, Joan., UI. Or c’est paree qu'il a reçu l'Esprit sans mesure, que le 
Christ a le priviléga de tout conneitre dans le Verbe; aussi est-il dit am 
méme endroit : « Le Père a tout remis entre ses mains.» Donc il n'ap- 
partient à nul autre qu'au Christ.de tout connoitre dans le Verbe. 

Plus on connoit parfaitement un principe, plus en connoit aussi d'ef- 
fets pouvant en provenir. Mais parmi éeux qui verront Dieu dans son 
essence, les uns le connoitront plus parfaitement que les antres; et Dieu 
est le principe de toutes choses. Il y en aura donc qui eonnoitront plus 
de choses que d'autres; et dès-lors il est évident que chacun d'eux n'aura 
pas toute science. 

(Conczusion. — Les saints dans le paradis ne pouvant pas embrasser 
l'essence divine , ne pourront pas , tout en voyant Dieu, voir tout ce que 
Dieu voit. ) 

Dieu, en voyant sa propre essence, connoit tout ee qui est, fut et sera. 
Et c'est là ce que nous appelons une connoëssance de vision ; car toutes 
ces choses lui sont présentes, comme ee que nous voyons nous-mêmes des 
yeux du corps. En voyant son essence, il connoit de plus tout oe qu'il 
pourroit faire, quoique cela n'ait jamais été et ne doive jamss 6tre dang 
le domaine des réalités; car autrement il ne connoïitroit pas sa propre puis- 
sance , une puissance n'étant connue d'une manière positive qu'autant 





omnia scient; et, eadem ratione, omnes alii 
saocti Deum per essentiam videptes, 


Preterea, quantó aliquod principium perfee- 
tièe cognoscitar, tanto plures ejus effectus ce- 


Sel contra, sicut dicit Dionysius in VI. Ca» , gnsscuntur pee. ipsum. Sed quidam videntium 


lest. hierar., « Angeli saperiores inferiores à 
pescientia purgant. » Aageli aulem inferiores 
vident essentiam divinam, Ergo eagelos videns 
essentiam divinau , potest aliqua nescire. Sed 
anina non perfectiüs videbii Deum quàm an- 
gelus. Ergo anime videntes Deum non oportet 
quhd ommia videant. 

Præterea, solus Christus habet spiritum non 
ad mensuram, ut dicitar Joan. , III. Sed Christo 
fn quantum habet epiritam non ad messuram, 
compelit quód in Verbo omnáa eopmoscat; unde 
ibidem dicitar quód « Pater emnia dedit in 


Deum per essentiam perfectius Miis cognoscent 
Deum, qui est rerum omnium principium. Ergo 
quidem alis plura cognoscent ; et ita non oim- 
nes omnia scient. 

(ConcLusio. — Chem saneti in paradiso no& 
sint comprebenseri Dei essentiam, videntes 
Deum non omnia videbunt qum Deus videt. ) 

Hespomdeo dicendum, quód Deus videndo 
suem essentiam, cognoscit omnia quee sunt, et 
eront ei fuerunt. Ei bæc dicitur 
notitid eisionis, quia ad similitudinem visio 


nis corporalis cogmescit on quasi presentia. 


manu ejus. » Ergo nulli alü competil cognoscere | Cognoscit. insuper videmdo suam essentiam, 


in Verbo, nisi 


emi que potest facere , quamvis Bunquam 


DE LA VISION DE L'RSSENCE DIVINE, ETC. 101 


que l'on cenneit Jes objets qu'elle embrasse. Et c'est là oe que notis appe- 
los connoissance ou notion da simple intelligenoe. Et d'abord i] est im- 
possible qu'un intelleot oréé , par.cela mème qu'il voit l'essence divine, 
connoisse tout ce que Dieu pourroit réaliser. Voici pourquoi : plus on 
connoit parfaitement un priueipe, plus on eonnolt de ahoses qui y sont 
renfermées; ainsi, dans le principe d'usme démonstration, un esprit péné- 
traut découvrira un plus grand nombre de conclusions que nele ferait évi- 
demment une inéelligence lente et paresseuse. Mais camme l'étendue de 
la puissance divine se mesure en quelque sorte à ce qu'elle peut aocom- 
plir, s'il y avoit une intelligenoe qui verroit dans l'essenóe divine tout ca 
que Dieu peut accomplir, cette intelligence auroit évidemment dans son 
exercice autant de perfection et d'étendue qu'en a dans sa fécondité la 
puissance divine; et dès-lors elle embrasseroit cette méme puissance, 
chose impossible à tout intellect créé (1). Quant à ce que Dieu oonnoit 
d'une science de vision, il est un intellect qui peut tout voir dans le 
Verbe, et c'est l'ame du Christ. Concernant les autres intelligences qui 
possèdent la vision divine , il y a deux opinions : Quelques-uns préten- 
dent que tous ceux qui voient Dieu, voient par là méme tout ce que Dieu 
connoit par sa science de vision. Mais cela est contraire à l'enseignement 
des saints docteurs , qui pensent que les anges ignorent certaines choses, 
bien que ce sait une vérité de foi que les anges possèdent la vision intui- 
tive. D’autres soutiennent donc que personne, excepté le Christ, ne peut 
41) C'est co que saint Thomas e parfaitement démontré dans le aeptiéme article de la ques. 
tion indiquée plus baut. « Ceux qui voient Dieu par essence le comprennent-ils? » Tel est le 
titre de ret article. Les objections présentées sont vraiment terribles. Nous n'avons pas 
Q'eutre expressio, pour rendre ce qu'elles nous ont fait éprouver. Mais la démonstration et 
les diverses réponses qui les suivent en présentent la solution ja plus compléte et la plus lu- 
mineuse que l'on puisse probablement concevoir ici-bas. I] n'est du moins aucun tbéologieg 
qui ait poussé loin ses investigations dans cette sublime métaphysique de la révélation. C'est 
Jà qu'il faut ea revenir, pour bien comprendre ee que l'auteur dit ici touebant la profondeur et 
l'étendue de la vision béatifique. Ne l'oublions pas , le dogme qu'il s’agit de bien établir et de 


mettre pleinement en lumière, est le principe fondamental du surnaturalisme chrétien, contre 
lequel sont dirigés tous les efforts de 1a philosophie contemporaine. 





fecerit, nec facturus sit , aliàs non perfect? co- 
gnosceret polenliam Suam; non erum polest 


coguosci potenLa niei sciantur potentie ob- 


jecta. Et Lac dicitur cogaescere « scieutid vel 
notitiâ simplicis ipntelligeutiB. » impossibile 
esi autem quód aliquis intellectus creatus co- 
gooscat omaia, videndo divipam essentiam, 
que Deus potest faceze. Quia, quautó aliquod 
principium perfechius cognoscitnr, tantà plura 
&riuutur in illo; sicut jn uno demonstrationis 
principio, ille qui est perspicacioris ingenii , 
plures conclusiones videt , quàm alins qui est 
ingenii tardioris. Cüm ergo quantitas potentiae 
divine attendatur secundum ea qua potest , ei 
aliquis intellectus videret io divina essentia 


omnia que Deus potest facere, «adm esset 
quantitas perfectienis in imtelligeodu, quæ est 
quasiitas divine potentie iu produoendo effec- 
tus; et ia comprehenderet divisam potentiam, 
quod est impossibile omni creato intellectui. 
lila agtem omuia quee Deus scit scientid vi- 
sionis, aliquis intellectus creatus cognoscit ia 
Verbo, scilivet anima Christi. Sed de aliis vi- 
denubus divinam essentiam duplex est opinio : 
quidam enim dicunt quód omnes videntes Deua 
per essentiam , vident ommia quae Deus videt 
scientid visionis. Sed hoc repugnat sanctorum . 
dictis, qui ponunt angelos aliqua ignorare; 
quos tamen constat secundüm dem omnef 
Deum per essentiam videre. Et ideo alii dicuné 


168 SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 3. 


au sein de la vision béatifique , voir tout ce que Dieu veit ; car ce seroit 
là embrasser et comprendre l'essence divine, ce qui est impossible. On 
peut connoitre une cause sans qu'il soit nécessaire d'en connoitre tous 
les effets, à moins qu'on ne l'embrasse encore une fois, ce qui répugne 
dans un intellect borné quand il s'agit d'une cause infinie. Ainsi donc, 
chacun de ceux qui voient Dieu dans son essence, y voit d'autant plus 
de choses qu'il contemple cette essence d'une maniére plus parfaite. 
Et l'on comprend de la sorte que l'un puisse instruire l'autre. ll suit en- 
core delà que la science des anges et des ames saintes peut s'accroitre jus- 
qu'au jour du jugement, comme tout autre chose appartenant à la récom- 
pense accidentelle. Mais elle ne s’accroitra pas au delà ; car alors sera dé- 
terminé le supréme état des choses. Et dans cet état il est possible que 
tous connoissent tout ce que Dieu sait de sa science de vision. 

Je réponds aux arguments : 1" Cette parole de saint Isidore : « Les anges 
volent toutes les choses dans le Verbe avant qu'elles aient lieu, » ne peut 
pas s'appliquer aux choses que Dieu sait d'une science de pure intelligence, 
puisque ces choses n'auront jamais lieu, il faut l'entendre uniquement de 
ce que Dieu sait d'une science de vision. Et encore le saint Docteur ne dit- 
îl pas que tous les anges verront tout ce qui est compris dans cette seconde 
catégorie, mais bien quelques-uns seulement; et ceux-là méme ne con- 
noitront pas toutes les choses d'une maniére parfaite et absolue. En effet, 
dans une seule et méme chose il y a bien des aspects et des rapports intel- 
ligibles, bien des propriétés diverses et des relations possibles avec les au- 
tres choses ; ne peut-il donc pas arriver que de deux intellects connoissant 
la méme chose, l'un en voie mieux que l'autre les intimes rapports, et que 
de plus il les lui fasse connoitre? De là ce que dit l'Aréopagite, De div. 
Nom., cap. 4 : «Lesanges inférieurs apprennent de ceux qui occupent un 
rang plus élevé la raison intime des choses. » Nous devons donc conclure 










quód alii à Christo, quamvis videant Deum per 
essentiam, non tamen omnia vident quæ Deus 
videt, eo quod essentiam divinam non compre- 
hendunt. Non est enim necessarium quód sciens 
Ausam, sciat .omnes ejus effectus, nisi cau- 
sam comprehendat ; quod non competit intel. 
lectui creato. Et ideo unusquisque videutium 
Deum per essentiam , tantó plura in ejus es- 
sentia conspicit, quantó clariüs divinam essen- 
tiam intuetur. Et inde est quàd de his potest 
unus alium instruere. Et sic scientia angelorum 
et animarum sanctarum potest augeri usque ad 
.i diem judicii, sicut et alia qua ad premium 
acciceutale pertinent. Sed ulteriùs non profi- 
À ciet, quia tunc erit ultinus status rerum. Et 
in illo statu possibile est quód 'omnes omnia 
Doseant quà Deus scientià visionis novit. 
primum eigo dicendüm, quód hoc quod 


Isidorus dicit, quód « angeli sciunt in Verbo 
oinnia antequam flant, » uon potest referri ad 
ei quie Deus scit. scientid simplicis «ntelli- 
gentiæ tantüm, quia illa nanquam fieut ; sed 
referendum est ad ea tantèm quæ Deus scit 
scientid visionis. De quibus eliam non dicit 
quód omnes angeli ea omnia cognoscant, sed 
forté aliqui. Et illi etiam qui cognoscunt, non 
perfectè omnia cognoscunt. In una enim re est 
multas rationes intelligibiles considerare, sicut 
diversas ejus proprietates, et babitudines ad 
res alias; et possibile est quód , eadein re scita 
communiter à duobus, unus alio plures ratio- 
nes percipiat, et bas rationes unus ab alio 
accipiat. Unde et Dionysius dicit, IV. De Div.: 
Nom., quód « inferiores angeli docentur à su-; 
perioribus rerum scibiles ratioues. » Et iae? 
ctiam angeli qui omaes creaturas cognoscunt , 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 


169 


de là que les anges eux-mémes qui connoissent toutes les créatures, n'en 
savent pas néanmoins tout ce qu'il est possible d'en savoir. | 

2» De cette parole de saint Grégoire il résulte seulement qu'au sein de 
la vision béatifique rien ne manquera pour connoitre l'universalité des 
choses , au moins du cóté de l'essence divine , qui est le moyen de cette 
connoissance ; car c'est par son essence méme que Dieu voit tout. Si nous 
ne voyons pas tout nous-mêmes, c'est à raison des bornes nécessairement 
posées à notre intelligence ; un intellect créé ne sauroit jamais embrasser 


la divine essence. 


3° L'intellect créé ne voit pas la divine essence selon le mode propre à 
cette essence elle-même, mais bien selon son mode à lui, mode nécessai- 
rement limité. Il faut donc que sa puissance intellective s'agrandisse 
d'une manière indéfinie, par l'effet de la vision divine, afin de parvenir 


à tout connoitre. 


&° Le défaut de connoissance ne provient pas seulement de la dispro- 
portion qui peut exister entre l'objet et le sujet de cette connoissance ; il 
peut provenir aussi de te qu'il n'y a pas union ou conjonction entre l'ob- 
jet pris d'une manière formelle et le sujet qui seroit apte à le recevoir ; 
il arrive, par exemple, que notre œil n'apergoit pas quelquefois une 
pierre, parce que l'image de cette pierre ne l'a pas affecté, ou bien n'a 
pas fait conjonction avec la vue. Il est vrai que l'essence divine, raison 
supréme de toutes choses, s'unit à l'intellect de celui qui posséde la vision 
béatifique; toutefois elle ne s'unit pas à lui en tant qu'elle est la raison 
formelle de tout, mais seulement d'un certain nombre d'étres , nombre 
proportionné au degré où l'on est parvenu dans la vision intuitive. 

5° Quand une puissance passive est apte à recevoir plusieurs perfections 
coordonnées entre elles, du moment où elle a recu sa dernière perfection, 
on ne sauroit plus l'appeler imparfaite, alors méme que lui manqueraient 
quelques-unes des dispositions préalables. Or toute connoissance dont 





Don oportet quód omnia que in eis intelligi 
possunt, percipiant. 

Ad secundum dicendum, quód ex verbo illo 
Gregorii ostenditur quód in illa beata visione 
est sufficieutia ad omnia intuenda ex parte di- 
vine essentiæ, qua est medium quo vide- 
fur, per quam Deus omnia videt; sed quód 
non omnia videantur, est ex defectu intellectüa 
creati, qui divinam essentiam non comprehendit. 

Ad tertium dicendum, quód intellectus crea- 
tus non videt divinam essentiam secundàüm 
modum ípsiug essentiæ, sed secundüm modum 
proprium, qui finitus est. Unde oportet quód 
ejus efficacia in cognoscendo, ex visione præ- 
dieta, amplietur in infinitum , ad omnia co- 
gnosceuda. » 

Ad quartum dicendum, quód defectus cogni- 


tionis non solüm procedit ex excessu et de- 
fectu cognoscibilis super intellectum, aed etiam 
ex hoc quod intellectui non conjungilur id quod 
est ratio cognoscibilis ; sicul visus non videt 
lapidem quandoque , ex boc quod species la- 
pidis non est ei conjuncta. Quamvis autem in- 
tellectui Deum videntis conjungatur ipsa divina 
essentia, que est omnium ratio, non tamen 
conjungitur ei prout est omnium ralio, sed 
secundum quod est ratio aliquorum, et tantà 
plurium, quantà quisque pleniüs divinam es- 
sentiam intuetur. ' 

Ad quintum dicendum, qubd quando poten- 
tia passiva est perfectibilis pluribus perfectio- 
nibus ordinatis, si perfecta sit suá ulumà per- 
fectione, nen dicitur imperfecta, etiamsi ali- 
quæ dispositiones præcedentes ei desint, Ownis ^ 


170 SUPPLÉMENT, QUESTION XCH, ARTICLE J. 

puisse être orné et perfectionné un intellect créé, a pour dernière fin la 
connoissance de Dien. Par conséquent, celui qui voit Dieu par essence, 
en supposant même qu'il ne connût plus rien, a aon intellect dans un 
état de perfection ; cet intellect ne se perfectionne même pas quand il 
connoit autre chose avec Dieu, si ce n'est en tant qu'il connolt Dieu d'une 
maniére plus compléte. Voilà pourquoi saint Augustin s'écrie, Confess., 
V, : «Bien malheureux est l’homme qui connoit toutes les créatures, 
et ne vous connoit pas, mon Dieu! Heureux au contraire est celui qui. 
vous €onnoit, alors méme qu'il ignoreroit toutes ces choses. Mais celui: 
qui les connoit et vous connoit en même temps, n'est pas plus heureux 
À cause d'elles, il est seulement heureux à cause de vous. » 

6» Mais c'est à un miroir animé par une volonté tobte puissante ; il se. 
montre à qui il veut, et laisse voir en luice qu'il veut. Il n'en est plus de 
méme d'un miroir matériel, qui est vu ou n'est pas vu d'une maniéra 
fatale. On peut dire encore que, lorsqu'il s'agit d'un miroir matériel, les 
objets qu'il représente et le miroir lui-même sont vus sous leur propre 
forme, bien que le miroir porte empreinte aussi la forme d'un objet, 
étranger; la pierre est également vue sous sa propre forme, réfléchie par 
une’ chose distincte de la pierre. Dans l’un et l'autre cas, par conséquent, 
c’est au fond le même mode de connoissance. Mais dans le miroir incréé 
une chose est vue en vertu de la forme de ce miroir lui-même ; ainsi que 
l'effet est vu dans la cause, et réciproquement. Voilà pourquoi celui qui 
voit ce miroir éternel, ne doit pas nécessairement pour cela voir tout ce 
qu'il représente ; celui qui voit une eause peut ne pas voir tous ses effeis, 
à moins qu'il n'embrasse cette cause. 

7* Ce désir que les saints ont de tont savoir, sera satisfait par cala 
méme qu'ils verront Dieu; de méme que le désir de posséder tous les 
biens, le sera par cela même qu'ils posséderont Dieu. Dieu est la parfaite: 





autem cognitio qua intellectus creatus perfici- 
tur, ordinatur sicut ad finem, ad Dei cogni- 
tionem. Unde videnà Deum per esseutiam, etiam- 
si nihil aliud cognosceret , perfectum intellec- 
tum haberet; nec est perfectior ex hoc quod 
aliquid aliud cum ipso cognoscit, nisi quatenus 
ipsum pleniüs videt. Unde Augustinus in V. 
Confess., cap. 4 : « Infelix homo, qui sait illa 
omnia ( scilicet creata), te aulem nescit. Bea- 
fus autem qui te scit, etiamsi illa nesciat. Qui 
verb te et illa novit, non propter illa beatior, 
ged propter te solum beatum est. » 

Ad sextum dicendum, quàd speculum illud 
est voluntarium ; et sicut ostendet se cui vult, 
ita in se ostendet quæ vult. Nec est simile de 
speculo materiali, in cujus potestate non esi 
quàd videatur, vel non videatur. Vel dicen:luin 


PA materiali tam res quàm spe- 


culum videntur sub propria forma, quamvis spe- , 
eulum illud videatur per formam à re accep- 
tam ; lapis verd per propriam formam , resul- 
tantem in re alia. Et ideo per quam rationem 
cognoscitur unum, et alind. Sed 10 speculo 19- 
creato videtur aliquid per formam ipsius spe- 
culi, sicut effectus. videtur per similitudine 
causg, et à converso. Et ideo mon opo:tet qoi] 
quicumque videt speculum æteroum, videat 
omnia que in speculo resultank. Non enim ue- 
cesse est quid videns causam, videal omnes 
effectus ejus, nisi comprebendat causam, 

Ad septuaum dicendum, quód sauctorum de- 
sidenum quo omma scire desiderant, implebi- 
iur ex hoc solüm quod Deum videbunt; sicut 
desiderium eorum quo ompia bona habere cu- 
piunt, complebitur in hoc quod Deum habe- 
bunt. Sicut enim Dens in hoc quod liabet per- 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 171 


bonté, la bonté par essence, et de la sorte il remplit notre cœur, en le 
possédant on possède tous les biens; et bien, la vision de l'essence divine 
agira de la méme maniére sur notre intellect, d'aprés cette parole, Joan., 
XIV, 8 : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suflit. » 
8° L'ignorance proprement dite implique une privation, et de la sorte 
elle esi nne peine. Ainsi l'ignorance consiste à ne pas savoir ce qu'on de- 
vroit savoir, ou bien ce qu'il seroit nécessaire de savoir. Or les saints dans 
la céleste patrie n'ignoreront aucune de ces choses. Parfois dans le langage 
ordinaire, on appelle ignorance l'absenee d'un savoir quelconque. A le com- 
prendre ainsi, il est sûr qu'il y a des choses que lesanges et les saints igno- 
reront dans la céleste patrie ; et de là vient que saint Denis a pu dive : « Les 
anges sont purifiés de leur défaut de science (1). » Une telle ignorance ne 
sauroit être regardée comme un défaut. C'est simplemeat l'absence d'une 
perfection. Or l'état degloire ne doit pas nécessairement nous communiquer 
toutes les perfections possibles. Ce n'est pas là un défaut véel, dans le sens : 
ordinaire du mot; car autrement on pourroit dire que saint Lin fut ua pape 
défectueux, par la raison qu'il n'atteignit pas à la gloire de saint Pierre. 


(1) Qu'il 7 ait des choses igrorées par certains ordres d'anges, au sein méme de la céleste 
patrie, c'est ce que nous avons dj vu dans l'admirable traité cossacré par saint Thomas à 
€ette partie de la science sacrée, si négligée par Jes théolegiens modernes, et qui a pour 
eb5jct le mode d'être et les diverses fonctions de la nature angélique. Il n'est donc pas éton- 
naot que des intelligences d'un ordre inférieur, bien que voyant à découvert l'essence divine, 
ne voient pas tout ce que Dies voit, pas plus qu'elles n'embrassent Dieu lui-même. Plusieurs 
textes des Jivres saints nous le montrent d'une manière assez évidente ; et de plus ils ont été 
constamment interprétés dans ce sens par les plus célébres docteurs de toutes les époques. A 
l'autorité de saint Deus, toujours cité par notre maftre en pareille matiñre . on peut ajouter 
€e!le de saint Jérôme, expliquant ce passage d'Isaïe LXIII : « Quel est eelui qui vient d'Edom, 
les habits teints de sang? » Tous les commentateurs, à son exemple , ent ndent de la même 
fmaniére le met que le psalmiste met dans la bouche des témoins de la triomphale rentrée du 
grand roi : « Quel est ce roi de gloire? » saint Jean Chrysostome n'es! pas moins for- 
mel, dans son explication de la parole de l'Apótre, Ephes. 111,9:« Ce mystère inconnu...»Sur cette 
méme perole, Theodoret s'exprime ainsi : « Ni les puissances invisibles efes-mêmes ne con- 
Doissoient ce mystère ; c'est par la dispeasation dent l'Eglise est l'organe, qu'elles ont appris 
le secret de l'ineflable segesee de Dieu. » L'éloquent patriarehe de Constantinople que nous 
venons de nommer, disoit : « Comment ces esprits angéliques l'aorolent-ils connu? per quelte 
révélation? Quand nous l'avens appris. ils l'ont appris eux-mêmes, et par notre intermédiaire.» 
Il y a dene des choses qu'on peut apprendre, méme dens le ciel. 





fectam bonitatem , sufficit affectui, et eo ha- 
bito, omnia bona quedammodo habentur; ita 
ejus visio suffieit imtellectui , Joan., XIV : 
« Domine , ostende nobis Patrem, et sufficit 
nobis. » 

Ad octavum dicendum, qubd ignorantia pro- 
pré accepta, in privationem sonat; et sic 
pena est. Sie enim ignorantia est nescientia 
aliquoram quee seiri debent , vel qua necesse 
est seire. Nullias autem horum scientia sanctis 


deerit in patria. Quandoque autem ignorantia 
communiter accipitur pro omni nescientia :'st 
sic angeli et sancti in patria quedam ignora- 
bunt; unde Dionysius dicit quód «ang:li à 
nescientia purgantur. » Sic autem ignorantia 
non est pœnalitas, sed defectus quidam. Nec 
est necesse quàd onis t.lis defectus per glo- 
riam auferatur; sic enim etiain posset diei quod 
defectus esset in Papa Lino (1), quod non per- 
venit ad gloriam Petri. 


(1) Qui velpti proximus in supremo Pontifücatu Petri successor, in exemplum affertur, ut ad 
23 Septemb. Baronius ex Irenæo, Epiphanio et Optato Milevit. probat. 


179 SUPPLÉMENT, QUESTION XCIf, ARTICLE J. 


9» Notre corps sera rendu semblable au corps du Christ par une simple 

ressemblance et non par une parfaite égalité. I1 possédera la clarté comme 

. le corps du Christ , mais non une clarté égale. Pareillement, notre ame 
possédera la gloire, à exemple de lame du Christ, mais non au 
méme degré. Elle aura la science comme l'ame du Christ; mais elle 
n'aura pas une-science aussi grande, de manière à savoir toutes choses, 
comme les sait l'ame du Christ. 

10° Quoique l'essence divine soit la raison formelle de tout ce qu'il est 
possible de connoitre, il ne s'ensuit pas qu'elle s'unisse de cette façon à 
tout intellect créé. L'argument n'est donc pas concluant. 

11* L'intellect agent est une forme proportionnée à l'intellect possible, 
tout comme la puissance de l'agent naturel est proportionnée à la puis- 
sance de:la matière ; de telle sorte que tout ce qui est dans la puissance 
active de l'intellect agent ou de l'agent naturel passe à la puissance 
passive de l'intellect possible ou de la matière. Si donc l'Intellect agent 
est la forme de l'intellect possible, il faudra que celui-ci connoisse toutes 
les choses qu'embrasse la vertu de celui-là. Mais l'essence divine ne sau- 
roit étre de cette maniére la forme de notre intellect. Il n'y a donc pas de 
ressemblance à établir. 

12° Rien n'empéche de dire qu'aprés le jour du jugement, quand sera 
pleinement consommée la gloire des hommes et des anges, tous les Bien- 
heureux connoitront ce que Dieu connoit par sa science de vision ; ce qui 
ne veut pas dire que chacun d'eux verra toutes ces choses dans l'essence 
divine. Seule l'ame du Christ les verra, comme elle les voit déjà. Les 
autres saints verront plus ou moins de choses, selon le degré de clarté 
où ils seront parvenus, dans la connoissance de Dieu méme. Aussi 





Ad nonum dicendum, quód corpus nostrum 
conformabitur corpori Christi in gloria secun- 
dèm similitadinem , non secundum æqualita- 
tem ; erit enim clarum sicut et- corpus Christi, 
sed non equaliter. Et similiter anima nostra 
habebit gloriam ad similitudinem anima Christi, 
sed non ad æqualitatem : et ita habebit scien- 
tiam sicut anima Christi; sed non tantam , ut 
scilicet sciat omnia, sicut anima Christi. 

Ad decimum dicendum, quód quamvis es- 
sentia divina sit ratio omnium cognoscibilium, 
non lamen conjungetur cuilibet intellectui 
creato secundum quod est ratio omnium. Et 
ideo ratio non sequitur. 

Ad undecimum dicendum , quód inlellectus 
agens est forma proportionata intellectui pos- 
abili (4), sicut etiam potentia materie est pro- 
portionata potentiæ agentis naturalis ; ut omne 


qnod est in potentia passiva materie vel in- 
tellectüs possibilis , sit in potentia activa in- 
tellectüs agentis, vel naturalis agentis, Et ideo, 
si intellectus agens flat forma intellectis pus- 
sibilis, oportet quód intellectus possibilis coe 
gnoscat omnia ad que se extendit virtus in- 
tellectüs agentis. Divina autem es-entia non est 
forina hoc modo nostro intellectui proportio- 
nata. Et ideo non est simile. 

Ad duodecimum dicendum , qudd nibil pro- 
hibet dicere quód post diem judicii , quando 
gloria hominum et angelorum erit penitus con- 
summata, omnes beati scient omnia quz Deus 
scientid. visionis novit, ita tamen quód non 
omnes omnia videant in essentia divina; sed 
anima Christi ibi plenà videbit omnia , sicut 
et nunc videt. Alii autem videbunt ibi plura vel 
pauciora, secundüm gradum claritatis quo Deum 


(1) Dato ex hypothesi quód sit forma, ut supponebat argumentum ; si enim essel forma, 
non posset esse nisi proportionata, cüm sit in eodem ordine naturali. Sed non proinde S. Tho- 


mas admittit quód sit forma. 


/Z/7€9 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 173 


Pame du Christ illuminera-t-elle toutes les autres , touchant ce qu'elle 
voit de plus qu'elles, dans les inépuisables trésors du Verbe. Voilà pour- 
quoi il est dit, Apoc., XXI, 23 : « La clarté de Dieu illuminera cette Jé- 
rusalem céleste, et son astre sera l'Agneau. » Pareillement , les esprits 
supérieurs illumineront ceux d'un rang moins élevé, non précisément 
en leur communiquant une illumination nouvelle, de telle sorte que 
la science des esprits inférieurs en soit augmentée , mais bien par une 
sorte d'illumination continue, comme l'on concevroit le soleil illuminant 
les airs, s'il étoit immobile. Voilà pourquoi ilestdit, Dan., XII, 13: 
« Ceux qui instruisent et dirigent les autres dans les voies de la justice, 
brilleront comme des étoiles dans l'éternel séjour. » Les supériorités 
de rang doivent cesser, avons-nous dit, mais en ce qui concerne les 
divers ministéres actuellement remplis à notre égard ; et c'est ce que nous 
voyons dans la Glose sur laquelle est appuyée la mineure de l'argument. 


ARTICLE IV. 
La béatitude des saínts sera-t-elle plus grande aprés le jugement qu'auparavant ? 


Il paroit que la béatitude des saints ne sera pas plus grande aprés le 
jugement qu'elle ne l'étoit auparavant. 1^ Plus une chose approche de 
la ressemblance divine, plus elle participe abondamment à la béatitude. 
Or l'ame séparée du corps est plus semblable à Dieu que lorsqu'elle étoit 
unie à la matière. Donc elle possede une plus grande béatitude avant 
qu'aprés sa seconde union avec le corps. | 

2» « Une puissance qui porte le caractère de l'unité est plus grande que 
si elle étoit multiple, » De causis propos. 17. Or quand l'ame est séparée 
du corps, elle est plus une que lorsqu'elle y est attachée. Elle est donc 





cognoscent. Et sic anima Christi de his quæ 
pre aliis videl in Verbo, omnes alias illumi- 
nabit. Unde dicitur Apocal., XXI, quàüd « cla- 
ritas Dei illuminabit civitatem Hierusalem , et 


ARTICULUS IV (4). 


An beatitudo sanctorum sit major futura post 
Judicium quàm ante. 


lucerna ejus est Agnus. » Et similiter, supe- 
riores illuminabunt inferiores, non quidem novà 
iluminatione, ut scientia inferiorum per hoc 
Augeatur, sed quadam continuatione illumina - 
tionis; sicut si intelligatur quód sol quiescens 
Bluminat aëre.n. Et ideo dicitur Dan., XII, 
quód « qui ad justitiam erudiunt multos , ful- 
gebunt quasi stelle in perpetuas æternitates. » 
Prelatio autem ordinum dicitur cessatura 
quantum ad ea qua nunc circa nos per eorum 
prdinata ministeria exercentur, ut patet. etiam 
per Glossam ibidem. 


Ad quartum sic proceditur. Videtur quód 
beatitudo sanctorum non sit major futura post 
judicium quàm ante. Quantó enim aliquid ma- 
gis accedit ad similitudiuem divinam , tant) 
perfectiüs beatitudinem participat. Sed anima 
à corpore separata, Deo similior est, quàm 
corpori conjuncta. Ergo major est ejus beati- 
tudo ante corporis resumptionem quàm post. 

2, Praeterea, « virtus unita magis est po- 
tens, quàm multiplicata. » Sed anima extra cor- 
pus est magis unita quàm cüm est corpori 
conjuncta. Ergo virtus ejua est major ad ope- 


(1) Priüs quæst. 93 sive 95 primus erat, sed quartus modó 98, propter duas in unam jam 
€onflatas ; quid enim erat opus hanc separatim inscribere, De beai((udine Sanctorum et eo- 


fum mansionibus? 


| 395 


La 


SUPPLÉMENT, QUESTION XCM, ARTICLE b. 


plus puissante pour agir; et'dés-lors elle participe plus abondamment à 


la béatitude, laquelle git dans l'acte. 


3^ C'est dans l'acte de l'intellect spéculatif que consiste la béatitude (1). 
Or l'intellect entre en exercice sans le concours d'un organe corporel ; et 
. dela sorte en reprenant son corps, l'ame ne se trouvera pas dans de 
meilleures conditions par rapport à l'intelligence. Donc sa béatitude ne 
sera pas plus grande aprés la fésurrection qu'elle me l’étoit aupora- 


vant. 


l^ [1 n’y a tien de supérieur à ce qui est infini ; d’où il suit que l'in- 
fai avec le fini ne fait pas quelque chose de plus grand que l'infini lui- 
méme. Or l'ame bienheureuse, avant de reprendse san corps, puise sa béa- 
titude et sa joie dans un bien infini, c'est-à-dire en Dieu même ; et sa 
joie aprés da résurrection du corps n'aura pas une autre source, si ce 
n'est peut-&Are la gloire méme du corps, ce qui ne sauvoit être qu'un 
bien fini. Donc la joie des bienheureux aprés la résurrection ne sera pas 


plus grande qu'auparavant. 


Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Sur cette parole, .Apoc., VI : 
«J'ai vu au-dessous de l'autel les ames de ceux qui ont été tués, » la 
Glose ordinaire dit : « Les ames des saints sont maintenant au-dessous 
de l'autel, c'est-à-dire dans un rang inférieur à oelui qu'elles doivent oc- 
cuper plus tard. » Donc leur béatitude après la résurrection sera plus 


grande qu'auparavant. 


La béatitude est la récompense des bons, de même que le malheur de 
l'enfer est le chátiment des méchants. Or ce chátiment grandira aprés Ja 
résurrection, paisqu'il sera subi dans le corps en méme temps que dans 
l'ame. Donc k béatitude des saints doit être après la résurrection plus 


grande qu'auparavant. 


(1) C'est ce qui a été démontré, dans le traité de la béatitude , au commencement de la 
seconde partie de la Somme ; et cette démonstration s'appuyoit sur les principes posés dans 
la première partie, quasd a été développée la théorie des facultés intelfectuefles de homme. 





randum; et ita perfectiüs beatitudinem parti- 
cipat, qua in acta consistit. 

8. Pratereg , beatitudo consistit in actu in- 
tellectus speculativi. Sed intellectas in suo actu 
mon utitur organo corporali; et sic corpus re- 
sump'um non efficiet ut anima perfectiüs in- 
telligat. Erro beatitudo anime non erit major 
post resurrectionem quam ante. 

4. Praterea, intinito non potest esse aliquid 
mojns; el ita infiuitum cum aliquo finito non 
facil msjus quàm infinitam ipsum. Sed anima 
beata ante corporis resuinptionein beatitudinem 
habet de hoc rod gandet de bono intiuito, sci- 
licet Deo ; post resurrectioneui autem corporis 
non babcbit de alio gaudium, nisi f rtè de glo- 
quod est bonum quoddam finitum. 







Ergo gaudiam eorum post corporis resumptio- 
neu non erit majus quàm aute. 

Sed contra est, quód Apoc., VI, super 
illud, « Vidi subtus altare animas interfecto- 
rum, etc., » dicit Glossa : « Modo anime sanc- 
lurum sunt existentes subtus altare, id est, in 
minori dignitate, quàm sint future. » Ergo 
major erit eorum beatitudo post resurrectio- 
nem quàm post mortem. 

Preterea, sicut bonis beatitudo redditur 
pro premio, ita et malis miseria. Sed qmis«ria 
malorum post resurrectionem corporum cuit 
major qu'un antè, quia non solùm it auina, 
sed etiam in corpore punientur. Ergo et hca- 
titudo sanctorum erit major posi resurrectio 
nem corporu:n quàm anié. 


DE LA VISION SE L'ESSENCE PIVINE, ETC. 175 

(Concusion. — Comme après la résurrection, le corps ayant pris part 
À la gloire, l'opération de l’ame deviendra plus parfarte, avec ke concours 
d'un tel corps, il faut reconnoitre que les saints seront plus heureux 
aprés qu'avant le jugement. ) 

Que la béatitude ‘des saints doive après la résurrection sugmenter en 
étendue , c'est une chose manifeste , puisque cette béatitude n'affectera 
pas seulement l'ame, mais qu'elle rejailira aussi sur le corps. La béati- 
tude méme de l'ame gagnera en étendue, l'ame trouvant alors le sujet 
de sa joie, et dans son bien propre, et dans le bien du corps. On pourroit 
même dire que la béatitude de l'ame gagnera en intensité (1). Le corps 
humain, en efet, peut être considéré sous un double rapport : d'abord, 
en tant qu’il peut et doit être perfectionné par V'ame ; puis, en tant qu'il 
renferme , au contraire, quelque chose qui fait obstacle à l'ame dans ses 
opérations, de telle sorte que le corps ne se laisse pas entièrement per- 
fectionner par l'ame. En considérant le corps sous le premier aspect, íl 
faut reconnoître que l'union du corps avec l’xme ajonte à celle-ci are 
certaine perfection, par la raison que toute partie est d'elle-méme impar- 
faite et ne se complète que dans son tout; d’où vient que le tout est par 
rapport aux diverses parties comme la forme par rapport à la matière. 
L'ame est done plus parfaite, possède nrieux son être naturel quand elle est 
dans le tout, c'est-à-dire dans un homme, dans cet être composé d'une ame 
et d'un corps, que lorsqu'elle n'est plus qu'une partie séparée. Mais, d'un 
autre côté, considéré sous le second aspect, le corps est un obstacle à la 
perfection de l'ame. De là cette parole, £ap., IX, 15 : « Le corps qui se 

(1) 8i la eonaoissance ou la science des heureux habitants du ciel peut s’agrandir, comme 
nous l'avens vu dans la thíse précédente , pourquoi n'en seroil-il pas de méme de leur féfi- 


cité? Disons mieux : n'est-ce pas ici une conséquence légitime et nécessaire de la doctrime 
qu'on vientd'établir? 





(Coxczusio. — Cüm post resurrectionem , | modo, secundüm quod est ab anima perfecti- 
glorificato etiam corpore , perfectior futura sit | bile ; alio modo, seceadüm.quod est in eo ali- 


anima cum corpore glorioso conjunctæ ope- 
' ralio, sanctos beatiures esse post judicium 
quàm auté fatendum est. ) 

Respondeo dicendum, qmd beatitudinem 
Sanctorum post resurrectionem augeri quidem 


quid repugnans animæ in suis operationibus, 
prout non perfecté corpus per animam perfi. 
citur. Secundum antem primam consideratio- 
nem corporis, conjunctio corporis ad animam 
addit anims aliquam perfectionem ; quia om- 


extensivé manifestum est; quia beatitudo tune ' nis pars imperfecta est, et. completur in suo 
erit. non solüim in aniina, sed etiam in corpore. | toto; unde totum se habet ad parles at for. 
Et etiam ipsius animse beatitudo augebitur | ma (1) ad materiam. Unde el anime perfectior 
extensivè, in quantum anima non solüm gau- | est in esse suo naturali cüm est in toto (scilicd 
debit de bono proprio, sed etigu de bono cor- | in homine conjuncto ex anima et corpore ) 
poris. Potest etiam daci quód ipsius animse ! quàm cüm est pars separata. Sed unio corpo- 
beatitudo intensivé augebitur. Corpus emim | ris, quantum ad secundam ipsiug consideratio- 
hominis dupliciter potest considerari : uno | nem, impedit anime perfectionem. Unde di- 


(1) Hme pars dicítur materia totíus , lib. III. Physic., text. 66, quia nimirum partes in 
potentia quodamtodo sunt respectivé ad totum quod est actu; sicut et materia qui compos 
situm constituit, per modum potentie se babet respectivé ad formam per quam in suo esse ac» 
tuatur, 










176 


SUPPLÉMENT, QUESTION XCII, ARTICLE 4. 


corrompt, appesantit l’ame. » Si donc on ôte du corps tout ce par quoi il 
résiste à l'action de l'ame, il faudra bien dire que l'ame existant dans un 
tel corps sera plus parfaite que lorsqu'elle en étoit séparée. Or plus une 
chose est parfaite dans son étre, plus elle peut le devenir dans son opéra- 
tion. Par conséquent, l'opération de l'ame unie à un tel corps sera plus 
parfaite que celle de l'ame séparée. Et voilà ce que sera précisément le 
corps glorieux, puisqu'alors il sera soumis à l'esprit d'une maniere abso- 
lue. Mais, comme la béatitude consiste dans l'opération , il s'ensuit ulté- - 
rieurement que la béaiitude de l'ame sera plus parfaite aprés la resurrec- 
tion qu'elle ne l'étoit auparavant. Il est vrai que l'ame séparée d'un corps 
corruptible peut opérer plus parfaitement que lorsqu'elle lui est unie ; 
mais, pour la méme raison, après qu'elle aura été unie à un corps glo- 
rieux, son opération sera plus parfaite qu'elle ne l'étoit dans son état de 
séparation. De plus, tout être imparfait aspire à sa perfection. Et de là 
vient aussi que l'ame séparée (end par l'inclination méme de sa nature à 
s’unir de nouveau avec son corps. Or cet appétit, provenant d'une impertec- 
tion, fait que l'opération de cette ame dans son mouvement vers Dieu, est 
moins intense. Saint Augustin l'avoit dit, Genes. ad litt., XII, 35: «Re- 
tardée qu'elle est par le désir naturel de reprendre son corps, l'ame ne se 
porte pas avec toute l'intensité de ses forces vere le souverain bien. » 
Je réponds aux arguments : 1° L'ame unie à un corps glorifié est plus 
semblable à Dieu que lorsqu'elle est séparée de son corps, par la raison 
qu'alors elle posséde la perfection de son étre; car plus une chose est 
parfaite, plus elle est semblable à Dieu. Ainsi le cœur, par exemple, 
dont la perfection vitale consiste dans le mouvement, est plus semblable 
à Dieu quand il se meut que lorsqu il est au repos, bien que Dieu jouisse 


d'un repos éternel. 


2» Une puissance ou vertu qui de sa nature doit devenir la forme d'une 





citur Sap., IX : « Corpus quod corrumpitur, 
aggravat animam. » Si ergo à corpore removeatur 
omne illud per quod anima actioni resistit , 
simpliciter anima erit perfectior in corpore tali 
existens, quàm separata. Quant autem ali- 
quid est perfectius in esse, tantó potest per- 
fetiüs operari. Unde et operalio anims con- 
juncta tali corpori erit perfectior quàm opera. 
tio anima: separate. Hujusmodi autem corpus, 
erit corpus gloriosum , quod omnino subdetur 
spirituj, Unde, cüm beatitudo in operatione 
consistat, perfectior eril beatitudo anima post 
resurrectionem corporis, quàm anté. Sicut enim 
anima separata à corpore corruptibili periec 
tits potest operari, quàm ei conjuncta; ita 
pos'quam fuerit conjuncta corpori glorioso, 
erfectior erit ejus operatio quàm quando erat 
. Omne etiam imperfectum. appetit 


suam perfectionem ; et ideo anima separala na- 
turaliter appetit corporis conjunctionem. Et 
propter hunc eppetitum ex imperfectione pro- 
cedentem , ejus operatio qua in Deum fertur 
est minüs intensa. Et hoc est quod dicit Au- 
gustinus quód « es appetitu corporis retardatur, 
ne tota intentione pergat in ilud summum 
bonum. » N 

Ad primum ergo dicendum, quàd anima con- 
juncta corpori glorioso magis est Deo similis, ' 
quàm ab eo separata, in quantum conjuncta - 
habet esse perfectius, Quant enim aliquid est 
perfectius, tant est Deo similius; sicut etiam 
cor, cujus vit: perfectio in motu consistit, esl 
Deo similius quando movetur, quàm quando 
quiescit , quamvis Deus nunquam movea- 
tur. 

Ad secundum dicendum, quid viitus qui 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 177 


matière, est plus énergique et plus active quand elle estunie à la matière 
que lorsqu'elle en est séparée ; mais , absolument parlant, il est vrai de 
dire qu'une vertu dégagée de la matière est plus puissante. 

3° Bien que dans l'acte de l'intellect l'ame ne se serve pas d’un organe 
corporel, la perfection du corps coopérera néanmoins d'une certaine facon 
à la perfection de l'opération intellectuelle, en ce sens que par son union 
avec un corps glorieux, l'ame est plus parfaite dans sa nature, et dès. 
lors plus puissante dans son opération. Sous ce rapport, le bonheur du 
corps lui-même servira comme d'instrument à l'opération dans laquelle 
consiste la béatitude. Cette pensée se trouve dans le Philosophe, £thic., 
I, 5 : « Les biens extérieurs servent comme des instruments au bonheur 
de la vie. » 

ko Le fini s'ajoutant à l'infni ne fait pas un être plus grand, sans 
doute ; mais il dit quelque chose de plus, le fini et l'infini étant évidem- 
ment deux choses différentes, ce qu'on ne sauroit refuser à l'infini lui- 
méme. Or l'extension de joie dont il est ici question, dit simplement 
quelque chose de plus, sans toucher à la grandeur intrinsèque de l'étre. 
La joie gagne en étendue , en tant que venant de Dieu elle remplit tou- 
jours également l'ame, et.que de plus elle vient de la gloire du corps. La 
gloire du corps contribue méme à l'intensité de la joie qui vient de Dieu, 
puisque le corps glorifié doit contribuer d'une certaine manière à rendre 
plus parfaite l'opération par laquelle l'ame se porte vers Dieu ; à mesure 
qu'une opération qui est dans l'ordre devient plus parfaite, la délectation 
* qui en résulte croit dans la méme proportion, comme on peut aisément le 
conclure de ce qui est dit, Ethic., X, 8. 





de sua natura habet quàd sit in materia, magis 
est potens in materia existens quàm à materia 
separata ; quamvis, absolutè loquendo, virtus 
à materia separata sit potentior. 

Ad tertium dicendum, quód quamvis in actu 
intelligendi anima corpore non utatur, tamen 
perfectio corporis quodammodo ad perfectio- 
nem operationis intellectualis cooperabitur, in 
quantum ex conjunctione corporis gloriosi 
anima erit in sua natura perfectior, et per con- 
sequens , in operatione efficacior. Et secundum 
hoc, ipsum bonum eorporis cooperabitar quasi 
instrumentaliter ad operationem illam in qua 
beatitudo consistit; sicut etiam Philosophus 
ponit in L Ethic., quod « bona exteriora rnn- 


ais 


perantur instrumentaliter ad felicitatem vite.» 

Ad quartum dicendum, quàd quamvis fini- 
tum infinito additum non faciat majus , tamen 
facit plus; quia finitum et infinitum sunt 
duo, cùm infinitum per se acceptum sit unum. 
Extensio autem gaudii non respicit majus, sed 
plus : unde extensivé augetur gaudium, se- 
cundum quod est de Deo, et de gloria corpo- 
ris, respectu gaudii quod erat de Deo. Gloria 
etiam corporis cooperabitur ad gaudii inten- 
sionem , quod est de Deo, in quantum coope- 
rabitur ad perfectiorem operationem qua anima 
in Deum fertur. Quantó enim operatio conve- 
niens fuerit perfectior, tantó delectatio erit 
major, ut palet ex boe quod dicitur IV. Ethic. 


478 SUPPLÉMENT, QUESTION XCIII, ARTICLE 5. 


. ARTICLE V. | 
Les divers degrés de béatitude doivent-ils étre appelés des demeures (1)? 


Yl paroît que les divers degrés de béatitude ne sauroïent tre appelés 
des demeures. 1° La béatitude est essentiellement une récompense. Or 
l'idée de demeure n'a rien qui corresponde à celle de récompense. Donc 
les divers degrés de béatitude ne sauroient être appelés des demeures. 

9» Demeure porte immédiatement à l'esprit l'idée d'un lieu. Or le lien 
où les saints possèdent la béatitude, n'est pas corporel, mais spirituel, 
puisque c’est Dieu même dans sa parfaite unité. Il n'y a donc qu'une seule 
demeure; et dès lors ce n'est pas là le nom qu'il faut donner aux divers 
degrés de béatitude. 

3» De méme qu'il y aura dans la patrie des hommes ayant des mérites 
divers, de même y en a-t-il dans le purgatoire et y en avoit-il autrefois 
dans les limbes. Or, dans le purgatoire et les limbes, on ne distingue pas 
des demeures diverses. Donc on n'en devroit pas non plus distinguer dans 
le ciel. 

Mais le Sauveur lai-même dit ainsi le contraire, Joan., XIV, 2: 
« Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures. » Et saint 
Augustin l'entend des divers degrés de récompense ou de mérite (2), 
puisque c’est au mérite que la récompense est proportionnée. 

Dans toute cité les demeures sont distinctes et coordonnées. Or la cé- 

(1) 11 est aisé de prévoir que cette thèse ne sera que l'explication de la parole du Sauveur : 
« Tans ia maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures. » Elle est towt-à-fait , sous ce 
rapport, dans le génie du docteur angélique; et le disciple marche parfaitement ici dans la 
voie tracée par le maître. Nous avons remarqué plus d'une fois que, dans la Somme, le com- 
mentaire scientifique da texte sacré rentre bien souvent dans la théologie. 

(2) C'est dans son célèbre commentaire de l'Evangile selon saint Jean, 4naok. 67, que le sa- 
*^pnt évêque d'Hippone exprime cette pensée : « Nul d'entr'eux ne sera éleigné de ceito mai- 
"uh , où chacun doit trouver une demeure distincte selon le degré de son mérite. La vie sera 
égale pour tous , puisqu'elle doit étre éternelle; l'un ne sauroit vivre plus longtemps que 


l'autre là où la vie se mesure invariablement à l'éternité, La diversité des demeures, au sein 
de celle méme vie, répond à la diversité des mérites qui doivent y trouver accès. » Saint Gré- 





mansio. Et iia diversi gradus beatitndinis 


ARTICULUS V. 1 . 
"M manssones dici noa debent. 
Utràm beatitudinis gradus mansiones dici 8. Praterea , sicot. in patria erunt . 
debeant. , homines 


Ad quintum sic proceditur. Videtur quód 
beatitudinis grades mansiones dici non de- 
beant. Bestitudo enim iraportat rauonem præ- 
mii. Sed mansio nihil significat quod ad præ- 
mium pertineat. Ergo diversi gradus beautu- 
dinis mansiones dici non debent. 

9. Praeterea, mansio locum significare vi- 
detur. Sed locus in quo sancti bealificabuntur, 
Don est corporalis, sed spiritualis, scilicet 
Deus, qui unus est. Ergo non est nisi una 


diversorum merilorum, ita nanc sunt m pur- 
gatorio, et in limbo Patrum fuerunt. Sed m 
purgatorso et 10. limbo non distinguuntur di- 
verso mansiones. Ergo similiter Bec 1a petria 
distingui debeut. — . 

Sed contra est, quód dicitur Joas., XIV : « In 
domo Patria mei mansiones multæ sunt, elc.;» 
quod Augustinus exponit de variis gradibus 
praemiorum, vel meritorum , quiDus diversi 
gradus premiorum respondent. 

Preterea, in qualibet civitate est ordinata 


DE LA VISION BE L'ESSENCE DIVINE, ETC 179 
este patrie est comparée à une cité , comme nous le voyons Apoc., 
XXI. Donc il faut également là distinguer diverses demoures, lesquelles 
représentemt les divers degrés de béatitude. 


(CoNGLUSION. — Tout mouvement tend nécessairement vers un repos, - 


qui est sa fin et qu'on peut bien appeler demeure ; on peut donc pour la 
même raison appeler demeures les divers degrés de béatitude possédés 
par les élus. ) 

Le mouvement local étant congu comme le premier de tous, le Philo- 
sophe pense, Physig., VIII, 8, que le nom méme de monvement, de dis- 
tance, et autres semblables, ont passé dece genre de mouvement à tous 
les autres. Or la fin du mouvement local, c'est le lieu od l'on s'arréte et 
se repose, une fois qu'on y est parvenu ; et ce point d'arrét devient un 
principe de conservation. Dans toute sorte de mouvements donc, le repos 
qui en est la fin, nous apparoit comme une localisation et une demeure. 
Aussi, comme le mot de mouvement s'étend par dérivation aux actes de 
l'appétit et de la volonté, quand le mouvement de l'appétit atteint sa fin, 
nous pouvons bien dire qu'il y a là point d'atrét, demeure. Voilà pour- 
quoiles divers modes d'atteindre la fin dernière sont appelés des de- 
meures diverses ; et de la sorte l'unité de la maison répond à l'unité de 
la béatitude , unité qui repose à son tour sur celle de son objet, tandis 
que la pluralité des demeures répond aux différences qui se trouvent 
dans la céleste béatitude de la part des élus. C'est ainsi que nous voyons 
dans la nature les corps légers tendre tous vers le point le plus élevé, 


goire exprime la méme pensée, ou plutôt enseigne la méme doctrine, en plusieurs endroits de 
ses ouvrages : d'abord, super Ezech. homil. 16: «Dans la eupréme récompense, bieu que 1008 
ne doivent pas ebieair le même degré d'honneur, teus posséderont néaumoins la méme vie bien- 
beureuse; » puis, moral. IV, 31 : « Puisqu'il y a, dans la vie présente, diverses œuvres accom- 


plies, il y aura, sans nui doute, dans la vie future, diverses dignités accordées. De méme done 


qu'ici-bas l'uu l'emporte sur l'autre en mérite, de méme l'un possédera là-haut une plus 
grande récompense que l'autre. » Enfin, Diatog. IV, 35 : « S'il n'y avoit pas différentes 
Pécomponses dans la céleste bemilude , il y euroit une demeure seule et non plusieurs. Dans 
ces nombreuses demeures viernent se ranger les divers ordres de bien; et tous les mérites 
Jouissent là cependant d'une joie commune, » 





mansionum distinctio. Sed celestis patria civi- 
fati comparatur, ui patet. Apoc., XXI. Ergo 
oportet ibi diversas mansiones distinguere ge- 
eundum diversos beatitudinis gradus. 

( CowcLvsio. — Sicuti in quolibet motu ipsa 
quies in fine motûs mansio dicitur, ita et in 
beatis gradus beatitudinis mansiones reclè 
appellantur.) 

Besponaeo üicendum, qubd quia motus lo- 
calis est prior omnium aliorum motuum, ideo, 
secundum Philosophum (lib. VIII, PAysic. 
text. 55 ), nomeu motüs et distanuæ et om- 
Bium hujusmodi derivatum est à motu locali 
ad omnes alies molus. Fieis autem molès le- 
calis est locus, ad quem cüm aliquid yervene- 


rit, ibi manet quiescens, et in eo conserva- 
tur. Et ideo in quolibet motu ipsam quietem 
in fine mots dicimus collocationem vel man- 


£onem, Et ideo, cüm nomen motüs derivetur : 
usque ad actus appetitüs et voluntatis, ipsa :^. 
assecutio finis appetitivi motôs, dicitur man- : 
sio aut collocatio in fine. Et ideo diversi modo . 
consequend: finem ulumum, d'vers® mansio- : 


nes dicuntur: ut sic unitas domüs respondeat 


unitati beatitudinis, quæ est ex parte obiecl!, ^ . 
et pluralitas mansionum responde.t differenti :. 


n 


qua in beatitudine invenitur ex parte beato- - 


rum. Sicut etiam videmus iu reous naturalibus 
quód est idem iprus sursum, ad quem tendunt 
ema (evi; ed unumquodque perGagí pro- 


180 SUPPLÉMENT, QUESTION XCIIf, ARTICLE 6. 


mais monter inégalement selon le degré de leur légèreté, et occuper ainsi 
ce qu'on pourroit appeler des demeures diverses. 

Je réponds aux arguments : 1° L'idée de demeure implique cellede 
fin, et par là màme celle de récompense, puisque la récompense est la fin 
du mérite. | 

2o I] n'y a, sans doute, qu'un lieu spirituel; mais on peut s'en rappro- 
cher à différents degrés ; et de la sorte, il s'établit des demeures diverses. 

3* Ceux qui étoient dans les limbes n'étoient pas encore parvenus à 
leur fin, et ceux qui sont actuellement dans le purgatoire n'y sont pas 
non plus parvenus. Il n'y a donc pas de demeures à distinguer dans les 
limhes et le purgatoire ; cela n'a lieu que dans le ciel et l'enfer, où se 
trouve la derniére fin des bons et des méchants. 


ARTICLE VI. 
Les demeures diverses se distinguent-clles d’après les divers degrés de charité? 


Il paroit que les demeures diverses ne se distinguent pas d’après les 
divers degrés de charité. 1° Il est dit, Matth., XXV, 15: a Il donna à 
chacun selon sa vertu.» Or la vertu propre de chaque chose, c'est sa 
vertu naturelle. Donc c'est selon les divers degrés de cette vertu natu- 
relle que sont distribués les dons de la grace et de la gloire. 

2» Il est encore dit, Psalm. LXI , 12 : « Vous rendrez à chacun selon 
ses ceuvres. » Or ce dont il s'agit ici, c’est la mesure de béatitude. Donc 
les degrés de béatitude ou les demeures diverses se distinguent d’après la 
diversité des œuvres, et non d’après les divers degrés de charité. — . 

3° Ce n'est pas à l'habitude, c’est à l'acte que la récompense est ac- 


MED 





pinguiüs, secundum quod. est levius; et ita 


. . CULUS VI. 

bapent diversas mansiones Secundum differen- ARTI D 

tiam levitatis. Utrum diversæ mansiones distinguantur penes 
diversos gradus charitatis. 


Ad primum ergo dicendum , quód mansio 
Ényortat rationem finis, et, per consequens, 
rationem præmii, quod est finis meriti. 

Ad secundum dicendum, quóJ quamvis sit 
unus locus spiritualis, tamen diversi sunt gra- 
dus appropinquandi ad locum illum; et secun- 
dum hoc constituuntur diverse munsiones. 

Ad tertiam dicendum, quod illi qui erant in 
limbo, vel nunc sunt in purgatorio, nondum 
pervenerant vel pervenerunt ad suum (Quem; 
et ideo purgatorio vel in limbo non distinguun- 
tur mansiones; sed solüm iu paraviso et in 
inferno, ubi est finis bonorum et malorum. 


Ad sextum sic proceditur. Videtur" quàd di- 
vers: mansiones non distinguantur penes di- 
versos gradus charitatis. Quia Æfatfh., XXV, 
dicitur : « Deilit anicuique secundum propriam 
virtutem (4). » Propria autem uniuscujusque rei 
virtus est ejus vis naturalis. Ergo et dona 
gratie et gloria distribuantur secundum di- 
versos gradus virtutis naturalis. 

2. Praterea, in Psa. m. LXI, dicitur : «Tu 
reddes auicuique juxta opera sua. » Sed illud 
quod redditur, est beatitudinis mensura. Ergo 
gradus beatitudinis distinguuntur secundum 
diversitatem operum, et non secundum diver- 
sitatem charitatis. 

8. Praeterea, premium debetor actui et non 


(1) Nempe talenta illa parabolica qua uni quinque, alii duo, alii autem unum homo pere- 


grè proficiscens (per quem intelligitur Christus) 


dispertitus est. 


DE LA VISION DE L'ESSENCE DIVINE, ETC. 181 


cordée ; et de là ce que dit le Philosophe, £fhic., I, 8 : «On ne couronne 
pas les plus forts, mais ceux qui combattent le mieux; » et l’Apôtre dit à 
son tour, II. Tím., 1I, 5 : « Ne sera couronné que celui qui aura légiti- 
mement combattu. » Or la béatitude est une récompense. Donc les divers 
degrés de béatitude seront établis d’après les œuvres, et non d’après la 
charité. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. En effet, plus on est uni à Dieu, 
plus est grand le bonheur qu'on possède. Or l'union avec Dieu est basée 
sur la charité. Donc les différents degrés de charité feront les différents 
degrés de béatitude. 

« Quand le simple suit le simple , le plus suit le plus. » Or la posses- 
sion de la béatitude suit celle de la charité. Donc une plus grande béati- 
tude devra dépendre également d'une plus grande charité. 

(CoNcLusioN. — Comme la gloire céleste est donnée pour récompense 
aux bonnes œuvres en tant qu'elles sont animées et perfectionnées par 
la charité , c'est d’après les divers degrés de cette vertu que les diverses 
demeures seront distinguées dans le royaume des Cieux. ) | 

Il y a deux principes d'aprés lesquels se distinguent les diverses de- 
meures du ciel ou les divers degrés de béatitude , le principe prochain et 
le principe éloigné. Le premier n'est autre chose que la disposition même 
où se trouve chacun des élus, disposition d’après laquelle ils accomplis- 
sent avec plus ou moins de perfection l'acte intellectuel qui constitue la 
béatitude; et le second consiste dans le mérite même qui leur a fait ac- 
quérir cette béatitude éternelle. Sous le premier rapport, les diverses de- 
meures se distinguent d'aprés la charité qui existe dans la patrie ; plus 
cette charité sera parfaite, plus elle nous rendra capable de percevoir la 


« 


babitui; unde non fortissimi coronantur (1), 
sed agonisantes, ut patet I. Ethic.; et 1l. 
Timoth., II : « Non coronabitur , nisi qui le- 
gitimà certaverit. » Sed beatitudo est præ- 
mium. Ergo diversi gradus beatitudiuis erunt 
Secundum dive.s08 gradus operum, et non se- 
cundum diversos gradus charitatis. 

Sed contra est, quód quantó aliquis erit Deo 
magis conjunctus , tanto erit beatior. Sed se- 
eundüm modum charitatis est modus conjunc- 
tionis sd Deun. Ergo secundum differentiam 
ebaritatis erit et diversitas beatitudinis. 

Preterea, « si simpliciter sequitur ad sim- 
pliciter, et magis ad magis. » Sed habere bea- 
titudinem sequitur ad habere charitatem. 
Ergo et habere majorem beatitudinem sequi- 
tur ad habere majorem charitatem, 


(CoxcLusio. — Cüm reddatur operibus , ia 
quantum charitate informata sunt, retributio 
glori , penes diversos charitatis gradus in 
Man celesti diverse mansiones distinguun- 
tur. 

Respondeo dicendum, quàd principium dis- 
tinctivurn mansionam sive graduum beatitudi- 
uis est duplex : scilicet propinquum, et remo- 
tum. Propinquum est diversa dispositio que 
eril in beatis, ex qua continget diversitas per- 
fectionis apud eos in operatione beatitudinis. 
Sed principium remotum est meritum, quo ta- 
lem beatitudinem consecuti sunt. Primo autem 
modo disuinguuntur mansiones secundum cha- 
ritatem patrie ; que auantà in aliquo erit per- 
fectior, tantó eum reddet capaciorem divinae 
claritatis, secundum cujus augmentum auge- 


(1) Ut juxta graecum oùy ct xaXAi0ot xal (Gyuoordrot cspavouvra:, planius reddendum est 
quàm sieut prids transposità negatione, for(issimi non coronantur. Sensus porró est quód 
mon ideo toronantur, quia fortissimi sunt, sed quia fortiter strenuéque decertant. 


182 SUPPLÉMENT, QUESTION XCIH, ARTICLE 6. 


divine clarté, plus aussi sera parfaite en noms la vision de Dieu. Sous le 
second. rapport , les diverses demeures se distinguent d’après la charité 
que nous aurons eue dans la vie présente; car notre acte n'a pas de loi- 
même et par sa propre substance le pouvoir de mériter, il ne Pa que per 
Fhabitude vertueuse qui l'anime et l'informe. Or la puissance de mérite 
qui se trouve dans chaque vertu vient de la charité, laquelle a pour 
objet la fin dernière elle-même. La diversité des mérites dépend donc de 
l'état où la charité se trouve dans un cœur ; et dés-lors c'est par manière 
de mérite que la charité de la vie présente distingue les diverses demeures 
célestes (1). 

Je réponds aux arguments : : 4? Vertu signifie dans ce texte, non la ca- 
pacité naturelle toute seule, mais la capacité naturelle avec un effort 
réel pour obtenir la grace. La vertu ainsi comprise sera donc alors comme 
la disposition matérielle à la mesure de grace et de gloire que chacun doit 
recevoir; mais la charité est la dernière forme donnée au mérite pour 
qu'il entre en possession de la gloire. Les divers degrés de gloire sont 
donc basés sur ceux de la charité , plutót que sur ceux de la vertu, telle 
qu'on vient de la déterminer. | 

2^ Les euyres ne nous donnent un droit à la gloire céleste qu'autant 
qu'elles sont informées par la charité. Done c'est d’après les divers degrés 
de cette vertu que sont établis les divers degrés de la gloire. 

4° Bien que l'habitnde toute seule de la charité, ou de toute autre 
vertu, ne soit pas un mérite auquel la récompense soit due, elle est néan- 
moins le principe et l'essence méme du mérite qui se trouve dans l'acte, 
Voilà pourquoi la diversité des récompenses est basée sur les divers de- 
grés de cette béatitude. De plus, le genre méme de l'acte peut à certains 
égards déterminer le degré du mérite ; mais ce ne sera pas à l'égard de la 

(1) Une vertu n'a droit à la felicité des cieux qu'autapt qu'elle est pratiquée en état de 


grace , informée et perfectionnée par la charité: c'est ce que nous avons vu fréquemment 
‘dans la Somme, c'est ce que les petits enfants apprennent dans les rudimentis mêmes de La 


charitas est formaliter complens meritem ad | 


bitur perfectio visionis diving. Secundo ver 
gloriam : et ideo distinctio gradüs in gloria 


modo distinguuntur mansiones secundum cha- 


rilalem vie; actus enim noster non habet quod 
sit merilorius ex ipsa substantia actás, sed 
solüm ex habitu virtutis, quo informalur. Vis 
autem merendi in onibus virtutibus est ex 
charitate, qua babet ipsum finem pro ohjecte. 
Et ideo diversitas in merendo tola revertitur 
ad diversitatem cbarilalis, Et sic charitas vie 
distinguet mansiones per modum meriti. 

Ad primum ergo dicendum , quód virtus ibi 
non solàm accipitur pro naturali capacilate, 
sed pro naturali capacitate simul cum couatu 
&d habendam gratiam. Et tunc virtas hoe modo 
accepta, erit. quasi materialis. di-positio ad 
mensuram gratiæ et gloriæ suscipiendæ; sed 


accipilur penes gradus charitatis, polius quàm 
penes gradus virtetis praedicta. 

Ad secundum dicendu.n, quód opera uon 
babent quèd eis retributio gloriz reddatur, nisi 
in quastane sant charitate iaformata, Et ideo 
Secundum diversos charitatis gradus erunt di- 
versi grades in gloria. 

Ad terium dicendum, qubd quamvis habitus 
charitatis vel cujscumque virtetis non sit me- 
ritum cui debeatur premium; est tamen prin- 
cipium et tota ratio merendi in actu. Et ideo 
secundum ejus diverstatem pramia distin- 
guuntur. Quamvis eliam ex ipse genere actüs 
pesst aliquis gradus in merendo considerari ; 


DE LA MANIÈRE DONT LES SAINTS SERONT YIS-A-VIS DES DAMNÉS. 183 
récompense essentielle, qui consiste dans la joie que nous cause la pos- 
sessions de Diow ; ce sera à l'égard de quelque récompense accidentelle, 
eonsistant dans la joie qui résulte d'un bien créé. 





QUESTION XCIV. 


De 1a menibre dont les saints seront vis-à-vis des damnfe. 


Tel est le sujet dont nous avons à traiter ici; et là-dessus on de- 
ynande trois choses : 1° Les saints voient-ils les peines des dainnés ? 9» Y 
compatissent-ils? 3° S'en réjouissent-ils (1) ? 


ARTICLE I. 
Les heureux habitants de la patrie verront-ils les peines des damnést 


Il paroit que les saints dans le ciel ne voient pas les peines des dam- 
nés. 1* La distance qui sépare les damnés des bienheureux est plus grande 


religion. Or, si la charité peut seule nous ouvrir le ciel , elle doit seule nous y marquer une 
place, d'après l'asiome invoqué par l'auteur dans la seconde formule de la proposition. 

(1) 8i le théologien répond sffirmativement à chacune de ces questions, comme il doit le 
faire, comme il le fera en réalité, des objections sans nombre, ou plutôt de violentes repal- 
sions, vont aussitôt s'élever dans le cœur bemain. C'est là ce qui fait du point de doctrine 
que l'auteur eborde ici, l'un des plus délieats et des plus difficiles de toute la théologie. Deas 
les conditions de la vie présente, avec les affections qui le dominent ici-bas , comment ce 
pauvre cœur pourroit-il conceveir qu'il puisse jamais voir avec indifférence, avec une sorte 
de joie même, les châliments éternels des parents, des amis, des êtres auxquels il fut si pro- 
fondémens attaché? Sans prétendre faire entiéroment disparoltre le voile mystérieux qui couvre 
Dos destinées futures , ne peut-on pes dire qu'un changement complet dans le nature et la 
direction de nos sentiments doit eb opérer un semblable dans l'objet et le cours de nos tris- 
tesses, aussi bien que de nes joies? La sensibilité, l'appétit, comme parie saint Thomas, obéit 
toujows à l'intelligence. Un sujet de douleur, qui n'es a fait plus d'une fois l'expérience? 
devient une sources de consolation et d'allégresse , quand notre intelligence le saisit sous un 
jour différent. Or, qui peurreit comprendre, qui pousroit esprimer surtout la révolution qui 





non quidem reapectu praemii essentialis , quod | cidentalis præmii, quod est gaudium de alique 
est gaudium de Deo; sed respectu alicujus ac- | béno creato. 


s, 





QUESTIO XCIV VEL XCV. 
De modo quo sancti se habebunt erga demnatos, in tres articulos divise. 
Deinde considerandum est. de modo quo ARTICULUS L 


sencti se habebunt erga damnatos. D. | 
Cirea quod queruntur tria : 1° Utrème saacti | Uirèms beati qui erunt in patria, videbunt 


penas damuatorum videant. % Utram eis panas damnatorum. 
compatieatur. 89 Uirem de eorum poss Læ-|  Adprimam sic proceditur. Videtur quód beati 
tentur. ) qui erunt in patria, nog videant penas dam- 


natorum. Major enim est distant damnetorum 


184 SUPPLÉMENT, QUESTION ‘XCIV, ARTICLE 1. 


que celle qui nous en sépare dans la vie. Or les bienheureux ne voient 
pas les actions des hommes qui vivent sur la terre ; d’où vient que sur 
cette parole, Isa., LXIII : « Abraham ne nous a pas connus, » la Glose dit: 
« Les morts, sans en excepter les saints, ne savent pas ce que font ici- 
bas les vivants, ceux méme de leur famille. » Donc moins encore voient- 
ils les peines des damnés. 

9* La vision est d'autant plus parfaite que l'objet en est plus parfaite- 


' ment visible; et de là ce que dit le Philosophe, Ethic., X, 4 : « L'opé- 


ration la plus parfaite de la vue a lieu quand ce sens est le mieux disposé 
et qu'il a pour objet ce qui est le plus capable de le ravir par sa beauté.» 
Donc, par la raison des contraires, la honte ou l'horreur de l'objet visible 
réagit sur la vue de maniére à la rendre imparfaite. Or pas d'imperfec- 
tion chez les bienheureux. Donc ils ne verront pas les miséres des dam- 
nés, spectacle le plus affreux qui se puisse concevoir. 

Mais le contraire résulte de ce texte d’Isaie, ult. 24 : « Ils sortiront, et 
ils verront les cadavres des hommes qui ont prévariqué contre moi ; » car 
la Glose dit : « Les élus sortiront par la pensée ou par une vision mani- 
feste, afin qu'ils se sentent encore plus d'ardeur à rendre gloireà Dieu. » 

(ConcLusion. — Comme les contraires rapprochés se font mieux res- 
sortir, les bienheureux dans le ciel verront les peines des damnés, afin 
qu'ils sathent mieux apprécier leur béatitude. ) 

On ne doit rien Óter aux bienheureux de ce qui peut contribuer à la 
perfection de leur béatitude. Or on apprend à mieux connoitre une chose 
se fera dans nos idées et nos appréciations , quand le grand jour de l'éternité se sera levé 
pour nous ? Ravis et comme absorbés par la vue de i'éternelle vérité, par la possession de la 
beauté supréme, nous ne formerons pas d'autres Jugements, nous n'éprouverons pas d'autres 
affections, que les affections et jugements dont nous contemplerons les types supérieurs dans 
l'essence divine elle-même. Notre esprit et notre cœur s’identifieront avec la souveraine sa- 
gesse et l'amour infini. Voyant à découvert la raison profonde des cboses, nous voudrons sans 
effort , nous voudrons avec bonbeur, tout ce qu'sura décidé l'inmuable volonté de notre 
Dieu. Et puis, ayons cette confiance dans la divine miséricorde , de croire qu'elle disposera 


tout d'une maniére parfaite pour que rien ne puisse altérer la félicité des élus , sans blesser 
aucun des nobles instincts qu'elle-méme a gravés dans leur áme. 





à beatis, quàm viatorum. Sed beali viatorum 
facla non vident; unde Isai., LXIII , super 


debunt miserias damnatorum, in quibus est 


gumina turpitudo. 


illud : « Abraham nescivit nos, » dicit Glossa : 
« Nesciunt mortui, etiam sancti , quid faciant 
vivi , etiam eorum filii. » Ergo multó minüs 
vident ponas damnatorum. 

2. Praeterea, perfectio visionis dependet à 
perfectione visibilis; unde Philosophus dicit 
in X. Ethic. (cap. &; sive 6), quód « per- 
fectissima sensûs visûs operatio , est sensüs 
marimé disposti ad pulcherrimum sub visu 
cadentium. » Ergo, è contrario, turpitudo visi- 
bilis redundat in imperfeclionem visionis. Sed 
imperfectio nulla erit in beatis. Ergo non vi- 


Sed contra est, quód dicitur Isai., ult. : 
« Egredieutur, et videbunt cadavera virorum 
qui prævaricati aunt in me ; » Glossa : a Electi 
egredientur intelligentiá vel visione manifestä, 
ut ad laudem Dei magis accendantur. » 

( Conctusio. —  Cüm contraria juxta se po- 
sita magis elucescant , beati in regno celesti 
videbunt ponas damnatorum , ut beatitudo illis 
magis complaceat.) 

Respondeo dicendum, quód à Beatis nibil 
subtrahi debet quod ad perfectionem bealitu- 
diuis eorum pertneat. Unumquodque autem ex 


^ 


DE LA MANIÉRE DONT LES SAINTS SERONT VIS-A-VIS DES DAMNÉS. 185 


quand on la compare à son contraire, par la raison que « les contraires 
rapprochés se font mieux ressortir, » Pour que les saints sachent donc 
mieux apprécier leur béatitude , et la sentent plus vivement, pour qu'ils 
en rendent à Dieu de plus abondantes actions de grace, il leur sera 
donné de voir à découvert les peines des impies. 

Je réponds aux arguments : 1° La Glose parle des saints en cet endroit, 
en considérant simplement ce qui est possible selon les forces de la na- 
ture ; et il est vrai qu'ils ne doivent pas nécessairement connoitre d’une 
connoissance naturelle tout ce qui se passe sur cette terre des vivants. 
Mais les saints qui sont dans la céleste patrie voient de la manière la plus 
claire ce qui se passe au sein de notre pèlerinage et de la damnation 
éternelle. Saint Grégoire dit, Moral., XII , 14 : « Ce n'est pas des ames 
saintes qu'il faudroit entendre cette parole de Job, XIV, Que ses enfants 
soient dignes ou indignes, il ne le saura pas ;... des ames qui possèdent 
au-dedans la clarté de Dieu, ne peuvent en aucune facon rien ignorer de 
ce qui se passe au dehors. » 

2» Quoique la beauté de l'objet visible contribue à rendre la vision plus 
parfaite, il ne s'ensuit pas que la laideur de ce même objet produise tou- 
jours une imperfection dans l'acte de la vue. Les espèces intelligibles 
par lesquelles l'ame connoit les choses contraires, ne sont pas con- 
traires elles-mémes ; et Dieu, en qui se trouve évidemment la connois- 
sance la plus parfaite, voit absolument toutes les choses, les plus 
hideuses comme les plus belles. | 


ARTICLE II. 
Les bienheureux compatissent-ils auo peines des damnés? 


Il paroit que les bienheureux compatissent aux peines des damnés. 
40 La compassion vient de la charité. Or les bienheureux possèdent la 





comparatione contrarii magis cognoscitur; quia 
« contraria juxta se pasita, magis elucescunt, » 
(ex libro Problematum , sect. 22 ). Et ideo, 
ul beatitudo sanctorum eis magis complaceat, 
et de ea uberiores gralias Deo agant, datur eis 
ut penam impiorum perfecté videant, 

Ad primum ergo dicendum, quód Glossa illa 
loquitur de sanctis mortuis, secundum possibi- 
litatem nature; non enim oportet ut naturali 
cognitione cognoscant omnia qua erga vivos 
aguntur. Sed sancli qui sunt in patria, omnia 
clarè cognoscunt quæ aguntur et apud viatores, 
et apud damnatos. Unde Gregorius dicit XII. 
lib. Moral. : « De animabus sanclis sentien- 
dum non est hoc » } scilicet quód Job dicil, 
« sive nobiles fuerint fllii ejus , sive ignobiles, 
Don intelliget, » etc. ), « quia quæ intus ha- 


bent Dei claritatem, nullo modo credendum est 
quàd foris sit aliquid quód ignorent. » 

Ad secundum dicendum, quàd quamvis pul- 
cbritudo visibilis ad perfectionem faciat visio- 
nis, visibilis tamen turpitudo sine visionis im« 
perfectione esse potest. Species enim rerum in 
anima, per quas contraria cognoscuntur, non 
sunt contrarie. Unde etiam Deus , qui perfec- 
tissimam cognitionem habet, omnia pulchra et 
turpia videt. 

ARTICULUS Il. | 
Utr&m beati compatiantur miseriis damna- 
torum. 


Ad secundum sic procedilur. Videtur quôd 
beati miseriis damnatorum compatiantur. Com- 
passio enim ex charitate procedit. Sed in beatis 


. 486 SUPPLÉMENT, QUESTION xcrv, ARTICLE 9. 


charité dans toute sa perfection. Done ils compatissent éminemment aux 
souffrances des damnés. 

2° Jamais les bienheureux ne pourront être éloignés de toute compas- 
sion, au méme point que l'est Dien lui-même. Maïs Dieu compatit en 
quelque sorte à nos misères; et les anges y compatissent de même. Donc 
les bienheureux compatissent aux peines des danrnés. 

Mais c'est Ie contraire qu'il faut dire. Quiconque compatit aux miséres 

"un autre, y participe d'une certaine facon. Or les bienheureux ne peu- 
vent nullement participer aux miséres d'autrui. Donc ils ne compatissent 
pas à celles des damnés. 

(CoscLusrow. — Les dammés ne pouvant plus être délivrés de leurs 
peines, les bienheureux ne pourroient pas y compatir selon la droite rai- 
son, et dès-lors ils n'y compatiront pas réellement. ) 

On peut ressentir la miséricorde ou la compassion de deux manières 
différentes : par maniére de passion et par maniére d'élection. Or, chez 
les bienheureux il ne pourra exister dans la partie inférieure de l'ame 
aucune passion qui ne soit subordonnée à l'élection de la raison ou de la 
partie supérieure. Ce n'est done que dans cette condition que la compas- 
sion ou la miséricorde peut se trouver en eux. Et la compassion ou la 
miséricorde ainsi eomprise emporte avec elle le désir et la volonté de 

voir finir les maux qui en sont l'objet. Aussi n'éprouvons-nous pas une 
telle compassion à l'égard des maux que nous ne voulons pas voir finir. 
Tant que les pécheurs sont en ce monde, leur état est tel qu'ils peuvent, 
sans atteinte portée à la justice divine, passer de leur misére et de leur 
péché à la béatitude. Aussi la compassion a-t-elle lieu pour eux, et selon 
l'élection de la volonté raisonnable , puisque Dieu, les anges et les saints 
compatissent de cette manière à l'état des pécheurs et désirent leur salut ; 
et par maniére de passion, comme cela a lieu dans l'ame des bons vivant 


erit perfectissima charitas. Ergo maximé mi- 
gertis damnatorum compatiuntur. 

2. Preterea, beati nanquam erunt tantom 
elongati à compassione, quantum Deus est. Sed 
Deus quodammodo miseriis nostris compatitur; 
unde et misericors dicitur; et similiter angeli. 
Ero beati compatiuntur miseriis damnatorum. 

Sed contra : quicumque alicui compatitur, fit 
miserie ejus quodammodo particeps. Sed beati 
non possunt esse participes alicujus miseria. 
Ergo miseris damnatorum nou compatiuntur. 

(ConcLUsio. — Cüm déaaneti non possint à 
sua miseria transferri, non possunt beali se- 
cundüm rectam electionem miseriis eorum com- 
pali ; ac proinde nec unquam compatientur. ) 

Respondeo dicendum, quàd misericordia vel 
compassio potest in aliquo inveniri dupliciter : 
uno modo, per modum passionis; alio modo, 


per modum electionis. In beatis quidem non 
erit aliqua passio in parte inferiori, nisi con- 
sequens electionei rationis. Unde non erit in 
eis compassio vel misericordia, nisi secundum 
electionem rationis. Hoc autem modo, ex elec- 
tione rationis, misericordia vel coimpassio nas- 
citur, prout scilicet aliquis vult malum alterius 
repelli. Unde in ills que secundüm ralionem 
repelli non volumus, coipassionem talem non 
habemus. Peccatores autem , quamdiu sunt in 


boc mundo, in tali statu sunt quàd sine pr&- 


judicio diving justitiae possunt in beatitudinem 
transferri à statu miseris et peccati. Et ideo 
compassio ad eos locum habet , et secunduin 
electionem voluntatis ( prout Deus, angeli, et 
beati eis compati dicuntur, eorum salulem vo- 
lenlo) et secundam passionem, sicut compa- 
tiuntur eis bomines bopi in statu vie exis- 


DE LA MANIÉRE DOMT LES SAINTS SERONT VIS-A-VIS DES DAMNÉS. 187 


encore sur la terre (1). Mais aprés la mort les pécheurs ne pourront plus 
être délivrés de leurs misères. Dès-lors la compassion ne pourra plus avoir 
lieu à leur égard selon l'élection de la volonté raisonnable; et par là 
même les bienheureux jouissant de la gloire, ne peuvent plus ressentir 
pour les damnés aucune sorte de compassion. 

Je réponds aux arguments : fe La charité est un principe de compas- 
sion quand nous pouvons charitablement vouloir la fin des miséres d'au- 
iroi. Or les saints ne peuvent pas vouloir ainsi la fin de la peine des 
damnés, puisque cela répugne à la justice divine. Cette raison n'est donc 
pas concluante. 

2° Dieu est appelé un Maitre plem ae miséricorde, parce qu'il 5ubvient 
à ceux qui, dans l'ordre de sa sagesse et de sa justice, doivent être dé- 
livrés de leurs miséres; mais cela ne veut pas dire que sa miséricorde 

S'étende aux damnés, si ce n'est peut-être en les punissant moins qu'ils 
ne méritent. . 


ARTICLE III. 
Les bienheureua se réjouissent-ils des peines des impies? 


Il paroit que les bienheureux ne se réjouissent pas des peines infligées 
aux impies. 1° Se réjouir du mal d'autrui, c'est de la haine. Or les bien- 
heureux sont incapables d’éprouver la haine. Done ils ne se réjouissent 
pas des peines infligées aux dammnés. 

2° Les bienheureux dans le ciel sont au plus haut point de conformité 
avec Dieu. Or Dieu ne se réjouit pas de nos douleurs. Donc les bienheu- 
reux ne doivent pas se réjouir non plus des peines subies par les damnés. 

9» Ce qui seroit blamable dans un homme vivant ici-bas, ne peut se 

(1) Le sens du mot compassion s'est étrangement affaibli, altéré méme dans notre langage ore 
dinaire. L'idée vagueet mai déterminée, qu'il porte désormais à notre esprit, rend en quelque sorte 
incompréhensible , ou du moins trés-obscur, ce que l’auteur en dit ici. 11 faut donc remoeter 


à sa signification primordiale et philosophique, parfaitement deflnie déjà par saint Thomas lui- 
méme, dans son traité de la charité, au commencement de la première partie de la seconde, 





tentes. Sed in futuro non poterunt trausferri à | terum misereatur, misi fortè poniendo citra 
sua miseris. Unde ad eorum miserias non po- | comdignum. 


ferit esae compassin secundum electionem rec- 
tam. Et ideo beati qui erunt in gloria, nullam 
Compassionem ad damuatos habebunt. 

Ad primum erge dicendum , quód charitas 
fume est compassionis pnncipium, quando poe- 
Sumus ex charitate velle remotionem miseria 
alicujus. Sed sancti ex charitate boc velle non 
possunt de duinnalis, ehm diving justitis re- 

. Unde ratio non sequitur. 

Ad secundum dicendum , quàd Deus dicitur 
esse misericors, ia quantum subvenit illis quos 
Secundam ordinem) sapieatim ot jusütiB suo 
cmucni à miseria liberari ; nen quód damna- 


ARTICULUS III. 
Utr&m beati latentur de panis impiorum. 


Ad tertium sic proceditur. Videtur quód 
beati non lætentor de pœfis impiorum. Lætari 
enim de malo alterius ad odium pertinet. Sed 
beatis nullum erit odium. Ergo non letabun- 
tur de miseriis damnatorum. 

2. Preterea, beati im. pstria erunt sammè 
Deo conformes. Sed Dews non delectatur in 
pois nostris. Ergo nec beati delectabunter 


drap esi 
8. Praterea, ind quod est viteperabile in 


488 SUPPLÉMENT, QUESTION XGOIV, ARTICLE 3. 


trouver en aucune manière dans un heureux habitant de la patrie. Or 
c’est une chose extrêmement blámable, dans les conditions de la vie pré- 
sente , de trouver un sujet de satisfaction dans le malheur d'autrui; une 
chose extrémement loueble, au contraire, d'y compatir. Donc les bien- 
heureux ne se réjouissent nullement du sort des damnés. 

Mais le contraire est ainsi exprimé, Psalm. LVIT, 44 : « Le juste se ré- 
jouira quand il verra éclater la vengeance. » 

Il est encore dit, Isa., ult. 9& : « Leur vue satisfera pleinement tous 
les hommes.» Cette pleine satisfaction est inséparable de la joie de l'ame. 
Donc les bienheureux se réjouiront des peines infligées aux impies. 

(Conczusion. — Les saints dans le royaume céleste ne se réjouiront pas 
des peines des damnés considérées en elles-mémes ; ils se réjouiront seu- 
lement en contemplant la justice divine et en pensant qu'ils sont à l'abri 

. de ses coups.) 

Une chose peut étre un sujet de joie, ou par elle-méme ou par acci- 
dent. On peut se réjouir d'une chose, précisément parce qu'elle est telle ; 
et ce n'est pas ainsi que les saints peuventse réjouir des peines des dam- 
nés. On peut se réjouir d'une chose, non à raison d'elle-méme, mais à 
raison d'une circonstance qui l'accompagne; et c'est ainsi que les bien- 
heureux se réjouiront des peines infligées aux impies. Ils verront en eux 
l'ordre de la justice divine, et en mème temps le bienfait de leur propre 
délivrance. C'est donc là le double objet de la joie des bienheureux ; c'est 
de cela qu'ils se réjouissent, et non directement des peines subies par les 
damnés. 

Je réponds aux arguments : 4* Se réjouir du mal d'autrui, considéré 
comme tel, c'est sans doute de la haine; mais non s'en réjouir dans un 
autre but ou pour un autre motif. On se réjouit quelquefois de son propre 


si l'on veut être en état de suivre les distinctions posées, et, dans toute sa portée, le point 
doctrinal démontré dans cet article. 





viatore, nullo modo cadit in comprehensorem. 
Sed in homine viatore maximé est culpabile 
quód reficiatur aliorum ponis , et maxim lau- 
dabile ut de ponis doleat. Ergo beati nullo 
modo lætantur de ponis damnatorum. 

Sed contra est, quód in Psalm. LVIT, dici- 
tur: « Lætabitur justus cüm viderit vindic- 
tam. » 

Preterea, Isai.;ult. : « Erunt usque ad sa- 
tietatem visionis omni carni. » Satietas autem 
refectionem mentis designat. Ergo beati gau- 
debunt de ponis impiorum. 

( ConcLUsio. — Sancti in regno celesti non 
gaudebunt per se de ponis damnatorum , sed 
per accidens, contemplando in eis divinam 
justitiam , et suam ab eis liberationem.) 

Bespondeo dicendum, qubd aliquid potest 


mn. 


esse materia gaudii dupliciter : uno modo per 
8e, quando scilicet de aliquo gaudetur in quan- 
tum hujusmodi ; et sic sancti non lætabuntup 
de poenis impiorum ; alio modo per accidens, 
id est ratione alicujus adjuncti. Et noc moao 
sancti de poenis impiorum gaudebunt, consi- 
derando in eis divine justitiæ ordinem, et 
suam liberationem , de qua gaudebunt. EL sic 
divina justitia et sua liberatio erunt per se 
causa gaudii beatorum; sed pone damnato . 
rum, per accidens. ' 

Ad primum ergo dicendum, quód letari de 
malo alterius, in quantum hujusmodi, pertinet 
ad odinm ; non autem lætari de malo alterius 
ratione alicujus adjuncti. Sic autem aliquis ae 
malo proprio quandoque lætatur ; sicut cùm 
quis gaudet de proprüs affliclionibus , secun- 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 489 


mal, des afflictions qui nous surviennent, en tant qu'elles peuvent nous 
aider à mériter l'éternelle vie; c'est ce que nous voyons, Joan., I, 2: 
a Regardez comme un sujet d'une joie pleine et entiére les tribulations 
qui vousarrivent. » 

2° Dieu ne se plait pas, sans doute, dans la peine méme qu'il inflige ; 
mais il se plaît dans l'ordre de sa justice, qu'il rétablit ainsi. 

3 Il ne seroit pas louable, en effet, de se réjouir ici-bas des peines que 
les autres éprouvent; et cependant on le peut si l'on y voit un bien. Mais, 
en dehors de cela, il y a une grande différence à établir entre l'homme 
voyageur ici-bas et l'homme habitant de la patrie : chez le premier, les 
- passions préviennent souvent le jugement de la raison, ce qui ne les em- 
péche pas d'étre quelquefois louables, à raison des bonnes dispositions 
qu'elles révèlent dans un cœur, ce qui a lieu dans la pudeur, par exemple, 
la pitié, le regret d'un mal commis ; tandis que chez les bienheureux, la 
. passion suit invariablement la raison (1). 


QUESTION XCV. 


Des dots des bienheureux. 


Nous avons à considérer ici les dots que Dieu fait aux âmes bienheu- 
reuses. Là-dessus, cinq points à résoudre : 4» Y a-t-il des dots qu'il faille 
assigner aux bienheureux? 92» La dot differe-t-elle de la béatitude? 3» Y 

(1) Non seulement donc les élus n’éprouvent aucune douleur réelle à l'occasion des peines 
des damnés, mais ils y trouvent méme, indirectement ou accidentellement , comme s'exprime 


l'auteur, un surcroit de reconnoissance et de joie , en voyant le sort dont ils ont été préser- 
vés par la divine misericorde. Sur cela, que ies foibles esprits entrainés par le naturalisme 





dm quèd prosunt ei ad meritum vite, Jacob,T: | tur de eis in quantum habent aliquid boni an- 
« Omne gaudium existimate fratres, cüm in | nexum. Tamen alia ratio est de viatore et com- 
tentationes varias iucideritis. » prehensore : quia in viatore passiones fre- 

Ad secundum dicendum, quód quamvis Deos | quenter insurgunt sine judicio rationis; (et 
non delectetur in penis, in quantum hujas- | tamen tales passiones interdum sunt Iaudabi- 
modi, delectatue tamen in eis in quantum sunt | les, secundüm quód bonam dispositionem men- 
per suam justitiam ordinatæ. tis indicant; sicut patet de verecundia et mi- 

Ad tertium dicendum , quód in viatore non | sericordia et peenitentia de malo ). Sel in com- 
est laudabile qudd delectetur de aliorum penis | prehensoribus non potest esse passio , nisi ju- 
secundum se, est tamen laudabile si delecte- | dicium rationis consequens. 





QUESTIO XGV VEL XGVL 
Do dotibus beatorum, in quinque artículos díeiss. 


Deinde considerandum est de dotibus bea-| Circa quèd quæruntur quinoue : 4° Utrüm 
forum, beatis int assiguandæ alique dotes. 3° Utrüm 


190 SUPPLÉMENT, QURSTION XCT, ARTICLE 1. 


8-t-il des dots qu'il faille attribuer au Christ? & Aux anges? 5° Les dots 
de l’âme sont-elles au nombre de trois ? 


ARTICLE I. 
Faut-il admettre des dots dans les hommes qui jouissent du bonheur céleste? 


Il paroit qu'il ne faut rien admettre de semblable dans les hommes qui 
sont áu ciel. 1* La dot, selon le droit, «c'est ce qui est donné à l'époux 
pour soutenir les charges du mariage. » Or, les saints sont à la place, non 
de l'époux, mais de l'épouse, en tant qu'ils sont membres de l'Eglise. 
Donc ce n'est pas à eux que les dots doivent étre données. 

2o La dot, toujours selon le droit, ne vient pas du côté de l'époux, 
mais bien du cóté de l'épouse. Or, tous les dons de la béatitude sont 
accordés aux élus de la part de l'époux, c'est-à-dire du Christ, conformé- 
ment à cette parole, Jac., L, 17 : « Tout don excellent, toute grâce par- 
faite vient d'en haut et descend du Pére des lumiéres. » Les dons de ce 
genre accordés aux bienheureux ne doivent donc pas étre désignés sous 
le nom de dot. 

3» Dans les unions terrestres une dot est accordée, a-t-il été dit, pour 
aider à soutenir les charges du mariage. Mais, dans le mariage spirituel, 
il n'existe aucune charge, à le considérer surtout selon l'état de l'Eglise 
triomphante. Donc il ne sauroit là être question d'aucune dot. 

4» I] ne s'agit de dot qu'à r.ison du mariage. Or, le mariage spirituel 
de l'âme avec le Christ est contracté par la foi, déjà dans l'état de l'Eglise 
militante. Si nous admettons donc que certaines dots soient accordées aux 


contemporain crient à la barbarie; rien de plus simple. La religien leur échappe dans ce 
qu'elle a de surnaturel et de divin. Mais, sitôt que l'en en possède les premiers éléments, 
dans toute leur pureté, il faut nécessairement admettre cette-docirine; comme, le principe une 
fois accepté, on est forcé d'admettre la conséquence qu'il renferme. 


dos à beatitudine differat. 3» Utrüm Cbristo com- 
petat habere dotes. 49 Utrüm angelis. 6° Utrüm 
convenienter assignentur tres anima dotes. 


ARTICULUS I. 


Utrà&m sint ponenda aliqua dotes in homi- 
tibus beatis. 


Ad primum sic proceditur. Videtur quód non 
sint ponende alique dotes in hominibus bea- 
tis. Dos euim, secuudum jura (1), « datur sponso 
ad sustinenda onera matrimonii. » Sed sancti 
non gerunt figuram sponsi, sed magis figuram 
spouse, iu quantum sunt Ecclesie membra. 
Ergo eis dotes non dantur. 

2. Preterea, dotes non dantur, secundüm 
jura, à parte sponsi , sed à parte sponse. Om- 


nia autem dona bestitwdinis danlur bealis à 
parte sponsi, scilicet Cbristi, Jac., I : « Omne 
datum optimum, et omne donum perfec- 
tum desursum est , descendens à Paire lumi- 
num, eic. » Ergo hujusmodi dena que bealis 
dantur, non sunt dotes appellanda. ; 

3. Praeterea, in matrimenio caruali dantur 
doles ad faciliàs; toleranda onera matrimeni. 
Sed in matrimonio spintuali non sunt aliqua - 
onera, maximé secundüm statum Ecclesie 
triumphantis. Ergo non sunt ibi alique dotes 
assignandæ. 

4. Præterea, dotes non dantur nisi causâ ma- 
trimomi, Sed matrimonium spirituale contra- 
bilur cum Christo per tidem, secuudum sta- 
tum Ecclesie militantis. Ergo eadem ratione, 


(1) Sic enim Lege Pro oneríbus, et Lege Dotís fructus, et in similibus alils videre est, qua 
Wb. IX , cap. 18, S 19, in Syniagmate Juris referuotur. 


DES DOTS DES BIENIEUREUX. 194 


bienheureuz, il faudra bien en admettre aussi chez les saints vivant sur 
la terre. Mais ceci ne peut pas étre. Donc cela non plus. 

5o La dot s'applique aux biens extérieurs, appelés les biens de fortune. 
Or, la récompense des bienheureux consiste tout entière dans des biens 
intérieurs. Donc il n'y a pas lieu à parler de dot. 

. Mais le contraire résulte de cette parole si connne de saint Paul, 

Ephes., V, 32 : « Ce mystère est grand, je dis en Jésus-Christ et son 
Eglise. » En effet, nous voyons là que le mariage spirituel est représenté 
par le mariage charnel. Or, dans celui-ci, c'est avec une dot que l'épouse 
se rend à la maison de son époux. Donc, comme les saints en entrant 
dans la béatitude céleste sont introduits dans la maison du Christ, il est 
juste qu'ils soient ornés de certaines dots. 

Dans le mariage corporel, la dot a pour objet de contribuer au bien-être 
des époux. Or, le mariage spirituel est incomparablement plus heureux 
que l'autre. Donc c'est à celui-là surtout que des dots doivent être assi- 
gnées. 

La parure des épouses fait partie. de leur dot. Or, les saints ont aussi 
leur parure spirituelle quand ils entrent dans la gloire, conformément à 
cette parole, Isa., LXI, 10: «Il m'a revêtu des vêtements du salut, comme 
une épouse parée de ses joyaux.» Donc les saints auront certaines dots 
dans la patrie céleste (1). 

(CoNcLusioN. — Il est certains dons, appelés dots par les théologiens, 
dont les bienheureux seront ornés dans le ciel. ) 

On ne sauroit douter que les élus, en entrant dans la gloire, ne recoivent 
de Dieu certains dons qui doivent faire leur ornement. Et c'est là ce que 

(1) Tout ce que nous connoissons ici-bas d'affections tendres et fortes, d'unions intimes et 
sacrées, a été tour-à-tour emprunté par la Religion , pour porter à notre intelligence et sur- 
toot pour faire sentir à notre cœur la puissance et les effets de l'amour que Diem ressent à 
l'égard de l'homme. Dieu, dans la langue mystérieuse de la religion, est un tendre pére, un 
ami dévoué, ua frère, un époux pour la nature humaine. Mais de toutes ces toucbantes appel- 


Jations , celle qui revient le plus souvent dans les saintes écritures, celle qui fournit aux doc- 
teurs sacrés les images les plus suaves et les plus profonds enseignements, c'est la der, 


si heatis alique dotes conveniant, conveniunt 
eliam sanctis existentibus in via. Sed istis non 
conveniunt, Ergo nec beatis. , 

5. Preterea, doles ad bona exteriora perti- 
nent, que dicuntur bona fortune. Sed præ- 
mia peaturum erunt de interioribus bonis. Ergo 
non debent dotes mominari. — 

Sed contra , Ephes., V, dicitur : a Sacra- 
mentum hoc magnum est, ego aniem dico in 
Christo et in Ecclesia. » Ex qno babetur quód 
spirituale matrimonium per carnale signitica- 
tur. Sed ín carnali matrimonio sponsa detata 
traducitur in domum sponsi. Ergo, cim sancli 
in domum Christi traducaptur, cüm beatfican- 
lur, videlur quód aliquibes aotibes dotentar. 


Præterea , dotes in matrimonio corporali a£- 
signantur ad matrimonii eelatiam. Sed matri- 
monium spirituale delectabilius est quàm cor- 
porale. Ergo ei suat dotes maximé assignandæ. 

Preterea , ornamenta sponsarum ad dotem 
perünent. Sed sancli ornati in gloriam tradu- 
cuntur, ut dicitur 4sa., LXI : «Induit me ves- 
timentis salutis, quaai sponsam ornatam moci- 
libus suis. « Ergo sancti in patria doles habent. 

(ComcLusio. — Aliquibus donis, qum à 
Theologis dotes appeliantar, ornabuntur beati 
in paradiso. ) ' . 

Hespondeo dicesdum , quód sbeqwe dubie 
beaus, quando in glonam transferuntur, ali- 
qua dona divinius dantur ad eorum ornatum. 


192 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE À. 


nos maîtres désignent sous le nom de dois. Aussi peut-on définir la dot 
dont il est ici question de la manière suivante : « Un ornement perpétuel 
de l’âme et du corps, qui accompagne la vie et doit à jamais durer dans la 
béatitude éternelle. » Cette définition, ou plutôt cette description est 
puisée dans une certaine analogie avec la dot corporelle; car celle-ci est 
comme un ornement donné à l'épouse, mais qui doit servir à l'époux 
pour entretenir convenablement l'épouse et les enfants; et toutefois la 
dot est conservée à l'épouse de maniére à ne pouvoir se perdre, afin 
qu'elle lui revienne daus le cas où le mariage vient à se dissoudre. Quant 
&u nom lui-méme, les opinions sont partagées. Quelques-uns prétendent 
que ce nom n'est emprunté à aucune analogie avec le mariage corporel; 
ils n'y voient qu'une application particuliére d'un nom commun donné 
à toute perfection, à tout ornement dont l'homme puisse étre enrichi ; 
ainsi nous disons qu'un homme est doué de science pour signifier qu'il 
est réellement savant. Ovide se sert plus d'une fois de cette expression 
dans un sens général. Mais cette opinion ne pourroit pas étre maintenue 
jusqu'au bout. Quand un niot a été créé pour exprimer spécialerhent une 
chose, on n'a coutume de le transporter à d'autres qu'en vertu d’une 
certaine ressemblance ou analogie. Par conséquent, le nom de dot ayant . 
eu pour. première destination de désigner une chose appartenant au ma- 
riage corporel, toute autre acception qui lui sera donnée devra reposer 
sur un certain rapport avec sa signiflcation primitive. D'autres disent 
donc que le rapport est pris ici de ce que qu'on appelle dot, à proprement 
parler, le don fait à l'épouse de la part de l'époux et qui doit servir à la 
parer quand elle entre dans la maison de celui-ci. A l'appui de ce senti- 


niére. Si donc notre âme est l'épouse bien-aimée du Verbe divin, il n'est pas étonnant que de 
riches dots lui soient dévolues. La doctrine développée dans cette question ressort donc admi- 
rablement de l'essence méme du Christianisme. 





Et hi ornatus à Magistris dotes suot nominati. 
Unde datur quadam definitio de dote de qua 
nunc loquimur, talis (1) : « Dos est perpetuus 
anime et corporis ornatus , vitæ sufficiens , in 
æterna beatitudine jugiter perseverans. » Et 
sumitur hec descripho ad similitudinem dotis 
corporalis , per quam sponsa ornatur, et pro- 
videlur viro unde possit sufficienter sponsam 
et liberos nutrire; et tamen inamissibiliter dos 
conservatur sponse, ut ad eam separato matri- 
monio revertatur. Sed de ratione nominis, di- 
versi diversimodè opiuantur. Quidam enim di- 
cunt quód dos non accipitur ex aliqua simili- 
. tudine ad matrimonium corporale; sed secun- 
‘ dàm modum loquendi, quo omnem perfectio- 
nem seu ornatum cujuscumque hominis, dotem 
nominamus; sicul aliquis dicitur esse dotatus 


scieptià, qui scientiâ pollet. Et sic Ovidius 
usus est nomine dotis dicens, ef quacumque 
potes dote placere , place. Sed hoc non vi- 
detur usquequaque conveniens ; quia quando- 
cumque aliquod nomen est impositum ad ali- 
quid principaliter significandum, non consue- 
vit ad alia transferri, nisi secundüm aliquam 
similitudinem. Unde, cüm secundüm primam 
institutionem nominis dos ad carnale matri- 
monium pertineat, oportet quód in qualibet 
alia acceptione attendatur aliqua similitudo ad 
principale significatum. Et ideo alii dicunt 
qubd secuudüm boc similitudo attenditur quód 
dos propriè dicitur donum quod in matrimo- 
nio corporali datur sponse ex parte sponsi, 
quando introducitur in domum sponsi, ad or- 
natum sponsæ pertinens. Quod patet ex hoc 


(1) Quis ante 8. Thomam sic definiat non occurrit, nee aliunde quàm ex ipso et Paludano 


Lexicon theologicum refert. 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 193 


ment, on cite ce que dit Sichem à Jacob et à ses enfants, Genes., XXXIV, 
12 : a Augmentez la dot à votre gré, et demandez des présents ; » puis 
encore, Ezod., XXI, 16: « Si quelqu'un a séduit une vierge et l’a désho- 
norée, il la dotera et la prendra pour femme. » Voilà pourquoi la parure 
spirituelle donnée par le Christ aux saints, quand il les introduit dans la 
patrie céleste, est appelée dot. Mais cela est manifestement contraire à ce 
que disent les Juristes, auxquels il appartient évidemment de se pronon- 
cer en pareille matiére. D'aprés eux, «la dot proprement dite est une 
donation constituée de la part de la femme à l'égard du mari ou de ses 
ayant cause, en vue des charges que le mari doit supporter. » Ce que 
l'époux donne à l'épouse, ils l'appellent «donation en vue des noces. » 
C'est ainsi que la dot est entendue dans ce texte III. Reg., IX, 16 : « Pha- 
raon, roi d'Egypte, prit Gazer et la donna pour dot à sa fille, femme de 
Salomon. » Les textes cités plus haut ne contredisent nullement celui-ci; 
car bien que la dot soit ordinairement constituée par le père de la jeune 
fille, il arrive parfois que l'époux ou le pére de celui-ci dotent la jeune 
fille à la place de son père (1). Cela peut avoir lieu pour deux raisons : ou 
bien, par un élan d'amour pour l'épouse, comme le fit Hémor, père de 
Sichem, il voulut donner la dot qu'il devoit recevoir, à cause de l'ardent 
amour de son fils pour Dina. Ou bien cela est un châtiment infligé à l'é- 
poux; il assigne à la jeune fille qu'il a séduite la dot que le père auroit 
dù lui constituer. Et c'est le cas dont parle Moïse dans le texte invoqué. 
Il faut dire, par conséquent, avec d'autres théologiens, qu'on appelle pro- 
prement dot, dans le mariage corporel, ce qui est donné par ceux qui 

(1) Tl y a deux sortes de dots, disent les théologiens et les jurisconsultes; dos profectitia, 


celle que l'épouse reçoit de son pére, dos adeenitia, celle qui lui est constituée par un étran- 
ger. C'est ce que nous voyons en substance, dans les divers sentiments exposés ici. 





-— 


quod dixit Sichem Jacob et filiis ejus, Gen., 
AXXIV : « Augete dotem , et munera postu- 
late ; » et Exod., XXI : « Si seduxerit quis 
virginem dormieritque cum ea, dotabit eam, 
el accipiet eam uxorem. » Unde et ornatus 
qui à Christo sanctis exbibetur, quando tradu- 
cuntur in domum glorie, dos nominatur. Sed 
hoc manifesté est contra id quèd juriste di- 
cunt, ad quos pertinet de his tractare (1). Di- 
cunt enim quód dos propriè est « quedam da- 
tio ex parte mulieris facta his qui sunt ex parte 
viri, pro onere matrimonii, quod sustinet vir. » 
Sed illud quod sponsus dat sponse, vocatur 
.donatio propter nuptias. Et secundüm hunc 
modum accipitur dos, lll. Reg., IX, ubi dicitur 
quód « Pharao rex Ægypti cepit Gazer, et 


(1) Quippe in Syntagmate Juris, lib. VIII, 


dedit eam in dotem fllie su& uxori Salomo- 
nis. » Nec contra hoc faciunt auctoritates in- 
ducta; quamvis enim dotes à parente puella 
consueverint assignari, tamen quandoque con- 
tingit quód sponsus vel pater sponsi assignet 
dotes vice patris puella. Quod contingit du- 
pliciter : vel pre nimio affectu ad sponsam ; 
Sicut fuit de Hemor patre Sichem, qui voluit 
assignare dotem quam debebat accipere, prop- 
ter vehementem amorem filii sui ad puellam. 
Vel hoc fit in penam sponsi, ut virgini à se 
corrupte dotem de suo assignet, quam pater 
puelle debuerat assignare. Et in hoc casu lo- 
quitur Moyses in auctoritate inductá. EL ideo, 
secundüm alios , dicendum est quód dos in 
matrimonio corporali proprié dicitur illud « quod 


cap. 8, num. 18 et 23, dicuntur dona sponsi , 


vel ornamenta sponsz appellari potiüs donaito anie nuptias, vel desumpto à Gracis vocabulo 
entipherna, quód vice dotis reciproco offectu dentur. Dotem enim pppellant Graci c otv», ete. 


EVI. 13 


195 


SUPPLÉMENT, QUESTION: XCV, AMTICLE 4. 


tiennent les intérêts de la fename à ceux qui tiennent les intérêts du mari, 
en vue des charges du: mariage,» comme il a été déjà dit. Maïs alors il 
reste une difficulté, c’est de savoir comment une telle signification peut 
s’adapier à notre objet présent, puisque les ornements qui doivent briller 
au sein de l’éternelle béatitude, sont donnés à l’épouse spirituelle par le 
père de l'époux. C'est ce. qui sera expliqué dans la réponse aux argu- 


ments. 


Je réponds aux arguments : 1° Quoique la: dot soit assignée-à l'époux 
pour l'usage, elle l'est á l'épouse pour le domaine. et la propriété. Et ce 
qui le prouve clairement, c'est que, le mariage venant à se rompre, la 
dot, d’après le droit, demeure à l'épouse, comme nous l'avons déjà dit. ll 
en est de méme dans le mariage spirituel : les ornements donnés à Pé- 
pouse, c'est-à-dire à l'Eglise dans ses membres, appartiennent sans doute 
à l'époux en ce qu'ils tournent à son honneur et à sa gloire; mais ils 
appartiennent aussi à l'épouse, puisqu'elle s'en embellit. 

2» Le père de l'époux, c'est-à-dire du Christ, c'est uniquement la pre- 


miére personne de la Sainte Trinité ; 


tandis que le père de l'épouse, c'est 


Dieu méme ou la Trinité tout entióre, par la raison que les effets qui ont 
lieu dans les créatures appartiennent à Dieu sans distinction de personnes. 
Par conséquent, ces sortes de dots, dans le mariage spirituel, sont plutôt 
données, à vouloir porter la précision jusque-là, par le pére de l'épouse 
que par le père de l'époux. Mais, quoique commune aux trois personnes 
divines, cette donation peut étre appropriée d'une certaine fagon à cha- 
cune des trois : à la personne du Père, comme à celui qui donne, parce 
que l'autorité primordiale réside en lui; et la paternité à l'égard des créa- 
tures lui est également attribuée par appropriation , de sorte que dans ce 
sens le pére de l'épouse est le méme. que celui de l'époux. Cette donation 
est appropriée au Fils, en tant que c'est à cause de lui et par lui-méme 
qu'elle est faite. Elle est enfin appropriée au Saint-Esprit, parce qu'il 





detur ab his qui sunt ex parte mulieris, his qui 
sunt ex parte viri, ad sustentanda onera ma- 
trimonii, » ut dictum est. Sed tunc remanet 
difficultas, quomodo bac significatio possit ap- 
tari ad propositum , cüm ornatus qui sunt in 
beatitudine, dentur sponse spirituali à patre 
sponsi. Quod mafestabitur respondendo ad ar- 
gumenta, 

Ad primum ergo dicendum , quód dotes 
quamvis assignentur sponso in carnali matri- 


ad ejus gloriam et honorem cedunt, sed sponso 
in quantum per eas ornatur. 

Àd secundum dicendum, quàd pater sponsi 
( scilicet Christi ) est sola persona Patris; pa- 
ter autem sponse est lota Trinitas , effectus 
enim in creaturis ad totain Trinitatem perti- 
net, Unde hujusmodi dotes in spirituali ma- 
trimonio, proprié loquendo , magis dantur à 
patre sponse, quàm à pa:re sponsi. Sed tamen 
hac collatio quamvis ab omoibus personis flat, 


. monio ad usuin, tamen proprietas et dominium 
: pertinet ad spousam. Quod patet ex hoc quod 
' soluto matrimouio dos reinanet sponsa secun- 
' düm jura, (nt jam priis ). Et sic etiam in ma- 
trimonio spirituali, ipsi ornatus qui sponse 
spirituali dantur ( scilicet Ecclesiæ in membris 
Suis ) sunt, quidein ipsius sponsi in quantum 


singulis personis potest appropriari per ali-, 
quem modum : Persong quidem Patris ut danti, 
quia in ipso est auctorilas ; ei etiam pateruitas 
respectu creatura appropriatur, ut sic idein sit 
pater sponsi et sponsæ. Filo veró appropriatur 
in quantum propter ipsum et per ipsum dan- 
tur ; sed Spiritui sancto, in quanluin in ipso et 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 195 


en et la raison motrice est formelle. Tout don provenant naturellement 
de l'amour. | : 

3° Le résultat essentiel de la dot, ce qui lut convient de soi, c'est d'aider - 
à supporter les charges du mariage; mais, d'une manière accidentelle, 
elle peut méme éloigner ces charges et les faire complètement disparoitre; 
ainsi il convient essentiellement à la grâce de justifier l'homme, et par 
accident de détruire son impiété. Dans le mariage spirituel, il n'y a pas 
de charges à supporter, mais bien un suprême bonheur à goûter. Et c'est 
pour compléter ce bonheur que les dots sont données à l'épouse; son 
union avec l'époux en est plus douce et plus belle. 

4 Ce n'est pas quand elle est fiancée qu'on assigne une dot à l'épouse; 
c'est quand elle est introduite dans la maison de l'époux. Or, tant que 
nous sommes dans la vie présente, «nous voyageons loin du Seigneur, » 
II Corinth., V, 6. Voilà pourquoi les dons accordés aux saints dans cette 
vie, ne portent pas le nom de dots; on ne désigne ainsi que les dons qu'ils 
recoivent e.. entrant dans la gloire, c'est-à-dire en s'unissant effective- 
ment à leur céleste époux. 

5» Dans le mariage spirituel, c'est la beauté intérieure qui est requise; 
et de là cette parole, Psalm. XLIV, 14: «a Toute la beauté de la fille du 
Roi vient du dedans.» Dans le mariage corporel, c'est l'éclat extérieur 
qu'on recherche. Les dons qui s'appliquent à ces deux sortes de mariages 
ne sauroient donc étre les mémes. 





Y 
secundüm ipsum dantur; amor enim est omnis 
dalionis ratio. 

Ad tertium dicendum, quód dotibus per se 
convenit illud quod per dotes efficitur, scilicet 
solatium matrimonii; sed per accidens illud 
quod per eas removetur, scilicet onus matri- 
monii, quod per easlevatur ; sicut gratiæ con- 
venit per se, facere justum, sed per accidens, 
quód de impio faciat justum. Quamvis ergo 
in matrimonio spiritusli non sint aliqua onera, 
est tames il summa jucnnditas, Et ad hanc 
perficiendam jucunditatem dotes sponse com- 
feruntur, ut seilicet delectabiliter per eas 
sponso cosjengatur. 

Ad quartum dicendum, quód dotes non con- 
eueverunt asigauri sponsæ quapdo desponsa- 


tur; sed quando in domum sponsi tradncitur, 
ut presentialiter sponsum habeat. Quarndiu 
autem in hac vita suinus, peregrinamur à 
Domino, II. Cor., V. Et ideo dona qua sanc- 
tis in hac vita conferuntur, non dicuntur do- 
tes; sed illa quæ conferuntur eis, quando 
transferuntur in gloriam, in qua sponso præ- 
sentialiter perfruuntur. 

Ad quintum dicendum, quàd in spirituali 
matrimonio interior decor requiritur; unde di- 
citur in Psalm. XLIV : «Oinnis gloria ejus 
filie regis ab intus, etc. » Sed in matrimonio 
corporali requiritur decor exterior. Unde non 
eportet qnàd dotes hnjusmodi assignentur in 
matrimonio spirituali, sicut assignantur fn 


196 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE 9, 


ARTICLE II. 
La dot est-elle la méme chose que la béatitude? 


Jl parolt que la dot est la méme chose que la béatitude. 4° La dot a été 
déjà définie : « Un ornement de l'áme et du corps, qui doit à jamais per- 
sévérer dans l'éternelle béatitude. » Or ld béatitude de l’âme en est bien 
aussi l'ornement. Donc la béatitude et la dot sont la méme chose. 

2» La dot rend l'union de l'épouse avec l'époux plus agréable. Mais c'est 
bien là aussi ce que fait la béatitude dans le mariage spirituel. Donc la 
béatitude ne différe pas de la dot. 

3 Dans le pensée de saint Augustin, De Trin., 1, 8, la vision est toute 
la substance de la béatitude. Or la vision compte au nombre des dots. 
Donc la dot ne différe pas de la béatitude. | 

4° La jouissance qui accompagne la vision fait la béatitude. Or la jouis- 
sance céleste est une dot. Donc la béatitude et la dot sont la méme chose. 

5° D’après Boëce, De Consol., III, 9, « la béatitude est un état qui se 
compose de l'assemblage de tous les biens.» Or l'état des bienheureux 
est complété par les dots. Donc les dots ne sont que des parties de la 
béatitude. | | 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. La dot se donne sans qu'on l'ait 
méritée. Or la béatitude n'est pas un don absolu, c'est une récompense 
accordée au mérite. On ne sauroit donc confondre la béatitude avec la dot. 


Il n'y a qu'une béatitude; il y a plusieurs dots. Donc la dot n'est pas la 


béatitude. 


« La béatitude s'attache à l'homme dans ce qu'il y a de principal en 
lui (4), » comme il est dit, Ethicor., 1, 7. Or la dot s'étend au corps 


(1) Ce qu'il y a de principal dans l'homme, nous l'avons souvent appris de notre saint doc. 
teur, ce n'est pas précisément la raison, ou cette faculté intellectuelle qui conduit l'homme, à 





ARTICULUS IT. 
Utrüm dos sit idem quod beatitudo. 


Ad secundum sic proceditur. Videtur quód 
dos sit idem quod beatitudo. Ut enim ex defl- 
nitione dotis prædicta patet, « dos est ornatus 
Corporis et anime, in eterna beatitudine ju- 
giter perseverans. » Sed beatitudo anims est 
quidam ornatus ejus. Ergo beatitudo est dos. 

2. Preterea, dos dicitur illud per quod sponsa 
delectahiliter sponso conjungitur. Sed in spi- 
rituali matrimonio beatitudo est hujusmodi. 
Ergo beatitudo est dos. 

8. Præterea, visio, secundum Augustinum, 
est tota substantia beatitudinis. Sed visio po- 
nitur una de dotibus. Ergo beatitudo est dos. 


4. Preterea, fruitlo beatum facit. Fruilio 
autem est dos. Ergo dos facit beatum; et sic 
est beatitudo. 

5. Preterea, secundüm Boëtium libro III. 
De Consol. Prosáà, II, « beatitudo est status 
omnium bonorum congregatione perfectus. » 
Sed status beatorum perlicitor ex dotibus. Ergo 
dotes sunt beatitudinis partes. 

Sed contra, dos datur sine meritis. Sed bea- 
titudo non datur, sed redditur pro meritis. 
Ergo beatitudo non est dos. 

Preterea, beatitudo est una tantèm. Dotes 
ver) sunt plures. Ergo beatitudo non esl dos. 

Praterea, « beatitudo inest homini secundüm 
id quod est potissimum in eo, » ut dicitur in 
I. Ethic. (1). Sed dos etiam in corpore poni- - 


(1) Cap. quidem 4, græco-lat., implicité dumtaxat, vel cap. 7 in antiquis, et apud S. Tho- 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 197 


lui-même. Donc la béatitude et la dot ne sont pas la méme chose. 

(Conczusion. — La béatitude étant une sorte d'opération ou d'acte, et 
la dot une qualité ou disposition, il faut admettre qu'elles différent réelle- 
ment entre elles.) 


Il existe à cet égard deux opinions : l’une prétend que la béatitude et la 
dot sont en réalité la méme chose et qu'il n'y a entre elles qu'une diffé- 
rence de raison, en ce que la dot regarde l'union spirituelle entre notre 
âme et le Christ, ce que ne fait pas la béatitude. Mais cette opinion ne 
paroit pas pouvoir étre maintenue, puisque la béatitude consiste dans une 
opération, et que la dot n'a rien d'actif, est simplement une disposition 
ou qualité. Dans la seconde opinion, il faut donc admettre une différence: 
méme réelle entre la béatitude et la dot : la béatitude sera ainsi l'opéra- 
tion parfaite par laquelle l’âme bienheureuse est unie à Dieu ; et les dots 
seront les habitudes, ou autres qualités quelconques, qui ont cette opéra- 
tion parfaite pour but; et, de la sorte, les dots préparent à la béatitude, 
plutót qu'elles n'en font partie. 


Je réponds aux arguments : 1° La béatitude, à proprement parler, n'est 


travers mille détours et par de pénibles efforts, à la découverte ou à la démonstration de la 

vérité; c'est l'intellect lui-même, ou la faculté de saisir le vrai d'une manière immédiate et di- 

recte. 1! est peu de choses que nous percevions ainsi , dans les conditions de la vie présente. 

Ce n'est que dans un monde meilleur, aprés avoir subi la dernière tranformation , que l'intel- 

lect humain entrera dans son plein exercice , vera parfaitement la vérité qui est Dieu même. 

C'est là ce que l'auteur nomme l'opération parfaite; et c'est dans cette parfaite opération de 

l'intellect que consistera la suprême béatitude. Il existe néanmoins, au sein méme des obscu- 
rités de la terre , en dehors méme des lumiéres de la révélation, des aspirations élevées , des 
ravissements sublimes, qui prouvent, d'une part, qu'il n'y a pas de bonheur plus réel et plus 
grand que celui dont l'intelligence est le siége ou la source, et qui sont, d'autre part, comme: 
un glorieux pressentiment de notre destinée future , un reflet anticipé de la félicité céleste. 
Voyons ge que dit le stagyrite , à l'endroit méme indiqué dans la thèse. Il seroit difficile de 
rencontrer ou méme de concevoir chez un payen une plus haute philosophie. « L'homme 
doit tout faire pour vivre selon ce qu'il y a de meilleur en lui. Il paroft méme que c'est là ce 
qui constitue proprement chaque étre, puisque c'est ce qu'il posséde de principal et de plus 
parfait ; et ce qui est propre à chaque nature, est aussi ce qu'elle a de plus suave et de plus 
doux, la source des plus pures délices. Par conséquent, la vie intellective est la plus agréable : 
et la meilleure pour l'homme, la plus heureuse, en un mot, puisque cette vie le fait propre 
ment ce qu'il est. » 





tur. Ergo dos et beatitudo non sunt idem. 

(CowcLusio. — Cüm beatitudo in opera- 
tione quadam consistat, dos verd sit poliüs 
qualitas vel dispositio quaedam, illa" realiter 
inter se differre certum est. ) 

Respondeo dicendum , quód cirta hoc est 
duplex opinio. Quidam enim dicunt quód bea- 
titudo et dos snnt idem re, sed differunt ra- 
tione; quia dos respicit spirituale matrimo- 
nium, quod est inter Christum et animam, non 
autem beatitudo. Sed hoc non potest esse (ut 
' videlur) cüm beatitudo in operatione conaistal; 


dos autem non sit operatio, sed magis sit qua- 
litas vel dispositio quedam. Et ideo, secèn- 
düm alioa, dicendum est quód heatitudo et dos 
etiam realiter differunt; ut beatitudo dicatur 
ipsa operatio perfecta qua anima beata Deo cou- 
jungitur; sed dotes dicantur habitus vel dis- 
positiones vel quecumque ali qualitates , quæ 
ordinantur ad hujusmodi perfectam operatio- 
nem; ut sic dotes ordinentur ad beatitudinem 
magis quàm aint in beatitudine ut partes ejus. 

Ad primum ergo dicendum, qadd beatitudo, 
propriè loquendo, non est anima, ornatus, sed 


mam lect. 7; sed expressiüs lib. X, cap. 7, græco-lat., vel 11 in antiquis, et apud S. Thomam 


lect. 11, 


198 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE J. 
pas un ornement de l’âme, mais bien nne chose qui provient de cet orne- 
ment; elle est une opération; ce qu'on ne sauroit dire évidemment de 
l'ornement ou de la beauté. | 

9» La béatitude ne dispose pas l'Àme à son union avec le Christ, elle 
est cette union méme, qui consiste dans l'opération de l’intellect ; tandis 
que les dots disposent réellement à cette union. 

3° La vision peut être entendue de deux manières : d'une manière ac- 
tuelle d'abord, c’est-à-dire dans l'acte même de la vision ; et, de la sorte, 
Ja vision n'est pas une dot, mais bien la béatitude elle-même. Puis d'une 
manière habituelle, c'est-à-dire pour l'habitude par laquelle cette opéra- 
tion est produite, ou bien pour la clarté glorieuse qui met l’âme en état 
de voir Dieu. Et, de la sorte, la vision est une dot et un principe de béa- 
titude, et non la béatitude elle-même. 

k° Méme réponse, en substituant la jouissance à la vision. 

5o La béatitude réunit, à la vérité, tous les biens, mais non comme les 
diverses parties qui constitueroient son essence ; ces biens sont comme les 
dispositions ou les degrés qui accompagnent la béatitude. 


ARTICLE III. 
Le Christ peut-il avoir des dots? 


Il paroit qu'il convient au Christ d'avoir des dots. 1° En passant à l'état 
de gloire, les saints seront rendus conformes au Christ; et de là cette 
parole de l'Apótre, Philip., II, 21 : all reformera notre corps humilié 
en le rendant conforme à son corps glorieux. » Le Christ a donc aussi des 
dois. 

2 C’est à l'imitation du mariage corporel que des dots sont assignées 





est aliquid quàd ex ornatu animse prowenit, 
cùm sit operatio quedam , ornatus vero dici- 
tür aliquis decor ipsius beali. 

Ad secundum dicendum, quód beatitudo 
non ordinatur ad conjunctionem , sed est ipsa 
conjunctio anime cum Christo, quæ est per 
operationem ; sed dotes sunt dona disponeutia 
&d hujusmodi conjunctionem. 

Ad tertium diceudum , quàd visio dupliciter 
potest accipi : uno modo, actualiter, id est pre 
, Mpso actu visionis; et sic visio non est des, sed 
est ipsa beatitudo. Alio modo potest accipi ha- 
bitualiter, id est pro habilu à quo talis operatio 
dicitur, sive pro ipsa gloriæ claritate, qua 
anima divinitus illustratur ad Deum videndum. 
Bt sic est dos et priucipiem beatitadiais, non 
&ulem est ipsa beatitudo. 


Et similiter dicendum Ad quartam, de frui- 
tione. 

Ad quirtum dicendum , quód beatitudo col- 
ligit omnia bona, non quasi parles esseniie 
beatitudiuis, sed quasi aliquo modo ad beati= 
tudinem ordinata (1), at suprà dictum est 
( in corp. ) 

ARTICULUS NI. 
Utrim competat Christo habere aotes. 

Ad tertium sic proceditur. Videtur quàd - 
Christo competat babere dotes. Sancti enim 
Christo per gloriam conformabuntur ; unde di- 
citur Philipp., lll : « Qui reformabit corpus 
huw litatis natura configuratum corperi clari- 


lalis sum. » Ergo eliam Christus dotes habel. 


2. Piæterea, in spirituali matrimonio assi- 


..(4) Non per modum antecedentis vel præviæ dispositionis ad eam consequendam , sed eg 
adjuncto et per modum perfectionis concomitantis eam jam habitam, vel conferentis imme» - 
diaté ac proximé ad eam actu eliciendam , sicut mox dietum de visione sive glorie claritate, 


- 


DES DOTS DES BIENHEURBEUX. —— ^ 199 


dans l'union spirituelle. Or il y a dans le Christ et dans le Christ seul, 
une sorte de mariage spirituel, des deux natures en une seule personnes 
ce qui a fait dire bien souvent que le Verbe divin avoit épousé la nature 
humaine, comme on peut le voir dans la Glose , à propos de ce texte, 
par exemple, Psalm. XVIII : «ll a placé son tabernacle dans le soleil; » 
ou de celui-ci, Apoc., XXI : a Voici que le tabernacle de Dieu est avec 
les hommes. » Donc il appartient au Christ d'avoir des dots. 

3° Saint Augustin dit, De doct. Christ., lll, 31 : « Le Christ, d’après la 
règle de Ticonius (1), à raison de l'unité de son corps mystique, de l'unité 
qui existe entre la tête et les membres, non-seulement se désigne lui- 
même sous le nom d'époux, mais se désigne encore sous le nom d'épouse, 
comme daus ce texte d'7sa2e, LXI, 10: « Il m'a revêtu des vêtements du 
salut, comme un époux orné de sa couronne, comme une épouse parée de 
ses joyaux. » Puis donc que la dot regarde l'épouse, il semble juste d'at- 
tribuer des dots au Christ. 

À* La dot revient de droit à tous les membres de l'Eglise, puisque l'E- 
glise est la véritable épouse. Or le Christ est membre de l'Eglise, comme 
on le voit clairement par cette parole de l’Apôtre, Ll. Corínth., Xii, 27 : 
e Vous êtes le corps du Christ, membres dependant du membre; » c'est- 
à-dire du Christ, ajoute Ja Glose. Donc le Christ doit avoir des dots. 

5° Le Christ possède une vision, une jouissance et une délectation par 
faites. Or, ce sont là des dots. Donc, etc..... 

Mais c’est le contraire qu'il faut dire. Entre l'époux et l'épouse, il faut 
nécessairement qu'il y ait distinction de personnes. Or dans le Christ il 
n'y a rien qui se distingue personnellement du Fils de Dieu, qui est le 
véritable Epoux, comme on 1e voit par cette parole, Joan., iil, 29 : « Cekai 


(1) Afgle dont il a été déjà parlé dans le traîté do l'Incarnation, au sujet de la communicæ 
don des idiomes. | 





gnantur dotes ad similitudinem matrimonii cor- 
poralis, sed in Christo invenitur quoddam ma- 
trimonium spirituale, quod est sibi singulare, 
seilicet duarum naturarum ín una persona; se- 
eundüm quod dicitur natura humana in seipso 
esse desponsata à Verbo, ut patet ex Glossa 
super illud Psal. XVIII : « In sole posuit ta- 
bernaculum, etc., » et Apocal., XXI : «a Ecce 


sum decoratum corona, et quasi sponsam ore 
natam monilibus suis. » Cii ergo aponse de» 
beantur dotes , oportet (ut videtur), in Chrisie 
dotes ponere. 

&. Praeterea, omnibus membris Ecclesias de- 
betur dos, cüm Ecclesia sit sponsa. Sed Chrise 
tus est Ecclesie. membrum, uk patet I. Cor. 
XII : « Vos estis corpus Christi et membra de 


tabernaculum Dei cum hominibus, » Ergo et | membro; » Glossa id est, de Christo, Ergo 


Christo competit habere dotes. 


8. Preterea, ot dieit Augustinus lib. TII. De 


Doctrina Christiana , cap. 31 , « Christus, 





: Christo debentur dotes. 
5. Preterea, Christus habet perfectam visio- 
nem , fruiuonem, et delectationem. Hasc autem 


secundüm regulam Ticonii, propter unitatem | ponuntur dotes. Ergo, etc. 


corporis mystici, qua est inter caput et mem- | 


Sed contra, inter sponsum et sponsam exi» 


bra, nominat se etiam sponsam, et non solüm : gitur distinctio personarum, Sed in Chrislo 
Sponsum, » ut patet /sai., LXI : « Quasi spon- j non est aliquid personaliter distinctum à Filio 


quod beatitudinis principium sit; ac de aliis bonis quorum cengregatione constat, patet quid 
sint «jus effectus, ete. 


900 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE J. 


qui a une épouse est l'époux. » Du moment donc où la dot est assignée à 
l'épouse ou en sa faveur, on ne sauroit dire que cela regarde le Christ. 

Celui qui donne les dots, évidemment ne Jes reçoit pas. Or, c'est le 
Christ qui donne les dots spirituelles. Donc il ne convient pas de les lui 
attribuer. 

(ConcLusion. — Ou il ne convient nullement d'attribuer des dots au 
Christ, ou cela ne lui convient pas, du moins d'une maniére aussi directe 
qu'aux autres saints; et cependant les biens qui constituent les dots lui 
appartiennent de la manière la plus éminente.) 

Les opinions des Docteurs sont partagées à ce sujet. Quelques-uns dis- 
tinguent dans le Christ une triple union : union de sentiment, consistant 
dans l'amour qui l'attache à Dieu ; union de condescendance, par laquelle 
la nature divine prend la nature humaine dans l'unité de personne; lu- 
nion mystique, enfin, celle qui rattache le Christ à son Eglise. Ils disent 
donc que, sous le rapport des deux premières sortes d’union, il convient 
d'attribuer des dots au Christ, et des dots considérées comme telles ; mais 
que, sous le rapport de la troisième union, bien que le Christ possède 
éminemment ce qui constitue la dot, il ne convient pas de le lui attribuer 
comme dot proprement dite, par la raison qu'à cet égard le Christ est 
l'époux et l'Eglise l'épouse ; et, nous l'avons déjà dit, la dot est donnée à 
l'épouse en domaine et propriété, tandis que l'époux n'en a que l'usage, 
Ce sentiment, toutefois, ne nous paroit pas admissible. En effet, l'union 
que l'amour établit entre le Christ, méme en tant que Dieu, et le Pére, ne 
sauroit en aucune façon être appelée un mariage; il n'y a rien là de ce 
qui constitue la sujétion nécessaire de l'épouse à l'égard de l'époux. L'u- 
nion elle-même de la nature humaine avec la nature divine, soit celle 
qui repose sur l'unité personnelle, soit celle qui résulte de la conformité 
de volontés, ne comporte pas une dot proprement dite; et cela pour trois 





Dei, qui est sponsus; ot patet Jonn., III : || mas uni Dicunt ergo quód secundüm duas pri- 
« Qui habet sponsam, sponsus est. » Ergo cüm ! mas uniones competit Cbristo habere dotes sub 
dotes sponsa assignentur, vel pro spousa, vi- | ratione dotis ; sed quantum ad tertiam conve- 
detur quod Christo non competat habere dotes. !' nit ei id quod est dos , excellentissimé , non 

Prælerea , non est ejusdem dare dotes et; tamen sub ratione dotis; quia in (ali conjunc- 


TN 


pecipere. Sed Cbristus est qui dat dotes spiri- 
Quales Ergo Christo non competit dotes ha- 
ere. 

(CoxcLvsio. — Vel omnino non convenit 
Christo ratio dotis, vel nun ita propriè sicut 
aliis sanctis; ea tamen qua dotes dicuutur, 
excellentissimé illi conveniunt. ) 

Respondeo dicendum , quód circa hoc est, 
duplex opinio. Quidam enim dicunt quód in 
Christo est triplex unio : una, qua dicitur ' 
consentanea, qua unitur Deo per connexionem 
amoris. Alia dignativa, qua humana natura 
unitur divina; tertia, qua ipse Christus unitur 








| tione Christus est ut sponsus, sed Ecclesia ut 
sponsa, dos autem datur sponse quantum ad 
proprietatem et dominium, quamvis detar 
spanso ad usum. Sed hoc non videtur esse con- 
veniens. In illa enim conjunctione qua Chris- 
tus unitur Patri per consensum amoris, etiam 
in quantum est Deus, non dicitur aliquod ma- 
trimonium esse ; quia non est ibi aliqua sub- 
| jectio , quam oportet esse sponse ad sponsum. 
Similiter etiam nec in conjunctione humana 
Dature ad divinam, qui est in unione perso- 
na , vel etiam per contormitatem voluntalis , 
potest esse propria ratio dotis, propler tria : 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 904 


raisons : 19 Parce que, dans tout mariage où il peut être question de dot, 
il faut qu'il y ait conformité de nature entre l'épouse et l'époux ; ce qui 
n'existe pas évidemment entre la nature humaine et la nature divine ; 
20 Parce qu'il faut également qu'il y ait là distinction de personnes, et 
la nature humaine, dans le Christ, n'est pas personnellement distincte 
da Verbe; 3° Parce que la dot est donnée au moment méme où l'épouse 
passe dans la maison de l'époux, et ne semble regarder par là méme 
qu'une personne qui contracte des liens dont elle étoit libre aupara- 
vant; et la nature humaine, laquelle a été prise et personnellement 
unie au Verbe, n'a pas été un seul instant libre de ces liens sacrés. Il 
reste donc à dire, avec les autres Docteurs, ou bien que la dot proprement 
dite ne convient pas au Christ, ou que du moins elle ne lui convient pas 
d'une maniére aussi directe qu'aux autres saints; ce qui n'empéche pas 
que les biens appelés dots ne lui appartiennent d'une maniére éminente. 

Je réponds aux arguments : 1* La conformité dont il s'agit dans le 
texte de l'Apótre, doit s'entendre de ce qui constitue l'essence méme de 
Ja dot, mais non, en ce qui regarde le Christ, de la dot considérée comme 
telle ; car il n'est pas nécessaire que ce en quoi nous sommes rendus con- 
formes au Christ, existe de la méme manière en lui et en nous. 

2° La nature humaine ne sauroit, à prendre les termes dans leur ri-. 
goureuse acception, porter le nom d'épouse, en tant qu'elle est person- 
nellement unie au Verbe, puisqu'il n’y a plus là distinction de personnes, 
chose évidemment requise entre l'époux et l'épouse. Ce n'est qu'à cer- 
tains égards seulement qu'on peut dire qu'elle a été épousée quand elle 
a été personnellement unie au Verbe ; ainsi comme l'épouse, elle demeure 
inséparablement unie, elle est encore inférieure au Verbe, et de plus elle 
est gouvernée par lui, comme l'épouse l'est par l’époux (1). 


(1) Un grand nombre de Docteurs et de Péres de l'Eglise appliquent à l'union bypostatique 
du Verbe divin et de la nature humaine dans le Cbrist, l'image ou la métaphore du mariage 





Primó, quia exigitur conformitas nature inter 


tio illa est intelligenda secundüm id quod est 
sponsum et spousam in matrimonio illo in quo 


dos, et non secundüm rationem dotis, quz sit 


dantur dotes; et hoc deficit in conjunctione 
humane nature ad divinam. Secundó , quia 
exigitur ibi distinctio personarum, humana au- 
iem natura non est personaliler distincta à 
Verbo. Tertio, quia dos datur quando sponsa 
de novo traducitur in domum spousi, et sic 
videtur ad sponsam pertinere, quæ de non 
conjuncta fit conjuncta; humana autem natura, 
quæ est assumpta in unitatem persona à Verbo, 
nunquam fuit quin esset perfectè conjuncta. 
Unde secundüm alios est dicendum, quód vel 
omnino non convenit Christo ratio dotis, vel 
Don ita proprié sicut aliis sanctis ; ea tamen quae 
dotes dicuntur, excellentissimé ei conveniunt. 

Ad primum ergo dicendum, quód conforma- 


in Christo; non enim oportet quód illud in 
quo Christo conformamur, sit eodem modo in 
Christo et in nobis. 

Ad secundum dicendum, quód natura hu- 
mana non proprié dicitur esse sponsa in con- 
junctione illa qua Verbo conjungitur; cm non 
servetur ibi personarum distinctio, que inter 
sponsum et sponsam requiritur; sed quód quan- 
doque dicatur desponsata humana natura , se- 
cundèm quod Verbo conjuncta est, hoc est in 
quantum babet aliquem actum sponsa, quia 
scilicet inseparabiliter conjungitur, et: quia in 
illa conjunctione humana natura est Verbo in- 
ferior, et per Verbum regitur, sicut sponsa per 
sponsum, 


209 SUPPLÉMENT, QUESTION XCY, ARTICLE 3. 


3 Si parfois le Christ est désigné sous le nom d'épouse, ce n’est pas 
que ce nom lui convienne véritablement, c'est en tant qu'il s'identifie 
par l'espritet par l'amour, avec l'Eglise, qui est son épouse. Dans ce méme 
sens, rien n'empéche qu'on ne dise de lui qu'il a des dots ; car c'est de son 
Eglise, et non de lui, que cette parole devra s'entendre. 

lo Le mot église présente un double sens : quelquefois il désigne seule- 
ment le corps mystique uni au Christ comme à sa tête; et c'est ainsi que 
l'Eglise a le caractère d'épouse ; mais le Christ ne peut pas ainsi être sim- 
plement appelé membre de l'Eglise, il est la tête dont l'influence se ré- 
pand dans tous les membres de ce corps. Parfois le mot église désigne la 
tête et le corps réunis; et alors il est vrai de dire que le Christ est membre 
de l'Eglise, membre qui a sa fonction propre et distincte, laquelle con- 
siste à faire circuler la vie dans tous les autres. Et cependant on ne sau- 
roit avec une parfaite exactitude appliquer au Christ le nom de membre; 
le membre, en effet, n'est que la partie d'un tout, et dans le Christ le 
bien spirituel n'est pas divisé, il y est totalement, intégralement et 
comme dans sa source. Aussi est-il lui-même le bien total de l'Eglise ; nous 
ne connoissons rien au-dessus de lui, rien pour ainsi dire en dehors de 
lui. Si l'on entend l'Eglise dans le second sens, elle n'est plus alors l'é- 
pouse seule, mais bien l'époux et l'épouse , à raison de leur union spiri- 
spirituel, mais en sauvegardant parfaitement la pureté du dogme catholique touchant la per- 
songalité du Fils de Dieu fait bomme. Sur cette parole du prophète reyal : « ij s'est élancé 
comme l'époux sortant de son lit nuptial, » saint Augustin dit : « Celui qui est semblable à 
l'époux, c'est le Verbe fait chair; le sein de la vierge a été son lit nuptial; il s'est élancé de 
ce sanctuaire immacuM, uni à la neture bumaine. » Expliquant un texte bien connu de l'Évan- 
gile, saint Grégoire s'exprime ainsi : « Dieu le Père a célébré les aoees de son Fils quand il 

- l'a uni à la nature bumaine dans le sein de ls vierge Marie. » Mais aussitôt le saint docteur 
ajoute : « Teutefois, comme une telle union se contracte entre deux personnes différentes, il faudroit 
bien se garder de rien admettre dans notre intelligence, touchant l'union de la nature divine 
et de la nature humaine dans Jésus-Christ, notre rédempteur, qui pôt nous faire croire à la 
présence d'une double personnalité. 11 est donc plus naturel et plus sûr en méme temps, de 
dire que ces noces spirituelles ont eu lieu quand, par le mystère de l'Incarnation , Dieu le 


Pére a uni la sainte Eglise à son divin Fils. » N'est-ce pas là la doctrine développée par notre 
auteur dans ja thèse actuelle? 





Ad tertiam dicendum, quód hoc quod ali- 
quando dicitar Christus sponsa , non est quia 
ipse veré sit sponsa, sed in quantum sibi assu- 
mit personam spense sum, scilicet Ecclesie , 
qu& est ei spiritualiter conjuncta, Unde nihil 
prohibet quin per illum modum loquendi pos- 
sit dici habere dotes, non qudd ipse habeat, 
sed quia Ecclesia habet. 

Ad quartuin dicendum , qubd nomen Eccle- 
sie dupliciter accipitar : quando.jue enim no- 
minat tantummodo corpus quod Christo cosjun- 
gitur sicut capiti ; et sic tantàm Ecclesia habet 
ralionem sponse; sic veró Christus non est 
Eecesi membrum, sed est caput influens 
Omnibus Ecclesig membris. Alio modo accipi- 


TA 


tur Ecclesia secundüm quod nominat caput et 
membra conjuncta ; et sic Ghristus dicilur 
membrum Ecclesi , ín quantam habet dis- 
tinctum officium ab omnibos aliis , scilicet in- 
fluere aliis vitam. Quamvis non multüm pro- 
pré dicatur membrum. Quia membrum im. 
portat partialitatem quamdam ; in Christo au- 
lem bonum spirituale non est particulatum, sed 
est tolaliler et integrum. Uude ipse est totum 
Ecclesie bonum, nec est aliquid majus ipeo, et 
álius quàm ipse solus. Sic autem loquendo de 
Ecclesia, &colesia non solàm nominal spon- 
sam, sed sponsum et sponsam, proet per con- 
juncliouem spiritualem est ex eis unum effec- 
tum. Unde, lost Christus aliquo modo dicatur 


DES DOTS DES BIENNEUREUI. 303 


tuelle. S'il est don: permis de dire, en un sens, que le Christ est membre 
de l'Eglise, il ne l'est, en aucun, de l'appeler membre de l'épouse. Et 
c'est pour cela que l'idée de dot ne peut lui être appliquée. 

Goilya dans cette énumération équivoque 4^ langage; les choses 
énumérées ne conviennent pas au Christ en tame qu'elles forment des 
dots. 


ARTICLE IV. 
Les anges ont-ils des dots? 


l] paroit que les anges ont des dots. 4° Sur cette parole, Cant., VY: 
« Ma colombe est une, » la Glose ajoute : «l'Eglise est une dans les hommes 
et dans les anges. » Or l'Eglise est l'épouse, et il convient à tons ses 
membres d'avoir des dots. Donc les anges en ont aussi. - 

2o Sur cette autre parole, Luc., XII : « Et vous, soyez semblables à des 
hommes qui attendent leur maitre, quand il doit revenir des noces, » la 
Glose dit : « Le Seigneur est allé à ses noces , quand, après sa résurrec- 
tion, nouvel homme, il s'unit la multitude des anges. » La multitude des 
anges constitue donc, elle aussi, l'épouse du Christ ; et dàs-lors il appare 
tient aux anges d'avoir des dots. 

3° Le mariage spirituel consiste dans l'union spirituelle. Or l'union 
spirituelle de Dieu avec les anges' n'est pas moindre que celle de Dieu 
avecles élus. Les dots ayant donc pour objet et pour cause le mariage 
spirituel, les anges doivent les posséder aussi bien et mieux que les 
hommes. 


&° Le mariage spirituel suppose l'époux spirituel et l'épouse spirituelle. 





membrum Ecclesi , nullo tamen modo po- 


test dici membrum sponso (1). Et sic el non 
convenit ratio dotis. 


Ad quintum dicendum, quàd in processu illo- 


est fallacia accidentis; non enim ila Christo 
conveniunt seeundèm quód habeut rationem 
dotis. 


e ARTICULUS IV. 
Utrim angeli habeant dotes; 


Ad quartum sic proceditur. Videtur quód an- 
geli habeant dotes. Quia super illad Cant., VI : 
« Una est columba mea, » dicit Glossa : « Una 
est Ecclesia in hominibus et angelis. » Sed Ec- 
clesia est sponsa; et sic membris Ecclesi: con- 
venit habere dotes. Ergo ungeli dotes habent, 


2. Preterea, Luc., XIT, super illud : « Et 
vos similes bominibus expectantibus dominum 
suum, quando reverlatur à nuptiis ; » dicit 
Glossa : « Ad nuptias Dominus ivit, cüm post 
resurrectionem novus bomo angelorum multi- 
tudinem sibi copulavit. » Ergo angelorum mul- 
titudo est sponsa Christi. Et sic angelis com» 
petunt dotes. . 

5. Praeterea, spiritnale matrimonium in sp 
rituali conjunctione consistit, Sed spiritualis 
conjunctio non est minor inter angelos et 
Deum, quàm inter homines beatos et Deum. 
Ergo cüm dotes de quibus nunc agimus, r&e 
tione spiritualis matrimonii assignentur, vide- 
tur quód angelis conveniant, dotes, 

&. Preterea, spirituale matrimonium requi- 


(1) Nec verd verba illa, membra Ja membro, necesse est aie intelligi; nam Græei quidem 


legunt non ix p.éAcuc , quod significat membrum, sed ix. pépouc, quod significat partem, quasi 
membra ex parie; ut non soli quibus hzc soribebantur, sed qui per totum orbem credidissent, 
indicarentur esse membra Christi, sicut in eum locum Theodoretus, et similiter Chrysosto- 
mus Homil. XXXII notat. Latini autem passim etsi membra de membre legunt, intelligunt 
nihilominus ita dici propter dependentiam ab invicem, et petissimüm eubditerum emnium à 
prelatis, ut in eumdem locum interpretatur Haymo, ad similitudines corposis naturalis ip que 


905 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE 4. 


Or, à considérer le Christcomme le plus sublime des esprits, les anges lui 
sont naturellement plus conformes que les hommes. Donc le mariage 
spirituel peut exister plutôt entre le Christ et les anges, qu'entre le Christ 
et les hommes. 

6° fl faut un plus parfait accord entre la tête et les membres qu'entre 
l'époux et l'épouse. Or l'accord qui existe entre le Christ et les anges, est 
assez parfait pour que le Christ soit appelé le Chef ou la téte des anges. 

. Donc à plus forte raison suffit-il pour que nous puissions l'appeler l'époux 
de la nature angélique. 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Origène, dans son explication des 
Cantiques, Homil. Ii, distingue quatre sortes de personnes, l'époux et 
l'épouse, puis les jeunes filles qui accompagnent l'épouse, et les compa- 
gnons ou amis de l'époux ; et c'est ce dernier róle qu'il assigne aux anges. 
Donc , comme la dot ne convient qu'à l'épouse , il ne faut pas l'attribuer 
aux anges. . J 

Le Christ s'est uni l'Eglise comme une épouse par son incarnation et 
par sa passion; d’où vient qu'il est figuré dans cette parole, £xod., 
IV, 95 : « Vous m'étes un époux de sang. » Or ni l’incarnation ni la pas- 
sion n'ont ajouté un lien de plus à ceux que le Verbe avoit avec les anges. 
Donc les anges n'appartiennent pas à l'Eglise en tant qu'elle porte le nom 
d'épouse; et par suite il ne leur convient pas d'avoir des dots. 

(CoxcLosioN. — Comme il doit y avoir conformité de nature entre 
l'époux et l'épouse , le Christ n'étant conforme aux anges, ni par l’iden- 
tité de l'espéce, ni par sa nature humaine, l'idée de dot ne s'applique pas 
aux anges aussi directement qu'aux hommes. ) 

Nul doute que les biens qui constituent les dots de l'ame ou s'y rattachent, 





rit spiritualem sponsum et spiritualem spon- 
sam. Sed Christo, in quantum est summus 
spiritus, magis sunt conformes in natura an- 
geli quàm homines, Ergo magis potest esse 
spirituale matrimonium angelorum ad Chris- 
tum quàm hominum. 

-6. Praeterea, major convenientia exigitur in- 
ter caput et membra , quam inter spousum et 
sponsam. Sed conforinitas quæ est inter Chris- 
tum et angelos, sufficit ad hoc quód Christus di- 
catur caput angelorum. Ergo eadem ralione 
sufficit ad hoc quód dicatur sponsus respectu 
eorum. 

Sed contra : Origenes super Cantica 
(Homil. 2), distinguit quatuor personas; sci- 
licet « sponsum et sponsam, et adolescentulas 
et sodales sponsi; » et dicit qubd « angeli sunt 
sodales sponsi. » Cüm ergo dotes non debean- 


tur nisi sponse, videtur quàd angelis dotes 
Don conveniant. 

Preterea , Christus desponsavit sibi Eccle- 
siam per incarnationem et passionem ; unde 
figuratur per hoc quod dicitur Exod., IV : 
« Sponsus sanguinum tu mihi es. » Sed Chris- 
tus per passionem et incarnationem "non aliter 
fuil conjunctus angelis quàm priüs erat. Ergo 
angeli non pertinent ad Ecclesiam secundüm 
quod Ecclesia dicitur sponsa. Ergo. angelis non 
conveniunt dotes. 

( Conciusio. — Cüm inter sponsum et spon« 
sam nature conformitss requiratur, et Chris- 
tus neque secundüm unitatem speciei, neque 
secundüm naturam humanam angelis sit con- 
formis, dotis ratio non tam propriè angelis 
quàm hominibus convenit. ) | 

Respondeo dicendum, ‘quèd ea quae ad dotes 


singula membra ex aliis vicissim pendent et quodammodo derivantur; vel (quod In idem redit) 
propter mutuum nexum quo ad invicem ordinantur, ut commentatur ibi 8. Thomas, tametsi 


de Ghristo et de Paulo explicari praemittit, 


» 


1 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 905 


n’appartiennent aux anges aussi bien qu'aux hommes; mais si l'on con- 
sidére ces biens comme formant des dots proprement dites, on ne sauroit 
sous ce rapport les attribuer aux anges comme on les attribue aux hom- 
mes; et cela, parce que la qualité d'épouse ne convient pas à la nature 
angélique comme à la nature humaine. Il faut évidemment qu'il y ait 
conformité de nature, c'est-à-dire identité d'espéce, entre l'époux et l'é- 
pouse. Or le Christ ayant pris la nature humaine, il y a dès-lors identité 
.de nature ou d'espéce entre lui et nous. Nulle conformité pareille entre le 
Christ et les anges; il n'a rien de commun avec eux ni dans sa nature 
divine ni dans sa nature humaine. Voilà pourquoi l'idée de dot ne s'ap- 
plique pas aussi bien aux anges qu'aux hommes. Mais, comme dans toute 
métaphore ou comparaison, il n'est pas nécessaire que la ressemblance 
soit parfaite sous tous les rapports, un ou plusieurs traits de dissemblance 
ne sauroient faire qu'on ne dise une chose de quelqu'un dans un sens mé- 
taphorique. Notre raisonnement ne va donc pas jusqu'à prouver qu'on. ne 
peut en aucune facon appliquer l'idée de dot aux anges; il faut simple- 
ment en conclure qu'elle ne leur convient pas aussi naturellement qu'aux 
hommes, à raison de la dissemblance que nous avons signalée. 

Je réponds aux arguments : 4° Quoique les anges appartiennent à 
l'unité de l'Eglise, ils n'en sont pas néanmoins les membres, si l'on con- 
sidère l'Eglise comme épouse et de méme nature que son céleste époux ; 
et de la sorte il ne convient pas proprement aux anges d'avoir des 
dots. 

2 Le mot épouser est pris ici dans un sens large, il exprime une union 
qui ne suppose pas conformité de nature ou d'espéce ; et dans ce sens rien 
n'empéche d'attribuer des dots aux anges. 

3e Sans doute, dans le mariage spirituel il n'y a qu'une union spiri- 
tuelle aussi ; mais il n'en est pas moins vrai que dans tout mariage digne 





anime pertinent, non est dubium angelis sicut 
et hominibus convenire; sed secundum ratio- 
nem dotis non ita eis, sicut hominibus, con- 
veniunt, eo quod non ita proprié convenit an- 
gelis ratio sponse, sicut hominibus. Exigitar 
enim inter sponsum et sponsam nature con- 
formitas , ut scilicet sint ejusdem speciei. Hoc 
autem modo homines cum Christo conveniunt, 
in quantum naturam bumanam assumpsit ; per 
quam assumptionem factus est couformis in 
natura speciei humane omnibus hominibus. 
Angelis autem non est conformis secundum 
unitatem speciei, neque secundüm naturam di- 
vinam, neque secundüm humanam. Et ideo 
ratio dotis non ita proprié convenit angelis 
sicut hominibus. Gàüm tamen in his que me- 
taphoricè dicuntur, non requiratur similitudo 
quantum ad omnia, non potest ex aliqua dissi- 
uilitudiue concludi quód metaphoricè aliquid 


de aliquo non praedicetur. Et sic ex ratione 
inductà non potest simpliciter haberi quód an- 
gelis dotes non conveniant, sed solüm qubd non 
ita proprié sicut hominibus, ratione dissimili- 
tudinis predicte. 

Ad primum ergo dicendum, quód quamvis 
angeli pertineant ad unitatem Ecclesie , non 
tamen sunt membra Ecclesi, secundüm quod 
Ecclesia dicitur sponsa per conformitatem na- 
turæ ; et sic non convenit eis proprié habere 
dotes. 

Ad secundum dicendum , quód desponsatio 
illa largé accipitur pro unione quæ non habet 
couformitatem nature in specie; et sic eliam 
uihil probibel, largè accipendo dotes , ponere 
dotes in augelis. 

Ad tertium dicendum, quód quamvis in ma 
trimonio spirituali non st nisi conjunctio spi- 
rilualis, tamen illos qui conjunguntur ad per- 


206 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE 5. 

de ce nom , il est nécessaire qu’il y ait: confornsité de rrature. C’est pour 
cela qu’on ne sauroit dire d’une mamière exacte quo le Verbe divina 
épousé la nature angélique (1). 

# La conformité qu'on peut saisir entre les anges et le Christ enr tant 
que celui-ci est Dieu , n'est pas telle qu'on puisse admettre là l’idée d’un 
mariage spirituel, puisqu'il n'y pas conformité d'espèce; mais il reste 
plutót entre les deux termes une distance infinie. 

5° Il ne seroit pas méme permis, dans la stricte propriété des termes, 
de dire quele Christ est le chef ou la tête des anges, puisqu'il doit y avoir 
conformité de nature entre la tête et le reste du corps. H faut néanmoins 
reconnoitre que, si la tête et les autres membres sont les parties d'un 
tout homogène, à considérer chaque membre à part, on trouvera que tous 

diffèrent d'espàces; ear la main, par exemple, diffère spécifiquement de 
- la tête. A prendre donc les membres comme tels, il n'est requis entre 
eux d'autre rapport qu'un rapport de dépendance réciproque, de telle 
sorte qu'ils donnent et recoivent tour à tour. Le rapport qui existe donc 
entre le Christ Dieu et les anges, légitime plutôt la qualification de tête 
que celle d'époux. 
ARTICLE V. 


Faut-il admettre trois dots de l'áme ? 


I} pareit que c'est à tort qu'on admet trois dots de Pâme , à savoir, la 
vision, la dilection , la jouissance. 1° L'ame est unie à Dieu par sa partie 
supérieure, puisque là se trouve l'image de la sainte Trinité, par la mé- 
moire, l'intelligence et la volonté. Or la dilection appartient à la volonté, 

(1) Il. est aisé de reconnuftre ici l'application du principe posé par le grand Apótre, 
Hebr. 11, 16 : « Il n'est dit nulle part qu'il ait pris les anges; mais il a pris la race d'Abra- 
ham. » En d'autres termes, le Verbe divin a pris, nen la nature angélique , mais la nature 


humaine. Celle-là néanmoins sembloit par son élévation et sa dignité, mieux disposée à cette 
assomption glorieuse ; mais, quoique la grâce ait pour objet de perfectionner la nature, elle 





fectam matrimonii rationem, oportet in specie 
nature convenire; et propler hoc desponaatio 
. proprié ad angelos non pertinet. 

Ad quartum dicenduw, quàd illa couforma- 
tio qua Augeli conformantur Christo in quan- 
" tu. est Deus, non est talis que suffciat ad 
perfectam rationem matrimonii, cüm non sit 
secundum convenientiam in specie; sed magis 
adhuc remanet intinita distantia. 

Ad quintum dicendum, quàJ nec eliam Cbris- 
tus proprié dicitur caput angelorum , secundüm 
illam rationem qua caput requirit conformita- 
tem paturæ ad membrum; tamen sciendum 
quód licet caput et alia membra sint partes in- 
dividui unius speciei, si tamen unuuquodque 
per se consideretur, non est cuin alio ejusdem 
speciei; manus eonun babet alium speciem 


partis à capite. Unde , loquendo de membris se- 
cundèm se, non requiritur inter ea alia conve- 
pientia quàm proportionis, ut unom ab alio 
accipiat, et unum alii subserviat. El sic con- 
venientia qua est inter Deum el angelos, ma- 
gis suflicil ad rationem capitis quàm ad ratio- 
nem Sponsi. 


ARTICULUS V. 


Utrüm convenienter ponantur ires anima 
dotes. 


Ad quintum sic proceditur. Videtur quód in- 
convenienter ponantur tres anime dotes; sci- 
licet, visio, dilectio, et fruitio. Anima eniu 
conjuogitur Deo secundüm mentem, in qua est 
imago Trinitatis secundum | memoriam , iniel- 
ligentian et voluntatem. Sed dilectio ad vo- 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 207 


€& la vision à l'intelligence. Il fáudroit donc quelque chose qui répondit 
à 1a mémoire ; car la jouissance appartiendroit plutôt à la volonté. 

9» Les dots de la céleste béatitude sont censées répondre aux vertus 
pratiquées sur la terre et qui ont pour objet de nous unir à Dieu ; ces 
vertus sont la foi, l'espérance et la charité, dont Dieu lui-même est l’ob- 
jet immédiat. Or la dilection répond & la charité et la vision à la foi. Il 
faudroit donc quelque chose qui répondit à l'espérance; et ce n'est pas 
la jouissance, qui répondroit plutôt à la charité. 

9» Nous ne jouissons de Dieu que par la dilection et la vision ; car ce 
sentiment de la jouissance, on ne le trouve que dans un objet qu'on aime 
pour lui-même, comme l'explique saint Augustin, De doct. Christ. I, &. 
Donc la jouissance ne doit pas être distinguée de la dilection. 

4e Pour que la béatitude soit parfaite il faut-saisir (1) ; la béatitude re- 
quiert la compréhension , d’après cette parole, I. Cor., IX, 24 : « Courez 
de manière à saisir.» Donc il faudroit admettre une quatrième dot, la 
compréhension. 

5° Selon saint Anselme, De Sfmélit., cap. XLVIII, voici ce qui fait la 
béatitude de l'ame : la sagesse, l'amitié, la concorde, la puissance, l’hon- 
neur, la sécurité, la joie. Les dots assignées plus haut ne sont donc pas 
en assez grand nombre. 

6» On connoit le mot de saint Augustin, dans le dernier chapitre de sa 
Cité de Dieu: « Au sein de cette béatitude, nous verrons Dieu sans fin, 
nous l’aimerons sans dégoût, nous le louerons sans jamais nous lasser. » 
Donc la louange est upe dot qu'il faut ajouter aux trois autres. 

7° D’après Boéce, De consol., III, 2, il y a cinq choses qui rentrent 


B'en suit pas toujours la gradation ; elle se plat à élever la bassesse au plus baut degré de 
puissance et de grandeur. 


(1) Saisir ou posséder l’objet même de la béatitude, au lieu de le voir simplement. Tel est 
aussi le sens qu'il faut attacher au mot compréhension, employé en pareille matière. Celui de 
possession eût paru plus propre ou moins obscur; mais il n'eüt pas rappelé l'expression de 





luntatem pertinet, visio ad intelligentiam. Ergo 
debet aliquid poni quod meinorig respondeat, 
cüm fruitio non pertineat ad memoriam, sed 
magis ad voluntatem. 

2. Pra:terea , dotes beatitudinis dicuntur res- 
pondere virtutibus vie , quibus Deo conjungi- 
gimur; quz sunt fides, spes etcharilas, quibus 
est ipse Deus objectum. Sed dilectio re-pon- 
det charilati, visio autem fidei. Ergo deberet 
aliquid poni quod pertineret ad spein, cüm 
fruitio magis pertineat ad charitatem. 

8. Praeterea, Deo uon fruimur nisi per di- 
lectionem et visionem ; illis enim. dicimur frui, 
quà dihgimus propter se, ui patet per Augus- 
tinum in lib. I. De Doctrina Christiana , 
cap. 4. Ergo fruitio non debet poni alia dos 
à dilecliune. 


&. Preterea, ad perfectionem beatitudinis 
requiritur comprehensio , I. Cor., IX : « Sic 
currite ut comprehendatis. » Ergo deberet ad- 
buc quarta dos poni. 

5. Preterea, Auselmus lib. De similitudi- 
nibus , cap. 48, dicit quód hac pertinent ad 
beatitudinem anime, « sapientia, amicitia, - 
concordia , potestas, honor, securitas, gau- 
dium. » Et sic videntur prædict& doles iucon- 
venienter assignari. 

6. Praeterea, Augustinus in fine De Civi- 
tate Dei, dicit quód « Deus in illa beatitudine 
sine (ine videbitur, sine fastidio amabitur, sine 
fatigatione laudabitur. » Ergo laus pr&assi- 
gnatis dotibus annamerari debet. 

7. Preterea, Boétius ponit quinque ad bea- 
titudinem pertinentia in Il]. De Consolat., 


208 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE 5. 


dans la béatitude : des ressources suffisantes, ce qui regarde les biens 
extérieurs ; la joie, que le plaisir promet ; la gloire, qui dépend de la 
renommée ; la sécurité , que garantit la puissance ; le respect , qui s'at- 
tache à la dignité. Telles sont les dots qu'il faudroit donc assigner , au 
lieu des précédentes (4). | 

(CoNcLUsioN. — C'est.avec raison que trois dots sont assignées à l’ame : 
la vision, qui répond à la foi ; la compréhension, qui répond à l'espérance; 
la jouissance, qui répond à la charité. ) 

Tous les docteurs en général admettent trois dots de l'ame, mais sans 
étre tous d'accord sur chacune de ces dots. Quelques-uns disent que les 
trois dots de l'ame sont la vision, la dilection, et la jouissance ; d'autres 
disent, la vision , la jouissance et la compréhension ; d'autres encore , la 
vision , la dilection et la compréhension. Ils s'accordent donc tous sur le 
nombre, et l'on peut dire que leurs sentiments mêmes ne diffèrent pas 
au fond. Il a été dit plus haut, art. 2, qu'une dot est quelque chose d'in- 
hérent à l'ame et par quoi l'ame est ordonnée dans l'opération en laquelle 
la béatitude consiste. Deux choses sont requises pour cette opération : ce 
qui en fait la substance méme, et c'est la vision; puis son perfectionne- 
ment, et c'est la dilection ; et cela, parce que la béatitude est nécessaire- 
ment une opération parfaite. Or une vision est délectable sous un double 
rapport : sous le rapport de l'objet, en tant qu'il est de nature à produire 
une impression agréable ; sous le rapport de la vision elle-méme, en tant 


saint Paul, le verbe comprehendere que le grand apôtre a plus d'une fois employé pour ex- 
primer la possession de la béatitude céleste. . 

(1) I existe ici une lacune dont tout lecteur attentif s'apercevra sans peine. La proposi- 
tion directe, celle qui établit d'ordinaire le vrai sentiment de l'auteur, la proposition sed con- 
tra, fait défaut. C'est une chose sans exemple , si neus avons bonne mémoire , dans la partie 
de la Somme écrite par saint Thomas. 





que sunt hec: sufficientia, quam promittunt 
divitie; jucunditas, quam promittit voluptas; 
celebritas , quam promittit fama; securitas, 
quam promittit potentia; reverentia , quam 
promiltit dignitas. Et sic videtur quód ista po- 
tiùs deberent assignari dotes quàm predicta. 

(CoxcLtsio. — Convenienter tres assignatæ 
sunt anima dotes, scilicet, visio, qua fidei , 
comprehensio, quæ spei, fruitio, que cbaritati 
respondet. ) 

Re:pondeo dicendum, quód ab omnibus 
communiter tres ponuntur anima dotes, diver- 
simodé tamen: quidam enim dicunt quód tres 
animae dotes sunt, visio, dilectio el fruitio; 
quidam verb dicunt quèd sunt visio, fruitio et 


comprehensio; quidam ver) quàd sunt visio, 
delectatio et comprehensio. Omnes tamen he 
assignaliones reducuntur in idem, et eodem 
modo earum numerus assignatar. Dictum enim 
est (art. 3), quód dos est aliquid animæ in- 
haerens, per quod ordinatur (1) ad operationem 
in qua consistit beatitudo. Iu qua quidem ope» 
ratione duo requiruntur; scilicet ipsa substan- 
tja operationis, que est visio; et perfectio 
ejus, que est delectatio ; oportet enim beati- 
tudinem esse operationem perfectam. Visio 
autem aliqua est delectabilis dupliciter : unc 
modo , ex parte objecti, in quantum id quoi 
videtur, est delectabile ; alio modo, ex part: 
visionis , in quantum ipsum videre delectabile 


(1) Immediaté, ut principium ejus, ad eam actu eliciendam formaliter concurrens , juxta 
sensum Jam priüs explicatum. Quód autem ejusmodi operatio ad quam ordinatur dos, et in 
qua beatitudo consistit, non alia esse debeat quàm perfecta operatio, sicut hlc subjungitur, 
salis aperté per se patet, ac suo loco I, II, ostensum est, cüm ex professo de beatitudine age- 


retur. 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 909 


que voir est de soi une chose délectable ; ainsi nous trouvons un plaisir 
dans la connoissance que nous acquérons de choses mauvaises. elles- 
mémes, bien que de telles chosesne puissent pas faire plaisir. Mais comme 
l'opération dans laquelle consiste la dernière béatitade doit par là même 
être la plus parfaite de toutes, la vision qui la constitue doit être aussi 
souverainememt délectable sous ce double rapport. Pour qu'elle le soit 
sous le rapport de la vision elle-méme, il faut qu'elle soit rendue comme 
naturelle au sujet par une habitude correspondante. Pour qu'elle soit dé- 
lectable du cóté de son objet, deux choses sont requises, à savoir, que 
lobjet visible soit convenable en lui-méme, et dans un parfait accord 
avec la vue. Ainsi donc, ponr que la vision soit délectable par elle-méme, 
il est requis une habitude dont cette méme délectation soit l'acte élicite. 
Rt voilà la premiére dot, admise également par tous, et par tous appelée 
vision. Du cóté de l'objet visible, deux choses encore sont nécessaires : 
la convenance , d'abord, ce qui a trait à l'affection ; à cela répond une 
seconde dot, la dilection, selon les uns, la jouissance, selon les autres, en 
tant que la jouissance rentre dans l'affection ; et il est naturel que nous 
regardions comme parfaitement convenable l'objet de notre plus grande 
affection. Du côté de l'objet visible, il faut encore, avons-nous dit. qu'il 
y ait accord ou conjonction avec la vue ; et c'est pour cela que plusieurs 
placent ici la compréhension , laquelle consiste à voir Dieu présent, à le 
posséder en soi-même ; d'autres y substituent la jouissance, en tant qu'elle 
appartient, non à l'espérance, qui n'existe que dans le pèlerinage, mais 
à la réalité, telle qu'elle est dans la patrie. De la sorte les trois dots cor- 
respondent aux trois vertus théologales : à la foi, la vision ; à l'espérance, 
ou bien la compréhension, ou bien la jouissance, selon l'interprétation 
qu'on admettra; à la charité, ou bien la dilection , ou bien la jouissance, 
d'aprés l'autre sentiment émis. La jouissance parfaite, telle qu'elle aura 
lieu dans la patrie, renferme en soi et la dilection et la compréhension. 








est; sicut. delectamur in cognoscendo mala, 
quamvis mala nos non delectent. Et quia ope- 
ratio illa in qua ultima beatitudo consistit , 
debet esse perfectissima , ideo requiritur quód 
visio illa sit utroque modo delectabilis. Ad hoc 
autem quàd visio illa sit delectabilis ex parte 
visionis, requiritue quàüd sit facta connaturalis 
videnti per aliquem babitum. Sed ad hoc quod 
sit delectabilis ex parte visibilis, requiruntur 
duo, scilicet quod ipsum visibile sit couve- 
Diens, et quod sit conjunctum. Sic ergo, ad 
delectabilitatem visionis ex parte sui, requiri- 
tur habitus qui visionem eliciat. Et sic est una 
dos que dicitur ab omnibus visio. Sed ex parte 
visibilis requiruntur duo : scilicet, couvenien- 
tia, quæ est per affecluin; et quantum ad hoc 
ponitur à quibusdam dos, dilectio, et à qui- 


AV 


busdam fruitío, secundum quod fruitio ad 
affectum pertinet; illud enim quid summé di- 
ligimus, convenientissimum æstimamus. Re- 
quiritur eliam ex parte visibilis, conjunctio; et 
sic ponitur à quibusdam comprehensio , qua 
nihil aliud est quam in presentia Deum ha- 
bere, etin seipso tenere; sed secundum alios 
ponitur fruitio , prout est non spei (sicut est 
iu via ), sed jam rei, sicut est in patria. Et sic 
dotes tres respondent tribus. virtutibus theolo- 
gicis ; scilicet visio, fidei ; spei verd, compre- 
hensio, vel fruitio secundum unam acceptio- 
nem; charitati vero, dilectio, vel fruitio se- 
cundum assignationem aliam. Fruitio enim per- 
fecta , qualis in patria habebitur, includit in se 
et dilectionem , et comprehensionem. Et ideo 
à quibusdam accipiter pro uno, à quibusdam 


14 


210 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE 14. 


Voilà pourquoi elle est prise pour l'une ou l'autre de ces deux choses par 
les différents docteurs. Quelques-uns attribuent ces trois dots aux trois 
puissances de l'ame : la vision, à la puissance intellective ; la dilection, 
à la puissance concupiscible; et la jouissance, à l'irascible, en tant qu'une 
telle jouissance est le prix d'une victoire remportée. Mais cela n'est pas 
d'une parfaite exactitude; car l'irascible et le concupiscible sont dans la 
partie sensitive, et non dans la partie intellective de l'ame ; tandis que 
les dots appartiennent exclusivement à celle-ci (1). 

Je réponds aux arguments : 1» L'intelligence et la mémoire n'ont qu'une 
seulé opération ; car, ou bien l'intelligence est une opération de la mé- 
moire, ou bien si l’on veut que l'intelligence soit elle-même une puis- 
sance, la mémoire n'entre en exercice que par le moyen de l'intelligence, 
puisque c'est à la mémoire à garder les notions reçues. Aussi n'y a-t-il 
qu'une habitude commune à l'intelligence et à la mémoire, c'est la con- 
noissance ; et dès-lors une seule dot répond également aux deux, c st la 
vision. 

2o La jouissance répond à l'espérance, en tant qu'elle renferme la com- 
préhension , qui doit succéder à l'espérance et la remplacer. Ce qu'on es- 
père, on ne le possède pas encore. Aussi l’esnérance implique-t-elle une 
sorte de tristesse, à cause de l'éloignement de l'objet aimé. Voilà pour- 
quoi elle ne subsistera plus dans la patrie, elle aura été remplacée par la 
com^réhension. 

3° La jouissance, en tant qu'elle renferme la compréhension , se dis- 

(1) A ne considérer du moins que les dots de l'áme, les seules que l'auteur du supplément 
se soit proposé d'étudier, puisque c'est ici le dernier article de cette question. 1l y a des dois 
Yéanmoins qui regardent le corps ou que le corps posséde. Cela résulte clairement de la defi- 
ition méme qui a été donnée de la dot, celle-ci nous étant présentée là comme un ornement 
le l'âme et du corps. De plus, saint Thomas l'enseigne formellement dans son commentaire 
lu Maître des Sentences. Il assigne là pour dots au corps humain, les quatre propriétés des 


»orps glorieux, la subtilité, l'agilité , l'impassibilité et la clarté, qui ont été plus haut l'objet 
d'une étude spéciale. C'est peut-être pour cela que l'auteur n'y revient pas ici. 1} n’eût pas été 





verb pro alio. Quidam verb attribuunt has tres 
dotes tribus anima viribus : visionem, scilicet 
rationali ; dilectionem, concupiscibili, fruttio- 
nem , veró , irascibili, in quantum talis fruitio 
est per quamdam victoriam adepta. Sed hoc non 
proprié dicitur; quia irascibilis et concupiscibilis 
non sunt in parte intellectiva, sed in parte sensi- 
tiva ,dotes autem anime ponuntur in ipsa mente. 

Ad primum ergo dicendum , quód memoria 
et intelligentia non habent nisi unam opera- 
lionem; quia vel ipsa intelligentia est operatio 
memorie, vel, si intelligentia dicalur esse po- 
teutia quadam , memoria non exit in opera- 


tionem , nisi mediante intelligentid, quia me- 
mori: est notitiam-tenere. Unde etiam memo- 
rie et intelligentiæ non respondet nisi unus 
habitus, scilicet notitia; et ideo utrique res- . 
pondet una tantüm dos, acilicet visio. 

Ad secundum dicendum, quàd /ruitio res- 
pondet spei, in quantum includit comprehen- 
sionem, qua spei succedet. Quod enim spera- 
tur, nondum habetur. Et ideo spes quodam- 
modo affligit (1), propter distantiam amati. Et 
propter hoc in patria uon remanebit, sed suc- 
cedet ei compre. ensio. 

Ad tertium dicendum, quód fruitio, secun- 


(1) Spes nempe ques differtur, sicut Proverb., XIIT, vers. 13, videre est; nam alioqui exhi- 
Arat, secundàm illud ad Rom., XII, 19 : Spe gaudentes, et od Rom., XV, 13: Deus aulem 


pei repleat vos OMS gaudio, etc, 


DES DOTS DES BIENHEUREUX. 911 


tingue de la vision et de la dilection, mais autrement que ces deux der- 
nières ne se distinguent entre elles. La vision et la dilection, en effet, dé- 
signent des habitudes diverses, l'une appartenant à l’intellect et l'autre 
à l’appétit. Mais la compréhension ou la jouissance , en prenant celle-ci 
pour celle-là, n'implique pas une autre habitude que les deux qui vien- 
nent d'étre nommées; elle n'exprime de plus que l'éloignement des ob- 
stacles qui empéchent l'ame de s'unir à Dieu d'une maniére directe ef 
immédiate. Et cela a lieu en ce que l'habitude que l'état de gloire ajoute 
à l'ame affranchit celle-ci de tout défaut ; ainsi, elle la rend capable de 
tout connoitre sans le secours des images ou fantômes, de dominer en- 
tiérement sur le corps, et lui donne d'autres semblables priviléges qui 
renversent les barriéres par lesquelles nous sommes maintenant tenus 
loin du Seigneur, dans un état d’exil et de pèlerinage. 

4* Ce que nous venons de dire rend évidente la réponse à cet argument. 

Bo Les dots proprement dites sont les principes immédiats de cette su- 
blime opération dans laquelle consiste la parfaite béatitude, et qui a pour 
objet d'unir l'ame au Christ; tandis que les choses énuinérées par saint 
Anselme sont, non des principes, mais certaines circonstances ou consé- 
quences de.la béatitude. Et cedocteur les considère, non-seulement par rap- 
port à l’époux, auquel on ne sauroit attribuer, parmi les choses énumérées, 
que la sagesse, maisencore par rapport aux autres, soit nos égaux, et c'est 
eux que regarde l'amitié, d'abord, en tant qu'elle forme l'union des 
cœurs , et la concorde, ensuite, en fant qu'elle nous unit dans l'action ; 
soit nos inférieurs, et c'est à cause d'eux que nous voyons figurer dans 
: cette énumération le pouvoir et l'honneur, puisque les êtres inférieurs 
doivent étre régis par ceux d'un rang plus élevé, et leur témoigner dés- 


cependant inutile de les mentionner sous ee nouveau titre, pour compléter la théorie des dots, 


à l'exemple de ce qui a été plus d'une fois pratiqué dans l’œuvre méme du docteur angé- 
lique. 





(um quod comprehensionem includit, distin-| Ad quartum patet responsio ex dictis. 


guitur à visione et dilectione, alio tamen modo 
quàm dilectio à visione. Dilectio enim et visio 
diversos habitus nominant, quorum unus per- 
tinet ad intellectum , alter verd ad affectum. 
Sed coniprehensio, vel fruitio secundum quod 
ponitur pro comprelensione, nou importat 
alium habitum ab illis daobus; sed importat 
remotionem impedimentorum, ex quibus effi- 
ciehatur ut non posset mens Deo presentialiter 
conjungi. Et hoc quidem fit per hoc quod ipse 
habitus gloriæ animam ab omni defectu liberat; 
sicut qu^d facit eam sufficientem ad cognos- 
cendum sine phentasmatibus , et ad prædomi- 
pandum corpori, et ad alia hujusmodi, per que 
excluduntur impedimenta quibus fit ut nunc 
peregrinemur à Domino. 


Ad quintum dicendum, quód propriè dotes 
sunt immediata principia illius operationis in 
qua perfecta beatitudo consistit, per quam 
anima Christo conjungitur. llla autem qua 
Anselmus enumerat, non sunt bujusmodi ; sed 
sunt qualitercumque beatitudinem concomitan- 
tia vel consequentia, non solüm in compara- 
tione ad sponsum, ad quem sola sapientia 
inter enumerata ab eo pertinet , sed etiam in 
comparatione ad alios; vel pares, ad quos per- 
Unet amicítia quantum ad unionem affec- 
tuum , et concordía quantum ad consensum 
in agendis; vel inferiores, ad quos pertinet po- 
testas, secundèm quàd à superioribus inferiora 
disponuntur, et honor, secundüm id quid su- 
perioribus ab inferioribus exhibetur; et etiam 


912 SUPPLÉMENT, QUESTION XCV, ARTICLE 4. 


lors déférence et respect. Il y a deux points, enfin, qui nous regardent 
nous-mémes, la sécurité, qui nait de l'éloignement du mal, et la joie, 
qui accompagne la possession du bien (1). 

6° La louange, la troisième des choses que saint Augustin admet dans 
la patrie céleste, n'est pas une disposition à la béatitude , mais en est 
plutót une conséquence ; car l'ame une fois unie à Dieu et trouvant là sa 
félicité supréme, se répand nécessairement en louanges. On ne sauroit 
donc reconnoitre dans la louange les caractères de la dot. 

7° Les cinq choses énumérées par Boéce sont bien à certains égards des 
conditions de la béatitude, mais non des dispositions à la béatitude, qu'on 
la considére comme habitude ou comme acte ; car la béatitude, à raison 
de sa perfection méme, renferme seule, par elle-méme, dans l'unité de 
son essence, tout ce queles hommes peuvent chercher dans les diverses 
créatures, comme on le voit, Ethíic., I et X. Voilà pourquoi Boéce nous 
montre ces cinq choses réunies dans la vraie béatitude. C'est là, en effet, 
ce que les hommes recherchent pour leur félicité temporelle : ils veulent . 
être à l'abri du mal, c'est la sécurité; posséder les biens qui leur con- 
viennent, et de là nait la joie; ou mieux posséder un bien complet et au- 
quel rien ne manque; ce bien, ils ne veulent pas le tenir caché, et la cé- 
lébrité leur sourit; ils ne sont pas fâchés qu'il leur en revienne des 
témoignages de respect ou de révérence, et d'autant plus que la révérence 
est un honneur que l'on rend à la vertu plutót qu'aux biens extérieurs. Il 
résulte donc clairement de là que Boéce n'a pas énuméré des dots véri- 
tahles. 


(1) À cette énumération des sept biens principaux qui regardent l'Àme, saint Anselme en 
ajoute un égal nombre qui regardent le corps, la beauté, l'agilité, la force , la liberté, la 
santé, le plaisir et l'immortalité; mois il est aisé de les faire tous rentrer dons les quatre pro- 
priétés corporelles que nous venons d'énumérer dans la note précédente. 





—— mm — = = M 


percomparationem ad seipsum, ad quod perti- 
net securitas , quantum ad remolionem mali, 
et gaudium, quantum ad adeptionem honi. 

Ad sextum dicendum, quèd /aus que ab 
Auguslino ponitur tertium eorum qua iu pa- 
tria erunt, non est dispositio ad beatitudinem, 
sed magis ad beatitudinem consequens ; ex 
hoc enim ipso quod anima Deo conjuugitur, in 
quo beatitudo consistit, sequitur quód in lau- 
dem prorumpat. Unde laus non habet rationem 
dotis. 

Ad septimum dicendum , quèd illa quinque 
supradicta quæ enumerat Boétius , sunt quæ- 
dam beatitudinis conditiones , non autem dis- 
positiones ad beatitudinem vel beatitudinis 
actus; eo quàüd bealitudo , ratione sug perfec- 
tionis, sola et singulariter habet per seipsam 


quidquid ab hominibus in diversis rebus quæ- 


ritur, ut patet etiam per Philosophum in let X. 


Ethic. Et: secundüm hoc ostendit Boétius illa 
quinque in vera beatitudine esse. Quia hzc 
sunt qua ab hominibus in felicitate temporali 
quaeruntur, que vel pertinent ad immunitatem 
à malo, sicut est securitas; vel ad consecu- 
tionem boni convenientis, sicul Jucunditas ; 
vel perfecti, sicut sufficientia ; vel ad mani- 
festationem boni, sicut celebritas, in quantum 
bonum unius est in notitia multorum; et reve- 
rentia, in quantum illius notitie vel boni si. 
gnuin, aliquod exhibetur; reverentia enim con- 
sistit in exhibitione honoris, qui est testimo- 
nium virtutis. Unde patet quód ista quinque 
non debent dici dotes, sed quædam beatitudi- 
Dis conditiones. 


DES AURÉOLES 213 


QUESTION XCVI. 


Des auréoles. 


Au sujet des auréoles, on peut poser treize points à résoudre : 1* L'au- 
réole différe-t-elle de la récompense essentielle? 2» Différe-t-elle du fruit? 
9* Le fruit est-il dà seulement à la vertu de continence? &» Convient-il 
d'assigner les trois fruits aux trois degrés de la continence ? 5° L'auréole 
est-elle due aux vierges ? 6e Est-elle due aux martyrs? 7° Aux docteurs ? 
8* Au Christ ? 9» Aux anges? 10* Au corps humain? 11° Convient-il de 
distinguer trois auréoles ? 12» L'auréole des vierges est-elle la principale ? 
13* La méme auréole peut-elle étre possédée d'une maniére plus ou moing 
intense. 


ARTICLE I. 
L'auréole diffère-t-elle de la récompense essentielle? 


Il paroit que l'auréole n'est pas autre chose que la récompense essen- 
tielle, désignée sous le nom de couronne d'or. 1° La récompense essen- 
tielle, c'est la béatitude elle-méme. Or la béatitude, d’après Boéce, est 
« un état qui se compose de la réunion de tous les biens. » Donc la ré- 
compense essentielle comprend tous les biens que l'on posséde dans la 
céleste patrie, et l'auréole, par conséquent. 

2» La différence du plus au moins ne diversifie pas l'espéce. Or, ceux 
qui observent les conseils avec les préceptes, sont plus récompensés que 
ceux qui observent les préceptes seulement ; et néanmoins il n'y a d'autre 





QU £STIO XCVI VEL XCVII. 


De aureolis , in tredecim articulos divisa. 


p Consementer considerandum est de aureo- ARTICULUS 1 
Circa quod quæruntur tredecim : 4° Utrüm | Üfr«m awreolo t aliud di pramio essen- 
aureola differat à præmio essentiali. 2 Utrüm tiali, quod aurea dicitur. 
differat à fructu. 8° Utrüm fructus soli virtuti | Ad primum sic proceditur. Videtur quàd au- 
continentiæ debeatur. 4o Utrüm convenienter | reola non sit aliquod aliud premium à praemio 
assignentur tres fructus tribus parlibus con- | essentiali , quod aurea dicitur. Premium emm 
tinentiæ. 5» Utrüm virginibus debeatur aureola. | essentiale est ipsa beatitudo. Sed beatitudo, 
£o» Utrüm debeatur martyribus. 7e Utrüm de- | secundüm Boëtium, est « status omnium bo- 
beatur doctoribus. 8° Utrüm Christo debeatur. | norum congregatione perfectus. » Ergo præ- 
y Utràm angelis. 109 Utrüm corpori humano | mium essentiale includit omne bonum quod 
lebeatur. 449 Utrüm convenienter tres aureolæ | habetur in patria; et sic aureola includitur 
ssignentur. 42° Utrüm aureola Virginum sit | in aurea. 
_Otissima. 480 Utrüm unus alio intensiüs eam- | 3. Præterea, magis et minus non diversi- 
Jem aureolam habeat. ficant speciem. Sed illi qul servant consilia et 
precepta, magis præmiantur quà^^ illi servant 
præcepla tantüm; nec in aliquo premium eo» 


914 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 1. 


différence en cela, si ce n’est que la récompense de l’un est plus grande- 
que celle de Pautre. Par conséquent, comme par auréole on entend une. 
récompense méritée par les œuvres de perfection, il ne paraît pas qu’on. 
puisse en réalité distinguer l’auréole de la couronne. 

3» La récompense répond au mérite. Mais la racine de tout mérite, 
c’est la charité ; à la charité répond la couronne. Donc celle-ci est la seule 
récompense qu'il faille admettre dans la patrie céleste. 

4° Tous les hommes qui entrent dans le ciel sont admis dans les rangs. 
des anges, comme le dit saint Grégoire, In Evang., homil. 34. Or parmi 
les anges, ajoute le méme docteur, « bien que quelques-uns possèdent 
certains dons d'une manière éminente, il n'est rien cependant qui ne soit 
commun à tous; ce qui ne veut pas dire que tous possèdent tout au même 
degré. Non ; les uns sont plus élevés que les autres dans les degrés d'une 
gloire qui est le partage de tous. » Donc, parmi les bienheureux égale- 
ment, pas de récompense qui ne soit commune à tous; et l'auréole dés 
lors n'est pas une récompense distincte de la couronne. 

5v Au mérite le plus parfait est dà la plus belle récompense. Si donc 
la couronne est due aux œuvres qui sont de précepte, et l'auréole aux 
œuvres qui sont de conseil, l'auréole sera quelque chose de plus parfait 
que la couronne d'or; tandis que le diminutif semble exprimer le con- 
- traire. Donc l'auréole est une récompense qui ne diffère pas de la cou- 

ronne. | 

Mais c’est le contraire qu'il faut dire. Sur cette parole, Ezod., XXV : 
« Vous ferez une autre couronne en forme d'auréole, » la Glose, tirée de 
Béde, De Tabernac., I, 6, dit ceci : « C'est à cette couronne que revient 
l'honneur du cantique nouveau, que les vierges seules ont le droit de 
chanter en présence de l'Agneau. » D'où il résulte que l'auréole est une 
couronne spécialement accordée à quelques-uns et à laquelle tous n'ont 





rum videtur differre, nisi quód unum est altero 
majus. Cüm ergo aureola nominet premium 
quod debetur operibus perfectionis , videtur 
quód aureola non dicat aliquid distinctum ab 
aurea. 

8. Præterea, premium respondet merito. 
Sed radix totius meriti est charitas. Cüm ergo 
charitati respondeat aurea, videtur quód in 
patria non erit aliquod premium ab aurea dis- 
tinctum. 

4. Prælcrea, omnes homines beati assu- 
muntur ad angelorum ordines, ut dicit Grego- 
rios Homil. XXXIV, im Evang. Sed in angelis 
« licèt quedam data sint quibusdam excellen- 
ter, nibil tamen ibi possidetur singulariter; 
omnia enim in omnibus sunt, non quidem æqua- 
liter, quia alii aliis sublimius possident qua 
famen omnes habent, » ut eliam Gregorius 


dicit. Ergo in beatis non erit aliquod aliud 
premium nisi omnium commune. Ergo au- 
reola non est premium distinctum ab au- 
rea. . 
5. Preterea , excellentiori merito excellen- 
tius premium debetur. Si ergo aurea debetur 
operibus quæ sunt in precepto, aureola verb 
his quæ sunt in consilio, aureola erit perfec- 
tior quàin aurea; et ita non deberet diminutivè 
significari, Ergo videtur quód aureola non sit 
premium distinctum ab aurea. 

Sed contra, Exod., XXV, super illud, 
« facies et alteram coronam aureolam, » dicit 
Glossa Beda lib. 1. D^ Tahernaculo, cap. 6: 
a Ad coronam banc pertinet canticum novum, - 
quod virgines tautüm coram Agno concinunt. » 
Ex quo videtur quód aureola sit quadam co- 
rona, non omnibus sed quibusdam specialiter 


DES AURÉOLES. 215 
‘pas droit. Mais tous ont droit à la couronne d'or. Donc l'auréole est quel- 
‘que chose de distinct. | | 
. C'est au combat, qui s'est terminé par la victoire, que la couronne est 
due; et de là ce que dit l’Apôtre, II. Têm., IL 5 : « Ne sera couronné que 
celui qui aura légitimement combattu. » Quand donc le combat revêt un 
caractère à part, il a droit aussi à une couronne spéciale. Or il y a réel- 
lement des œuvres qui présentent ce caractère de lutte à part, et qui dés 
lors donnent droit à une couronne distinctive. C'est cette couronne oue 
nous nommons auréole. 

L'Eglise militante descend de l'Eglise triomphante, comme on peut le 
conclure de cette parole de saint Jean, Apoc., XXI, 9 : «J'ai vu la cité 
sainte, la Jérusalem nouvelle, descendant du ciel. » Or, dans l'Eglise 
militante, à des œuvres spéciales sont données des récompenses spéciales; 
&ux vainqueurs, des couronnes; à ceux qui courent dans la carriére, des 
applaudissernents. Il doit donc en être de mème dans l'Eglise triomphante. 

(CoscLusiox. — L'auréole nous représentant la joie spéciale qui naît 
de ces sortes d'œuvres où l'on voit le caractère d'une victoire à part, 
d'une victoire éminente, et la couronne étant le symbole de la récompense 
essentielle, de cette joie qui résulte de notre unio^ avec Dieu, joie fonda- 
mentale à laquelle l'autre vient s'ajouter, il faut nécessairement distin- 
guer l'auréole de la ccuronne.) 

La récompense essentielle de l'homme, c'est-à-dire sa supréme béati- 
tude, consiste dans la parfaite union de l’âme avec Dieu, en tant qu'elle 
le voit, l'aime et le possède parfaitement. Or cette récompense est appelée, 
par métaphore, une couronne, une couronne d'or; nom qui se justifie, soit 
par le mérite, puisque le mérite s'acquiert par une sorte de lutte, d’après 
la célèbre parole de Job : « La vie de l'homme sur la terre est un combat 
perpétuel ; » soit par la récompense elle-même, puisque cette récompense 
rend l'homme participant de la nature divine, et par là méme de la puis- 





reddita. Aurea autem omnibus beatis redditur. | (ConcLusio. — Aureola, cüm gaudium quod- 


Ergo aureola est aliud quàm aurea. 

Preterea, pugne quam sequitur victoria, 
debetur coroua ; ll. Timoth., I : « Non coro- 
nabitur nisi qui legitime certaverit. » Ergo ubi 
est specialis ratio certaminis, ibi dehet esse 
corona specialis. Sed in aliquibus operibus est 
specialis ratio certandi. Ergo præ aliis aliquam 
coronam habere debent; et hanc diciunus a#- 
reolam. 

Praterea, Ecclesia militans descendit à trium- 
phante, ut palet Apocal., XXI : « Vidi civi- 
tatem sanctam Hierusslem novam descendentem 
de cælo, etc. » Sed in Ecclesia miliiante specialia 
opera habentibus redduntur specialia premia; 
ficut victoribus corona, currentibus bravium. 
Ergo similiter debet esse in Ecclesia triumpbante. 


dam de operibus quæ excellentis cujusdam vic- 
toriæ rationem habent, signilicel, aureæ sive 
præmio essentiali additum , ab aurea sive gau- 
dio quo quis de conjunctione ad Deum gaudet, 
distinguitur.) 

Respondeo dicendum , quód premium essen- 
tiale bominis, quod est ejus beatitudo, con- 
sistit in perfecta conjunctione anim: ad Deum, 
in quantum eo perfecte [ruitur ut viso et amato 
perfectè. Hoc aulem premium metaphorice 
corona dicitur vel aurea ; tum ex parte me- 
riti, quod cum quadam pugna agitur, « milia 
enim est vila hominis super terram , » Job, 
Vll ; tum etiam ex parte præmi, per quod 
homo efficitur quodammodo divinitatis parti- 
ceps, et, per consequens, regie potestatis, 


216 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 1. 
sance royale, selon cette parole de saint Jean, Apoc., V, 10 : « Vous nous 
avez faits rois et prétres à l'égard de notre Dieu; » etla couronne est le 
signe propre de la royauté. Voilà pourquoi aussi la récompense acciden- 
telle, celle qui s'ajoute à la récompense essentielle, présente également 
l'idée d'une couronne. On peut dire encore que la couronne, par là méme 
qu'elle est une figure circulaire, a sous ce rapport quelque chose de parfait; 
nouvelle sorte d'harmonie qu'elle présente avec la perfection des bien- 
heureux. Mais comme on ne peut rien ajouter à la chose essentielle qui 
ne lui soit inférieur, la récompense surajoutée a été désignée par ce di- 
minutif auréole, du mot latin aurea (1). Or, à la récompense essentielle, 
une chose peut être ajoutée de deux manières : d'abord, en vertu de la 
nature méme de celui qui est récompensé; et c'est ainsi qu'à la béatitude 
de l’âme est ajoutée la gloire du corps, d’où vient que celle-ci porte quel- 
quefois le nom d'auréole. Sur cette parole, Exod., XXV : « Tu feras une 
autre couronne en forme d'auréole, » une certaine glose dit : « L'auréole 
se superpose à la fin, par la raison que les élus posséderont une gloire plus 
éclatante quand ils reprendront leur corps, ainsi que Ecriture nous le 
fait comprendre. » Ce n'est pas dans ce sens que nous parlems maintenant 
de l'auréole. Une chose peut, en second lieu, être ajoutée àls récompense 
essentielle en vertu de l’œuvre par laquelle on l’a méritée. Cette œuvre, en 
effet, revét le caractére du mérite par une double cause, qui est aussi la 
raison d'étre de sa bonté : cela vient, d'abord, de la charité qui en est la 
base et par laquelle cette œuvre est rapportée à sa dernière fin; et voilà ce 
qui lui donne droit à la récompense essentielle, c'est-à-dire à la couronne 
d'or, qui marque la derniére fin à laquelle l'homme doit parvenir. Cela 
vient ensuite du genre méme de l'acte, lequel sera digne d'éloges, soit à 
(1) S'il est un mot, dans la langue sacrée, dont la signification soit indécise, vague, indé- 


terminée, c'est assurément celui d'auréole. Tous les orateurs chrétiens, tous les écrivains 
mystiques l'emploient fréquemment, en parlant de la gloire des saints, des anges, de Dieu 





Apocalyp., V : « Fecisti nos Deo aostro re- | unde et ipsa gloria corporis interdum aureola 


gnum, etc. » Corona autem est proprium si- 
gnum regie potestatis. Et eadem ralione præ- 
mium accidentale, quod essentiali additur, co- 
rong ralionem habet. Significat etiam corona 
perfectionem quamdam ratione figure circula- 
ris (1); ut ex hoc etiam competat perfectioni 
beatorum. Sed quia nihil potest superaddi essen- 
tiali, quin sit eo minus, ideo superadditum 
premium aureola nominatur. Huic autem es- 
sentiali premio quod aurea dicitur, aliquid 
superadditur dupliciter : uno modo, ex condi- 
tione nature ejus qui premiatur, sicut suprà 
beatitudinem anime gloria corporis adjungitur; 


nominatur. Unde, super illud Exod., XXV : 
« Facies et alteram coronam aureolam, » dicit 
quedam Glossa quàd « in fine aureola super- 
ponitur, cüm in Scriptura dicatue quid eis su- 
blimior gloria in recep!ione corporum serve- 
tur. » Sic autem nunc de aureola non agitur. 
Alio modo ex ratione operis meritorii. Quod 
quidem rationem meriti habel ex duobus, ex 
quibus etiam habet houitatis rationem : scilicet 
ex radice charitatis, quia refertur in tinem ul- 
limum ; et sic debetur ei essentiale premium, 
scilicel perventio ad finem, qua est aurea. Et 
ex ipso genere actüs, quod laudabilitatem 


(1) Est enim circularis figura inter omnes perfectissima, ut Il. De clo, cap. $, probat ex- 
pressé Pbilosophus. Quod lect. 5 ibi explicat S. Thomas, quia illius finis cum principio con- 


jungitur; unde pec illi quidquam addi potest. 


DES AURÉOLES. 911 


cause des circonstances dont il a été revétu, soit à raison de l'habitude 
qui l'a produit et de la fin prochaine vers laquelle il étoit dirigé; car tels 
sont les motifs pour lesquels lui est duó une récompense accidentelle, 
que nous nommons auréole. C'est dans ce sens que nous employons ici 
ce nom. Disons donc que l'auréole exprime quelque chose qui se sura- 
joute à la couronne d'or, une joie qui provient des œuvres qu'on a faites 
et qui s'offrent à nous sous l'aspect d'une victoire exquise et supérieure; 
joie qui différe de celle que donne aux élus leur union avec Dieu et qui 
nous est signifiée par la couronne d'or. D'aprés certains docteurs, néan- 
moins, c'est la récompense commune à tous les élus et dont la couronne 
est le symbole, qui prendroit le nom d'auréole en s'appliquant aux vierges, 
aux martyrs, aux docteurs; c'est comme le denier dont il est parlé dans 
l'Evangile, qui change de nom quand on considère le droit acquis à ce 
denier, quoiqu'il soit toujours une seule et méme chose. Cela ne veut pas 
dire que la récompense essentielle doive nécessairement être plus grande 
quand elle prend le nom d'auréole; cela signifie seulement qu'elle répond 
alors à un acte d'une nature éminente, non pas toujours par l'intensité . 
méme du mérite, mais bien par son mode spécial ; ainsi la clarté de la vi- 
sion divine pourra être la même chez deux élus, et porter seulement chez 
l'un le nom d'auréole, à raison du caractére éminent des actes par lesquels 
il l'a méritée. Mais cela paroit contraire à la pensée de la Glose que nous 
venons de citer; car si la couronne et l'auréole étoient la méme chose, 
comment pourroit-on dire que celle-ci est superposée à celle-là ? De plus, 
comme la récompense répond au mérite, ne faut-il pas qu'à l'excellence 
du mérite provenant du mode de l’action réponde une excellence ana- 
lui-même. Mais l'usage qu'ils en font, pour la plupart, prouve d'une manière évidente qu'ils 
sont, aujourd'hui du moins, et depuis bientót deux siécles, complétement étrangers aux pre- 
miéres notions de Ja science catholique, sur ce point comme sur tant d'autres beaucoup plus 
essentiels. La discussion dont l'auréole est ici l'objet, repose en substance sur l'enseignemert 
des Pères, et du vénérable Béde en particulier. On la retrouve dans les premiers théologiens 


scholastiques. Elle n'a pas donc seulement droit à notre attention, mais elle mérite encore 
le respect qui s'attache à une doctrine ancienne et traditionnelle. 





quamdam habet ex debitis circumstantiis , et 
ex habitu eliciente, et ex proximo fine; et sic 
debetur ei quoddam accidentale premium, 
quod aureola dicitur. Et hoc modo de aureola 
ad praesens intendimus. Et sic dicendüm quód 
aureola dicit aliquid aureæ superadditum, id 
est quoddam gaudium de operibus à se factis, 
quae babent rationem victorie excellentis; 
quod est aliud gaudium ab eo quo de conjunc- 
tone ad Deum quis gaudet, quod gaudium 
dicitur aurea. Quidam tamen dicunt quód ip- 
sum praemium commune, quod est aurea , ac- 
cipit nomen aureolæ secundèm quod virgini- 
bus, vel martyribus, vel doctoribus redditur; 
sicut et denarius accipit nomen debiti ex hoc 


quod alicui debetur, quamvis ommino idem 
sint debitum et denarius ; non tamen ita 
quód premium essentiale oporteat esse majus 
quando aureola dicitur, sed quia excellentiori 
actui respondet; non quidem secundüm meriti 
intensionem, sed secundüm modum merendi ; 
ut quamvis in duobus sit equalis limpiditas 
divine virtutis, in uno tamen dicatur aureo/a, 
nomine altero, in quantum respondit excellen- 
tiori merito secundüm modum agendi. Sed 
hoc videtur esse contra intentionem Glossa 
Ezod., XXV. Si enim idem esset aurea el 
aureola, non diceretur aureola aure& super- 
poni. Et praterea, cüm merito respondeat præ- 
mium, oportet quód illi excelleulig meriti qua 


918 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 14. 


logue dans la récompense accordée? Et c'est cette derniére excellence que 
nous appelons auréole. 11 faut donc qu'il y ait une différence entre l'au- 
réole et ]a couronne. 

Je réponds aux arguments : 1° La béatitude, il est vrai, renferme en 
elle tous les biens nécessaires à la vie parfaite de l'homme, laquelle con- 
siste dans sa parfaite opération (1); mais il y a des choses qui peuvent y 
être ajoutées, non comme élément nécessaire et indispensable de cette 
opération parfaite, mais comme un. surcrolt de splendeur et de beauté. 
C'est là, pour ainsi dire, la gráce et l'harmonie de la béatitude; c'est 
aiusi que le bonheur temporel est embelli par l'éclat de la naissance, la 
beauté du corps et autres choses du méme genre, quoique ces choses ne 
le constituent pas. Voilà ce qu'est l'auréole par rapport à la béatitude 
céleste. 

2» Celui qui observe les conseils avec les préceptes mérite toujours plus 
que celui qui observe les préceptes seulement, à considérer le mérite qui 
résulte du genre méme des œuvres, mais non pas toujours en tant que le 
mérite a la charité pour principe, puisqu'il arrive parfois qu'un homme 
observe les préceptes seuls avec une plus grande charité qu'un autre 
n'observera les conseils et les préceptes. Dans la plupart des cas, néan- 
moins, c'est le contraire qui a lieu; car a l'accomplissement de l’œuvre 
est la preuve de l'amour,» comme le dit saint Grégoire, In Evang. - 
homil. 30. Ce n'est donc pas une récompense essentielle plus grande que 
l'on désigne sous le nom d'auréole, mais bien ce qui est ajouté à la ré- 
compense essentielle; que cette récompense essentielle soit, dans celui 
qui possède l'auréole, supérieure, égale ou inférieure à celle T un bien- 
heureux qui ne possède pas cette distinction. 


(1) C'est-à-dire dans la plus baute opération de l'intelleet , qui est lui-même la plus noble 


est ex merito agendi, respondeat aliqua excel- 
lentia in premio; et hanc excellentiam voca- 
mus aureolam. Unde oportet aurealam ab 
aurea differre. 

Ad primum ergo dicendum, quód beatitudo 
includit in se oinnia bona qua sunt necessaria 
ad perfectam hominis vitam , qua consistit in 
perfecta hominis operatione; sed quædam pos- 
Bunt superaddi, non quasi necessaria ad per- 
fectam operationem , ut sine quibus esse non 
possit , sed quia his additis est bealitudo cla- 
rior. Unde pertinet ad bene esse beatitudinis, 
et ad decentiam quamdam ipsius ; sicut et fe- 
licitas politica ornatur nobilitate, et corporis 
pulchritudine, et hujusmodi , sine quibus ta- 
men esse potest, ut patel in 1l. EtAic., cap. 9, 
vel 43. Et hoc modo se habet aureoía ad 
beatitudinem patrie. 


Ad secundum dicendum, quèd ille qui ser- 
vat consilia et precepta, semper magis me- 
retur quàm ille qui servat precepta tantüm, 
secundüm quod ratio meriti consideratur in 
oprribus ex ipso gehere operum, non autem 
semper secundüm quod ratio meriti pensatur 
ex radice charitatis; cüm quandoque ex majori 
charitate aliquis servet precepta tantüm, quàm 
aliquis precepta et consilia. Sed ut pluries ac- 
cidit à contrario ; quia « probatio dilectionis 
exhibitio est operis, » ut Gregorius dicit 
Homil. XXX, in Evang (1). Non ergo ipsum 
essentiale premium «magis intensum , dicitur 
awreolu , sed 1! quod premio essentiali su- 
peradditur indifferenter, sive sit majus præ- 
mium essentiale babentis aureolam , sive mi- 
nus, sivo æquale premio essentisli non ba- 
bentis, 


(1) Super illud Joan., XIV : Si quis diligit me, sermonem meum servabit, ete 


ulli... 


| DES AURÉOLES. 219 

8 La charité, sans doute, est le premier principe du mérite, mais 
_notre acte en est comme l'instrument. Or, pour obtenir un effet, il ne 
faut pas seulement que le premier moteur soit bien disposé, il faut que 
l'instrument le soit aussi. Et de là vient qu'on peut distinguer dans un 
effet obtenu la part du premier moteur, qui est la principale, et la part de 
l'instrument, qui n'est que secondaire. Voilà pourquoi nous disons que, 
dans la récompense, il y a quelque chose qui provient de la charité, c'est 
la couronne, et quelque chose qui provient du genre de l’œuvre, c'est 
l'auréole. 

k* Tous les anges sans distinction ont mérité leur béatitude par un 
acte du même genre, c'est-à-dire en s'attachant indissolublement à Dieu; 
et c'est pour cela qu'il n'existe parmi eux aucune récompense spéciale et 
qui d'une certaine façon ne se trouve chez tous. Les hommes, au con- 
traire, méritent leur béatitude par divers genres d'actes; il n'y a donc 
pas là de parité. Dans un sens, néanmoins, ce qui parait être un privilége 
spécial chez quelques-uns des élus, on peut le regarder comme étant 
commun à tous; la charité parfaite dont ils sont tous animés fait que 
chacun considère comme sien le bien des autres. Mais la joie qu'ils res- ' 
sentent d'un tel bien ne sauroit ètre nommée auréole ; car une telle joie 
n'est pas la récompense d’une victoire personnelle, elle résulte d'une vic- 
toire remportée par autrui, et la couronne est donnée au vainqueur lui- 
méme, non à celui qui prend part à la joie de sa victoire. 

5° L'excellence du mérite qui provient de la charité est supérieure à 
celle du mérite qui s'attache au genre de l’œuvre accomplie; tout comme 
la fin, que la charité a principalement pour objet, est supérieure aux 
moyens, qui sont l'objet propre de nos actes. Voilà pourquoi la récom- 


facué de l'homme , Comme nous venons de le rappeler dans l’une des dernières notes. Et 


celle opéretion, comme nous l'avons dit aussi, est la vision claire et directe de la suprême 


beauté. 


-_— 


Ad tertium dicendum , quód charitas est 
primum principium merendi , sed actus noster 
est quasi instrumentum quo meremur. Ad 
effectum autem consequendum non solüm re- 
quiritur debita dispositio in primo movente, 
sed etiam recta dispositio in instrumento. Et 
ideo in effectu aliquid consequitur ex parte 
primi principii, quod est principale, et aliquid 
ex parie instrumenti, quod est secundarium. 
Unde et in premio aliquid est ex parte cha- 
ritatis, scilicet awrea; et aliquid ex genere 
operationis , scilicet aureola. 

Ad quartum dicendum, quód angeli omnos 
eodem genere actûs suam bestitudinem me- 
merunt, scilicet in hoc quod sunt conversi ad 
Deum; et ideo nullum singulare premium in- 
venitur in uno, quod alius nop habeet aliquo 


ee —— m 77977 


modo. Homines autem diversis generibus ac- 
tuum beatitudinem merentur; et ideo non est 
simile. Tamen illud quod unus videtur specia- 
liter habere inter homines, quodammodo omnes 
communiter habent; in quantum scilicet per 
charitatem perfectam unusquisque bonum al- 
terius suuin reputat. Non tamen hoc gaudium 
quo unus alteri congaudet, potest aureola no- 
minari; quia non datur in premium victori? 
ejus, sed magis respicit victoriam alienam , 
corona autem ipsis vietoribus redditur, non 
victoriæ congaudentibus. 

Ad quintum dicendum, quód major est ex- 
cellentia meriti quæ consurgit ex charitate, 
quàm illa que consurgit ex genere actüs; sicut 
finis , ad quem ordinat charitas , est potior bis 
que sunt ad finem, circa qua actus noslri 


220 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 2. . 


pense, qui répond au mérite en tant qu'il provient de la charité, quelque 
petite qu'elle soit, l'emporte sur une récompense quelconque donnée à 
raison du genre méme de l’œuvre; et c'est pour cela que le diminutif 
convient à l'auréole eu égard à la couronne d'or (4). 


ARTICLE II. 
L'auréole diffère-t-elle du fruit? 


Il paroit que l'auréole ne diffère pas du fruit. 1» Au même mérite ne 
sont pas dues diverses récompenses. Or c'est au méme mérite, c'est-à-dire 
à la virginité, que l'auréole et le fruit sont attribués, comme on le voit 
dans la Glose, Matth., XIII. Donc l'auréole est la méme chose que le 
fruit. 

2» Saint Augustin dit, De virgin., cap. &5 : « Le fruit cent pour cent 
est dá aux martyrs. » La méme récompense est due aux vierges. Le fruit 
est donc une récompense commune aux vierges et aux martyrs. Or les uns 
et les autres ont également droit à l'auréole. Donc l'auréole est la méme 
chose que le fruit. . 

3° La céleste béatitude ne comprend que deux récompenses, la récom- 
pense essentielle et la récompense accidentelle , celle-ci s'ajoutant à celle- 
là. Mais la récompense surajoutée à la récompense essentielle se nomme 
auréole; et cela résulte clairement de ce qui est dit, Ezod., XXV, où 
l'auréole nous est montrée se superposant à la couronne d'or. Or le fruit 
n'est pas la récompense essentielle ; car alors il seroit dà à tous les bien- 
heureux. Donc il est la méme chose que l'auréole. 

(1) Telle est, à n'en pas douter, la véritable étymologie du mot auréole. Ce mot se trouve 
dans Varron, De re rustica, TIT, 9; et le sens que cet auteur lui donne , quoiqu'un peu .diffé- 
rent de celui qui lui est assigné par saint Thomas, le justifie et le confirme. C'est à tort que 
quelques théologiens, en petit nombre, ont voulu y voir le mot laureola, diminutif de laurea. 


Cicéron l'emploie Epist. I1, 10; il est latin sans doute; mais ce n'est pas évidemment celui 
qui rend la pensée présente. ‘ 


me ———— 





consistunt. Unde etiam praemium respondens 
merito ratione charitatis, quantumcumque sit 
parvum, est majus quolibet premio respondente 
actui ratione sui generis. Et ideo aureola di- 
minutivé dicitur respectu aurec. 


ARTICULUS II. 
Utrüm aureola differat à fructu. 


Àd secundum sic proceditur. Videtur quód 
aureola non differat à fructu. Eidem enim me- 
rito non debentur diversa premia. Sed eidem 
merito respoudet aureo/a et fructus centesi- 
mus, scilicet virginitati, ut patet m Glossa. 
Matth., XI. Ergo avreola est idem quod 
fr*ctus 


9. Preterea, Augustinus in libro De Virgi- 
nilate, cap. 45, dicit quód « centesimus fruc- 
tus debetur martyribus. » Et idem debetur 
Virginibus. Ergo fructus est quoddam præ- 
mium commune virginibus et martyribus. Sed 
eisdem etiam debetur aureola. Ergo aureola 
est idem quod fructus. 

3. Preterea , in beatitudine non invenitur 
nisi duplex premium; scilicet essentiale, et 
accidentale, quod esseptiali superadditur. Sed 
premium essentiali superadditum dicitur au- 
reola; quod patet ex hoc quód Ezod., XXV, 
aureola coronæ aures superponi dicitur. Sed 
fructus non est premium essentiale, quia sic 
deberetur onibus beatis. Ergo est idem quod 
aureola. 


DES AURÉOLES. 991 


Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Les choses qui ne se divisent 
pas de la méme manière, n'ont pas la même raison formelle. Or la méme 
division ne s'applique pas au fruit et à l'auréole : celle-ci se divise en 
auréole des vierges, auréole des martyrs, auréole des docteurs; et celui-là 
se divise par les états divers du mariage, de la viduité et de la virginité. 
Donc l'auréole et le fruit ne sont pas la méme chose. 

Si l'auréole et le fruit étoient la méme chose, quiconque auroit droit à 
telui-ci, auroit par là méme droit à celle-là. Or éviderament cela n'est 
pas, puisque le fruit est dà à la viduité, et non l'auréole. Donc l'auréole 
et le fruit ne sont pas la méme chose. 

(CoxcLusioN, — Par fruit on entend ici une joie puisée dans la disposi- 
tion méme du sujet qui opère, et par auréole, la joie qui résulte de la 
perfection des œuvres; dés-lors le fruit n'est pas la méme chose que 
l'auréole. ) 

Les expressions métaphysiques sont prises dans des sens divers, selon 
les diverses propriétés saisies dans l'objet auquel on les emprunte. Or, 
comme le fruit proprement dit s'entend des choses corporelles que la terre 
produit, quand on le prend dans un sens spirituel on l'entend selon les 
diverses conditions qu'on peut envisager dans ces fruits matériels. D'une 
part, le fruit posséde une douceur qui a la propriété de ranimer et de 
fortifier l'homme dont il devient la nourriture ; d'autre part, le fruit est 
la dernière chose à laquelle tend et aboutit l'opération de la nature; en- . 
fin, il est l'objet que l'agriculture attend de la semence confiée à la terre, 
et de toutes les autres phases qu'elle suit. Quand on le prend donc dans 
. le sens spirituel, le fruit signifie quelquefois ce qui ranime et repose 
comme la dernière fin. C'est ainsi qu'on dit que nous jouissons de Dieu, 
«en latin fruit, d’où le mot fructus,» imparfaitement dans cette vie, par- 
faitement dans la patrie céleste, Ainsi s'entend la jouissance du bonheur 
spirituel, jouissance qui est en méme temps comptée au nombre des dots; 





Sed contra : quecumque non sunte jusdem 
divisionis, non sunt etiam ejusdem rationis. 
Sed fructus et aureola non similiter dividun- 
tur; quia aureola dividitur in aureolam virgi- 
num, martyrum et doctorum ; fructus autem 
in fructum conjugatorum, viduarum, et virgi- 
num. Ergo fructus et aureola non sunt idem. 

Preterea, si fructus et aureola essent 
idem, cuicumque deberetur fructus, deberetur 
et aureola. Hoc autem patet esse falsum, quia 
fructus debetur viduitati , non autem au- 
reola. Ergo, etc. 

(CoxcLusio. —Cùm fructus hoc loco con» 
sistat in gaudio habito de dispositione ipsius 
operantis, et aureola in gaudio perfectionis 
eperum, non est idein fructus quod aureola.) 

Respondeo dicendum , quüd ea que meta- 


phoricé dicuntur, possunt varié accipi secun- 
düm adaptationes ad diversas proprietates ejus 
unde fit transmutatio, Cii autem fructus pro-. 
priè in rebus corporalibus dicatur de terra 
nascentibus , secundèm diversas conditiones 
qui in fructibus corporalibus inveniri possunt, 
diversimodé fructus spiritualiter accipitur. 
Fructus enim corporalis dulcedinem habet, qui 
reficit secundüm quod in usum hominis venit ; 
est eliam ultimum ad quod operatio nature 
pervenit ; est etiam id quod ex agricultura ex- 
pectatur per seminationem vel quoscumque 
alios modos. Quandoque igitur fructus spiri- 
tualiter accipitur pro eo quod reticit quasi ul 

timus finis. Et secundüm hanc significationem 
dicimur Deo frui, perfect? quidem in patria 

imperfecte antem in via. Et ex hac significa 


992 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 9. 


telle n'est pas la signification que nous attachons maintenant au mot fruit. ‘ 
Parfois on l'entend aussi, toujours dans le sens spirituel, pour une chose 
qui ranime et repose seulement, mais non comme le fait la dernière fin. 
Et de la sorte les vertus elles-mémes sont appelées des fruits; car « elles 
raniment notre ame par une pure et céleste douceur, » comme s'exprime 
saint Ambroise. Voilà comment doit ètre entendue cette parole de l'Apótre, 
Galat., VI, 92: « Les fruits de l'esprit sont la charité, la joie... » Co n'est 
pas dans ce sens non plus que nous entendons ici les fruits; car nous en 
avons parlé plus baut (1). Le fruit spirituel, dans son analogie avec le 
fruit corporel, peut s'entendre encore d'une autre manière, en tant que ce 
dernier représente un bien, un avantage, qu’on se promet du travail de 
l'agriculture ; et le fruit alors n'est autre chose que la:récompense acquise 
par les travaux que nous accomplissons durant le cours de la vie présente. 
. Toute récompense que nos labeurs actuels nous préparent pour l'avenir, 
est de la sorte appelée fruit. Ainsi parle saint Paul quand il dit, Rom., 
VI, 92: «Le fruit que vous obtenez, c’est votre sanctification, et vous 
aurez pour fin la vie éternelle. » Nous ne parlons pas non plus du fruit en 
ce sens. Nous l'entendons seulement ici comme le résultat de la semence 
confiée à la terre. Et c'est ainsique l'entend le Seigneur lui-méme, quand 
il dit, Matth., XIII, que la semence rapporte a trente, soixante, cent 
pour un. » Le fruit ainsi compris provient de la semence, en ce que la 
vertu que la semence renferme a la propriété de convertir en sa propre 
nature les sucs de la terre ; et plus eette vertu est efficace et la terre bien 


(1) T1 a été traité du fruit, d'une manière spéciale et directe, dans la premiére partie de 
la seconde, quest. LXX. L'étymologie du mot, telle que nous la voyons reparoftre dans | 
cet article, les diverses acceptions qu'il peut recevoir, les différents aspects sous lesquels on 
peut considérer le fruit, sa notion véritable et ses caractéres distinctifs avoient été là l'objet 
d'une étude catégorique et d'une discussion approfondie. Le but du doeteur angélique en cet 
endroit étoit de commenter le texte de l'Apótre qui vient d'être cité; il nous a montré la 
raison doctrinale ou théologique de l'énumération donnée par saint Paul. Ici l'auteur se pro- 
pose surtout, comme on le verra dans la suite de cette thése et dans les deux suivantes, 
d'expliquer ia parole du Sauveur, «uand il expose à ses disciples les trois sortes de fruits 
que ta bonne semence, ou la parole de Dieu, produit dans une terre bien préparée. Ailleurs 





tione accipitur fruitio, que est dos. Sic au- 
tem nunc de fructibus non loquimur. Quaudo- 
que autem sumitur fructus spiritnaliter pro 
eo quod reficit tantüm, quamvis non sit ulti- 
mus finis, Et sie virtutes fructus dicuntur, in 
quantum « mentem sincera dulcedine refl- 
ciunt , » ut Ambrosius dicit. Et sic accipitur 
fructus, Galat., V : « Fructus autem Spiritus 
charitas, gaudium, etc. » Sic autem de fruc- 
fibus nunc etiam non loquimur; de hoc enim 
diclum est. Potest autem alio modo sumi fruc- 
tus spiritualis, ad similitudinem corporalis, in 
quantum corporalis fructus est quoddam com- 
modem quod er labore agriculture expectatur; 
Wb sic fructus dicatur illud premium quod 


homo consequitur ex labore quo in hac vita 
laborat. Et sic omne premium quod in futuro 
habebitur ex nostris laboribus fructus dicitur. 
Et sic accipitur fructus ad Rom., VI: « Ha- 
betis fructam vestrum in sanclificationem, 
finem veró vitam ælernam. » Sic etiam nos 
nunc de fructa non agimms; sed agimus de 
fructu secundüm quod ex semime consargit. 
Sic enim de fructu Dominus loquitur, MattA., 
XIII, ubi fructum dividit in «a tricesimum, sexa- 
gesimum, et centesimum. » Fructus autem se- 
cundüm hoc potest prodire ex semine, qubd 
vis sementina est efücar ad convertendum hu- 
meres terre in suam nalurams et quanto hac 
virtus est efficacior ot terra ad boc paralior, 


DES AURÉOLES. 993 


préparée, plus est abondant le fruit qui en provient. Or la semence spi- 
rituelle jetée en nous, c'est la parole de Dieu, selon que l'explique notre 
divin Maitre, Luc, VIII. Plus donc un homme devient spirituel, avance 
dans la spiritualité, en se dégageant du corps et de la matiére, plus est 
grand en lui le fruit donné par la parole. Cela posé, nous voyons com- 
ment le fruit diffère de la couronne et de l'auréole. La couronne, c'est la 
joie qui nous vient de la possession de Dieu ; l'auréole, c'est la joie qui 
résulte de la perfection des œuvres; et le fruit, c’est la joie qui naît des 
dispositions mêmes de celui qui accomplit les œuvres, selon le degré de 
spiritualité où il est parvenu sous l'influence active et fécondante de la 
parole de Dieu. Certains docteurs néanmoins distinguent l'auréole du 
fruit, dela manière suivante : l'auréole est due à celui qui combat, selon 
cette parole de l’Apôtre, II. Timoth., II, 15 : « Ne sera couronné que 
celui qui aura légitimement combattu. » Et le fruit est dû à celui qui tra- 
vaille, selon cette expression du Sage, Sapient., IIT, 45 : « Les bons tra- 
vaux donnent un fruit glorieux. » D'autres encore disent que la couronne 
proprement dite représente l'élévation d'une ame qui s'attache à Dieu ; et 
que l'auréole et le fruit marquent un rapport avec la fin, mais de telle 
Sorte que le fruit regarde principalement la volonté, et que l'auréole en- 
visage plus spécialement le corps. Mais comme le travail et le combat 
n'ont qu'un seul et méme objet, considéré sous le méme rapport, et 
comme en outre la récompense du corps dépend de la récompense de 
l'ame, il n'y auroit entre le fruit, la couronne et l'auréole, selon l’ex- 
plication qui vient d'étre donnée , qu'une simple différence de raison. Et 
cela ne sauroit étre, puisque le fruit est assigné à certaines catégories de 
saints, à qui n'est pas assignée l'auréole. 

les fruits ont été spécialement distingués des béatitudes, avec lesquelles ils ont plus d'un rap- 


port. Nous voyons maintenant en quoi le fruit différe de l'auréole; ce qu'il importoit égale- 
ment de bien établir, à raison des analogies qui existent entre ces deux choses. 





tantd fructus sequitur uberior, Spirituale aue 
tem semen quod in nobis seminatur, est ver- 
bum Dei (sicot explicat Christus Luc., VIII.) 
Unde quant aliquis magis in spiritualitatem 
convertitur à carne recedens , tant) est in eo 
major fructus verbi. Secundüm hoc igitur , 
fructus differt ab aurea et ab aureola ; quia 
œurea consistit in gaudio quod babetur de Deo; 
aureola verb in gaudio quod habetur de ope- 
Tum perfectione ; sed fructus in gaudio quod 
babetur de ipsa dispositione operantis secun- 
dim gradum spiritualitatis, in quem proficit ex 
semine Verbi Dei. Quidam tamen distinguunt 
inter. aureolam -et fructum, dicentes quód 
Gureola debetur pugnanti , secundüm illud IL 


ad Tim., Il : « Non coronabitur, nisi qui le- 
gitimè certaverit ; » fructus autem, laboranti, 
secundüm illud quod dicitur Sap., II : « Bo- 
norum laborum gloriosus est fructus, » Ali 
veró dicunt quód aurea respicit conversionem 
ad Deum (1); sed aureola et fructus consis- 
tunt io bis qua sunt ad finem, ita tamen quód 
fructus principaliàg respicit voluntatem , au- 
reola autem magis corpus. Sed cüm in eod-m 
ait labor et pugna secundüm idem, et premium 
corporis ex præmioanimæ dependeat, secundüm 
predicta non esset differentia inter fructum, 
auream et aureolam, nisi ratione tantàm. Et 
hoc non potest esse, cüm quibusdam assignetur 
fructus, quibus non assignatur aureola. 


(2) Id est intentionem que in Deum sicut in finem se convertit agendo , quia propter ejus 
amerem solum agit, DoD prout eoncereíe recessum à peccato importat, càm justorum sit po» 


024 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 2, 


Je réponds aux arguments : 1° 1] ne répugne nullement qu'au même mé- 
rite, selon les divers éléments qu'il renferme, répondent des récompenses 
diverses. Voilà pourquoi la virginité a droit à la couronne d’abord, en 
tant que la virginité est un don fait à Dieu sous l'empire de la charité; 
à l'auréole ensuite , en tant que la virginité est une œuvre de perfection 
réunissant tous les caractéres d'une victoire éminente et divine; puis en- 
core au fruit, en tant que par cette vertu l'homme se dégage de la chair 
et passe à une sorte de vie spirituelle. 

2 Le fruit pris dans son acception propre, tel que nous le considérons 
maintenant, ne représente pas l'idée d'une récompense commune au 
martyre et à la virginité, mais bien d'une chose qui correspond aux trois 
degrés de continence. En attribuant aux martyrs le fruit cent pour un, 
la Glose citée prend le fruit dans un sens large et comme l'expression 
d'une récompense quelconque (1) ; le fruit cent pour un exprime ainsi 
toute rémunération accordée aux œuvres de perfection. 

3° L'auréole est, sans doute, une sorte de récompense accidentelle sur- 
ajoutée à la récompense essentielle ; mais toute récompense accidentelle 
n'est pas l'auréole. C'est ici une récompense accordée aux œuvres de per- 
fection, par lesquelles l'homme se rend éminemment conforme au Christ, 
en remportant cette victoire supérieure dont nous avons déjà parlé. On peut 
donc admettre que le renoncement à la vie charnelle mérite quelquefois 
une autre récompense accidentelle que l'on désigne sous le nom de fruit. 

(1) Cette Glose est tirée de saint Augustin, comme on l'a vu dans l'objection. Et ce qui 
prouve d'une maniére évidente que tel est le sens dans lequel il faut l'entendre, c'est que le 
grand évêque d'Hyppone, dans ce même traité de la Virginité, cité contre la thèse, s'ex- 
prime aiusi : « Est-ce la vie virginale qui donne droit au fruit cent pour un ; n'est-ce pas au 
martyre plutôt qu'un tel fruit doit être attribué ; ou bien ne seroit-ce pas encore à la virgi- 


nité et au martyre réunis ?... » Le savant docteur l'ignore. Son opinion n'a donc rien qui 
précise le sens de l'expression débattue. 





Ad primum ergo dicendum , quód non est 
inconveniens, eidem merito secundüm diversa 
quæ in ipso sunt, diversa premia respond:re. 
Unde et virginitati respondet aurea, secundüm 
quod propter Deum servatur imperio charita- 
tis; aureola verb, secundüm quod est quoddam 
perfectionis opus habens rationem victoris cu- 
jusdam excellentis; fructus verd, secundüm 
quod per virginitatem homo in quamdam spi- 
ritualitatem transit, à carnalitate recedens. 

Ad secundum dicendum , quód fructus se- 
cundüm propnam acceplionem , prout nunc 
loquimur, non dicit premium commune mar- 
tyrio et virginitati, sed tribus continentis gra- 
. dibus. Glossa autem illa qui: pouit fructum 


centesimum martyribus respondere, largé acci- 
pit fructus, secundüm quód quelibet remune- 
ratio dicitur fructus , ut sic per centesimum 
fructum remuneratio designelur quæ quibusli« 
bet operibus perfeclionis debetur. 

Ad tertium dicendum, quód quamvis aureola 
sit quoddam accidentale premium essentiali 
supéradditum, non tamen omne accidentale 
premium est aureola , sed premium de ope- 
ribus perfectionis, quibus homo maximé Christo 
conformatur secundüm perfectam victoriam. 
Unde non est inconveniens quód abstractioni 
à carnali vita aliquando aliud accidentale præ- 
inium debeatur, quod fructus dicitur. 


tissimüm ut banc auream per opera conversionem illam subsequentia mereantur, in éensu bic 


intento. 


DES AURÉOLES. 


ARTICLE IIl. 


Le fruit est-il uniquement dd à la vertu de continence? 


Il paroit que le fruit n'est pas uniquement dà à la vertu de continence. 
1* Sur cette parole de saint Paul, I. Corinfh., XV : « Autre est la clarté 
du soleil,..... » la Glose dit : « A la clarté du soleil est comparée la di- 
gnité de ceux qui ont produit le fruit cent pour un ; à celle de la lune, la 
dignité de ceux qui ont donné soixante ; et les étoiles représentent ceux 
qui n'ont donné que trente. » Mais cette diversité de clarté, dans la 
pensée de l'Apótre, se rapporte à tous les divers degrés de béatitude. Donc 
ce n'est pas à la seule vertu de continence que répondent les divers fruits. 

2% C'est de la jouissance, en latin fruitio , que vient le nom de fruit. 
Or la jouissance rentre dans la récompense essentielle, et celle-ci répond 
à toutes les vertus. Donc le fruit n'est pas dà seulement à la continence. 

3 C'est le travail qui donne droit au fruit, selon la parole du Sage, 
cilée plus haut : « Les bons travaux obtiennent un fruit glorieux.» Mais 
le travail est plus grand dans la vertu de force, que dans celle de tem- 
pérance, ou méme de continence. Donc ce n'est pas à cette derniére seule- 
ment que le fruit répond. 

&o Il est plus difficile de ne pas excéder la juste mesure dans l'usage 
des aliments, qui sont nécessaires à la vie, que dans les plaisirs charnels, 
sans lesquels elle peut se conserver. La tempérance implique donc un 
plus grand travail que la continence ; et dés-lors c'est à celle-là, plutôt 
qu'à celle-ci, que le fruit correspond. 

5* Le fruit ranime et soutient , a-t-il été dit; et cela se trouve princi- 
palement dans la fin. Par conséquent, les vertus théologales ayant pour 
objet la fin, c'est-à-dire Dieu méme, c'est à celles-là surtout que le fruit 
doit répondre. 





ARTICULUS Ill. 


Utrüm fructus debeatur! soli virtuti conti- 
nentia. 


Ad tertium sic proceditur. Videtur quód 
fructus non debeatur soli virtuti continentiæ. 
Quia, I. Cor., XV, super illud « alia claritas 
solis, etc., » dicit Glossa quód « claritati solis 
illorum dignitas comparatur, qui centesimum 
fructum habent; lunari autem qui sexagesimum; 
stellis veró, qui trigesimum. » Sed illa diversitas 
claritatis , secundüm intentionem Apostoli, per- 
tinet ad quamcumque beatitudinis differentiam. 
Ergo diversi fructus non debent respondere 
80li virtuti continentia. 

8. Praeterea , fructus à fruitione dicuntur. 


AY 


Sed fruitio pertinet ad premium essentiale, 
quod omnibus virtutibus respondet. Ergo , etc. 

3. Preterea, fructus labori debetur, Sap., 
III : « Bonorum laborum gloriosus est fructus. » 
Sed major est labor in fortitudine quàm in 
tetnperantia , vel in continentia. Ergo fructus 
non respondet soli continentia. 

4. Preterea, difficilius est modum non exce- 
dere in cibis, qui sunt necessarii ad vitam, 
quàm in venereis , sine quibus vita conservari 
potest; et sic major est labor parcimoniæ, quàm 
continentia. 

5. Præterea, fructus refectionem importat; 
refectio autem præcipuè est in fine. Cüm ergo 
virtutes theologicæ finem habeant pro objecto, 
scilicet ipsum Deum, videtur quód eis fructus 
maximé debeat respondere. 


15 


926 SUPPLÉMENT, QUESTION XCYI, ARTICLE J. 


Mais le contraire se trouve expressément dit dans la Glose tirée de 
saint Jérôme, Matth., XIII , puisqu'elle assigne le fruit à la virginité, à 
la viduité et à la continence conjugale, qui forment les trois parties de 
cette vertu (1). 

(CoxcLusioN. — Comme la continence délivre principalement l'homme 
de la sujétion de la chair , et comme cet affranchissement est au fond ce 
qui donne droit au fruit, c'est à cette vertu , de préférence à toute autre, 
que le fruit est dà. ) 

Le fruit est une récompense spéciale que l'homme acquiert en se dé- 
pouillant de la vie charnelle pours'élever à la vie spirituelle. Il faut donc 
que le fruit réponde principalement à la vertu qui délivre le mieux 
l'homme des entraves de la chair. C'est ce que fait la continence ; car les 
plaisirs charnels rendent surtout l'homme esclave de son corps, à tel 
point que l'usage méme-permis de ces plaisirs ne permet pas à l'esprit de 
prophétie, selon la remarque de saint Jérôme, d'effleurer le cœur des 
prophétes.(29); et le Philosophe lui-même, Efhícor., VII, 11, déclare 
que sous l'empire de tels plaisirs il est impossible de rien comprendre. 
Voilà pourquoi le fruit répond à la continence plutôt qu'à toute autre 
vertu. 

Je réponds aux arguments : 4° La Glose entend ici le fruit dans un sens 
large et comme exprimant une rémunération quelconque. 

9» L'analogie entre la jouissance et le fruit ne s'applique pas à l'aspect 

1) Telle est, en effet, la doctrine du grand Commentateur des livres saints. Voici dass 
quels termes il s'exprime : « Après avoir entendu le sens de la divine parole, il ne nous 
reste plus qu'à produire les fruits de la vérité connue. C'est à nous à donner cent pour un, ou 
bien soixante, ou bien encore trente. Nous avons expliqué tout «ela avec plus d'éiendue 
dans notre livre contre Jovinien. Il suffira maintenant de le rappeler d'une manière 
succincte : Nous attribuons lo fruit cent pour un aux vierges , soixante aux personnes qui 
demeurent dans la viduité et à celles qui vivest dans la continence , trente à celles qui gar- 
dent la pureté conjugale. » Cete division sera l'objet de l'article suivant; mais ja vérité 


que cette division implique en présuppose nécessairement une autre , c'est que la continence 
seule donne droit au fruit. Et voilà pourquoi la thèse actuelle. 


(3) Saint Jérôme exprime cette pensée, Epist. XI ad Ageruchéam. Origène l'avoit émise 
avant lui, Aomël. VI in Numer. : 





Sed contra est, quod habetur in Glossa | liberat. Hoc autem facit continentia ; quia per 
Matth., XII, que fructus assignat virgini», delectationes venereas anima præcipuè carmi 
tati, viduitati et continentis conjugali, quæ ' subditur, adeo ut in actu carnali , secundüm 
sunt continentiæ partes. | Hieronymum nec spiritus prophelis corda tan- 

(CoxcLvsio.— Cüm continentiæ virtus à suh- ; gat Prophetarum ; nec in illa delectatione est 
jectione carnis, ratione cujus vittuti fructus : possibile aliquid intelligere, ut Philosophus di- 
respondet, præcinuè hominem liberet, illi inagis | cit in VII. EtAic. Et ideo continenti magis 
quam alii virtuti debetur fructus. ) respondel fructus quàm alii virtuti. 

Respondeo dicendum, quód fructus est quod- | Ad primum ergo dicendum, quod Glossa illa 
dam premium quod debetur bomini ex hoc accipit fructum largè, secandüm quod quæli- 
quód à carnali vita in spiritualem transit. Et | bet remuneratio fructus nominatur. 
ideo illi virtuti præcipuè fructus respondet, | ^ Ad secundum dicendum, quól fruitio non 
qz hominem præcipuè à subjeclione carnis | sumitur à fructa secundüm illam similitadiace 


DES AURÉOLES. 99" 


sous lequel nous considérons maintenant le fruit, comme cela résulte 
clairement de tout ce que nous venons de dire. 

3° Le fruit, tel que nous l'entendons ici, ne répond pas au travail, conçu 
comme renfermant l'idée de fatigue , mais bien au travail comme fécon- 
dant toute bonne semence. De là vient que le mot de labeur est consacré 
par excellence aux travaux qui préparent les moissons; on dit labourer 
Ja terre, par la raison que ce travail est celui qui prépare et procure les 
fruits les plus précieux. Le fruit considéré comme dernier résultat de la 
semence, mais pris dans un sens spirituel , répond mieux à la vertu de 
continence qu'à celle de force; car les passions sur lesquelles la force 
S'exerce soumettent moins directement l'homme à la chair, que ne le 


Íont les passions comprimées et modérées par la continence. 

4* Le plaisir qui se trouve dans les aliments, quoique plus nécessaire 
à la conservation de l'individu , n'a pas le même degré de violence que 
celui qui a pour but la conservation de l'espéce ; il soumet donc beaucoup 


moins l'ame au corps. 


B^ Nous n'entendons pas ici le fruit comme principe de cette réfection 
qui se trouve dans la fin ; nous l'entendons dans on autre sens, déjà suf- 
- fisamment expliqué. Cet argument n'est donc pas concluant. 


ARTICLE IV. 


8t-il rationnel d'assigner trois sortes de fruit aux trois parties de la 
continence ? 


Il paroit qu'on ne sauroit convenablement assigner trois sortes de fruit 
aux trois parties de la continence. 4° L'Apótre, Galat., V, énumére douze 
Íruits provenant de l'esprit : «La charité, la joie, la paix,... » Donc on 


ne doit pas les réduire à trois. 


2» Par fruit on entend une récompense spéciale. Or la récompense as- 





qua nunc de fructu loquimur ; ut ex dictis patet. 

Ad tertium dicendum , quód fructus , se- 
cundüm quod nunc loquimur, non respondet 
labori ratione fatigationis, sed secundèm quod 
per laborem semina fruct'ficant. Unde et ipse 
se labores dicuntur, in quantum propter 
eas laboratur, vel labore acquiruntur. Simili- 
tudo autem fructus, secundèm quod oritur ex 
semine, magis aptatur continentie , quàm for- 
titudini; quia per passiones fortitudinis homo 
non subditor carni, sicut per passiones eirca 
ques est continentia. 

Ad quirtum dicendum, quód quamvis delec- 
tationes qua. sant in cibis, sint magis necessa- 
ri ills que sunt in venereis, non tamen sunt 
ita vehementes; unde per eas anima non ita 
subditur caiui. 


Ad quintum dicendum, quód fructus non 
sumitur hlc secundüm quod frui dicitur qui re- 
ficitur in fine; sed alio modo dicto. Et ideo 
ratio non sequitur. 


ARTICULUS IV. 


Utrüm convenienter assignentur tres fructus 
tribus continentia partibus. 

Ad quartum sic proceditur. Videtur quód 
inconvenienter assignentur tres fructus tri- 
bus continentiæ partibus. Quia Gal., V , po- 
nuntur duodecim fructus spiritus , « charitas , 
gaudium , pax, elc. » Ergo videtur quód non 
debeant poni tres tantèm. 

2. Preterea, fructus nominat aliquod præ- 
mium speciale. Sed premium quod assignatur 


938 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 4. 


signée aux vierges, aux veuves et aux personnes engagées dans les liens 
du mariage, n’est pas une récompense spéciale ; car tous les élus rentrent 
dans l'une de ces trois catégories, nul n'étant sauvé qui n'ait gardé la 
continence, et la continence elle-même n'admettant pas une autre divi- 
sion. Donc c'est à tort que les trois fruits sont assignés aux trois parties 
de cette vertu. 

3° De méme que la viduité l'emporte sur la continence conjugale , la 
virginité l'emporte sur la viduité elle-même. Or ce n'est pas de la mème 
maniere que soixante l'emporte sur trente, et cent sur soixante. ll 
n'y a pas là, d'abord, de proportion arithmétique, puisque soixante dé- 
passe trente de ce dernier nombre lui-même, et que cent dépasse soixante 
de quarante; il n'y a pas non plus de proportion géométrique, puisque 
soixante est avec trente dans le rapport de 2 à ^, et que cent est avec 
soixante dans le rapport de 5 à 3. C'est donc à tort qu'on adapte les fruits 
aux trois degrés de la continence. 

ke Ce qui est dit dans l'Ecriture sainte doit durer à jamais, comme 
l'atteste le Sauveur lui-même, Zuc., XXI, 33 : «Le ciel et la terre passe- 
ront, mais mes paroles ne passeront pas. » Or les choses instituées par 
les hommes peuvent chaque jour étre changées. Ce n'est donc pas d'aprés 
les institutions humaines qu'il faut établir l'ordre des choses exprimées 
dans les livres saints. Par conséquent aussi, la maniére dont Béde établit 
l'ordre des fruits, est dénuée de fondement, quand il dit : a Le fruit 
trente pour un est dà aux personnes mariées, parce que dans la table de 
numération ce nombre est représenté par le contact du pouce et de l'in- 
dex, que l'on fait se toucher et en quelque sorte se baiser par leurs ex- 
trémités ; et de la sorte le nombre trente représente le baiser mutuel des 
époux. Le nombre soixante est représenté par le contact de l'index avec 





virginibus , viduis et conjugatis, non.est spe- 
ciale; quia omnes salvandi continentur sub ali- 
quo horum trium; cüm nullus salvetur qui con- 
tinentiâ careat, et continentia per has tres 
sufficienter dividatur. Ergo inconvenienter tri- 
bus prædictis (res fructus assignantur. 

8. Preterea, sicut viduilas excedit conti- 
nentiam conjugalem, ita virginitas vidualem. 
Sed non simihter excedit sexagenarius trice- 
narium, et centenarius sexagenarium : neque 
secundüm arithmeticam proporüonem, quia 
sexagenarius excedit tricenarium in 30, et cen- 
Xenarius sexagenarium in 40; neque etiam 8e- 
cundüm proportionem geometricam, quia sexa- 
genarius se babet in dupla proportione ad trie 
cenarium , centenarius veró ad sexagenarium 
ip sesquilertia; quia continet totum et duas 


terlias partes ejus. Ergo inconvenienter aptan- 
tur fructus tribus continentis gradibus. 

4. Preterea, ea qua in sacra Scriptura dicun- 
tur, perpetuitatem babent, Luc., XXI: «Colum 
et teria transibunt, verba autem mea non trans- 
ibunt. » Sed ea quæ ex institutione bominum 
sunt facta, quotidie possunt mutari. Ergo ex 
institutione hominum non est accipienda ra- 
tio eorum quæ in Scriptura sacra dicuutur. Et 
sic videlur quód inconveniens sit ratio quam 
Beda assignat de istis fructibus, dicens quàd 
« fructus tricesimus , debetur conjugatis, quia 
in representaüope quæ fit in abaco (1) 80, 
significatur per contacigm pollicis et indicis 
secundèm suam summitatem; unde ibi quo- 
dammodo osculantur se, et sic tricenarius nu- 
merus significat conjugatorum oscula. Sexage- 


(1) Nihil in Beda de abaco; nec in Lue., VIII, ubi triplicem illum fructum interpretatur 
feré ut híc, nec in Sermone Dominice Sexagesimæ, ubi cadem babet qua in Lucam; nec 
in Matth., XIII, vel Marc., 1V, ubi non sic explica'. 


DES AURÉOLES. 929 


l'articulation moyenne du pouce ; et de la sorte l'index s'appuyant et pe- 
sant sur le pouce, représente assez bien l'oppression que les veuves 
souffrent dans le monde. Mais lorsque en comptant nous sommes par- 
venus au nombre cent, du cóté gauche nous passons au cóté droit ; ce qui 
fait que la virginité est représentée par le nombre cent, par la raison 
qu'elle monte à la dignité et obtient la part des anges, qui sont à droite, 
c'est-à-dire dans la gloire céleste; tandis que nous sommes à gauche, 
c’est à-dire dans les imperfections de ‘la vie présente (1). 

* (CoNcLusioN. — C'est avec raison qu'on assigne les trois fruits aux trois 
parties de la continence, trente pour un à la continence conjugale, soi- 
xante à celle des veuves, cent à celle des vierges. ) 

N'oublions pas que par la continence, vertu à laquelle le fruit est dù, 
l'homme s'éléve à une sorte de vie spirituelle, en se dépouiliant de tout 
entrainement charnel. Et de là vient que les fruits sont distirigués d’après 
les divers degrés de spiritualité produits par la continence. Or il y a une 
spiritualité nécessaire et une spiritualité de surérogation. La spiritualité 
nécessaire consiste à ce que l'esprit ne soit pas detourné de sa rectitude 
par les plaisirs charnels ; et cela a lieu lorsqu'on n'use de ces plaisirs que 
dans l'ordre rigoureux tracé par la raison. Telle est la spiritualité né- 
cessaire aux personnes mariées. La spiritualité de surérogation consiste 
à se soustraire entièrement à ces impressions charnelles, qui finiroient 
par étouffer l'esprit. Or ceci a lieu de deux manières : ou bien à l'égard 
d’un temps quelconque, passé, présent, futur, et telle est la spiritualité 

(1) Dans ce raisonnement de Béde, il faut distinguer la pensée dont il est l'expression, et 
le raisonnement lui-même. La pensée est bien réellement celle de notre auteur dans le pré- 
sent article; de telle sorte que cette citation, directement combatlue par le quatrième argu- 
ment, pose la thése méme et remplace la proposition sed contra. Quant au raisonnement, 
tout étrange qu'il peut paroître, à cause de la signification qu'il attache à certaines formules 
numériques, aujourd'hui parfaitement inconnues, non seulement dans leur symbolisme moral 
et religieux, mais encore en elles-mémes et dans leur sens littéral, il ne faudroit pas se hâter 


de le repousser comme une invention absurde ou une pure rêverie du moyen-âze. Ce seroit 
. là faire preuve d'ignorance, et d'une ignorance impardonnable quand on se mêle de pronon- 


Darius veró numerus significatür per contactum 
indicis super medium articuli pollicis ; et sic 
per hoc quod index jacet super pollicem oppri- 
mens ipsum, significat oppressionem illam 
quam vidne patiuntur in mundo. Cüm autem 
numerando ad centenarium pervenimus, ad 
desteram à leva transimus; unde per cente- 
narium virginilds designalur qua habet poriio- 
nem augelicæ dignitatis, qui sunt in dextera, 
scilicet in gloria; nos autem in sinistra, prop- 
ter imperfectionem presentis vitz. » 
(ConcLUsio.— Convenie:ter assignantur tres 
fructus tribus conlinentie partibus; conjugali 
enim continentia tricesimus, viduali sexagesi- 
qnus , virginali centesimus fructus debetur. ) 
RespouJco dicendum, quèd per continentiam, 


cui fructus respondet, homo in quamdam spi. : 
ritualitatem adducitur carnalitate abjectà. Et — 
ideo secundüm diversum modum spiritualilatis 
quem contineutia facit , diversi fructus. distin- 
guuntur. Est enim quaedam spiritualitas neces- 
saria, et quadam superabundans. Necessaria 
quidein spiritualitas est in hoc quod rectitudo 
spiritus ex delectatione carnis non pervertatur. 
Quod fit cüm aliquis secundüm rectum ordinem 
rationis utitur delectationibus carnis. Et hac 
est spiritualitas conjugatorum. Spiritua- 
litas vero superabundans, est per quam homo 
ab hujusmodi delectationibus carnis spiritum 
suffocantibus , omnino se abstrahit. Sed hoc 
contingit dupliciter : vel respectu cujuslibet 
temporis, præteriti, præsentis et futuri; et hac 


930 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 4. 


des vierges ; ou hien pour un temps limité seulement, et telle est la spiri- 
tualité des veuves. Ainsi donc, à la continence conjugale est donné ls 
fruit trente pour un, à celle des veuves soixante, à celle des vierges cent; 
et cela, pour la raison qu’en donne Bède et que nous avons citée plus 
haut. On pourroit néanmoins en donner une autre raison puisée dans la 
nature même des nombres : Le nombre trente se forme par la combinai- 
son de trois avec dix, et trois est le nombre fondamental de toate chose, 
comme il est dit, De Cœlo, I, 2, il renferme en lui une certaine perfection 
commune à tous les êtres, la perfection du principe, du milieu et de la 
fin. Voilà pourquoi ce nombre trente est convenablemént assigné aux 
personnes mariées, dont on n'exige , avec l'observation du décalogue, re- 
présentée par le nombre dix, que cette perfection ordinaire et commune 
sans laquelle on ne pourroit parvenir au salut. Le nombre six, lequel 
combiné avec dix, donne soixante, a une perfection résultant de ses par- 
ties, puisqu'elles le composent d'une maniére exacte. C'est pour cela qu'il 
correspond à la viduité, qui doit se dégager entièrement des plaisirs de 
la chair, quant à toutes les circonstances, et les circonstances font en 
quelque sorte partie de l'acte. vertueux; car la viduité s'interdit tout 
commerce charnel, sans distinction de lieux ou de personnes, et ainsi des 
autres circonstances, ce qui n'a pas lieu dans la continence conjugale. Le 
nombre cent répond parfaitement à la virginité ; car le nombre dix dont 
il résulte par la combinaison de dix avec lui-méme, est la limite des 
nombres. Pareillement , la virginité marque la dernière limite de la spi- 
ritualité , par la raison qu'il est impossible de concevoir un degré de spi- 
cer sur de semblables sujets. Ce raisonnement est d'une plus haute antiquité; i1 se trouve 
mot pour mot à peu prés dans saint Jérôme, Contra Jovinian., I, 1. 

Nous remarquerons seulement que le mot 4baco, qui figure dans le texte et que nous avons 
traduit par fable de numération , ne se trouve pas dans saint Jérôme ; et l'on peut voir 


par la note latine, qu'il ne se trouve pas non plus dans Béde, qui du reste n’a fait que re- 
produire le passage de ce grand Docteur. 





est spirilualitas virginum; vel secundèm 
aliquod tempus, et hec est spiritualitas vi- 
duarum. Servantibus ergo continentiam con- 
jugalem datur fructus trigesimus, vidualem 
.sezagesimus, virginalem centesimus , ratione 
illa quam Beda superiüs assignat. Quamvis 
possit et alia ratio agsignari ex ipsa natura nu- 
merorum : tricenarius enim numerus ex ductu 
ternarii in denarium, surgit; ternarius autem 
est numerus omnis rei, ut dicitur in I. De 
Calo et mundo (text. 9), et habet in se per- 
fectionem quamdam omnibus communem , sci- 
licet principii, medii et finis. Unde convenien- 
ter tricenarius numerus conjugatis assiguatur, 
in quibus supra observationem Decalogi , qui 
per denarium significatur, non additur aliqua 
perfectio, nisi communis, sine qua non potest 


D‘ 


esse salus. Senarius autem numerus ex cujus 
ductu in denarium sexagenarius surgit, habet 
perfectionem ex partibus, cüm constet ex om- 
nibus partibus suis simul aggregatis. Unde 
convenienter viduitati respondet, in qua inve- 
nitur perfecta abstractio à delectationibus care 
nis, quantum ad omnes circumstantias, quas 
sunt quasi partes virtuosi aciüs. Cum nulla 
enim persona et in nullo loco viduitas delec- 
tationibus carnis utitur, et sic de aliis circum- 
stantis; quod nou erat in continentia conju- 
gali. Sed centenarius convenienter respondet 
virginitati ; quia denarius, ex cujus ductu cen- 
tenarius surgit, est limes numerorum. Et si- 
militer virginitas tenet spiritualitatis limitem ; 
quia ad eam nihi] de spiritualitate adjici po- 
test. Habet enim centenarius , in quantum est 


. DES AURÉOLES. 994 
itualité qui n'y soit compris. Le nombre cent, formant un carré parfait, 
a la perfection même de la figure carrée ; et la figure carrée est parfaite en 
ce que de tous les côtés elle présente une égalité absolue, puisqu'elle a tous 
ses cótés égaux. Elle représente dono bien la virginité, qui s'offre à nout 
comme parfaitement pure dans tous les temps et sous tous les rapports. 
Je réponds aux arguments : 1° On n'entend pas là les fruits dans le 
sens où nous les entendons ici. 

2» Rien ne nous oblige à supposer que le fruit ne soit pas une récom- 
pense commune à tous les élus ; car ce n'est pas seulement la récompeu:9 
essentielle qui est commune à tous les élus, c'est aussi une certaine ré- 
compense accidentelle, comme la joie qui résulte des œuvres nécessaires 
au salut. On peut néanmoins dire , dans un autre sens, que les fruits ne 
conviennent pas à tous les élus, comme cela est évident de ceux qui ont 
passé leur vie dans l'incontinence et qui se repentent à l'heure de la 
mort; car ceux-là n'ont droit qu'à la récompense essentielle, et nullement 
aux fruits. | 

3° Les fruits se distinguent plutôt d’après les espèces et les figures des 
nombres, que d’après les quantités qu'ils représentent. Et cependant on 
pourroit encore les classer d'aprés la différence des quantités : l'homme 
marié s'abstient de toute autre que de sa femme; la veuve s'abstient sous 
ce double rapport ; et de la sorte on pourroit dire que celle-ci a deux fois 
le mérite de celui-là, tout comme soixante est le double de trente. Cent 
dépasse soixante de quarante, et ce dernier nombre est formé par la com- 
binaison de quatre avec dix ; et quatre lui-même est le premier des nom- 
bres qui représente un solide ou un cube. Cette progression a done un 
certain rapport avec la virginité , par la raison que celle-ci ajoute l'idée 
de stabilité et de perpétuité à la continence (1). 


(1) Ces spéculations sur les nombres et les figures, comme on vient deles voir encore plus 





numerus quadratus, perfectionem ex figura. 
Figura enim quadrata secandèm hoe perfecta 
est, quód ex omni parte aequalitatem habet, 
utpote habens omnia latera æqualia. Unde com- 
petit virginitati, in qua, quantum ad omne 
tempus, equaliter incorruptio invenitur. 

Ad primum ergo dicendum, quàd ibi fructus 
non accipinntur hoc modo sicat de eisloqui- 
. mur (t). 

Ad secusdum dicendum , qubd nihil cogit ad 
ponendum fructum esse premium non om- 
nibus salvandis commune; non solàm enim 
essentiale premium commune est omnibus , aed 
eliam aliquod accidentale , sicut. gaudium de 
operibus illis sine quibus pon est salus. Potest 
famen dici quód fructus non ommibus conve- 
niunt salvaudis, sicut patet de bis qui in fine pœ- 


nitent, et incontinenter vixerunt ; eis eaim non 
debetur fructus, aed essentiale praemium tantüm, 

Ad tertium dicendum, quód distinctio frue- 
tuum magis accipitur secandàm species et figue 
ras numerorum, quàm secundüm quantitates 
ipsorum. Tamen etiam quantum ad quantitatis 
excessum potest aliqua ratio assignari : conju- 
gatos enim abstinet tantüm à nom swa; vidua 
verd à suo et non suo; et sic iavenitur ibi quæ- 
dam ratio dupli, sicul sexagenarius est dupius 
ad tricenarium. Centenarius veró supra se1a- 
genarium addit quadragenarium , qui conaurgit 
ex ductu quaternarii in demarium. Qwaterma- 
nus awlem est primus numerus solides et cu- 
bicus. Et sic convenit talis additio virginitati 
quæ supra perfeetionem viduitatis perpetuam 
incorruptionem adjangit. 


(1) Quippe accipiuntur ibi tantàm prout opera virtutum sunt, e$ mentem quedam interisei 


232 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 5 


4° Quoique cette manière de représenter les nombres soit d'institution 
humaine, elle est néanmoins fondée d'une certaine façon sur la nature 
méme des choses, puisque les mouvements et les figures dont il a été 
question représentent les nombres d'une manière progressive et naturelle. 


ARTICLE V. ) 
La virginité donne-t-elle droit à l'auréole? 


Il paroit que la virginité ne donne pas droit à l'auréole. {° Plus est 
grande la difficulté de l'euvre, plus doit l'étre aussi la récompense. Or 
les veuves ont plus de difficulté que les vierges à s'abstenir des plaisirs 
charnels ; saint Jérôme dit; « Plus certaines personnes ont de peine à 
résister aux attraits dela volupté, plus leur récompense sera grande ; » et 
il parle en cet endroit à la louange des veuves. Le Philosophe lui-méme, 
De Hist. Animol., VII, 1, observe que la corruption, une fois qu'elle a 
commencé, exerce sur l'ame et le corps une plus fatale influence. Donc 
lauréole, qui est la plus belle des récompenses, doit ètre donnée aux 
veuves plutót qu'aux vierges. 

2o» Si la virginité donnoit droit à l’auréole, là où seroit la virginité la 
plus parfaite , seroit aussi la plus belle auréole. Or c'est dans Marie que 
se trouve la virginité la plus parfaite, puisqu'elle est nommée vierge des 
vierges ; et néanmoins l'auréole ne lui est pas due, par la raison qu'elle 
n'a eu aucune lutte à soutenir, le foyer de la corruption n'existant pas 
méme en elle. Donc l'auréole n'est pas dà à la virginité. 
développées dans le corps de l'article, n'ont rien qui puisse étonner un lecteur assidu de la 


Somme et des autres productions importantes du méme temps. Nous en avons assez fré- 
quémment rencontré de semblables sous la plume de notre saint Docteur. C'est là comme un 





Ad quartum dicendum , quód quamvis illa 
represenlatio numerorum sit ex humana in- 
stitutione, tamen fundatur aliquo modo super 
rerum naturam, in quantum secundüm ordinem 
dictorum articulorun et contractuum numeri 
gradatim designantur. 


ARTICULUS V. 


Utrüm aureola debeatur ratione virginitatis. 


Ad quintum sic proceditur. Videtur quèd ra- 
tione virginitatis non debeatur aureola. Ubi est 
enim major difücultas in opere, i^i debetur 
majus praemium. Sed majorem difticultalem 
patiuntur in abstinendo à delectationibus car- 
nis, vidue quàm virgines; dicit euim Hiero- 


parte quorumdam à voluptatis illecebris absti- 
nere, tant majus est premium ; » et loquilar 
in commendationem viduarum (1). Philosophus 
etiam dicit in lib. De animalibus, quód « ju- 
venes corrupta magis appetunt coitum propter 
remorationem delectationis. » Ergo aureola, 
quie est maximum premium, debetur magis 
viduis quam virginibus. 

2. Præterea, si virginitati deberetur aureola, 
ubi esset perfectissima virginitas , maximè in- 
veniretur aureola. Sed in beata Virgine est 
perfectissima virginitas; unde et Virgo vir- 
ginum nominatur; et tamen ei non debetue 
aureola , quia nullam pugnam Gustinvit in con» 
tinendo, cüm corruptione fomitis non: fuerit 


nymus quód « quantó major est difficultas ex | infestata. Ergo virginitali aureola non debetur, 


suavitate reficiunt; hlc autem prout eom ad quemdam spiritualitatis gradum etiam ultra iilud 


elevant quod est necessarium ad salutem. 


(1) Velut ex epistola ejus ad Geruntiam de monogamia editiones ali notant, pro que sal-! 


tem Ageruchiam notare debuerun:., 


um." 


DES AURÉOLES. 933 


3° Une chose qui n'est pas louable dans tous les temps, n'a pas droit à 
la récompense la plus éminente. Or, dans l'état d'innocence, il n’eût pas 
élé louable de garder la virginité, à raison du précepte fait aux hommes : 
« Croissez et vous multipliez, et remplissez la terre. » Elle n'étoit pas méme 
louable dans le temps de la Loi écrite, puisque une sorte de malédiction 
pesoit sur les femmes stériles. Donc l'auréole n'est pas due à la virginité. 

4° La virginité perdue ne sauroit avoir droit à la méme récompense 
que la virginité conservée. Or il peut arriver qu'on ait droit à l'auréole, 
aprés avoir méme perdu la virginité ; c'est ce qui a lieu quand une vierge 
est livrée à la prostitution par les tyrans, parce qu'elle confesse le Christ. 
Donc l'auréole n'est pas due à la virginité. 

5° Une récompense éminente n'est pas due à une chose inhérente à 
notre nature humaine. Or la virginité est l'apanage naturel de tout 
homme, bon ou mauvais. Donc la virginité ne donne pas droit à l'auréole. 

6° Le rapport qui existe entre la viduité et le fruit soixante pour un, 
existe entre la virginité et le fruit cent pour un , plus l'auréole. Or ce 
n'est pas toutes les veuves indistinctement qui ont droit au fruit soixante 
pour un, mais celles seulement qui ont fait vœu de demeurer dans cet 
état, au sentiment de quelques docteurs. Donc ce n'est pas non plus à 
une virginité quelconque que l'auréole est due, elle n'est due qu'à la vir- 
ginité qui a été l'objet d'un veu. 

7° La nécessité ne donne droit à aucune récompense, puisque tout mé- 
rite git dans la volonté. Or il y a des personnes nécessairement vierges, 
par nature ou par accident. Donc la virginité n'a pas toujours droit à 
l'auréole. 


Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Sur cette parole, Exod., XXV : 


héritage que la science du moyen-áge avoit recu des antiques philosophies. Quelle qu'en soit 
33 valeur intrinsèque, elles servent àéclairer l'histoire de l'esprit humain. 





3. Prete.ea, ei quod non est secundüm ! nitas innascitur cuilibet homini et bono et 
omne tempus laudabile, non debetur premium | malo. Ergo virginitati aureola non debetur. 
excellens. Sed virginitatem aervare, in statu | 6. Preterea, sicut se habet viduitas ad fruc- 
innocentie non fuisset laudabile; cüm tunc | tum sexagesimum, ita virginitas ad fructum 
praeceptum esset, « crescile et multiplicamini, | centesimum, et ad aureolam. Sed non cui- 
et replete terram; » nec etiam tempore legis, | libet vidue debetur fructus sezagesimus, sed 
cüm steriles erant maledictæ. Ergo virginitati  solüm viduitatem voventi, ut quidam dicunt, 
aureola non debetur. Ergo videtur quód nec cuilibet virginitali au- 

4. Præterea, non debetur idem praemium | reo/a debeatur, sed solüm virginitati ex voto 
virginilati servate et virginitati amissa. Sed | servata. 
pro virginitate amissa quamque debetur au-, 7. Preterea, premium non respondet ne- 
reola, ut si aliqua invita prostituatur à ty- | cessitati, cüm omne meritum in voluntate 
ranno, quia Christum confitetur (1). Ergo vir- | consistat. Sed quidam sunt virgines ex neces- 
ginitati aureola non debetur. sitate, ut naturaliter frigidi, et eunuchi. Ergo 

5. Preterea, excellens premium non de-| virginitati non semper debetur aureola. 
betur ei quod inest nobis à natura. Sed virgi-j — Sed contra est, quod babetur Exod., XXV: 


(1) Quod passim in dedecus et infamiam religionis cbiistiane tentatom à tyrannis, patei 
exemplo tum Agnetis, 31 Januarii, tum Serapis, 9 Septembris, tum Lucie , 13 Decembris. 


234 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE D: P 


« Tu feras une autre couronne en forme d'auréole, » la Glose dit : « Ceux 
qui porteront cette couronne chanteront le cantique nouveau, celui que 
les vierges font toujours entendre en présence de l'Agneau. On sait que 
les vierges accompagnent l'Agneau partout où il va. » C'est donc à bon 
droit que la récompense décernée à la virginité , est nommée auréole. 

Suf cette autre parole , Zsa., LVI : « Voici ce que le Seigneur dit aux 
eunuques :... Je vous donnerai un nom supérieur à celui qui vient des 
fils et des filles, » la Glose ajoute : « Dieu leur promet par là une gloire 
spéciale et éminente. » Or, par ce nom d’eunuques, il faut entendre les 
vierges, qui ont renoncé à tout plaisir charnel pour le royaume des 
cieux. Donc la virginité a droit à une récompense à part, et cette récom- 
pense se nomme auréole. | 

(Conczusion. — La virginité nous faisant remporter sur la chair une 

“victoire toute particulière, c'est à bon droit que l'auréole est assignée aux 
vierges qui ont résolu de garder la chasteté perpétuelle. ) 

Où se trouve une victoire à part, une victoire éminente, là doit être 
accordée aussi une couronne spéciale. La virginité ayant donc pour objet 
de nous faire remporter une telle victoire sur la chair, contre laquelle 
nous sommes perpétuellement en guerre, d'aprés cette parole de saint 
Paul, Galat., V, 17 : « Les aspirations de l'Esprit luttent contre les en- 
trainements de la chair, » il est dû à la virginité une couronne spéciale, 
qui porte le nom d'auréole. Tous les théologiens sont d'accord sur ce point. 
Mais il n'en est plus de méme quand il s'agit de déterminer à quelle sorte 
de virginité l'auréole est due. Plusieurs disent que l'auréole est due à 
l'acte lui-même ; et de la sorte toute personne qui garde réellement la 
virginité, si elle est du nombre des élus, obtiendra l’auréole. Mais cela 
ne paroit pas exact; car alors les personnes qui sont dans l'intention de 
se marier et qui meurent auparavant , auroient aussi l'auréole. D'autres 





« Facies et alleram coronam aureolam. » Glossa : 
« Ad hanc coronam pertinet canticum novum, 
quod virginescoram Agnoconcinunt; scilicet qui 
sequuntur Agnum quocumque ierit. » Ergo pr» 
mium quod virginitati dehetur, dicitur aureola. 

Preterea, fsai., LVI, dicitur : « Hac dicit 
Dominus Eunuchis ; » et sequitur : « Dabo eis 
nomeu melius à filiis et filiabus; » Glossa 
« propriam gloriam excellentemque significat. » 
Sed per Eunuchos, « qui seipsos castraverunt 
propter regnum celorum, » virgines designan- 
tur. Ergo virginitati debetur aliquod excellens 
premium ; et hoc vocatur aureola. 

( Coxcivsio. — Cùm per virginitatem sin- 
gularis quedam vicloria contra carnem obti- 
neatur , virginibus quibus propositum fuit vir- 
giailatis perpeluó servandae , awreoía merit) 
debetar. ) 


Respondeo dicendum, quôd ubi est pracel- 
lens ratio victoriæ, ibi debetur aliqua specialis 
corona. Undà, cüm per virginitatem aliquis 
singularem quamdam victoriam obtineat de 
carne, contra quam continuà bellum geritur, 
ut patet ad Galat., V : « Spiritus concupiscit 
adversüs carnem, etc., » virginitati specialis 
corona debetur, qua aureola nominatur. Et 
hoc quidem communiter ab omnibus tenetur. 
Sed cui virginitati debeatur aureola, non si» 
militer omnes dicunt. Quidam enim dicunt aws- 
reolam actui deberi ; unde illa qua actu vite 
ginitatem servat, awreolam habebit, si sit de 
numero salvandorum. Sed hoc non videlur 
esse couveniens; quia, secundüm hoc, ille quas 
habent voluntatem nubendi , et tamen ante- 
quàm nopserint decedunt, haberent awreolam. 
Unde alii dicunt quód aureo/a debeatur statui 


.DES AURÉOLES. 235 


théologiens disent done que cette récompense est due à l’état et non à 
Pacte ; de telle sorte que les vierges seules qui par un vœu de chasteté 
perpétuelle se sont placées dans l'état de virginité, ont droit à l'auréole. 
Mais cela méme n'est pas exact ; car on peut garder la virginité sans s'v 
être engagé par vœu, aussi bien lorsqu'on l'a vouée. Voici donc comment 
il faut raïsonner à cet égard : Tout acte de vertu commandé par la cha- 
rité réalise un mérite. Or la virginité, sous ce rapport, rentre dans le 
genre désigné par le mot vertu, en ce sens que la perpétuelle intégrité de 
l'ame et du corps tombe sous l'acte de la volonté nommé élection (1), 
comme cela résulte clairement de tout ce qui a été dit. Ainsi donc, l'au- 
réole est proprement due à toutes les vierges qui ont eu l'intention de 
garder la virginité perpétuelle , qu'elles aient ou non confirmé cette in- 
tention par un vou. Et je dis cela dans ce sens que l'auréole propre- 
ment dite est toujours une récompense qui présuppose le mérite. Cela 
est vrai alors méme que cette intention aura subi une interruption mo- 
mentanée, pourvu qu'il n'y ait pas eu d'atteinte portée à l'intégrité du 
corps ; car, ainsi que nous l'avons déjà dit , la virginité de l'ame est sus- 
ceptible d’être véintégrée, tandis qu'il n'en est pas de méme de la virgi- 
nité du corps (2). Mais si l'on entend l'auréole dans un sens large et pour 
(1) Tout acte humain, aux veux du moraliste qui l'analyse dans ses éléments constitutifs, 
présente des phases diverses, ou se compose de plusieurs actes partiels , l'intention , le con- 
seil, le jugement et l'élection; et nous avons vu dans le traité des actes humains , au com- 


mencement de la première partie de la seconde, en quoi consiste chacun des actes énon- 
cés ; nous avons pu entrevoir aussi combien il importe d'en avoir une notion précise. 


(2) Que la virginité élève l'être humain au-dessus de lui-même, qu'elle mérite un honneur 
à part, une couronne spéciale, c'est ce que les hommes ont toujours vaguement senti, quand 
ils ne l'ont pas compris d'une maniére distincte. On retrouve des traces, parfois éclatantes, de 
cette vérité jusque dans les ténèbres de l'idoiátrie. Déjà sur la terre, la virginité semble 
porter au front un céleste diadéme , reflet anticipé de sa future auréole. Il y a évidemment 
en elle quelque chose de divinet de sacré. Nul n'ignore cependant que la virginité a toujours 
rencontré, dans la suite des siécles, d'implacables ennemis; et cela se comprend sans 
. Peine. Au blasphéme brutal, à la grossiére iosulte, quelques-uns ont voulu joindre ou méme, 
substituer l'arme du raisonnement. Ce n'est pas le seul point de morale où la sagesse hu- 
maine ait fait alliance avec les passions et où l'esprit ait été trafné à la remorque de la 
chair. Mais on sait aussi avec quelle énergie de conviction et quelle supériorité de logique 
les génies chrétiens ont vengé les droits de l'intelligence et rétabli la purcté de la morale du 
Christ. Dans un remarquable passage de son traité sur l'angélique vertu, que nous regrettong 
. de ne pouvoir reprodulre ici, saint Augustin aborde ce sujet avec une vigueur qui rappelle 








et non actui, ut ille tantüm virgines aureolam , qua dicta sunt. Et ideo illis tantüm virginibus 


mereantur, que in statu virginitatis perpetuæ 
servanda per votum se posuerunt. Sed hoc etiam 
non videlur conveniens; quia aliquis ex pari 
voluntate potest servare virginitatem non vo- 
vens , sicut aliquis alius vovens. Et ideo aliter 
dici potest quód meritum omni actui virtutis 
debetur à charitate imperato. V 7ginitas autem 
secundüm hoc ad genus virtulis pertinet, se- 
cundüm quód perpetua iacorruptio mentis et 
corporis sub electione cadit , ut patet ex his 


aureola propriè debelur, quæ propositum ha- 
buerunt virginitatem perpetuó conservandi , 
sive hoc propositum voto firmaverint, sive non. 
Et hoc dico secundüm quod aureola proprié 
accipitur ut premium quoddam merito reddi- 
tum. Quamvis hoc propositum aliquando fuerit 
iuterruptum, integritate tamen carnis manente, 
dummodo in fine vitæ inveniatur; quia, ut su- 
prà dictam est, virginitas mentis reparari po- 
test, quamvis uon virginitas carnis. Si autem 


936 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE D. 


une joie quelconque, possédée par les élus dans la patrie en sus de la joie 
essentielle, Fauréole appartient alors à tous ceux qui ont gardé la virgi- 
nité corporelle, alors méme qu'ils n'auroient pas eu le projet dela garder 
pour toujours. On ne sauroit douter, en effet , que leur intégrité corpo- 
relle ne leur soit une cause de joie; il en est d'eux comme de ceux qui 
meurent dans leur innocence et qui se réjouiront dans le ciel de ce qu'ils 
furent mis à l'abri du péché, sans méme queleur volonté y soit pour 
quelque chose, comme cela a lieu évidemment pour les enfants qui meu- 
rent aussitót aprés leur baptéme. Qu'on ne l'oublie pas néanmoins, ce 
n'est pas là le sens propre du mot auréole, c'en est une acception ex- 
‘trèmement large. 

Je réponds aux arguments : 1° Sous un rapport, ce sont les vierges qui 
ont à soutenir les plus rudes combats, et sous un autre, ce sont les veuves, 
toutes choses étant d'ailleurs égales. Chez les premièr:s, la concupiscence 
est enflammée par l'attrait de l'inconnu, par ce désir qui nait d'une sorte 
de curiosité, la méme qui pousse l'homme à voir ce qu'il n'a jamais vu. 
Parfois leur concupiscence s’accroit encore par le vague espoir d'un plai- 
sir beaucoup plus grand qu'il n'est en réalité, et par l'ignorance des 
peines et des dangers qui accompagnent ce plaisir. Sous ce rapport donc, 
les veuves ont moins à combattre que les vierges ; mais, d'un autre cóté, 
des souvenirs dangereux rendent plus violente la lutte qu'elles ont à sou- 
tenir. Ces causes, du reste, agissent avec plus ou moins de force, empié- 
tent l’une sur l'autre, selon les diverses conditions où l'on se trouve placé 
etlesdispositions personnelles de chaque indivi du. Quoi qu'il en soit néan- 
moins de la grandeur de la lutte, il y a ceci de certain, c’est que la vic- 
toire des vierges est en elle-méme plus parfaite que celle des veuves. La 
victoire la plus compléte, en effet, et la plus belle, c'est de n'avoir jamais 
celle de saint Jérôme ; et, aprés avoir fait justice des vains sophismes de l'erreur, il déclare 


que la virginité recevra dans les cieux une gloire propre et distinctive; ce qui revient pare 
faitement à notre thèse. 








aureolam largé accipiamus pro quocumque 
gaudio, quod in patria habebunt super gaudium 
essentiale ; sic eliam incorruptis carne aureola 
respondebit, etiamsi propositum non habue- 
rint perpetud virginitatem servandi. Non enim 
est dubium quód de incorruptione corporis 
gaudebunt; sicut et innocentes de hoc quod 
immunes à peccato fuerunt, quamvis etiam 
peccandi opportunitalem non habuerunt, ut 
patet in pueris baptizatis. Sed hec non est 
propria acceptio aureolæ, sed valdé communis. 

Ad primum ergo dicendum , quód in conti- 
uendo, secundüm aliquid, majorem pugnam 
sustinent virgines, et, secundüm aliquid vidue, 
celeris paribus; virginibus enim concupiscen- 
liam inflammat experiendi desiderium, quod ex 


"- 


quadam quasi curiositate procedit, qua etiam 
fit ut homo libentiüs videat quæ nunquam vi- - 
dit; et eliam quandoque eis concupiscentiam 
aug6 æstimatio majoris delectationis quàm sit 
secundüm veritatem ; et inconsideratio eorum 
incommodorum qua delectationi hujusmodi ade 
junguntur. Et quantum ad hoc vidue minorem 
sustinent pugnam, majorem) autem propter 
delectationis memoriam. Et in diversis unum 
alteri præjudicat , secundüm diversas hominis 
conditiones et dispositiones; quidam enim mae 
gis moventur hoc, quidam illo. Quidquid ate 
tem sit de quantitate pugna, boc tamen cen 
tum est quód perfectior est victoria virginum 
quàm vidu:ruu. Peifectissimum enim genus 
victoriæ est et pulcherrimum, hosti nunquam 


DES AURÉOLES. 


931 


cédé à l'ennemi. Or ce n'est pas le combat précisément qui donne droit à 


Ja couronne, c'est la victoire remportée dans le combat. 


29»]lyatouchantla sainte Vierge deux opinions. Plusieurs pensent 
que la bienheureuse Marie n'a pas l'auréole en récompense de la virgi- 
nité, si l'on entend l'auréole dans le sens rigoureux de ce mot, comme 
le prix d'un combat soutenu, mais qu'elle a quelque chose de supérieur 
à l'auréole , à raison de la perfection supérieure aussi avec laquelle elle - 
avoitembrassé la virginité. D'autres soutiennent que la sainte Vierge 
possède l'auréole proprement dite, et l’auréole à son plus haut degré de 
splendeur; car, bien qu'elle n'ait pas éprouvé de lutte, telle du moins 
que l'éprouvent les autres hommes, elle a jusqu'à un certain point triom- 
phé de la chair; mais tela été l'élan de sa vertu, et telle aussi la sou- 
mission de la chair à l'esprit, que la lutte n'a pas méme effleuré son 
ame. Pour nous, cette opinion nous paroit inadmissible ; et voici pour- 
quoi : la sainte Vierge étant à bon droit regardée comme ayant été com- 
plétement affranchie de toute inclination vicieuse, du foyer méme de la 
concupiscence, à cause de la perfection absolue de sa sanctification (1), il 
n'est nullement conforme à la piété de supposer en elle un combat quel- 
conque contre la chair; car un tel combat ne peut provenir que d'un 
germe vicieux, et nulle tentation provenant de la chair, qui soit entiére- 
ment exempte de péché, comme on le voit dans la Glose sur cette parole 
de saint Paul, II. Cor., XII : «L'aiguillon de la chair m'a été donné... » 
Disons, par conséquent, que la sainte Vierge possède l’auréole, afin d’être 
en cela conforme aux autres membres de l'Eglise qui ont gardé la virgi- 
nité. Si elle n'eut pas à soutenir de combat par les tentations de la chair, 
elle en eut à soutenir dela part du démon, qui ne craignit pas méme 
de s'attaquer au Christ, ainsi que l'Evangile nous l'apprend, Matth., 


cap. IV. 


(1) Nous avons vu plus baut, dans l'œuvre méme de saint Thomas, troisième partie, traité 
des mystères du Christ, que ce mot de sanctification appliqué à la sainte Vierge, éloit im- 





cessisse. Corona autem non debetur pugna, 
sed victorie de pugna. 

Ad secundum dicendum , quàd duplex circa 
hoc est opinio : quidam enim dicunt quód 
beata Virzo pro virginitatis premio non habet 
aureolam , si aureola propriè accipiatur se- 
cundàüm quod respicit pugnam ; tamen aliquid 
habet majus aureola , propter perfectissimum 
propositum virginitatis servandæ. Alii veró di- 
cunt quód aureolam etiam sub propria ratione 
aureolæ habet, et excellentissimam ; quamvis 
enim pugnam non senserit, pugnam tamen 
carnis aliquam babuit, sed ex vehementia vir- 
tutis babuit adeo carnem subditam quód hu- 
jusmodi $ugna ei insensibilis erat. Sed istud 


beata credatur omnino immunis fuisse à fo- 
mitis inclinatione, propter ejus sanctificalio- 
nem perfectain , non est pium ponere aliquam 
pugnam à carne fuisse in ea ; cum talis pugna 
non sit nisi à fomitis inclinatione ; nec tentatio 
qua est à carne, sine peccato esse possit, ut 
patet per Glossam II. ad Cor., XII, super illud, 
« datus est mihi stimulus carnis mea, etc. » 
Unde dicendum est quód aureolam propriè 
babet, ut in hoc membris aliis Ecclesie con- 
formetur, in quibus virginitaa invenitur. Et 
quamvis non habuerit pugnam per tentationem 
que est à carne, habuit tamen pugnam per 
tentationem quz est ab hoste; qui nec eliam 
ipsum Chris:um reveritus fuit, ut patel AattA, 


videlur inconvenienter dici; quia, cum Virgo | cap. IV. 


938 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 5. 

3° La virginité n'a droit à l'auréole qu'en ee qu'elle emporte avec elle 
‘l'idée d'une prééminence sur les autres degrés de continence que nous 
avons étublis. Or, si Adam n'eüt pas péché, la virginité n'auroit pas été 
plus parfaite que la continence conjugale ; car alors il n'y auroit eu que 
« des noces honorables, une couche immaculée, » en l'absence de toute 
passion vicieuse. Ni la virginité n’eût été gardée dans un tel état, ni l’au- 


. réole, par conséquent, ne lui eût été décernée. Le changement survenu 


dansla nature humaine donne seul à la virginité sa plendeur spéciale. De 
là aussi la récompense spéciale qui lui est accordée. Sous la loi de Moïse, 
alors que le culte de Dieu devoit être surtout propagé par la famille, ce 
n'étoit pas non plus une chose absolument louable de fuir l'état du ma- 
riage pour garder la virginité. Aussi une récompense spéciale n’eût-elle 
pas été accordée à une semblable résolution, à moins qu'elle ne fût 
émanée d'une inspiration divine, comme on croit que cela eut lieu pour 
Jérémie et Elie, dont on ne voit nulle part qu'ils aient été engagés dans 
les liens du mariage. 

&° Quand une vierge a subi par violence un outrage corporel, elle ne 
perd pas pour cela l'auréole , pourvu qu'elle garde d'une manière invio- 
lable la résolution de persévérer dans la virginité, et qu'elle ait refusé 
tout consentement à cet acte inique. Nous avons méme dit qu'elle ne 
perd pas ainsi sa virginilé. Cela est vrai non-seulement quand elle est 
outragée à cause de la foi, mais aussi quand elle l'est pour une autre 
cause quelconque. Mais si cet outrage lui a été fait en haine de sa foi, 
c'est un mérite de plus qu'elle acquiert, elle a souffert une sorte de mar- 
tyre. De là une belle parole de sainte Lucie : « Si tu ordonnes que je sois 
outragée malgré moi, ma chasteté me comptera doublement pour la cou- 
ronne. » Cela ne veut pas dire qu'elle aura deux auréoles virginales, mais 
propre et peu exact; et nous avons dit pourquoi. Ceci se rattache à la grande question de 


la Conception de Marie, «lors si fortement débattue dans les écoles, ct qui a été, dans les 
notes, l'objet d'une discussion approfondie, surtout à l'occasion du pécbé originel. 





Ad tertium dicendum , quüd virginitati non 
debetur aureola nisi in quantum addit quam- 
dar excellentiam super alios continentiæ gra- 
dus. Si autem Adam non peccasset, virginitas 
nullam perfectionem supra continentiam con- 
jugalem habuisset; quia fuissent tunc « hono- 
rabiles nuptiæ , et torus immaculatus, » nullá 
concupiscenti: fœditate existente. Unde vir- 
ginitas tunc servata nunc fuisset, nec ei tune 
aureola deberetur. Sed mutatà humana nature 
conditione, virginitas specialem decorem ha- 
bet. Et ideo ei speciale redditur premium. 
Tempore etiam legis Moysi , quando cultus Dei 
per carnalem actum propagandus erat, non 
erat omnino laudabile à commixtione carnis 
abstinere, Unde mec tali proposito speciale 


premium redderetur, nisi ex divino processis- 
set instinctu, ut creditur de Hieremia et de 
Helia, quorum conjugia non leguntur. 

Ad quartum dicendum, quàJ si aliqua pee 
violentiam oppressa fuerit, propter hoc non 
amittit aureolam , dummodo propositum vir- 
ginitatem perpetuo servandi inviolabüiter sere 
vet, illi actui nullo modo consentiens. Net per 
hoc etiam virginitatem perdit, ut suprà dictom 
est. Et hoc dico, sive pro fide, sive pro qua- 
cumque alia causa corrumpatur violenter; sed 
si hoc pro fide sustineat , hoc ei erit ad meri- 
tum, et ad genus martyrii pertinebit. Unde La- 
cia dixil : « Si me invitam violari feceris, cas- 
titas mihi duplicabitur ad coronam. » Non quód 
habeat duas virginitatis aureolas , sed quia 


DES AURÉOLES. 9:39 


bien qu'elle obtiendra une double récompense, l’une pour la virginité 
qu'elle a gardée, l'autre pour l'injure qu'elle a soufferte. Elle ne perdroit 
pas méme le mérite de sa virginité, en supposant qu'une telle violence 
eüt pour effet de la rendre mére. Et toutefois elle n'atteindra jamais à la 
gloire de la Mère du Christ, poisqu'en elle l'intégrité de la chair fut unie 
à l'intégrité de l'ame. | 

9^ C'est sous le rapport matériel seulement que la virginité est inhé- 
rente à notre nature; mais la résolution de garder la virginité perpétuelle, 
résolution qui fait le mérite spécial, et l'éclat de cette vertu, n'est pas 
une chose innée en nous, c'est un don de la grace. 

6° Ce n'est pas à une veuve quelconque qu'est dà le fruit soixante pour 
un, mais uniquement à celle qui a résolu de demeurer dans l'état de vi- 
duité, alors méme qu'elle n'en auroit pas émis le vœu, ainsi que nous 
l'avons dit des vierges. 

7* Si les personnes impropres à l'état du mariage ont néanmoins la 
volonté de garder une intégrité perpétuelle, dans le cas méme où il en 
seroit autrement, elles ont le mérite de la virginité et un droit à l'auréole; 
car c'est bien d'elles qu'on peut dire qu'elles font de nécessité vertu. Mais 
si telle n'étoit pas leur intention, elles n'auroient aucun droit à l'auréole. 
C'est ce que dit saint Augustin, De Virgin., cap. 9& : « Quant à ceux à 
qui la nature ou un accident ont refusé la possibilité de s'engager dans 
les liens du mariage, du moment où ils sont chrétiens et gardent les pré- 
ceptes du Seigneur, ils sont mis au rang des fidéles mariés, sileur inten- 
tion est de se marier en effet, dans le cas où ils en auroient la poseibilité. » 





duplex premium reportabit; unum pro virgini- 
tatis custodia, aliud pro injuria quam passa 
est. Dato etiam quód totaliter oppressa conci- 
piat, nec ex hoc meritum virginitatis perdit; 
nec tamen Matri Christi æquabitur, in qua fuit 
cum integrilate mentis etiam integritas car- 
nis. 

, Ad quintum dicendum, qubd virginitas no- 
bis à natura innascitur quantum ad id quod 
est materiale ín virginitate; sed propositum 
perpetue incorruptionis servandi, ex quo vir- 
ginilas meritum habet, non est innatum , sed 
ex munere gratie proveniens. 

Ad sextum dicendum , qubd non cuilibet vi- 
due ffrwctus sexagenarius debetur, sed ei 
solèm que propositam viduitatis servandz rex 


tinet , quamvis eliam votum non emittat, sicat 
et de virginitate dictum est. 

Ad septimum dicendum , quód si frigidi et 
eunuchi voluntatem habeant perpetuam incor- 
ruptionem servandi, etiamsi facultas adesset 
coëundi, virgines sunt dicendi, et aureolam 
merentur; faciunt enim de necessitate virtutem. 
Si veró voluntatem habeant ducendi conjugem 
si possent, a«reolam non merentur. Unde di- ' 
cit AugusLinus in lib. De sancta Virginitate, 
cap. 24 : «Quibus ipsum virile membrum de- 
bilitatur ut generare non possint (ut sunt 
eunuchi ) sufüc& , cüm Christiani fiunt et Dei 
precepta custodiunt, eo tamen proposito sunt 
ut conjuges, si posseph, haberent, comjugatis 
fidelibus adagquari. » 


SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 6. 


ARTICLE VI. 


L'auréole est-elle due aux martyrs? : 


Jl paroit que les martyrs n'ont pas droit à l'auréole. 4° L’anréole est 
une récompense accordée aux œuvres de surérogation, et de là, sur cette 
parole déjà citée : « Vous ferez une autre couronne...» le vénérable Bède 
dit: « Cela peut s'entendre à bon droit d'une récompense décernée à 
ceux qui s'élévent au-dessus des préceptes généraux, en embrassant 
spontanément une vie plus parfaite. » Or mourir pour la confession de sa 
foi peut dans certaines circonstances étre une chose obligatoire , non de 
surérogation ; et cela résulte clairement de ce que dit l'Apótre, Rom., 
X, 10 : « On croit de cœur pour être justifié, on confesse de bouche pour 
étre sauvé. » Donc le martyr ne donne pas toujours droit à l'auréole, 

2» D'aprés saint Grégoire, « plus un service est librement rendu, plus 
il est agréable. » Or, de tous les services rendus à Dieu, le moins libre 
c'est le martyre, puisque c'est là un tourment infligé d'une maniére vio- 
lente et par une cause extrinséque. Donc, comme l'auréole répond à un 
mérite éminent, ce n'est pas au martyre qu'elle est due. 

8* Le martyre ne consiste pas seulement dans la mort que l'on souffre 
extérieurement, mais il consiste encore dans l'acte intérieur de la vo- 
lonté ; aussi saint Bernard, dans son unique sermon sur le triomphe des 
saints Innocents, distingue trois sortes de martyre : celui qui s'accomplit 
par la volonté et non par la mort, comme cela eut lieu pour saint Jean; 
celui qui s'accomplit par la volonté et par la mort, comme on le voit dans 
saint Etienne ; celui de la mort, enfin , et non de la volonté, et c'est le 
martyre des saints [nnocents. Si donc l'auréole est due au martyre , c'est 
à celui de la volonté, plutót qu'à celui de la mort extérieure, qu'elle 
devroit être accordée, car c'est de la volonté que le mérite procède. Voilà 





s 


ARTICLUUS VI. 
Utrim maríyribus aureola debeatur. 


Ad sextum sic proceditur. Videtur quód 
martyribus aureola non debeatur. Aureola 
enim premium est quod operibus supereroga- 
tionis redditur; unde dicit Beda super illud 
Exod.,XXV: «Facies etalteram coronam, etc. » 
« De eorum praemio potest recté intelligi qui 
generalia mandata spontaneè vite perfectioris 
electione transcendunt. » Sed mori pro confes- 
&ione fidei quandoque est necessitalis, non su- 
perogationis, ut patet ex hoc quod dicitur Rom., 
X : « Corde creditur ad justitiam, ore autem 
confessio it ad salutem. » Ergo martyrio non 
semper debetur aureola. 


2. Preterea, secundum Gregorium « servitia 
quantó sunt magis libera, tantà sunt magis 
grata (1). » Sed martyrium minimum habet 
de libertate , cüm sit pona ab alio inflicta 
violenter. Ergo martyrio aureola non debetur, 
que respondet merito excellenti. 

8. Preterea, martynum non solüm consistit 
in exteriori passione mortis , sed etiam in in- 
teriori voluntate; unde Bernardus, 1n sermone 
unico de natali sanctorum Innocentium , 
distinguit tria genera martyrum : scilicet vo- 
luntate , non nece , ut Joannes; voluntate et 
nece, ut Stephanus; nece et non voluntate, ot 
Innocentes. Si ergo martyrio aureoladeberetur, 
magis deberetur martyrio voluntatis quàm ex- 
teriori martyrio, cüm merituin ex voluntate 


(f) Non sic expressé apud Gregorium occurrit; sed post quaedam illius verba ques cap. Jem 


DES AURÉOLES. 941 
néanmoins une chose qui n'a pas lieu. Donc l'auréole n'est pas due au 
martyre. 

4o Les peines corporelles sont moindres que celles de l'ame, lesquelles 
consistent dans les souffrances et les douleurs qui affectent l'ame directe- 
ment. Or les peines intérieures sont, elles aussi, une espéce de martyre; 
ce qui fait dire à saint Jéróme, dans un sermon sur l'Assomption : « Je 
le dirai sans crainte, la Mére de Dieu a réuni la gloire du martyre à celle 
de la virginité, bien que sa mort n'ait pas été violente ; » et de là ce qui 
lui fut dit : «Votre ame elle-même sera transpercée par le glaive, c'est- 
à-dire par la douleur de voir mourir votre Fils. » Puis donc que l'auréole 
ne répond pas à la douleur intérieure, elle ne doit pas répondre non plus 
à la souffrance corporelle. 

5° La pénitence est elle-méme une sorte de martyre; saint Grégoire 
dit, in Evang. homil., VI : « Quoique nous n'ayons pas à subir la per- 
sécution, il est un martyre que nous souffrons au sein m ème de la paix ; 
si nous n'avons pas à courber la téte sous le fer du bourreau , nous frap- 
pons nos désirs charnels au fond de notre cœur, avec le glaive de l'es- 
prit. » Or l'auréole n'est pas due à la pénitence méme qui consiste dans 
les œuvres extérieures. Donc un martyre extérieur quelconque ne doit 
pas non plus la mériter. 

6* L'auréole n'est pas évidemment due à une œuvre illicite. Or c'est 
une chose illicite de porter sur soi-même une main meurtrière, comme 
on le voit dans saint Augustin, 1. De Civit. Det, XVM et XX. Et cependant 
l'Eglisecélébre la mort de certains martyrs qui se sont immolés de leurs 
propres mains, pour échapper à la rage des tyrans, selon ce qui est rap- 
porté dans l'Histoire Ecclésiastique , VIII , 42, au sujet de quelques fem- 





; 


procedat. [oc autem non ponitur. Ergo mar- | in mente trucidamus. » Poenitentia aulem que 
tyrio aureola non debetur. 


4. Preterea, afflictio corporis est minor 
quàm afflictio mentis, que est per interiores 
dolores et anima passiones. Sed interior etiam 
afflictio quoddam martyrium -est; unde dicit 
Hieronymus in Sermone de Assumptione : 
« Rectè dixerim, Dei genitrix, 'virgo et martyr 
fuit, quamvis in pace vitam finierit; » unde , 
«iuam ipsius animam pertransibit gladius , 
scilicet dolor de morte Filii. » Cüm ergo inte- 
riori dolori aureola non respondeat, nec exte- 
riori respondere debet. 

5. Preterea, ipsa penitentia martyrium 
quoddam est; unde dicit Gregorius, Homil. Ill, 
in 'Evang. : « Quamvis occasio persecutionis 
desit, habet tamen el pax nostra martyrium 
suum; quia, etsi carnis colla ferro non subjici- 
mus , spirituali tamen gladio carnalia desideria 


in exterioribus operibus consistit, aureola non 
debetur. Ergo nec etiam omni exteriori mar- 
tyrio debetur aureola. 

6. Preterea, illicito operi non debetur au- 
reola. Sed illicitum est, sibi ipsi manus in- 
jicere, ut patet per Augustinum in I. lib. De 
Civit. Dei, cap. 47 et 30. Et tamen quorum- 
dam martyria in Ecclesia celebrata sunt , qui 
sibi manus injecerunt, tyrannorum rabiem fu- 
gientes , ut patet ia Ecclesiastica historia, lib. 
VAI, cap. 12, de quibusdam mulieribus apud 
Antiochiam. Ergo non semper martyrio dehe- 
tur aureola. 

7. Preterea, contingit aliquando aliquem 
pro fide vulnerari, et postmodum aliquo tem- 
pore supervivere. Hunc autem constat marty- 
rem egse; ot lamen (ut videtur ) aureola ei 
non debetur, quia ejus pugna non duravit us- 


vero, in Decrelis, Causâ XXII, qu. 5, referuntur, appendix Gratiani subjungit quód ad bonum 
guisque inutiliter cogitur, cm servilis caacte Deus esperneiur. 


. AVI. 


16 


—- -, 


212 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVT, ARTICLE 6. 


mes mortes à Antioche. Done l'auréole n'est pas toujours due au martyre. 

7° Il peut arriver qu'un homme recoive des blessures pour la foi et 
vive encore pendant un certain temps. Il conste que cet homme est 
martyr ; il ne paroit pas néanmoins que l'auréole lui soit due, par la rai- 
som qu'il n'a pas combattu jusqu'à la mort. Donc le martyre ne donne 
pas toujours droit à l'auréole. 

8» Il est des hommes qui souffrent plus de la perte des biens temporels 
que des souffrances qui affligent le corps, puisqu'on les voit endurer 
celles-ci pour éviter celle-là. Si donc ils perdent leurs biens temporels à 
cause du Christ, il paroit qu'ils sont martyrs; et toutefois ils n'ont pas 
droit à l'auréole. Donc , méme conclusion que plus haut. 

9» Celui-là seul est martyr qui souffre la mort pour la foi; car voici 
comment s'exprime saint Isidore, Etymol., VII, 2: « On les appelle 
martyrs, d'un mot grec qui signifie témoins, par la raison qu'ils ont a£- 
cepté la souffrance pour rendre témoignage au Christ, et qu'ils ont com- 
battu jusqu'à la mort en l'honneur de la vérité (4). » Oril y a des vertus 
qui sont supérieures à la foi, telles que la justice, la charité et autres du 
méme genre, lesquelles ne peuvent pas exister sans la grace. L'auréole 
n'est pas due néanmoins à ces vertus. Donc il ne paroit pas qu'elle soit 
davantage due au martyre. 

10* Toute vérité vient de Dieu, et la vérité de la foi n'est pas la seule 
qui émane de lui; car, comme le dit saint Ambroise, « le Saint-Esprit 
est la source de toute vérité, n'importe qui la dise. » Si donc Fauréole 
est due à celui qui meurt pour la vérité de la foi, elle l'est égalementt à 
ceux qui meurent pour une autre vérité quelconque. Or cela paroït être 
faux. Donc, etc. 

41° Le bien public passe avant le bien particulier. Or, quand un 


(1) Le saint évèque de Séville fait allusion ici à ce texte de l'Ecriture, Eeclé., V, 93 7 
« Combattez pour votre ame, et luttez jusqu'à la mort pour la justice. » Lea vessien greequee 
dit : « pour la vérité, » æspi rnç@hrbsias, Au fend, cela revient au méme. Deas mes Livres 





e ad mortem. Ergo non semper martyrio 

betur awreola. 

8. Preterea, quidam magis affliguntur in 
amissione rerum temporalium quàm eliam in 
proprii corporis afflictione; quod patet ex hoc 
Tuod multas afflictiones sustinent ad lucra (4) 
onquirenda. Si ergo propter Christum tempo- 
ralia bona diripiantur, videtur quód sint mar- 
tyres ; nec tamen eis, ut videtur, debetur au- 
reola. Ergo idem quèd priàs. 

9. Præterea, martyr videtur esse tantum ille 
qui pro tide oeciditur; unde dicit Isidoras : 
« Martyres grec, testes latiné dicuntur, quia 
propter testimonium Christi passiones susti- 


(1) Hinc tritum illud Juvenalis : 
pouperiem fugiens, per saxa, por ignes. 


nuerunt, et usque ad mortem pro veritate cer- 
taverunt. » Sed aliqua alia virtutes sunt fide 
excellentiores , ut justitia, et eharitas, et ha- 
jusmodi, qee sine gratia esse non possunt. 
Quibus tamen. non debetur aureola. Ergo vi- 
detur quód nec martyrio awreola debealor. 
10. Præterea, sicut veritas fidei est à Deo, 
ita et qualibet alia veritas, ut dicit. Ambro- 
sius, quia « omne verum, à quocumque dica- 
tar, à Spiritu sancto est. » Ergo, si sustinenti 
mortem pro venitale fidei debelur œuwreokr, 
eadetn ratiune et sustinentibus mortem pro alla 
qualibet veritate. Quod tamen non videtur. 
11. Preterea, bouum commane eat potius 


Impiger ezivemos eurnrié mercator ad Indos, per mare 


DES AURÉOLES. 9253 


.homme meurt pour le salut commun dans une guerre légitime, l'auréole 
ne lui est pas due. Donc elle ne lui est pas due non plus quand il meurt 
pour la conservation de sa propre foi. 

12» Tout mérite procéde du libre arbitre. Or l'Eglise célébre le martyre 
de quelques saints qui ne possédoient pas leur libre arbitre, et qui dés- 
lors ne méritérent pas l'auréole. Donc l'auréole n'est pas due à tous les 
anartyrs. 

Mais le contraire résulte de ce que dit saint Augustin, De Virgin., 
XLVI : «Personne, que je sache, n'a osé préférer la virginité au martyre. » 

L'auréole est due à la virginité. Donc elle est aussi due au mariyre. 

C'est à celui qui combat que la couronne doit étre donnée. Or le mar- 
tyre est un combat qui présente une difficulté spéciale. Done une auréole 
spéciale aussi lui doit étre accordée. 

(CowcLusios. — L'auréole est due aux martyrs aussi bien qu'aux vi ^ 
ges, soit à raison du combat qu'ils ont soutenu, soit à raison dela vic- 
teire qu'ils ont remportée. ) | 

S'il existe un combat de l'esprit contre les concupiseences intérieures, 
il en existe un également de l’homme tout entier contre les souffrances 

, qui lui viennent du dehors. Ainsi donc, de méme que l'éminente victoire 
par laquelle on triomphe des concupiscences de la chair, et c'est là dési- 
gner la virzinité, mérite une couronne spéciale que nous nommons au- 
réole, la sublime victoire qui nous met au-dessus des persécutions exté- 
rieures, nous donne droit à une semblable couronne. Or cette derniére 

victoire tire sa perfection et sa grandeur de deux causes diverses : d'a- 
bord, dela grandeur méme des souffrances endurées ; et parmi toutes ces 
souffrances qui nous viennent du dehors, la mort occupe le premier rang, 

saints, la vérité est souvent prise pour la justice, et réciproquement. Rien de plus favile que 


de voir ce qu'elles ont d'identique; et, dans le cas présent , cette identité fait jaillir à ros 
yeux la véritable notion ou l'essence méme du martyre. 





Dbono particulari. Sed si aliquis pro conser- |.  (Coxcrsio. — Quemadmodum virginibus, 


vatione reipublice moriatur in justo bello, uon 
debetur ei aureola. Ergo, eliamsi occidatur 
pro conservatione fidei in seipso. Et sic idem 
quod priüs. 

12. Preterea, omne meritum ex libero arbi- 
trio procedit. Sed quorumdam martyria cele- 
rat Ecclesia qui usum liberi arbitrii non ha- 
buerunt. Ergo aureolam non merueruut. Et 
sic non omnibus martyribus debetur aureola. 

Sed conira : Augustinus dicit in lib. De sancta 
eirgixitate, cap. 46 : « Nemo, quantum puto, 
ausus fuit praeferre virginilatem martyrio. » 
Sod virginitati debetur aureula. Ergo et mar- 
iyiio. 

! Preterea, corona debetur certanti Sed in 
martyrio est specialis difücultas puguæ. Ergo 
€i debetur specialis aureola. 

4 


sic et martyribus aureola debetur, tum propter 
victoriam passionum martyrii, tum propter 
causam puguæ. ) 

Respondeo dicendum, quód sicut inest quæ- 
dam pugva spiritui contra interiores concupis- 
centias, ita etiam inest homini quadam pugna 
contra passiones exteriüs nlatas. Unde, sicut 
perfectissime victorig quà de concupiscentiis 
carnis triumphatur, (scilicet virginitati ) debe- 
tur specialis corona, qua aureola dicitur, ita 
etiam: perfectissima victorke quae habetur de 
impagnatione exteriori, debetur aureola. Per- 
fecti-sima autem victoria de exterioribus pas- 
siomibus consideratur ex duobus : primó , ex 
magnitudine passionis; inter omnes autem pas- 
siones illatas exteriès praecipuum locum mors 
tenet, sicut ed in passionibus juienioribus præ&- 


954 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 6. 


tout comme parmi les concupiscences intérieures, celle des plaisirs charnels 
est la plus violente. Quand donc on triomphe de la mort et des supplices 
qui la donnent , on remporte sous ce rapport la victoire la plus parfaite. 
La perfection de la victoire se prend, en second lieu, dela cause du com- 
bat; c'est ce qui a lieu quand on combat pour une noble cause ; et fci 
cette cause n'est autre que le Christ lui-même. C'est sous ce double as- 
pect qu'il faut considérer le martyre; car ce qui le constitue, c'est la 
mort acceptée pour l'amour du Christ; « c'est la cause et non la peine 
qui fait le martyr (1). » ll y a donc une auréole pour le martyre, aussi 
bien que pour la virginité. 

Je réponds aux arguments : 4° Souffrir la mort pour le Christ est de 
soi une chose de surérogation; car tout homme n'est pas tenu de pro- 
fesser la foi devant les tyrans. Elle peut néanmoins être de nécessité de 
salut , quand, par exemple, un chrétien tombe entre les mains des per- 
sécuteurs, et que, recherché pour sa foi, il est mis en demeure et se 
trouve dans l'obligation de la confesser. Oseroit-on prétendre que cet 
homme n'a pas droit à l'auréole ? car enfin l'auréole n'est pas due à une 
œuvre de surérogation, précisément parce qu'elle est telle, mais bien 
parce qu'elle implique une idée de perfection. Du moment donc où l’on 
réalise cette perfection , alors méme qu'il n'y auroit pas d'ceuvre de suré- 
rogation, on a droit à l'auréole. 

2» Si le martyre mérite une récompense, ce n'est pas en tant que c'est 
là un supplice provenant d'une cause extérieure, c'est en tant qu'il est 
volontairement souffert ; car nous ne méritons qu'en vertu d'un principe 

(1) Cette parole si profonde et si vraie est de saint Augustin. On la voit reparoître fré- 
quemment et sous différentes formes, dans les écrits de l’illustre Docteur. Nous la trouvons 
d'abord , Epist. 61 : « Ceux-là àe sauroicnt mourir de ja mort des martyrs, qui ne viveut 
pas de la vio des chrétiens; car ce qui fait le martyr, c'est la cause, et non la mort. » Dans 
une autre lettre, Epist. 161, il déclare aux Donatistes qu'ils se réjouissent vainement da 
meurtre de quelques-uns des leurs. « 1ls ignorent, par un aveuglement qui tient du prodige, 
ou bien ils feignent d'ignorer, poussés par la haine, que c'est la cause pour laquelle on 
meurt, et non le supplice, qui fait les vrais marlyrs. » C'est ce qu'il dit encore, et dans les 


mémes termes, dans son livre contre Cr»sconius , 111, 47. 11 applique à cela cette prière du 
Psalmiste : « Discernez ma cause de celle des impics. » 





cipum sunt venereorum concupiscentiæ. Et 
idco, quando aliquis obtinet victoriam de morte 
et ordiuatis ad mortem , perfectissime vincit. 
Secundó, pafectio victoric consideratur ex 
causa pugna; quando videlicet pro honestissima 
causa pugnatur, qua scilicet est ipse Christus. 
Et hec duo in martyrio considerantur, quod 
est mors suscepta propter Cbristum; « marty- 
rem enim non facit pena, sed causa. » Et ideo 
maityrio aureola debetur, sicut et virginitati. 
Ad primum ergo dicendum, quód sustinere 
mortem propter Christum, quantum est de se, 
est opus supererogationis ; non enim quilibet 


tenelur fidem suam coram persecutore confi- 
teri. Sed in casu est de necessitate salutis; 
quando scilicet aliquis à persecutore deprehen- 
sus, de fide sua requiritur, quam con(iteri te- 
netur. Nec tamen sequitur quód aureolam poa 
mereatur. Aureola enim non debetur operi su- 
pererogationis, in quantum est supererogatio , 
sed in quantum perfectionem quamdam babet. 
Unde tali perfectione manente, etiamsi non sit 
supererogatio , aureolam aliquis meretur. 

Ad secundum dicenduin, quód martyrio non 
debetur aliquod premium, secundüm hoc quod 
ab exteriori infligitur, sed secundüm hoc quod 


DES AURÉOLES. 945 


résidant en nous-mémes. Or, plus ce que nous souffrons volontairement 
est une chose difficile et pénible, faite pour révolter notre volonté, plus il 
devient manifeste que cette volonté, en l'acceptant dans des vues surna- 
turelles, est fermement attachée au Christ; et dés-lors le droit que nous 
avons à la récompense n'en est que plus parfait. 

3» Il est des actes qui, dans leur accomplissement méme, présentent un 
taractére spécial de délectation ou de répugnance. Or il y a là un surcroit 
de mérite ou de démérite, en ce que la violence que l'acte implique, jette 
la volonté en dehors de l’état où elle étoit auparavant. Donc, toutes choses 
égales, celui qui s'adonne actuellement à la luxure commet un plus grand 
péché que celui qui consent simplement à l'acte mauvais, par la raison 
que la volonté se corrobore dans l'acte 1néme. Pareillement, comme l'acte 
du martyre présente la difficulté la plus grande, la volonté n'atteint ja- 
mais, à raison de cette difficulté méme, au mérite que cet acte peut réa- 
liser. Cette volonté néanmoins peut s'élever à une plus haute récompense, 
eu égard àla racine méme du mérite ; car un homine peut vouloir souf- 
frir le martyre par un sentiment de charité plus ardente qu’un autre ne 
le souffre réellement. Ainsi donc celui qui n'est martyr que dans sa vo- 
lonté peut ainsi mériter une récompense essentielle égale ou supérieure 
à celle qui est due au martyre lui-même ; mais quant à l'auréole, la dif- 
ficulté seule qu'il faut vaincre dans la lutte réelle du martyre, y donne 
droit ; elle n'est donc pas due à ceux qui ne sont martyrs que dans la vo- 
lonté. | 

&° Parmi les délectations intérieures ou extérieures, celles du tact, qui 
sont du domaine de la vertu de tempérance, s'élèvent au-dessus de toutes 
les autres; il en est de même des douleurs qui proviennent du tact. C'est 
donc quand on triomphe de semblables douleurs, des coups, des blessures 
et autres du méme genre, qu'on a droit à l'auréole, plutôt que lorsqu'on 





volun@riè sustinetur; quia non meremur nisij actui martyrii debetur, ratione difficultatis; 


per ea qua sunt in nobis. Et qnautó id quod 
aliquis sustinet. voluntarié, est difficilius , et 
magis natum voluntati repugnare, tant volun- 
tas quæ propter Christum illud sustinet , os- 
tenditur firmiüs fixa in Christo. Et ideo ei 
excellentius premium debetur. 

Ad tertium dicendum, quód quidam actus 
sunt qui in iprá aclivitate habent quamdam ve- 
hementiam delectationis vel difficultatis. Et in 
talibus actus semper addit ad rationem meriti 
vel demeriti, secundüm quod in actu oportet 
voluntatem variari ex vehementia actüs à statu 
in quo priüs erat. Et ideo , ceteris paribus, 
actu luxuriam exercens plus peccat quàm qui 
solüm in actum consentit ; quia in ipso actu 
voluntas augetur. Similiter, et cüm actus mar- 
tyrii maximam difficullatem habeat, voluntas 
martyri non pertingit ad illud meritum quod 


quamvis etiam possit pervenire ad altius præ- 
mium, consideratà radice merendi ; quia ali- 
quis ex majori charitate potest velle sustinere 
martyrium , quàm alius sustineat. Unde volun- 
tate martyr potest mereri sua voluntate præ- 
mium essentiale, æquale vel majus eo quod 
martyri debetur, sed aureola debetur difficul- 
tati que est in ipsa pugna martyrii. Unde au- 
reola voluntariè tantüm martyribus non de- 
betur. 

Ad quartum dicendum, qubd sicut delecta- 
tiones taciüs, circa quas est temperantia, pre- 
cipuum locum tenent inter omnes delectationes 
interiores et exteriores, ita dolores tactüs om- 
nibus aliis doloribus præeminent. Et ideo dif- 
ficultati illi qua accidit in sustinendo dolores 
tactüs ( putà qui sunt in verberibus et hujus- 
modi ) debctur aureola magis quàm difficultati 


256 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 6. 


triomphe simplement des douleurs intérieures. Ces dernières ne peuvent 
pas à la rigueur porter le nom de martyre, on ne les désigne ainsi que 
par une sorte d'analogie. C'est dans ce sens que parle saint Jérôme. 

%e Les rigueurs de la pénitence ne constituent pas un martyre véritable; 
car la mort n’en est pas l’objet, elles n’ont pour but que de dompter la 
chair; elles seroient blámables si elles dépassoient une telle limite. 
Quand on leur donne le nom de martyre, c'est toujours par analogie ; 
elles dépassent le martyre par la durée, elles lui sont inférieures par l'in- 
tensité. 

6» Comme saint Augustin l'enseigne, De Civit. Det, 1,26, il n'est per-- 
mis à personne , pour un motif quelconque , de porter la main sur soi, à 
moins que ce ne soit par une inspiration divine, afin de donner aux 
hommes l'exemple du courage et de leur apprendre à mépriser la mort. 
C'est ansi qu'ont agi ceux dont il est parlé dans l'objection ; et c’est pour 
cela que l'Eglise célébre leur martyre. 

'I* Quand un homme a recu pour {a foi des blessures mortelles, il n'est 
pas douteux qu'il ne mérite l'auréole , bien que sa vie se prolonge encore: 
un peu. C'est ce qui eut lieu pour sainte Cécile, laquelle vécut encore 
trois jours aprés avoir recu le coup mortel. C'est ce qui est également 
arrivé à plusieurs martyrs qui sont morts dans les prisons. Alors méme 
que la blessure ne seroit pas mortelle, si la mort en est réellement la 
conséquence, il est encore probable qu'on a droit à l'auréole. Quelques- 
uns prétendent néanmoins qu'on perdroit ce droit si l'on encouroit la 
mort par sa négligence ou son incurie. Mais une telle négligence n'auroit 
pas eula mort pour résultat sans les blessures qu'on avoit auparavant 
recues pour la défense de la foi. Ces blessures sont la premiére cause de 
la mort. Il ne paroit donc pas qu'on perde ainsi l'auréole, à moins que la 





sustinendi interiores dolores; pro quibus tamen 
non proprié diatur aliquis martyr, sed se- 
cundum quamdam simiütudinem. Et hoc modo 
Hieronymus loquitur. 

Ad quintum dicendum, quèd afflictio pœni- 
tentia, proprié loquendo , nou est martyrium; 
quia non consistit in his quæ ad mortem in- 
ferendam ordinantur, cüm ordinetur solüm ad 
carnem domandam ; quam mensuram si quis 
excedat, erit afflictio culpanda. Dicitur tamen 
propter quamdam similitudinem afflictionis, 
martyrium; que quidem afflictio excedit mar- 
tyrii aflliclionem diuturnitate, sed exceditur 
intensione. 

Ad sextum dicendum, quód , secundüm Au- 
gustinum in 1. De Civit. Dei, cap. 96, nulli 
licitum estsibi ipsi manus injicere quacumque ex 
causa, nisi fortè divino instinctu fiat ad exem- 
plum fortitudinis ostendendum, ut mors contem- 


natur. Illi autem de quibus objectum est, divino. 
instinctu mortem sibi intulisse creduntur, et 
propter hoc eorum martyria Ecclesia celebrat. 

Ad septimum dicendum, quod si aliquis 
propter fidem vulnus mortale accipiat et su- 
pervivat, non est dubium quin aureolam me- 
reatur; sicut de beata Cæcilia patet. qua tri- 
duo supervixit, et de multis martyribus qui in 
carcere sunt defuncli; sed etiamsi vulnus noa 
mortale accipiat , et tamen exinde mortem in- 
currat, creditur aureolam inereri. Quamvis 
quidam dicant quód anreolam non meretur, si 
ex incuria vel negligentia propria mortem in- 
currat; non enim ista negligentia eum ad more 
tem perduxisset, nisi prasupposito vulnere, 
quod pro fide acceptum est. Et ita vulnus quod 
pro fide acceperat, est prima occasio mortis. 
Unde propter hoc aureolam non videtur ait. 
tere ; nisi sit talis negligentia quæ culpam more 


PES AURÉOLES. , 24T 
négligence n'aille jusqu'au péché mortel ; et dans ce cas on perd la cou- 
ronne en méme temps que l'auréole. Quand on.ne meurt pas des suites 
des blessures reçues, si l'on meurt néanmoins dans les cachots, on mérite 
même l'auréole. Aussi l'Eglise célébre-t-elle le martyre de quelques saints 
morts dans les cachots, longtemps aprés avoir confessé la foi dans les sup- 
plices, comme cela arriva au pape saint Marcel. Toutes les fois donc que 
les tourments subis pour le Christ se continuent jusqu'à la mort, quand 
bien méme la mort n'en seroit pas la suite directe, on est martyr et l'on a 
droit à l'auréole. Mais s'il y & entre les supplices et la mort une véritable 
solution de continuité, on n'a pas droit à Ja gloire du martyre; comme 
on le voit clairement par l'exemple de saint Sylvestre, dont on ne célébre 
‘pas la fête sous le titre de martyr, par la raison qu'il mourut en dehors 
de la persécution, bien qu'il eût été auparavant torturé pour la foi. 

8° De même que la tempérance n’a pas pour objet les délectations qui 
proviennent de l'argent, des honneurs et d'autres causes semblables, 
mais s'applique seulement à la plus violente des délectations, celle du 
tact ; de tnéme la force a seulement pour objet des périls de mort, par la 
raison que ce sont là les plus grands de tous , comme il est dit Ethic., 
I, 9. Voilà pourquoi l'auréole n'est due qu'aux injures qu'on reçoit 
dans son propre corps, les seules dont la mort puisse être naturellement 
la suite. Quand donc un homme perd pour l'amour du Christ ses biens 
temporels, sa réputation, ou autres choses du méme genre, il n'a pas 
proprement droit à la gloire du martyre , ni partant à l'auréole. Il n'est 
pas dans l'ordre , en effet, qu'on aime les biens extérieurs plus que son 
propre corps; et un amour désordonné ne peut pas servir à nous faire 
mériter l'auréole. Il n'est pas naturel non plus que la douleur occasionnée 
par la perte des biens, ou toute autre cause semblable , égale la douleur 
qui accompagne la mort. 


LS 





talem indurat, quæ ei et auream aufert et 
aureolam. Si veró ex mortali vulnere suscepto 
mon moriatur, aliquo casu contingente, vel 
etiam vulnera non mortalia susceperit, et ad- 
hoc carcerem sustinens moriatur, adhuc au- 
reolam meretur. Unde et quorumdam sancto- 
rum mariyria in Ecclesia celebrantur, qui in 
earcere mortui sunt, aliquibus vulneribus longé 
ante susceptis; sicut patet de Marcello Papa. 
Qualitercumque igitur afflictio propter Chris- 
tum illata, usque ad mortem continuetur ( sive 
mors inde sequatur, sive non) aliquis martyr 
efficitur, et aureolam meretur. Si verd non con- 
tinuetur usque ad mortem, non propter hoc 
sliquis dicetur. martyr; sicut palet de beato 
Sylvestro, de quo non solemaizat Ecclesia sicut 
de martyre, quia in pace vitam finivit , quam- 
vis priàs aliquas passiones sustinuerit. 


- em 


Ad octavum dicendum, quèd sieut tempe- 
rantia non est circa delectationes fa pecuniis, 
vel in honoribus, et bujusmodi, sed solüm in 
delectationibus tactüs, quasi praecipuis; ita 
etiam fortitudo est circa pericula mortis, sicut 
eirca precipua, ut dicitar in Ill. ÆfAic., cap. 9, 
sive 14. Et ideo soli illi injuriæ qua irrogatur 
eirca corpus proprium, ex qua nata est mors 
sequi, debetur aureola. Sive igitur al:quis 
propter Christum res temporales sive famam 
vel quidquid hujusmodi amittat, non efficitur 
propter boc propriè martyr, nec meretur au- 
reolam. Nec aliquis potest ordinatè res exte- 
riores plus diligere, quàm proprium corpas. 
Amor autem inordinatus non coadjuvat ad me- 
ritum aureole. Nec etiam potest dolor de 
amissione rerum coequari dolori de corporis 
occisione , et aliis bajusmodi, 


*, 
948 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 6. — , 


9» La confession de la foi n'est pas la seule cause du martyre, toute 
autre vertu, non politique, mais infuse, ayant le Christ pour fin, est pour 
cela une cause suffisante. En effet, par un acte quelconque de vertu on 
devient le témoin du Christ, puisque les œuvres que le Christ lui-même 
perfectionne en nous, rendent témoignage à sa bonté. Plusieurs vierges 
ont souffert la mort pour la conservation de leur virginité, comme la bien- 
heureuse Agnés et bon nombre d'autres; et l'Eglise célèbre leur mar- 
tyre. 

10* Une vérité de foi ale Christ pour fin et pour objet. Aussi la confes- 
sion d'une telle vérité donne-t-elle droit à l'auréole, non-seulement 
lorsque le supplice est infligé par rapport à la fin , mais aussi quand il 
lest par rapport à l'objet ou à la matière. La confession d'une autre 
vérité, au contraire, n'est une cause suffisante de martyre que par rap- 
port à la fin; c'est ce qui a lieu quand on préfère mourir que de pécher 
contre le Christ en commettant un mensonge quelconque. 

11* Le bien incréé l'emporte évidemment sur tout bien créé. Ainsi 
donc, une fin créée quelconque , que ce soit un bien public od un bien 
particulier, ne sauroit communiquer à nos actes une bonté égale à cello 
qui leur vient d'une fin incréée , c'est-à-dire quand on agit pour Dieu. 
Quand donc un honime souffre la mort pour un bien public, mais qui 
ne se rapporte pas au Christ, il ne mérite pas l'auréole; il en est autre- 
ment si ce bien est rapporté au Christ ; ce qui auroit lieu, par exemple, 
si l'on défendoit sa patrie contre des ennemis qui voudroient corrompre 
la pureté de la foi, et si l'on trouvoit la mort dans une telle lutte. 

19» Plusieurs pensent que l'usage de la raison fut anticipé, par un effet 
de la puissance divine, chez les saints Innocents qui furent immolés pour 
le Christ, ainsi que cela eut lieu pour Jean-Baptiste , tandis qu'il était 





Ad nonum dicendum, quód causa sufficiens { quàm, quodcamque mendacium dicendo, con- 


ad martyrium non solüm est confessio fidei , 
sed qu&cumque alia virtus non politica , sed 
infusa, quae finem habeat Christum. Quolibet 
enim actu virtutis aliquis testis Christi effici- 
tur, ia quantum opera quæ in nobis Christus 
perficit, testimonia bonitatis ejus sunt. Unde 
alique virgines sunt occise pro virginitate 
quam servare volebant , sicut beata Agnes, et 
quadam alii, quarum martyria in Ecclesia ce- 
lebrantur. 

Ad decimum dicendum , quód veritas fidei 
habet Christum pro fine et pro objecto. Et ideo 
confessio ipsius aureolam meretur, si pœna 
addatur, non solüm ex parte finis, sed etiam 
ex parte materi». Sed confessio cujuscumque 
alterius veritatis non est causa sufficiens ad 
marlyrium ratione materie, sed solüm ratione 
fuis, ut potè si alquis vellet priüs occidi 


" 


tra Christum peccare. 

Ad undecimum dicendum , quód bonum in- 
creatum excedit bonum omne creatum. Unde 
quicumque finis creatus, sive bonum commune, 
sive privatum, nou potest actui tantam boni- 
tatem prestare, quantam finis increatus , cüm 
scilieet aliquid propter Deum agitur. Et ideo, 
cüm quis propter bonum commune non rela- 
tum ad Christum, morlem sustinet, aureolam 
non meretur, sed si lioc referatur ad Chris- 
lum, aureolam merebitur, et martyr erit, ut 
pote si rempublicam defendat ab hostium im- 
pugnatione qui fldem Christi corrumpere n10- 
liuntur, et in tali defensione mortem sustineat. 

Ad duodecimum dicendum, quód quidam di- 
cunt quód in Innocentibus occisis pro Christo 
virtute divinà acceleratus est usus rationis, 
ut in Joanne Baptista, dum adhuc esset in 


DES AURÉOLES. 949 


encore dans le sein maternel. Dans cette opinion, ces heureux enfants 
furent martyrs de fait et de volonté, ils possèdent dés-lors l'auréole. 
D'autres soutiennent qu'ils furent martyrs de fait et non de volonté. Tel 
paroit étre le sentiment de saint Bernard, quand il distingue, ainsi que 
nous l'avons vu, trois sortes de martyre. Et alors, de méme que ces 
tendres victimes n'atteignent pas à la gloire d'un martyr complet, et n'ont 
du martyre que l'bonneur d'étre morts pour le Christ; de méme aussi 
participent-elles simplement à l'auréole des martyrs, et ne possédent-elles 
pas cette auréole dans toute sa perfection; ce qui veut dire qu'elles se ré- 
jouissent dans la patrie d'avoir souffert la mort pour l'honneur du Christ, 
tout comme les enfants morts aprés le baptéme goüteront aussi une joie 
spéciale, comme nous l'avons dit, d'avoir emporté au ciel leur jnnocence 
et leur intégrité (1). 
ARTICLE VII. 


, L'auréole est-elle due aux docteurs? 


ll paroit que les docteurs n'ont pas droit à l'auréole. 1o Toute récom- 
pense accordée aux hommes danse ciel, répond à quelque acte de vertu 
pratiqué sur la terre. Or précher ou enseigner n'est l'acte d'aucune vertu. 
Donc ni la prédication ni l'enseignement ne donnent droit à l'auréole. 

2» C'est l'étude et la science qui mettent l'homme en état de précher et 
d’enseigner. Or ce n'est pas ce que nous acquérons par nos études qui doft 
être récompensé dans le ciel ; car nous ne méritons ni par nos qualités 
naturelles ni par nos biens acquis. Donc nul n'obüiendra l'auréole par la 
prédication ou l'enseignement. 

3 Toute élévation dans le ciel correspond à une » humiliation subie sur 

(1) La question du martyre avoit été déjà traitée par le docteur angélique, au sujet de la 
foi , et sous presque tous les points de vue signalés dans cet article. Quont à la couronne 
spéciale réservée aux martyrs, on peut dire qu'elle est consacrée dans toutes les traditions du 


christianisme et dans celles mémes de l'art chrétien. 
[] 





máterno utero , et secundum hoc veré marty- ARTICULUS Vil. 


res fuerunt et voluntate et actu, et aureolam 
habent. Sed alii dicunt quàd fuerunt martyres 
actu tantám, et non voluntate : quod videtur 
sentire Bernardus distinguens tria genera mar- 
tjrum, ut dictum est. Et secundüm hoc Inno- 
centes sicut non pertingunt ad perfectam ra- 
tionem martyrii, sed aliquid martyrii habent 
ex hoc quod passi sunt pro Christo, ita etiam 
et aureolam habent, non quidem secundüm 
perfectam rationem , sed secundàm aliquam 
participationem; in quantum scilicet. gaudent 
se in obsequium Christi occisos esse ; ut dic- 
tum est (art. 5) de pueris baptizatis, quód 
hatebunt aliquod gaudium de innocentia et 
carnis iptegritate. 


Utrüm doctoribus aureola debeatur. 


Ad septimum sic proceditur. Videlur quód 
doctoribus aureola non debeatur. Omne enim 
premium quod in futuro habebitur, alicui ace 
tui virtutis respondet. Sed predicare vel do- 
cere non est actus alicujus virtutis. Ergo doc- 
trina vel predicationi non debetur aureola. 

2. Preterea, docere et pra dicare, ex studio 
et doctrina proveniunt. Sed ea qua præmiantur 
in futuro, non sunt acquisita per humanum 
studium ; quia naturalibus et acquisitis non 
meremur. Ergo pro doctrina et prædicatione 
nullus in futuro aureolam promerebitur. 

8. PrELcree, exaltatio in futuro respondet 


950 SUPPLÉMENT, QUESTION XCYI, ARTICLE 7. 


la terre ; car a celui qui s'humilie sera exalté. » Oril n'ya pes d'humi- 
liation à précher ou enseigner , mais plutót une occasion d'orgueil ; et de 
là ce que dit la Glose, Matth., IV : « Beaucoup tombent dans les piéges 
du démon, enflés de l'honneur d'enseigner les autres. » Donc il paroït 
que ni la prédication ni l'enseignement ne donnent droit à l'auréole. — 

Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Sur cette parole, Ephes., T 
« Afin que vous sachiez quelle est la suréminente vertu..., » la Glose dit : 
« Il est un surcroît de gloire que les saints docteurs possèderont par delà 
ce qui sera donné au commun des élus. » Donc les docteurs possèderont 
l'auréole (4). 

Sur cette autre parole, Cant., VIII : « Ma vigne est devant moi, » la 
Glose dit : « Il montre par là quelle récompense spéciale il prépare à ses 
docteurs. » Donc les docteurs auront une récompense spéciale; et c'est ce 
que nous nommons l'auréole. 

(Conczusion. — Comme les vierges et les martyrs, les docteurs obtien- 
nent l'auréole, à cause de l'insigne victoire qu'ils remportent sur lediable 
dans l'exercice de leur ministère. ) 

De méme qu'on remporte une éminente victoire sur le monde et sur 
la chair par le martyre et la virginité, de méme on la remporte eontre 
le diable lorsque, non content de repousser ses assauts, on le chasse en- 
core, non seulement de soi, mais méme des autres. C'est ce qui a lieu 
par la prédication et l'enseignement. Voilà pourquoi l’auréole est dne à ce 
double ministére, aussi bien qu'au martyre et à la virginité. C'est à tort 
que quelques-uns prétendent qu'elle est due seulement aux prélats, qui 
préchent ou enseignent par devoir ; elle l'est à tous ceux qui exercent un 

(1) Quand on considére, en elle-méme et dans ses résultats, l'éminente fonction que les 
prédicateurs el les docteurs remplissent dans l'Eglise, le bien qu'ils font à l'husbanité, on 
p'est plus étonné qu'une couronne spéciale leur soit réservée au séjour des éternelles rè- 


compenses. On peut caractériser avec un mol ces grands serviteurs de Dieu. Îls sent les or- 
ganes de la vérité divine. Or, cette vérité est, sous quelque rapport qu'on l'envisage, la vie 





humiliationi in presenti; quia qui se humi- 
liat, exaltabitur. Sed in docendo et in præ- 
dicando non est humiliatio , imà magis super- 
bie occasio ; unde Glossa dicit Matth., IV, 
quód «diabolus multos decipit honore magis- 
iri inflatos. » Ergo videtur quód prædicationi 
et doctrine aureula non debeatur. 

Sed contra, Ephes., 1, super illud : « Ut 
sciatis quæ sit supereminens, etc., » dicil 
Glossa : « Quoddam incrementum gloria hahe- 
bunt sancti Doctores ultra illud quod commuui- 
ter omnes habebunt. » Ergo, etc. 

Preterea, Cantic., VII, super illud : « Vi- 
nea mea coram me est, » dicit Glossa : « Os- 
tendit quid singularis premii doctoribus ejus 
disponat. » Ergo doctores habebunt singulare 
premium; et hoc vocamus aureolíam. 


"à 


(CoNcLusio. — Sicut virgines et martyres, 
ita doctores aureolam consequuntur, propter 
vicloriam quam oblineut adve:süs diabolgm 
per praedicationem et doctrinam. ) 

Respondeo dicendum , quód sicut per mar- 
tyrium et virginitatem aliquis perfeetissimam 
victoriam obtinet de carne et mundo, ita etiam 
perfectissima victoria contra diabolum obtine- 
tur quando aliquis non solüm diabolo impu- 
gnanti non cedit; sed etiain expellit eum , et 
non solüm à se , sed etiam ab aliis. Hoc autem 
fit par prædicationem et doctrinam. Et ideo 
prædicationi et doctrine aureola debetur, sicut 
et virginitati et martyrio. Nec est dicendum 
(ut quidam dicunt) quód debeatur tantüm 
prelatis, quibus competit ex ofücio predicare 
et docere, sed quibuscumque qui licitè hunc 


?ES AvRÉOLES. 951 


tel ministère d’une manière licite. Les prélats eux-mêmes n'obtiennent. 
pas l'auréole, tout obligés qu'ils sont à précher, s'ils ne préchent pas 
réellement ; car ce n'est pas l'habitude, c'est la lutte réelle, qui donne 
droit à la couronne, d'aprés le mot célébre de saint Paul: « Ne sera cou- 
ronné que celui qui aura légitimement combattu. » 

Je réponds aux arguments : 1° Précher et enseigner sont les actes d'une 
vertu, à savoir, de la miséricorde. Aussi est-co là une chose qui figure 
parmi les aumónes spirituelles. 

2° Sans doute la faculté de précher et d'enseigner est le plus souvent 
le fruit de l'étude ; mais l'exercice de ce ministère est le fait de la volonté, 
laquelle est informée par la charité que Dieu répand dans mos ames. Et 
c’est ainsi que cet acte devient méritoire. 

# L'exaltation qui se rencontre dans la vie présente n 'emoindrit pas 
la récompense qui nous attend dans l'autre vie, à moins qu'on ne cherche 
sa propre gloire dans une telle exaltation (1). Celui qui en profite, au 
contraire, pour se rendre utile aux autres, y trouve un sujet de mérite 
et de récompense. Quand on dit que l'enseignement donne droit à l'au- 
réole, cela s'entend d'un enseignement qui a pour objet les choses du sa- 
lut; car c’est alors comme une arme spirituelle dont on se sert pour 
chasser le démon du cœur des hommes, ce à quoi s'applique cette parole 
de saint Paul, Il. Corinth., X, 4 : « Les armes avec lesquelles nous com- 
de tous les êtres doués d'intelligence et d'amour. La soutenir, la défendre et la propager 
parmi les hommes , c'est répandre la vie. Les premiers docteurs du christianisme , les plus 
puissants prédicateurs de la doctrine évangélique, ont été à bon droit appelés péres de l'Eglise. 
On eût également pu les appeler pères du genre humain, puisqu'ils lui ont communiqué la 


lumière du jour véritable et qu'ils l'ont initié à l'immertee vie. Cette auréole qui brillera 
sur leur front est celle de la plus haute paternité qui se puisse concevoir dans le ciel et sur 
la terre. 

(1) A cela revient la parole du Sauveur dans l'Evangile, Joan., VII, 18 : «Celui qui parle 
de sa propre autorité, cherehe sa propre gloire; mais celui qui eherehe la gloire de Cetei 


qui l'a envoyé, annonce la vérité pure... » Et celui-là seul dés-lors mérite l'auréole de la 
doetrine. 





actum exercent. Prælatis autem non debetur, 


luntate procedit, qua per cbaritatem informa- 
quawvis habeaut officium predicaudi, nisi actu 


tur à Deo infusam. Et sic actus ejus merito- 


Jradicent; quia corona non debetur habilui , 
Bed pugne actuali, secundüm illud IL Tim., 
Il : « Non coronabitur nisi qui legiliiné certa- 
verit (1). » 

Ad primum ergo dicendum, quód predicare 
et docere sunt actus alicnjus virtutis , scilicet 
misericordie. Unde et inter spirituales elee- 
mosynas computantur (2). 

Ad secundum dicendam, quèd quamvis fa- 
cmltas prædicandi ct docendi quandoque ex 
studio proveniat, tamen usus doctrine ex vo- 


rius esse potest. 

Ad tertium dicendum, quód exaltatio in nac 
vita non diminuit alterius vite premium, nisi 
ei qui ex tali exaltatioge propriam gloriam 
quarit, Qui autem talem exaltationem in utili- 
tatem aliorum converüt, ex ea sibi mercedem 
acquirit, Cüm autem dicitur quód doctrine de- 
betur aureola, intelligendum est de doctrina 
quæ est de pertinentibus ad salutem; per quam 
diabolus & cordibus nominum expuguatur, $i- 
cut quibusdam spiritualibus armis, de quibus 


(1) Sive, qui certat in agone, non coronatur «isi legitimà certaverít, ex vers. 5. 
(8) Ut TI , II, qu. 32, art. 2, ex professo dietum est, ubi docere égnorantes inter spiri- 
tuales eleemosynes primo loce ponitur, et ad idem pertinet peadicere, 


259 SUPPLÉMENT, QUESTION XCVI, ARTICLE 8. 


hattons ne sont pas des armes charnelles, mais bien des armes spiri- 
tuelles. » 


ARTICLE VIII. 
L'auréole est-elle due au Christ? 


Tl paroit que l'auréole est due au Christ. 1* C'est la virginité, le mar- 
tyre et l'enseignement doctoral qui donnent droit à l'auréole. Or ces trois 
choses ont éminemment existé dans le Christ. Donc c 'est éminemment au 
Christ que l'auréole est due. 

2» Tout ce qu'il y a de plus parfait dans les choses humaines doit sur- 
tout être attribué au Christ. Or l'auréole est une récompense qui s'ac- 
corde aux mérites les plus éminents. Donc elle est due au Christ. 

3 D’après saint Cyprien, « la virginité porte en elle l'image de Dieu. » 

C'est donc en Dieu qu'est l'exemplaire ou le type de la virginité. D'où il